Juillet 2011
ELOGE DE LA FRAGILITE.
1. L'INTELLIGENCE DE LA VIEILLESSE.2. TRAVERSER NOS FRAGILITES
Christiane
BEDOUET
Cet
article est en deux parties, indépendantes mais qui se complètent.
I.
L’INTELLIGENCE DE LA VIEILLESSE. CONFRONTATION DE VALEURS
Petites Sœurs des Pauvres , dans Découverte, bulletin de janvier 2011, n° 290
II.
TRAVERSER
NOS FRAGILITES. (Accès direct par CLIC)
Bernard Ugeux – Ouvrage paru aux Éditions de l'Atelier, 2007
I.
CONTRIBUTION
DES PETITES SŒURS DES PAUVRES
Parole de législateur " La dignité
humaine est un appel qui ne peut être étouffé. La protéger chez tous et en
toutes circonstances est la vocation de nos lois " écrivait Monseigneur
d'Ornellas peu avant l'assemblée des évêques de
France à Lourdes, début novembre 2010. Le 9 octobre, nous avons eu la chance
d'entendre en direct l'homme de la Loi qui porte son nom, la loi Leonetti, du
22 avril 2005, relative aux droits des malades et à la fin de vie. À travers
le député, c'est aussi le médecin qui parle. Des notes prises lors
de cette intervention, quatre axes de réflexion apparaissent : |
- Autonomie et
vulnérabilité -
Est-ce que je dois accéder à la
demande de cette personne qui me réclame d'abréger des souffrances ou est-ce
que je dois la maintenir en vie et l'accompagner ? Je suis dans un désir de
répondre à une volonté et à une liberté, et donc à une valeur fondamentale de
toute démocratie ; je suis aussi dans une recherche de protection du plus
faible et de la vulnérabilité qui est un des fondamentaux de la démocratie et
de notre République. Autonomie, vulnérabilité.
L'autonomie, bien sûr, a le vent en poupe.
Elle correspond un peu à ce que l'on voit sur nos images télévisées. La
prééminence de l'hédonisme, du plaisir, de l'épanouissement individuel est
venue se conforter dans une société qui nous dit à longueur de message que la
norme, c'est la force, la jeunesse, la performance, l'utilité, la rentabilité.
Et ce qui sort des critères, donc ce qui n'est pas rentable, utile, fort,
performant, a une valeur moindre que le reste de l'humanité. L'autonomie, en
filigrane de la liberté, est un élément majeur de notre démocratie.
Mais la
liberté est-elle librement consentie, la volonté est-elle librement exprimée ?
Lorsque je dis : " Je souffre trop, je veux mourir ", est-ce que je
dis : " Soulagez mes souffrances " ou " Donnez-moi la mort
" ?
En
face, se trouve la vulnérabilité.
La vulnérabilité n'est pas du tout à la mode puisqu'au fond, il faut bien vivre
ou pas du tout. Et dans le choix de vie, tel qu'on nous le propose, on aurait
presque tendance à penser qu'on prend le bien, le plaisir, puis, lorsque le
déplaisir arrive, on arrête la vie, puisque la vie ne vaudrait alors plus la
peine d'être vécue.
Comment
prendre en compte en même temps l'autonomie et la vulnérabilité ?
Le
débat éthique est toujours un débat entre deux biens.
- Une éthique
incarnée -
" Incarnée ", c'est son
élément majeur. L'éthique doit bien sûr se baser sur des principes mais elle ne
peut pas se résumer aux principes. C'est parce qu'elle est en actualité, en
rapport à l'humain, qu'elle pose justement les problèmes difficiles qui se
résolvent au cas par cas et de manière strictement personnelle. La vie de
chacun est un parcours personnel. La mort de chacun est un parcours personnel.
La dépendance et le rapport à l'autre est une situation personnelle et avoir
des grands principes qui s'appliqueraient de manière lourde, stricte, n'aurait
pas de sens parce que la loi, à ce moment-là, aurait la dureté de principes qui
vont à l'encontre des coeurs et des âmes.
- À quelles
lumières éclairer ses décisions ? -
En tant que législateur, M.
Leonetti veut rester dans le principe républicain qui doit animer ceux qui
croient comme ceux qui ne croient pas. Il y a un principe simple, c'est que la
loi protège le faible du fort. Il n'y a pas besoin de faire des lois pour
protéger les tigres des gazelles... La question préalable qu'il faut se poser
est : comment protéger le plus faible ? Qui est le plus faible ?
Il y a
une autre notion qui est simple, si simple qu'on arrive mal à la définir ; la
dignité. On sait mesurer un taux de diabète mais la dignité humaine, on
ne la mesure pas ; elle est directement collée, liée à l'humanité.
- Un passeur -
La vulnérabilité peut avoir deux
aspects. Il y a bien sûr la vulnérabilité qui appelle la charité. Il est faible
et je lui porte secours. Dans cette relation très verticale, il y en a un qui
tend la main à l'autre, quoi de plus normal ! Pourtant, dans cette relation, il
n'y a pas d'égalité et celui à qui on tend la main est plus bas que soi.
Mais la
vulnérabilité n'est pas qu'une faiblesse, comme le raconte M. Leonetti
: " Cet élément m'a frappé le jour où j'ai pénétré dans le Service Jeanne
Garnier de soins palliatifs. Moi qui étais cardiologue et réanimateur, j'avais
la notion du combat. On combat pour la vie. Dans le conflit entre la technique
et la mort, il y avait ce jeu un peu triomphant d'une médecine qui s'affirme
dans son orgueil et dans sa capacité à surmonter l'obstacle. Chez Jeanne
Garnier, les gens parlaient peu, bougeaient peu, parlaient de manière apaisée
dans une ambiance qui m'a paru à ce moment-là, lumineuse. Comment se faisait-il
que dans ce service où tout le monde allait mourir, il y avait cette sérénité
qui émergeait ? J'ai compris peu à peu que la lumière venait des plus faibles. Celui
qui est faible trouve chez lui une force qu'il transmet. Et s'il y a
bien une capacité qu'a l'homme, une spécificité de l'homme, c'est qu'il
transmet. L'homme est un passeur. Sa fonction principale est de passer.
Et finalement cette période dite terminale de l'agonie qui, en grec, veut dire
' le combat ', est un combat contre la mort, mais elle est surtout un combat
pour la vie. Le mourant est un vivant. Au moment où il meurt dépouillé de
l'ensemble de ses contingences, il y a cette capacité à transmettre la lumière.
Si je
suis proche de la mort, je suis encore un vivant qui dans un
espace de vie très particulier, dans une faiblesse extrême, dans une vie
finissante, est capable de passer ; justement,
au-delà de la force physique, il y a cette capacité à donner la lumière
à ceux qui apparemment sont plus forts que moi, mais qui découvrent dans ma
faiblesse une « force particulière ».
CONTRIBUTION de
Bernard UGEUX
Bernard Ugeux, philosophe
de formation, est professeur à la faculté de théologie des religions de
Toulouse. Dans ce livre, il nous invite à réfléchir sur nos fragilités :
au lieu de les nier, ne serait-il pas plus fécond de les accepter (les siennes
propres et celles des autres) et de vivre avec, sans s’y laisser réduire, et en
restant en relation avec l’autre. N’est-ce pas la meilleure façon de Vivre
vraiment ? Ch. B.
Traverser nos fragilités
p. 19 - Ne comptant
plus sur moi-même, conscient de mon incapacité d'aimer quand je suis blessé,
confronté à mes résistances intérieures par rapport au pardon, tenté de me
replier sur mes blessures et mes limites, heureux suis-je si, acceptant de me
laisser aimer, je me laisse guérir grâce à la proximité des autres, d'un Autre,
qui m'aime et m'accueille avec mes fragilités, sans jugement... comme je suis.
Alors,
du coeur de ma fragilité reconnue et acceptée, sourd
une force, une capacité d'accueillir la fragilité, la misère même des autres
avec tendresse, en me laissant toucher, mais sans me laisser envahir ou
détruire.
Un chemin de réflexion
p. 22 - Quand je parle
de santé (...) cela concerne aussi bien notre capacité à grandir, à vieillir, à
guérir parfois, à souffrir à certains moments - sans être détruit -, et
finalement à nous avancer vers la mort avec un peu de sérénité. La santé (...)
n'est pas absence de conflits mais capacité de les assumer en restant en
relation.
