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Mars
2010
D’HIER ET D’AUJOURD’HUI
Ma grand-mère contait. Elle racontait
magnifiquement… rarement des contes mais, épisodes après épisodes, de mémoire
(ses yeux quasi aveugles depuis longtemps ne lui permettaient plus de lire),
les romans préférés de son enfance, Sans famille d’Hector Malot et En
famille de Zénaïde Fleuriot. Les contes, je devais les découvrir plus tard,
seule, dans les livres.
C’est ainsi que je me suis mise à raconter à
mon tour à mes camarades de classe et de jeu. Mais, à cette époque, le conte
était considéré comme méprisable, tout juste bon à amuser les petits. Devenue
adolescente, j’ai donc refermé en moi hermétiquement la porte du monde des
« rêves » et je me suis tue.
Seulement dans les années 1970 le
« conte » est redevenu à la mode. Dès 1975 on a commencé à entendre
des contes à la radio, à la télévision, dans des cafés, des restaurants, des
théâtres, des évènements publics, des musées, en festivals, lors de fêtes
familiales ou privées. Et, bien entendu, dans les bibliothèques jeunesse au
cours de « L’heure du conte » instituée dès 1924. Beaucoup de
bibliothécaires content régulièrement. Et moi, j’ai enfin rouvert la porte
close depuis si longtemps, près de vingt ans, de mon monde secret. Je n’ai pas
l’intention de la refermer.
Mais, dès cette époque, une question s’est
posée, une polémique a débuté, qui n’est toujours pas apaisée et ne le sera
sans doute jamais.
Qu’entend-on par
« conte », « conter », « conteur » ?
Ces mots, apparemment simples, ont des sens
multiples et souvent contradictoires.
Ma grand-mère était une conteuse. Elle
contait. Mais elle ne racontait pas des contes.
En Syrie il y a encore, un « conteur » public dans un café de Damas. Il « lit » des contes traditionnels, littéraires ou inventés qu’il a lui-même écrit dans de petits cahiers recouverts de moleskine noire. Dans la tradition arabe, on appelle « conteur » celui qui « conte » aussi bien que celui qui « lit ». Et souvent, en France, on emploie l’expression : « raconter une histoire » pour dire « lire une histoire dans un livre ».
On qualifie fréquemment un bon écrivain de « grand conteur » et ses nouvelles de « contes » (ex. : « Les contes de la Bécasse » de Guy de Maupassant).
Et dans « Les femmes savantes » de Molière, le mot « contes » dans la réplique de Chrysale : « Voici les contes bleus qu’il vous faut pour vous plaire ! », a pour sens : mensonges, fariboles.
Enfin pour nombre de personnes, le conte est incarné par les dessins animés de Walt Disney ou ceux produits par les studios de télévision, quand on ne le confond pas avec les spectacles de marionnettes, de cirque ou des shows à grand spectacle pour enfants.
Sans parler de récits et romans pour la
jeunesse pleins de fééries : « Alice au pays des merveilles »,
« Peter Pan » ou « Pinocchio », ainsi que
d’autres plus récents comme les « contes détournés » ou
« contes à l’envers » dont les Schrek
sont, en film, l’exemple le plus connu ; et bien entendu la série des
« Harry Potter », « Eragon »
et quelques autres, ainsi que certains qualifiés de « Fantasy-fiction »
(« Bilbot le Hobbit »
et « Le seigneur des anneaux ».
Et observer les pratiques des conteurs
actuels ne contribue certes pas à y voir plus clair. Car on en trouve de toutes
sortes.
Parmi ceux qui se déclarent conteurs il y a
les « professionnels », les « amateurs », les
« semi-professionnels » et ceux qui content sur leur lieu de travail
(bibliothèques, crèches, centres de loisirs, etc.).
Certains content tout simplement leurs histoires avec leurs mots, leurs gestes, sans costume, sans décor, sans accessoires ni musique accompagnatrice. Il y a les solitaires et ceux qui fonctionnent comme une troupe de comédiens. D’autres utilisent, comme on le faisait en Inde, des marionnettes. Et il y en a qui théâtralisent, parfois au point que le spectateur ne sait plus s’il est devant un sketch ou un « one-man-show ».
Il y a ceux qui disent par cœur, ceux qui lisent (notamment quand le texte est très long et pas encore bien assimilé), ceux qui improvisent, et ceux qui racontent avec leurs mots des histoires dites et redites moultes fois.
Il y a aussi ceux qui chantent, utilisent un instrument de musique, divers objets, dessinent, ou ne se servent que de leur voix parlée.
Enfin les répertoires sont des plus variés entre conteurs et pour un même conteur : contes traditionnels, littéraires, nouvelles, roman, récits de vie, créations personnelles, histoires liées à telle ou telle religion, adaptations variées, mythologies, longs récits, blagues, etc.
