Octobre
2014
LA QUÊTE DE SENS, à partir d’extraits d’ouvrages
3. TROUVER UN SENS A SA VIE MALGRE L’EPREUVE
Christiane
BEDOUET
Pour une prise de contact, passer par : henri.charcosset@neuf.fr
Présentation, par Henri Charcosset
Christiane Bedouet,
professeur de français en retraite, nous a fait bénéficier entre 2008 et 2011,
de la série suivante de dix articles :
Bedouet Christiane (2008),
Accepter de vieillir et de voir les siens vieillir
Bedouet Christiane (2008),
Vieillesse et mort dans la Littérature
Bedouet Christiane (2008), Pouvoir
vivre sa foi chrétienne guidé par
l’Internet
Bedouet Christiane
(2008), Mourir les yeux ouverts
(ouvrage de Marie de Hennezel en col avec Nadège Amar, 2007)
Bedouet Christiane
(2009), Mourir vivant.1. Réflexions
et point de vue
Bedouet Christiane
(2009), Mourir vivant-2- A propos de la loi Leonetti
Bedouet Christiane (2009), Mourir
vivant-3- Les soins palliatifs (première partie).
Bedouet Christiane (2009),
Mourir vivant-3-Les soins palliatifs(Deuxième
partie).Suite du troisième article d’une série intitulée « Mourir
vivant »
Bedouet Christiane (2009), LES CLIC. Faire face aux
difficultés de la vieillesse
Bedouet Christiane ( 2011), Eloge de
la fragilité.1. L’intelligence de la vieillesse.2. Traverser nos fragilités
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C’est avec un grand plaisir
que nous l’accueillons de nouveau, cette fois-ci pour trois articles
successifs, évoquant « La quête de sens »,
à partir d’extraits d’ouvrages.
Les sous-titres vont en être,
à la suite de :
« Des repères
brouillés ?» à voir à CLIC,
« Humaniser le
quotidien », à voir à CLIC
Et enfin « Trouver un sens à sa vie malgré
l’épreuve », à voir ici, CLIC
Dans cette troisième partie,
sont cités des extraits de :
Le Métier d’homme, Alexandre Jollien ,
2009
Le livre de la vie, Martin
Gray, 1973
Le chercheur d’Absolu,
Théodore Monod, 2011
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Texte de Christiane Bedouet
Lorsque la personne est atteinte par l’épreuve,
elle peut avoir des raisons supplémentaires de s’interroger sur le sens.
Une vie de souffrance vaut-elle la peine d’être vécue ? Le mal, la
souffrance en elle-même n’a aucun sens mais la façon dont on va vivre l’épreuve
va peut-être contribuer à faire grandir celui qui l’a traversée. Voici des
extraits d’un livre écrit par Alexandre Jollien,
gravement handicapé depuis son enfance. L’histoire ne dit pas s’il a suivi une
logothérapie, en tout cas il a trouvé la force de dépasser son handicap :
il a fait des études universitaires, s’est marié, il est père de trois enfants,
et il a écrit plusieurs ouvrages. Voici des extraits de l’un d’eux :
Le Métier d’homme
Alexandre Jollien – Éd. Seuil, 2009
1 – D’un combat joyeux
p. 18 - Nulle
astuce, nul effort ne pouvaient être épargnés. Loin de m’attrister, la lutte
à livrer dispense sans trêve et de façon inattendue une joie authentique
que j’ai invariablement retrouvée auprès des camarades qui m’entouraient.
(…)
Les
situations les plus précaires disposent à la lutte. (…) il est périlleux de se
laisser aller.
* Tenir debout d’abord, la littérature
ensuite !
p. 26 – L’homme
demeure un être inachevé pour qui tout reste à conquérir.
p. 29 – (…) le
manque peut ainsi devenir une source, un élan vers plus de bonheur. Me
sachant démuni, je vais tout mettre en œuvre pour m’en sortir. La blessure
appelle donc son joyeux contraire.
(…) Cesser
d’espérer, c’est s’avouer vaincu sans même relever le défi, c’est rendre vain
chacun de nos efforts.
2 – De l’unicité de l’homme
p. 32 – Quand
mon voisin disparaît sous l’étiquette de dépressif, quand autrui
n’apparaît plus que comme le diabétique, le veuf ou le Noir, la réduction à
l’œuvre dans maints regards pèse, meurtrit la personnalité et ouvre des
plaies secrètes.
p. 33 – L’être
humain, je le crois, s’inscrit dans une complexité qui force l’étonnement.
Peut-on réellement le cerner avec des « dépressif »,
« blond », « à pieds plats », « Noir »,
« égoïste » ? Ces indications nous aident-elles vraiment à appréhender
le mystère qui habite chaque individu ? J’y vois plutôt un danger. Il
ne s’agit évidemment pas de s’interdire tout jugement, mais d’éviter la
blessure engendrée par des considérations trop hâtives, de s’astreindre au
moins à regarder mieux, autrement… avec dépouillement.
Derrière les
mots se cache une personnalité riche, unique, irréductible que le poids des
préjugés finit par recouvrir d’une couche fièrement catégorique.
p. 35 – Une
définition par trop simpliste est donc dangereuse. (…) Toute réduction qui
circonscrit l’homme en niant l’unicité de l’individu confond l’accident et la
substance. (…) Une seule fierté m’habite : être un homme avec des
droits et des devoirs égaux, partager la même condition, ses souffrances, ses
joies, son exigence.
* Tous des « cas sociaux » ?
p. 36 – Chaque
homme est, à sa mesure, un cas, une délicieuse exception. Et une observation
fascinée, puis critique, transforme souvent l’être anormal en maître ès
humanité.
3 – De la souffrance ou l’art de mettre les
voiles
p. 38 – En plus
des tourments que la psychologie prétend soulager, en quelques séances, existe
une souffrance fondamentale qui appartient à la nature humaine et
demeure imparable…
p. 39 – Le métier d’homme, art de vivre fatal que chacun
pratique au quotidien – souvent sans le savoir -, exige par conséquent bien des
ressources, une constante ingéniosité déployée pour faire de la vie une
victoire, pour assumer sa condition…
p. 41 – Ni modèle, ni solution, ni réponse toute faite, ni mode d’emploi
ne sont disponibles. Chacun y va à tâtons, essuyant des échecs,
bâtissant sur ses ruines.
* Du tragique comme source
p. 42 – Voici
donc le premier défi : modeler une vie, sculpter l’existence sur du
sable, avec, pour guides, aussi les plus paumés, précurseurs meurtris qui
contre toute logique luttent, proposent un sens, fragile, sans cesse
menacé.
p. 43 – À
nouveau, les plus faibles prennent valeur d’exemple. (…) Il n’y a rien à perdre
puisque tout est déjà perdu d’avance ! Tout ce que je construis, je
l’arrache, pour un temps, à l’emprise de la souffrance ; toute la joie
que je donne, je l’oppose à la tristesse, à la solitude. Rien n’est grave
puisque tout est grave. Chaque minute portant l’empreinte secrète du tragique,
de la mort toute proche, il conviendra de l’habiter, d’y placer force et joie.
p. 44 – Devenir
léger, c’est accepter humblement le sort après avoir tout tenté pour éradiquer
son ombre, affirmer une résistance là où priment la révolte et la colère,
c’est refuser que la rage ou la haine viennent altérer la liberté. Être
léger, c’est donc recourir de force à la joie contre ce qui aigrit, contre ce
qui isole, épauler celui qui souffre pour qu’il ne se claquemure pas dans son
mal-être.
p. 45 – En dépit
des envieux, des grincheux ou des vengeurs, l’adepte de la légèreté relève donc
le défi d’accueillir l’existence, de l’embellir chaque jour. Sur son chemin,
la présence de l’autre consolide sa persévérance. Dès lors, pour assumer
une difficulté qui désarme, il s’ouvre et consent à trouver une aide, à risquer
la rencontre.