(...)
Il s'agit plutôt, pour chacun, de poursuivre
la quête d'une vie sensée,
quelles que soient les fragilités et les perturbations des sens et des
sensations.
La fragilité du
monde
p.
25
- (...) la façon dont les médias répercutent de préférence les événements du
monde les plus douloureux et les plus négatifs génère un sentiment d'insécurité
qui envahit nombre de personnes fragiles.
La fragilité au niveau mondial
p. 25 - L'atmosphère
qui prédomine dans une société anxiogène est cause de nombreuses pathologies.
(...) C'est toute une société qui est
fragilisée et en chemin d'enfantement, et nous sommes conscients que nous
traversons une crise de civilisation qui se répercute aussi dans le domaine de
la santé.
p. 27 - Sur le plan des
politiques
nationales, la fragilité de nos sociétés européennes s'exprime
par la grande difficulté à construire du
lien social.
p. 28 - Bref, la
question politique la plus importante aujourd'hui est celle de la fragilité du
lien social avec toutes ses déliaisons, et leurs conséquences : tant de
personnes qui se sentent perdues et marginalisées.
(...)
Les fractures sociales sont partout. Nous n'assistons plus seulement au règne
des déséquilibres économiques, mais au règne de la finance sans visage, sans
projet social précis, dont la pression à court terme des actionnaires et de la
concurrence mène le jeu.
p. 29 - Dans des
sociétés où c'est le rendement qui qualifie la valeur d'une personne, quelle
est la place des personnes avec un handicap, des malades, des personnes âgées ?
p. 30 - Il nous faut
être ouvert aux attentes que nous
rencontrons de la part des personnes fragiles. Elles
veulent être des personnes
avant tout. Jean Vanier dit qu'il n'y a pas de handicapés mais des
personnes avec un handicap. (...) Nous sommes tous plus ou moins handicapés.
Dans une société qui a réalisé tellement de progrès sur le plan de la santé,
même si certains efforts aboutissent pour améliorer la circulation des
personnes handicapées, la peur de la maladie, du handicap nous rappelle notre
fragilité constitutive face à l'injonction de la " bonne santé ".
p. 38 - Ce que nous
révèle aussi l'expérience de la fragilité, c'est que nous sommes des êtres de relation, nous ne nous
suffisons pas à nous même. (...) Nous avons besoin du regard bienveillant des
autres pour exister. Nous avons besoin de solidarité, de justice. il nous faut donc consentir à une certaine dépendance. Nous
cherchons l'autonomie, mais l'autonomie n'est pas l'indépendance. (...)
Donner sens à la souffrance
p. 39 - (...) ce qui donne sens à la souffrance, ce n'est
pas le fait de souffrir, mais la façon de continuer à aimer, du coeur de cette souffrance. Ce qui lui donne sens est
aussi ce qui donne sens à la vie : rester en relation et continuer à essayer de
s'intéresser aux autres, éviter la fermeture du coeur.
p. 41 - (...) le sens de la vie, c'est peut-être moins
d'atteindre une efficacité ( l' " excellence
" qui plaît à notre monde ) que d'arriver à une vraie qualité de relation.
(...)
(...)
Il y a des gens dont nous devinons, par la qualité de leur écoute, de leur
accueil, de leur regard, qu'ils ont souffert et que, depuis ce moment-là, ils
ne se permettent plus de juger. Ils ont aussi découvert que leur réelle
fécondité était moins liée à leurs compétences, leurs diplômes ou d'autres
résultats visibles, qu'à leurs blessures, dans la mesure où elles étaient
acceptées, parfois guéries.
p. 42 - Personne ne
sait comment il va assumer la fragilité et la diminution de ses capacités. Il
est ici question d'itinéraires, d'expériences, mais chacun doit parcourir son propre chemin, comme il le peut.
Nous savons aussi que certaines personnes n'y arrivent jamais, restent dans la
révolte, le désespoir. Elles ont alors surtout besoin d'un silence plein de
respect et d'accueil, et non de vaines paroles.
Le chrétien n'explique pas le mal car
c'est un grand mystère. Il y répond par l'amour, la compassion, la
vulnérabilité, le combat pour la justice, ou encore en parcourant
personnellement un chemin de libération intérieure, dans sa vie spirituelle.
Consentir à se laisser aimer
p. 110 -Oui, je crois
que nous posons des gestes d'amour parfois gratuits. Le plus difficile reste
cependant de se laisser aimer. C'est la conséquence de toute une éducation, des
épreuves traversées, des messages dévalorisants reçus de nos parents ou
éducateurs... Nous en retenons souvent : " Tu seras aimable dans la mesure
où... à partir du moment où... quand tu seras comme ceci ou comme cela ".
Un sentiment de devoir mériter l'amour, de n'être jamais à la hauteur des
attentes des autres.
p. 11 - Il est très
difficile de se laisser aimer par son conjoint, ses parents, ses amis, de
simplement se laisser aimer, de s'abandonner à l'amour sans chercher à tout
prix à le mériter. Il ne s'agit donc plus de chercher à être aimé, mais
d'accueillir ce qui est donné. C'est un acte de dé-maîtrise, de consentement,
parce qu'alors l'amour n'est pas une récompense, c'est une grâce, un pur don.
Nous n'en sommes ni maîtres ni propriétaires. Se laisser aimer dans une joyeuse
reconnaissance, c'est la fin de la toute-puissance.
Se
rendre vulnérable à la fragilité de l'autre
p. 131 - L'expérience de
la fragilité ou de la maladie nous pousse à rechercher des explications à notre
malheur et à solliciter du secours auprès de ceux qui seraient susceptibles de
nous aider. (...) Comme chaque culture génère un ou plusieurs systèmes
thérapeutiques ainsi que des théories sur les causes des maladies, il existe
une grande diversité d'approches et de propositions. Il est bon d'en être
conscient, que l'on soit soi-même atteint par une pathologie ou que l'on soit
engagé dans une relation d'aide ou de soin.
Rejoindre l'angoisse de celui qui est
différent
p. 132 - Nous devons aussi tenir compte de la question du
sens. Pour
comprendre l'angoisse et les questions qui habitent la personne fragile, il est
essentiel de la rejoindre dans son univers mental et psychologique, dans sa
représentation culturelle et religieuse (ou a-religieuse ) de la maladie.
Quand un patient se réfère à des représentations étranges ou inconnues de nous,
le risque est grand que nous nous désintéressions du sens qu'il donne lui-même
à ce qu'il vit. (...)
Il
est donc nécessaire que nous nous efforcions d'opérer un déplacement vers
celui, celle qui souffre, l " autre ". Cette attitude repose sur la
conviction selon laquelle toute culture,
en tant que système de significations, comporte a priori une cohérence
interne, certes jamais exhaustive.
En
guise de conclusion, Ch.B.
Dans
un monde marqué par l'individualisme et le matérialisme, tenté par l'obligation
d'excellence et le rejet de la fragilité, comment montrer que non seulement
celle-ci fait partie de toute vie humaine, mais qu'elle est un lieu privilégié
de sortie de soi, de solidarité, à condition que chacun soit accueilli et
reconnu dans toute sa dignité, quelle que soit sa pathologie ou son passé ?
Cette attitude fondamentale de bienveillance et de compassion, nous ne pourrons
la vivre pour les autres que si nous nous l'appliquons à nous-mêmes... Que d'intolérance pour les autres parce que
nous refusons notre propre fragilité !
°°°°
Voir
aussi entre autre sur ce site, les articles de titres, auteurs, références,
regroupés à la page web : CLIC
°°°°°
Quant
à la création de nouvelles formes de lien social,
accessibles
sans limitation d’âge, ni de niveau de handicap, physique, mental, social, nous
cherchons, au travers de l’activité de ce site, à illustrer combien l’Internet
offre des perspectives prometteuses. Voir par exemple :
Charcosset Henri (2010), Le chômage et d’autres conditions de vie favorisant l’isolement.
Une approche Internet pour contribuer à y remédier
La lutte contre la solitude, Grande
Cause nationale 2011
Retour en haut de cette page web
.