Pourtant, au-delà des divergences, des écoles et des chapelles,
tous les conteurs d’hier et d’aujourd’hui, d’ici et d’ailleurs
sont d’accord sur un point.
« Conter », ou raconter, c’est relater oralement, « de bouche à oreilles » une histoire, un récit à un ou plusieurs auditeurs. On peut utiliser le chant, la musique, des marionnettes ou autres accessoires, danser, mimer. Mais ce qui véhicule l’histoire ce sont les mots parlés. Tout le reste n’est qu’accompagnement, illustration.
La définition du « conteur » ou de la « conteuse » est un peu moins consensuelle. De façon générale, on considère que le « conteur » ou la « conteuse » est celui ou celle qui porte l’histoire à l’autre par sa voix parlée et son langage. Il (ou elle) ne joue pas un rôle, ni celui du conteur, ni celui de l’un ou l’autre des personnages de son conte. Cela, c’est le travail du comédien. Il (ou elle) est seulement lui (ou elle) en train de raconter avec ses mots parlés une histoire à quelqu’un. Et quand il (ou elle) se sert de marionnettes, il n’en reste pas moins que ce qui porte l’histoire, ce sont ses mots parlés, pas ses marionnettes. Cela, ce serait le travail du marionnettiste. Mais les limites entre les différentes disciplines de « l’art vivant » (celui qui se pratique devant et pour un public) sont parfois plus floues aussi bien aujourd’hui qu’hier. Que l’on songe aux aèdes grecs qui chantaient leurs récits, aux théâtres d’ombres en Inde ou au conte musical Pierre et le loup.
Quant à la notion de « conte », elle est double. Si l’on considère l’acte de conter, le « conte » est l’histoire transmise à l’autre oralement. C’est un récit (= il raconte une histoire) court ou long mis au point volontairement ou à force de dire et redire par le ou les conteurs (ce n’est donc pas un simple témoignage) et raconté oralement pour un ou plusieurs auditeurs, « de bouche à oreilles ». Il peut être ancien (contes traditionnels notamment) ou récent. C’est ainsi que les romans Sans Famille et En famille que me contaient ma grand-mère se transformaient dans sa bouche et pour mon oreille enfantine en contes. Il peut même être improvisé par le conteur sur une structure connue et bien en place. Ou être un « récit de vie », assez souvent narré pour avoir pris une forme précise plus proche du conte que du témoignage.
Mais le « conte » est aussi
un objet certes
immatériel mais néanmoins doté d’une existence propre. Un conte est une
histoire particulière, différente de celle d’un autre conte. Il peut être
écrit. Il peut-être lu. Il peut n’être qu’oral, présent seulement dans une ou
plusieurs mémoires, comme ce fut le cas au moment de sa quasi disparition,
lorsqu’il ne subsistait encore que dans les souvenirs des « conteurs
traditionnels » jusqu’à ce que des « collecteurs » les
« recueillent », comme le firent les frères Jacob et Wilhelm Grimm en
Allemagne. Il existe indépendamment de l’acte de conter. Mais il ne prend vie,
il n’acquiert tout son sens qu’au moment où il est conté à des auditeurs.
Il est la première littérature, celle d’avant
l’écriture, la « littérature orale ». Qu’il soit du genre merveilleux
(= de fée), facétieux, saga, d’animaux, légendaire, mythologique, étiologique
(origine) ou autre, il
n’est pas conçu au départ pour être écrit-lu mais pour être conté-écouté. Il
n’est ni une nouvelle ni un roman. Aussi est-il factuel : il donne
essentiellement les faits. Il utilise peu les descriptions, au contraire des
romans et des nouvelles qui s’en servent pour faire ressentir l’atmosphère dans
laquelle se déroule l’action. Il ne donne que les descriptions qui sont utiles
à l’action, comme le petit pied de Cendrillon ou la très longue natte de
Raiponce. Les lieux sont indiqués d’un mot : château, chaumière, forêt,
champs, mer, chemin, montagne, plaine… Ce sont des stéréotypes. On ne les
précise que quand c’est nécessaire à l’action et à la compréhension. Les
personnages sont un peu plus diversifiés. Mais ils restent eux aussi des
stéréotypes. A chacun de les imaginer à sa guise. L’important est moins le
personnage que ce qui lui arrive et son rôle dans l’action.
L’important est l’histoire. Et les images
mentales que chacun s’en fait. Sans images mentales, il n’y a pas de conte. Il
n’y a qu’une suite de mots. Sans images mentales, il n’y a pas de conteur. Il
n’y a qu’un « enfileur de perles », un qui dit des mots sans
signification, sans âme. