NOVEMBRE 2008
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MOURIR LES YEUX OUVERTS
Marie de HENNEZEL, en collaboration avec Nadège AMAR -Ed. Pocket, 2007
Présentation par
Christiane BEDOUET
Dans
cet ouvrage, paru pour la première fois en 2005 aux éditions Albin Michel,
Marie de Hennezel s’appuie, pour nous livrer ses réflexions à propos de la fin
de vie, sur l’expérience d’un ami : le philosophe Yvan Amar, atteint d’une
maladie incurable et mort à quarante-neuf ans, dignement et sans souffrances,
dans les bras de Nadège, sa femme. Il avait fait le choix de vivre ces
derniers temps chez lui, dans la sérénité, auprès de sa famille et de ses amis.
Marie de Hennezel citera, ici,
de nombreux extraits du livre de Yvan Amar : « L’Effort et la
grâce », éd. Albin Michel, 1999.
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Après
avoir évoqué la mort d’Yvan et ses funérailles qui furent une fête, l’auteur
dit que « l’expérience d’Yvan et de Nadège Amar nous provoque. Est-elle
une exception ? Est-elle un exemple dont nous pouvons nous inspirer ?
A chacun d’en juger. Nous estimons pour notre part qu’elle nous donne quelques
clés. Avoir conscience de sa propre mortalité oblige à ne pas vivre à la
surface des choses. On prend de la hauteur, on revient vers l’homme intérieur
et, ce faisant, on s’apaise face à la mort. […] Chacun peut approcher sa
mort les yeux ouverts, si la mort n’est pas niée, si l’entourage
l’accepte, s’il y a suffisamment de vérité et d’amour autour de celui qui
meurt. Chacun peut faire de
sa mort une leçon de vie pour les autres ».
Dans le chapitre intitulé « La mort d’un
sage », l’auteur raconte la dernière journée d’Yvan et ses derniers
instants auprès de Nadège, sa femme. Affaibli, mais vivant jusqu’au bout par le
dialogue, la reconnaissance et la confiance réciproque du couple.
La suite de l’ouvrage rapporte l’essentiel de
l’enseignement qu’Yvan Amar a dispensé au cours de sa vie de
« condamné ». Mais, lui, ne se considérait pas comme victime ;
la maladie, pour lui, était une occasion offerte de « grandir ».
Né d’un père juif et d’une mère chrétienne, il vécut
quelques années auprès d’un maître spirituel en Inde. Grâce à cela, il acquit
tolérance et ouverture spirituelle.
Mais il ira au-delà. Fort de cette ouverture, il sera
toujours en quête d’une sagesse adaptée au monde occidental.
Et, s’il cherche toutes les voies pour améliorer son
état, il « parle de la maladie comme d’une expérience qui lui
ouvre le chemin vers lui-même et vers Dieu ».
Pour lui, l’«éveil » ne
doit pas être une préoccupation de se sauver égoïstement seul. « Il ne
s’agit pas de fuir la réalité en quête d’une expérience spirituelle coupée du
monde, mais de s’y confronter et d’apprendre de chaque moment de la vie ».
« On ne peut envisager un enseignement sans être
responsable de son prochain ; il n’est pas question de s’éveiller tout
seul, mais de faire grandir le tout ».
« Est-ce que je me suis éveillé au devoir que
signifie être vivant, est-ce que je suis conscient de ma responsabilité
vis-à-vis de ce qui m’a été confié : la vie ? nous dit Y. Amar. Au
soir de notre vie, nous sommes jugés sur la façon dont nous avons aimé, et
uniquement cela ».
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Cet exemple ne fait que renforcer les paroles sur la
mort auxquelles Marie de Hennezel nous a habitués. Elle dit l’importance, pour les personnes
en fin de vie, d’être capable d’entendre sereinement leurs peurs, de les
informer simplement et de les assurer qu’on ne les laissera pas souffrir, qu’on
ne les abandonnera pas.
Le déni de mort de notre société qui veut épargner les
enfants, le mourant, encourage le mensonge. « Comment une personne
peut-elle faire sienne une mort dont on ne lui dit rien ? »
L’auteur raconte qu’au cours de son expérience
professionnelle elle a « découvert que lorsqu’on ne se défend pas
contre l’angoisse et l’impuissance, lorsqu’on accepte de les regarder en face,
on peut les transformer ».
Elle a pu constater, aussi, que pour les soignants en
unités de soins palliatifs, « la proximité avec la mort change la
hiérarchie des valeurs, le rapport au temps et l’attitude profonde à l’égard
des êtres et des choses. L’affectif l’emporte sur l’effectif, on veut prendre
son temps pour apprécier la vie, vivre l’instant présent ».
Marie de Hennezel nous donne également les témoignages
d’autres malades, notamment deux jeunes qu’elle a accompagnés. Pour l’un, sa
maladie était une « nouvelle naissance » permettant d’aller au
simple, à l’essentiel. Pour l’autre, c’était une expérience spirituelle :
« J’ai le sentiment que, quoi qu’il en soit, je vais mourir guéri, que
d’ores et déjà je suis guéri… […] Ce que je sais profondément, c’est que tout
cela a un sens et que j’irai vers quelque chose ».
L’auteur évoque aussi les personnes qui ont eu une
expérience de mort imminente (NDE) : non seulement elles n’ont plus peur
de la mort, mais elles apprécient encore plus la valeur de la vie.
Comme Yvan Amar, Marie de Hennezel souligne le danger
de fuir la réalité dans une « quête spirituelle » qui serait égoïste
et ne tiendrait pas compte de la relation à l’autre. La quête spirituelle ne
peut se faire sans relation aux autres. Seule la rencontre peut être
féconde.
L’auteur rassure également les personnes qui
accompagnent les mourants. Elles ne doivent pas avoir peur de leur propre
vulnérabilité et de leur impuissance et cela ne doit pas les détourner de la
personne accompagnée. C’est au contraire dans cette impuissance partagée
que les deux personnes se rencontrent réellement : l’accompagnant et
l’accompagné.
Marie de Hennezel insiste sur la relation de confiance
qui peut s’instaurer entre la personne âgée, mourante, dépendante, et les
soignants. Combien leur attitude pleine de délicatesse et de respect peut
« confirmer l’autre dans son humanité ».
On peut même vivre dans la joie ces moments ultimes.
Ainsi cette personne dont le père lui avait demandé, plein d’angoisse, s’il
allait mourir. Elle lui avait répondu franchement : « Oui, tu vas
mourir mais je suis là et je t’aime. On ne se quittera pas. L’amour est plus
fort que tout et ne nous séparera jamais ». L’angoisse du père s’est
transformée en joie et, libéré, il était prêt à mourir.
On ne peut entrer vraiment les yeux ouverts dans la
mort que si l’on est vivant jusqu’au bout car, si le physique diminue, la vie
intérieure, la relation à soi et à l’autre s’approfondissent.
C’est pourquoi Marie de Hennezel insiste sur la
nécessité de mourir accompagné. L’accompagnement permet à l’accompagnant
d’être apaisé en allant jusqu’au bout de la relation. Il permet au mourant d’être
vivant jusqu’au bout et de partir en paix après avoir dit à son entourage
« les mots qui les aideront à vivre ». C’est ainsi que l’on respecte
la dignité de la personne mourante… Et l’euthanasie n’est sans doute pas la
meilleure façon de mourir dans la dignité.
Ces personnes qui, comme Yvan Amar, acceptent l’idée
de leur mort, qui s’y préparent et y préparent leur entourage nous donnent une
leçon de vie.
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Pour les obsèques d’Yvan Amar, selon sa propre
volonté, les trois traditions du Livre étaient présentes : tradition
juive, musulmane et chrétienne. C’était sa volonté de « rapprocher les
hommes, les inviter au dialogue, à la relation, à l’humilité ».
Malgré son absence physique, il était donc
extraordinairement présent. Car « la mort met fin à la vie mais pas à
la relation ». C’est sur ce chapitre que se termine le livre et Marie
de Hennezel résume, avec tendresse et simple humanité, ce qu’une mort telle que
celle d’Y. Amar peut nous apporter :
« Cette mort lucide, consciente, acceptée malgré
la souffrance et la peur, a été une leçon de vie et d’amour pour les autres.
Aucune violence ne l’a accompagnée. Simplement le déroulement tranquille des
choses, le silence, la tendresse, les mots qui apaisent […] Tant que nous
pouvons aimer et nous souvenir de ce sentiment d’amour, nous pouvons mourir
sans vraiment nous en aller ».
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