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Juillet 2012

LES CONTES, OU L'APPRENTISSAGE DE LA VIE... ENSEMBLE

 

 Hélène LOUP – conteuse professionnelle – http://heleneloup.canalblog.com

 

 Introduction

 

 Hélène Loup a -publié l’ouvrage : Conter aux adolescents : Une merveilleuse aventure , Hélène Loup, Chantal Ferdinand, Brigitte Breyton et Anne-Marie Tropet (Broché - 1 novembre 2005)

 

Sur ce site, elle a déjà publié les articles :

 

Loup Hélène (2010), Contes et conteurs d’hier et d’aujourd’hui….  

Loup Hélène (2010), Un fonctionnement de conteur

 

Loup Hélène ( 2010), La sorcière et la fée, deux personnages à la fois bons et mauvais

 

Loup Hélène (2011), Les mille et un visages du Petit Chaperon Rouge

 

Loup Hélène (2011), Mémé, Bonne-maman, Mamy, raconte-moi une histoire

 

Loup Hélène (2012), « Contes de paroles », ou quand les conteurs s’interrogent sur la force de la parole à travers le monde

 

Texte

  Quand l’ethnolinguiste africaniste (CNRS) Suzy Platiel demandait aux Sanan (population mandé du Burkina Faso auprès de laquelle Suzy Platiel a travaillé jusqu’aux années 70) :

-         Pourquoi racontez-vous des histoires aux enfants ?

ceux-ci lui répondaient en substance que c’était pour leur apprendre à parler, à vivre et à être.

  Mais en même temps, tout conteur le sait, la meilleure façon de conter est de le faire par plaisir, par besoin, pour partager telle histoire qui nous habite et exige d’être partagée avec d’autres.

  Car le conte est un art.

  Donc raconter, est-ce un acte pédagogique, ou une action purement artistique ?

Ou bien les deux sont-ils imbriqués et, dans ce cas, de quelle manière ?

 

LE CONTE, UN OUTIL D’EDUCATION POUR LES ENFANTS ?

  Dans les sociétés de tradition orale, le conte est considéré comme « un outil d’éducation ». « Chez les Sanan », raconte Suzy Platiel dans un article de 1993 intitulé L’enfant face au conte*, « non seulement ... les mères, les grands-mères ou les aînés contaient aux jeunes enfants, le soir, dans la cour avant le repas ou dans la case avant qu’ils ne s’endorment, mais aussi, durant ces longues soirées de saison sèche où toute la maisonnée se réunissait pour raconter et reculer au maximum le moment d’aller se coucher dans la chaleur étouffante de la case, les enfants ne se contentaient pas d’écouter les adultes, encouragés par toute l’assemblée, ils contaient eux aussi dès l’âge de trois ans ou trois ans et demi. »

« Et », écrit plus loin Suzy Platiel, « si vous demandez aux Sanan à quoi servent les contes, mille fois entendus et mille fois répétés ... précisément pour les enfants, les vieux vous diront alors : ‘’Les contes leurs servent à apprendre à maîtriser la parole ‘’ ». « Or », précise plus tard, en 2010, Suzy Platiel dans un autre article, Vitalité du conte : à l’école du conte oral en Guyane** « dans ces sociétés d’oralité, qui croient que la parole est ce qui distingue l’homme de toutes les autres espèces vivantes, apprendre à maîtriser la parole, c’est apprendre à devenir un être humain pleinement accompli. »

  Dans son premier article, l’ethnolinguiste analyse avec finesse et clarté en dix-sept pages de quelle façon raconter contribue à l’acquisition du langage, et de la syntaxe du discours, ainsi qu’à trouver sa place et son rôle dans la communauté. A ce propos, Jack Zipes, quant à lui, scrute de façon critique comment, plus près de nous, « les Perrault, Grimm et Andersen ont repris les thèmes des contes populaires hérités de la tradition orale pour les transformer en un discours visant à contraindre les enfants à se conformer aux règles du code social de l’époque, ou, au contraire, pour critiquer le processus culturel du monde qui était le leur. »*** Et d’une tradition à une autre, des chercheurs ont largement étudiés comment un même conte se transforme en fonction de la culture dans lequel il se retrouve. Un conte s’inscrit dans une pensée qui exprime la civilisation dans laquelle il s’épanouit, quitte à changer de sens d’une ethnie à une autre, d’une époque à une autre, d’une communauté à une autre. Mais, au-delà des langues et des cultures, les contes du monde entier se ressemblent et aident l’ enfant « à mettre en place les mécanismes mentaux d’abstraction et de raisonnement logique nécessaires à son évolution : maîtrise du langage, certes, mais aussi construction de la relation au temps et à l’espace et, plus généralement de son identité. »

