Janvier 2009
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MOURIR VIVANT – 1 – Réflexions
et point de vue
Premier article d’une série intitulée « Mourir
vivant »,
par Christiane BEDOUET
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Tabou souvent, fascination parfois, le sujet de la
mort ne laisse personne indifférent. Il n’est que de parcourir les forums de
discussions sur ce sujet pour se convaincre que la question est bien présente.
Tabou ou fascination, c’est sans doute une façon de se défendre de la peur que
son idée fait naître en nous. Est-ce la meilleure façon de s’en défendre ?
C’est ce que nous essaierons de voir.
En tous cas, dans nos sociétés modernes occidentales,
on évite d’en parler, on prend soin de la cacher si bien que, selon les
statistiques, c’est en majorité à l’hôpital ( 70% ) que l’on meurt.
Pourtant, des voix s’élèvent pour que soit donné un
autre « statut » à la mort ou plutôt au « mourir ». Pour
ces gens, il s’agit non plus de cacher la mort qui, de toutes façons, nous
attend tous, mais de la vivre consciemment. Et l’on commence à entendre
parler, ici et là, du « mourir vivant ».
De quoi s’agit-il ? Comment est-ce
possible ? N’est-ce pas un paradoxe ?
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Souvent, on dit de celui qui est mort subitement, sans
avoir eu le temps de s’en rendre compte : « Il a eu une belle mort ».
Pourquoi qualifier de « belle » une telle
mort, alors que la brutalité de ce départ laisse bien souvent l’entourage
désemparé ? « Je n’ai pas eu le temps de… », « Je n’ai pas
pu lui dire… », « J’aurais tellement voulu lui dire… ». La
soudaineté du départ fait que n’ont pu s’échanger les dernières paroles d’amour
ou de réconciliation.
Mon grand-père paternel est mort lorsque j’avais dix
ans. Il sentait sa fin toute proche et, alors que ma grand-mère, mes parents et
mes tantes l’entouraient, il avait demandé que l’on me fasse venir auprès de
lui ; un voisin était donc venu me chercher à l’école. Lorsque je suis
arrivée auprès de lui, bien préparée par ma mère et mes tantes, mon grand-père
ne pouvait plus parler ; j’étais impressionnée, mais son regard m’en a dit
plus long que toutes les paroles qu’il aurait pu prononcer… Nous étions tous là,
autour de lui. Nous avions de la peine mais, en même temps, ce n’était pas
triste. Je garde de ces moments un souvenir plein de paix, où la lumière se
mêlait au larmes.
Ce qui fait que nous sommes des êtres humains, c’est
que nous sommes en relation les uns avec les autres. Pourquoi priver de
ces relations humaines la personne qui va mourir ?
Il est vrai que la mort des autres fait peur et que,
inévitablement, on pense à sa propre mort, souvent pressentie comme une
dissolution dans le néant ou, tout du moins, un grand saut dans l’inconnu.
Mais les personnes qui agonisent seules, ou
presque, à l’hôpital, ne sont-elles pas déjà mortes avant l’heure ? Et
nous, les proches, qui venons faire une visite, sommes-nous encore si proches
que cela ? Souvent, on n’ose s’approcher du mourant, on regarde de
loin… C’est comme si toute relation avec lui était déjà finie. La peur nous
empêche… S’il n’y avait cette peur, peut-être l’autre pourrait-il mourir
vivant ? Nous pouvons imaginer que, lorsque nous-même nous mourrons, si nos
proches ne nous approchent plus, nous serons alors dans une solitude
insupportable pour affronter la souffrance, morts avant d’être morts…
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Ils sont bien conscients de cette peur-là ceux qui
militent pour l’euthanasie. Le handicap lourd, la maladie grave, qui
diminuent et rendent dépendant, sont souvent ressentis comme une déchéance.
L’autre, malade, se sent et devient comme étranger, on a parfois l’impression
de ne plus rien avoir en commun avec lui, on ne veut plus rien avoir de
commun avec lui, de peur qu’il ne nous entraîne avec lui dans l’abîme. On peut
éprouver une sorte de répulsion… Cet autre, qui va mourir, ne serait-il donc
plus un être humain digne de ce nom ?
L’ADMD ( Association pour le droit de mourir
dans la dignité ) regroupe les personnes qui militent en faveur de
l’euthanasie. Deux points essentiels semblent motiver leur combat pour que soit
donnée à chacun (ou à son entourage) la possibilité de choisir la mort à tel
moment déterminé par lui-même ( ou l’entourage ) :
- pouvoir mettre
fin à des souffrances devenues insupportables,
- avoir la possibilité de mourir, quand on estime que
l’on n’est plus « regardable », sans y perdre toute dignité.
Parce que cela n’a plus de sens de vivre
lorsque l’on souffre le martyre, parce que cela n’a plus de sens de vivre
lorsque le regard des autres nous fait plus ou moins sentir que l’on n’est plus
présentable, « aimable ». Alors mieux vaut disparaître avant d’être
diminué au point de ne plus faire partie de la communauté humaine. On veut
pouvoir devancer l’heure de sa mort afin de ne pas en arriver là. On voudrait
laisser aux autres une image acceptable de soi-même. Puisque, de toute
façon, il faut mourir, autant « mourir vivant » plutôt que de laisser
le souvenir d’un cadavre ambulant. Il y va de la dignité du malade. Et l’on
peut comprendre que, dans des cas extrêmement douloureux comme ceux de Vincent
Humbert, Chantal Sébire et bien d’autres, on en arrive à faire ce choix de
précipiter sa propre mort ou celle du proche malade qui en a fait la demande.
On sait les réactions passionnées soulevées par les
débats autour de la légalisation de l’euthanasie et, récemment encore, on
parlait de modifier la loi Léonetti mais cela n’a pas eu lieu. La France reste
donc encore l’un des pays où
l’euthanasie ne soit pas légalisée.
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En effet, tout le monde ne se retrouve pas dans le
choix de l’euthanasie. Et, tandis que les uns se battent pour avoir le droit de
mourir à un moment et d’une façon choisis par eux, d’autres estiment que la
mort ne doit pas être précipitée ni résulter d’une décision de mettre
délibérément fin à la vie.
Pour eux, il faut accompagner la vie jusqu’au bout,
jusqu’à la mort. Et c’est dans cet esprit que travaillent les unités, réseaux,
associations de soins palliatifs.
Comment y accompagne-t-on les personnes en fin de
vie ?
Tout d’abord, sans basculer dans l’acharnement
thérapeutique, en luttant contre la douleur par des traitements appropriés et
en faisant en sorte d’apporter à la personne malade le plus de confort physique
possible. Cette recherche du confort et de la non-douleur – ou presque –
permet à la personne de vivre ses derniers moments dans de meilleures
conditions.
Mais si l’on ne visait que cela, le malade pourrait
très vite ressentir encore plus durement solitude et angoisse. Les soins
palliatifs offrent aussi un accompagnement humain, psychologique. Le
malade peut exprimer ses angoisses à propos de sa propre mort tout en ayant en
face de lui une personne qui le considère, non pas seulement comme un objet de
soins physiques, mais comme son semblable, un frère en humanité, qui a des
sentiments, qui a peur, qui aime et qui souffre de devoir quitter cette vie et
les siens. Aussi importants que les traitements médicaux sont donc l’attention,
le temps et l’écoute offerts.
Accompagner le malade, c’est prendre soin de toute
la personne, être attentif à tous ses besoins physiques, psychologiques,
sociaux, spirituels. Toute l’équipe travaille dans ce sens et c’est
pourquoi l’on se préoccupe aussi de la famille, des proches qui, eux aussi,
sont accompagnés. On fait en sorte de maintenir autour du malade, autant que
possible, ses relations familiales, amicales. On est attentif aux problèmes que
peut exprimer la personne en fin de vie par rapport à un conflit non réglé, par
exemple, et l’on fait souvent en sorte de favoriser la rencontre avec tel ou
tel pour que puisse être donné ou reçu le pardon qui permet de partir en paix.
Jusqu’au bout est préservée la relation humaine
avec l’autre, ce « tu » sans qui l’on ne peut dire « je ».
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Alors « vivre sa mort », « mourir
vivant » : un paradoxe ? Pas si sûr…
N’aurait-on pas inventé l’expression « mourir
vivant » parce que l’on a compris, admis, redécouvert que la personne en
fin de vie mérite autant d’attention que le bébé qui vient de naître, qu’elle
est jusqu’à sa mort un être de relation, qu’elle peut encore avoir quelque
chose à nous apporter, à nous transmettre ? Certains mourants expriment
leurs sentiments pour leurs proches avec une intensité jamais connue
auparavant… Et si la mort était, en fait, « un débordement de vie »[1] ?
Les choix de chacun sont respectables et l’on peut
comprendre les raisons qui peuvent mener à demander l’euthanasie, surtout si
l’entourage n’est pas porteur. Mais est-ce la suppression de l’agonie qui
garantit de mourir vivant ou le maintien, jusqu’à la fin, dans la communauté
humaine ? Ne retrouve-t-on pas là tout le sens que l’on croyait
perdu en pensant que la maladie nous mettait « en marge » ?
Mais, ceci, c’est l’affaire de tous et pas seulement du mourant…
[1] Jacques Piquet, « Et moi aussi je
t’accompagne », Desclée de Brouwer, 2006
Contacts avec
Christiane Bedouet:
Sur
ce thème du « mourir vivant » il y aurait beaucoup à dire… Sans
prétendre tout dire, suivront d’autres articles donnant davantage de
renseignements pratiques ou approfondissant la réflexion sur l’un ou l’autre
des points abordés ici.
IL
est possible de participer à cette
réflexion, en m’écrivant à l’adresse :
temps-grands-parents@wanadoo.fr
Sur ce site :
Se trouvent déjà un certain nombre d’articles condensés
évoquant le : Donner sens à sa
vie ; Se préparer à sa mort et à son après-vie. Leurs adresses web sont
regroupées à :
A
titre d’exemple, des extraits de l’ouvrage de Ram Dass « Vieilir en pleine
conscience », terminé après qu’il soit devenu paralysé, à : CLIC
Précédents articles sur ce
site, de Christiane Bedouet :
Bedouet Christiane( 2008),
Accepter de vieillir et de voir les
siens vieillir
Bedouet Christiane(2008), Vieillesse et mort
dans la Littérature
Bedouet Christiane(2008),
Mourir les yeux ouverts (ouvrage de
Marie de Hennezel en col avec Nadège Amar, 2007)
Tandis que son site Internet a pour adresse web :
http://pagesperso-orange.fr/grands-parents/