* D’une gratuité insignifiante (ou le
profil joyeux avant tout)
p. 47 – Dans le
malheur, rien de plus précieux que la présence d’un être cher, l’écoute
d’un proche. Sans ce soutien, l’homme cesse de croître, il dépérit.
p. 48 – La
souffrance ne grandit pas, c’est ce qu’on en fait qui peut grandir l’individu.
(…) rien de pire
qu’une souffrance gratuite, absurde, dépourvue de sens.
p. 51 – Chacun
apporte ainsi son sens à la souffrance. Pour tenter de le trouver, je
pressens, pour ma part, que seul je ne puis rien. Il me faut donc
trouver les armes que d’autres ont forgées, leur emprunter les outils du
combat.
4 – Du corps
* Ce que le corps apprend
P. 57 – L’apprivoiser,
l’habiter peut-être, voilà encore une tâche impartie à l’apprenti qui se
lance dans l’exercice du métier d’homme.
p. 58 – (…) c’est
le corps qui fait aussi de chacun un être unique.
5 – Ce qui déforme
p. 70 – (…) je
devine que l’homme ne se construit que dans la présence de l’autre. (…)
Observer l’autre peut devenir un recours pour celui qui se noie dans
l’incompréhension ou se perd dans les plis de sa vulnérabilité.
p. 71 – Augustin
confirme : en me conviant à « devenir ce que je suis »
[Confessions], l’autre révèle ma nature.
p. 72 – On a
bien trop vite fait de célébrer celui qui se bâtit tout seul.
p. 75 – Dans un
univers de boiteux, celui qui marche droit passe pour anormal. Tout dépend des
références de chacun.
6 – Mon semblable qui me veut différent
p. 85 – Il faut
combattre l‘idée qui, automatiquement, laisse entendre que chaque handicapé
connaît un sort peu enviable. Voilà à quoi doivent contribuer les milliers
de différents qui, dérangeant et bousculant les indifférents, sont bien
forcés d’assumer leur fragilité avec joie et persévérance et savent aussi
jubiler devant la vie.
7 – Le métier d’homme
p. 90 – Sacré
métier d’homme, je dois être capable de combattre joyeusement sans jamais
perdre de vue ma vulnérabilité ni l’extrême précarité de ma condition. Je
dois inventer chacun de mes pas et, fort de ma faiblesse, tout mettre en
œuvre pour trouver les ressources d’une lutte qui, je le pressens bien, me
dépasse sans toutefois m’anéantir.
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S’il est des hommes marqués par l’épreuve, Martin Gray en fait
bien partie, lui qui, jeune, a perdu sa famille dans les camps de concentration
et, adulte, s’est trouvé privé de sa femme et de ses enfants morts dans
l’incendie de sa maison. Il a tout perdu et, malgré tout, il recommence, et il
témoigne, et il se consacre à des causes humanitaires. Voici juste quelques
phrases tirées de l’un de ses ouvrages :
Le Livre de la vie
Martin Gray / Éd. Robert Laffont, 1973
p. 55 -
…découvrir sa source, trouver le sens du courant qui nous porte, devenir ce que l’on doit être, se
reconnaître et s’accepter, porter à la lumière le moi qui gît au fond de soi, c’est
cela prendre visage d’homme.
p. 104 – L’épreuve, pour un homme, c’est le moyen de se
connaître et de grandir.
La souffrance et le
malheur (…) n’écrasent que celui qui n’a rien en lui.
p. 105 – Croître, pour un homme, ce n’est jamais oublier ce qui
précède mais le connaître et s’en dégager pour mieux se voir et voir le but.
Et le but de l’homme c’est être soi.
Parce qu’être soi c’est aller vers les autres. Comme la source
va vers la mer.
p. 201 – Être fidèle à ceux qui sont morts, ce n’est pas s’enfermer
dans sa douleur. (…)
Être fidèle à ceux qui sont morts, c’est vivre comme ils auraient
vécu.
Et les faire vivre en nous.
Et transmettre leur visage, leur voix, leur message aux autres.
p. 230 – La vie, c’est d’abord un projet, des projets qu’il faut
se donner.
Ce qui compte c’est ce qui
s’inscrit dans le monde réel.
Est réel dans la vie ce
qui agit.
Car la vie c’est construire, édifier, élever. Pierre après
pierre, pensée après pensée, acte après acte, apprendre soi, apprendre le
monde, pour se connaître, le connaître, se changer et le changer.
Pour atteindre la paix
intérieure. La seule qui puisse durer.
Pour rendre la vie de l’homme moins cruelle. Pour tendre la
main, la voix, le regard vers ceux qui appellent.
p. 254 – De toute expérience, dure ou douce, l’homme doit tirer un
bien.
Il n’y a pas d’événement qui soit vain dans une vie.
Pas de jour, pas d’épreuve qui soient inutiles.
À condition qu’on ne les contemple pas, fascinés, immobiles comme l’est la proie
d’un serpent, mais qu’on se serve d’eux comme d’un appui pour aller plus
avant.
p. 258 – Vivre, c’est créer son monde. Trouver sa paix. Et
pour chacun elle est différente. Elle peut surgir du malheur si on sait le
dépasser. Chacun peut l’atteindre. Mais il faut la vouloir. Savoir
que la paix ne vient que si l’on tisse des liens avec les autres. Famille
ou groupe, liens de la voix ou de la pensée : peu importe. Mais il faut
ces liens.
Il n’y a pas de plénitude
si l’on est un arbre solitaire. C’est la forêt qui donne son sens à l’arbre et
c’est elle qui le rend vigoureux.
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Conclusion
À la lecture de ces extraits d’ouvrages,
on constate, dans tous les cas, que rien ne se fait sans la relation à
l’autre, notre semblable, notre frère en humanité. Et souvent, cette
relation à l’autre débouche, pour ceux qui croient, sur la relation à l’Autre,
la Présence, quel que soit le nom qu’ils lui donnent…
Pour conclure, une mise en garde et une
exhortation à grandir toujours plus en humanité, extraite de :
« Le Chercheur d’absolu »
Théodore Monod, rééd. Folio, 2011 :
p. 81 – Chaque homme est un maillon. Il donne une forme
à l’existence, à son existence, enfin il devrait le faire. Sinon il demeurera
une graine destinée à pourrir en terre, faute d’avoir engendré son
développement. Et à ce titre, nous sommes tous responsables, tous
obligés de nous dérouler en actes. Il n’y a pas d’êtres inférieurs, il n’y a
que des êtres qui ne veulent pas se hausser vers le supérieur, développer
l’ascension enroulée en eux-mêmes. Pourquoi ? Par manque
d’intelligence ! Le mot contient en lui-même celui de Lumière. Nous avons
le pouvoir de regarder en transparence. Nous perdons beaucoup de notre énergie
sur les chemins de traverse et les routes sans issue. C’est pourquoi l’homme
doit s’extraire de cette torpeur au risque de la défaite ; creuser,
creuser sans cesse pour trouver la sortie de secours.
La poignée d’hommes qui a déjà réalisé cela doit
s’accroître. Ces êtres, je les compare à une pierre qui, jetée dans l’eau,
favoriserait l’élargissement d’un grand cercle. Et ceci pour nous former, être
en devenir, animer le ressort psychique qui nous mène à la fois vers l’En
Avant et l’En Haut. L’être humain n’est pas un îlot de chair né
simplement pour satisfaire ses petits désirs. Il doit se rappeler qu’il fait
partie d’un Tout, cosmique, social, humain ; que rien n’est achevé, ni
l’homme ni la Terre.
Il fait partie de cette « poignée
d’hommes », Théodore Monod, ce grand scientifique à qui nous devons aussi
de profondes réflexions philosophiques nées surtout de ses séjours de chercheur
dans le désert. Ces hommes, connus de tous ou plus anonymes, sont des veilleurs
qui peuvent permettre à notre humanité de ne pas se perdre et de grandir
dans ce qu’elle a de spécifique et de meilleur.