  Or, ayant constaté, à chacun de ses retours en France, le « développement de plus en plus généralisé d’un individualisme exacerbé et, chez les élèves, ... l’augmentation de la violence et des échecs scolaires », ... « convaincue que cette situation était en grande partie liée à la transformation radicale de nos outils de communications qui modifiait notre relation au temps et à l’espace et généralisait les communications indirectes au détriment de la communication directe », Suzy Platiel émit l’hypothèse suivante : « Si l’on reproduisait dans les classes, autant que faire se pouvait, la façon dont le conte était utilisé chez les Sanan ... on devrait pouvoir, au moins partiellement, restaurer la maîtrise de la parole, dans le plaisir et en toute liberté. Et ceci permettrait certainement de supprimer l’agressivité et la violence comme seul moyen d’expression, de créer une solidarité de groupe et de remédier à l’échec scolaire grâce au développement de la faculté d’écoute, de concentration, de mémorisation appropriative [opposée à la mémorisation par cœur] et à la mise en place de structure cognitives [cognitif : qui permet de connaître, qui concerne la connaissance] beaucoup mieux adaptées à la compréhension de ce que les élèves reçoivent oralement avec les nouveaux outils de communication comme la télévision ou la radio. »**

  Et elle se rendit dans différentes classes pour vérifier son hypothèse. « Dans tous les cas, ces expériences ont été un succès. »**

  Dans ce même article de 2010, écrit à deux voix et quatre mains, Nicole Launey, professeur agrégée de Lettres classiques, décrit et analyse en quatre pages, comment, en Guyane, dans des classe où l’échec scolaire était massif, des expériences inspirées de celles de Suzy Platiel notamment à Antony (92), ont été menées avec succès : écoute, « concentration », « calme » qui s’installe dans la classe, « développement de la capacité de mémorisation », « écoute de l’autre », ce qui permet au « groupe classe » de se constituer sont clairement attestés dans toutes les classes. Beaucoup d’élèves développent « leurs compétences langagières ». « Ces compétences ont été acquises à l’oral grâce au processus d’appropriation »... « Et c’est ce processus qui aide l’enfant à se construire. »

 

  J’avais déjà commencé à faire ce genre de constat, quoique sans l’analyser aussi clairement, quand, dans les années 83 et suivantes (j’exerçais à peine depuis environ sept ans), j’eus l’occasion d’entendre et de rencontrer Suzy Platiel qui racontait avec enthousiasme ses expériences dans des conférences, des séminaires et des colloques. Ce qu’elle disait corroborait si bien ce que j’avais vécu et ressenti, que cela m’encouragea à continuer. Tous les conteurs, tous les enseignants qui ont eu à vivre des expériences similaires, pourvu qu’elles aient été menées sur un temps assez long et en respectant quelques règles dont nous parlerons plus loin, sont d’accord sur les résultats obtenus. Et plus l’expérience dure longtemps, meilleurs sont les résultats au niveau de la classe à moyen et long terme.

  En outre, ayant beaucoup raconté à ma deuxième fille qui souffrait des suites d’une anoxie néonatale avec quelques troubles cognitifs et comportementaux, j’ai compris, par la suite, quels bénéfices elle en avait tiré ! Et comment, avec cet instinct de survie très fort qu’ont les enfants et qu’elle possède à un haut degré, elle m’avait réclamé encore et encore deux contes précis qui l’avaient, à n’en pas douter, aidée à se construire. Car elle n’avait pas choisi n’importe lesquels mais, très évidemment, ceux dont elle avait besoin. On me permettra de ne pas en dire plus. D’ailleurs, l’important n’est pas de savoir ce qui s’est passé en elle mais qu’elle ait pu et su se servir de ces outils.

 

  Mais les contes ne servent pas qu’à l’enseignement des enfants. Il existe nombre de sortes de contes d’enseignement qui sont adressés aussi aux adultes : les fables, dont on connaît la morale pratique (ex. : « La raison du plus fort est toujours la meilleure ») ; les contes de métier, qui contribuent à donner des « trucs » de métier ; les contes d’avertissement (ex. : Le Chaperon Rouge de Perrault, celui qui elle reste mangée et qui comporte une morale) ; les longs récits qui se voulaient historiques (ex. : l’histoire d’Ulysse racontée par un aède en Phéacie) et gardiens de la mémoire à une époque où l’écriture n’était que peu ou pas utilisée ; les contes fondateurs d’une communauté (ex. : Romulus et Rémus) ; les paraboles, contes d’enseignement religieux ; les récits religieux avec la vie des personnages sacrés ou saints ; les mythes ; les contes de sagesse ; sans oublier les contes et récits initiatiques réservés à une élite ; etc. etc...

 

  Incontestablement, il y a, dans les contes, des enseignements, messages et savoirs partagés. Mais un conte ne se résume pas à cela. Qui a lu quelques-uns des petits récits bien moralisateurs, écrits tout d’abord pour le dauphin fils de Louis XVI, de Berquin, celui qui fut appelé L’ami des enfants, ne peut que laisser retomber rapidement le livre tant la volonté pédagogique gâche tout plaisir et désir de lire.

 

LE CONTE, UN ART ?

  C’est que le conte est aussi et avant tout un art. Certes, les conteurs ne se privent pas de mettre leur grain de sel, de faire leurs petits commentaires, en passant. Ainsi, quand le petit pou, voyant la puce pleurer, la prend dans ses bras, je glisse que peu d’hommes savent le faire, mais que c’est un bon moyen pour consoler quelqu’un. Mais en réalité, cela participe du plaisir de la connivence avec le public, du partage de l’histoire. Au moment où nous contons, nous voyons se dérouler les évènements dans un espace imaginaire, mais parfaitement vivant pour nous et donc pour le public, nous ressentons le froid, le chaud, nous reniflons les odeurs, nous retrouvons les goûts, nous entendons sons, voix et silences, nous éprouvons, l’espace d’un instant mais fortement et précisément, les sentiments et les émotions des personnages, nous sommes l’histoire. Pas le « message », pas « l’enseignement pédagogique ». Juste l’histoire avec ses images et sensations qui nous ont fait l’adopter, la recevoir, et donné envie de la savourer et de partager notre jubilation avec qui veut, le public fut-il nombreux ou réduit à une personne. Quelquefois les conteurs disent que ce ne sont pas eux qui choisissent l’histoire mais que c’est le conte qui les choisit. Ce qui est une description parfaitement subjective (un conte n’a pas de vie ni de volonté propres) mais qui exprime bien notre ressenti.

  Mais cette gratuité concerne aussi les enfants. Suzy Platiel le dit clairement quand elle explique que ce travail avec eux doit se faire : « dans le plaisir et en toute liberté ». Nicole Launey précise : « laisser la liberté à l’élève de raconter le conte de son choix. Les élèves ont la liberté de participer ou non et de choisir le conte qu’ils veulent raconter. Cette liberté de choix est indispensable. La plupart des élèves ont accepté avec enthousiasme. S’abstenir de toute évaluation chiffrée des productions sur le conte. Un seul enseignant a noté les contes écrits par ses élèves et, du coup, en a ‘’perdu‘’ quelques-uns qui n’ont plus voulu continuer. Les progrès des élèves ont été évalués avec les outils classiques, en dehors du projet. »**

  Là encore, nous avons tous fait le même constat. Et ce que nous redoutons le plus quand nous allons conter dans une classe, c’est, par exemple, l’interrogation écrite pour vérifier si les élèves ont bien écouté, voire la menace d’interrogation pour les faire tenir « sages ». Ce qui aboutit au résultat contraire et au rejet de toute conterie !

  En somme, le conte ne peut travailler à l’évolution des enfants (et des adultes) que s’il est simple plaisir gratuit.

 

LE CONTE, UN ART FORMATEUR ?

   Mais n’est-ce pas le cas de tous les arts, quels qu’ils soient ? Tous les artistes, arts vivants, écriture, poésie, arts plastiques, et autres, sans oublier les artisanats, qui ont travaillé avec des classes ont fait des constats similaires. Un art est formateur et enseigne au-delà de sa discipline et à un niveau bien plus général.

  Seulement pour le conte, l’aspect pédagogique est plus évident parce que le conte utilise le langage. Or l’être humain se caractérise par le langage, se construit à travers du langage, communique par le langage. Sans langage, un enfant se structure difficilement ainsi qu’on l’a constaté avec des bébés sourds diagnostiqués tard. Et le langage utilisé par le conte est extrêmement structuré et construit, quel que soit le genre du conte. En outre il est porteur de la mémoire de quantités de générations précédentes, ce qui est l’une de ses spécificités.

  Est-ce à cause de tout cela que le conte apparaît comme l’une des expressions de la sagesse ? Sans doute, quoiqu’il est des contes qui peuvent nous sembler fortement discutables. Mais ceci est une autre histoire !

 

*Suzy PlatielL’enfant face au conteCahiers de Littérature Orale N°33 : Le temps de l’enfance – 1993 - PP 55 à 73 – Suzy Platiel est ethnolinguiste africaniste (CNRS)

http://halshs.archives-ouvertes.fr/docs/00/60/61/44/PDF/CONTE.PDF

 

**Suzy PlatielNicole LauneyVitalité du conte : à l’école du conte oral en Guyane - Synergie France N° 7 – 2010 - PP 137-144 – Nicole Launey est professeur agrégée de Lettres classiques.

http://ressources-cla.univ-fcomte.fr/gerflint/France7/nicole.pdf 

 

***Jack David ZipesLes contes de fées et l’art de la subversion : Etude de la civilisation des moeurs à travers un genre classique : la littérature pour la jeunessePayot – 1986 –

Jack Zipes est un universitaire américain officiant à l'Université du Minnesota connu pour ses sujets sur les contes de fées, leurs racines linguistiques et leur « fonction de socialisation ».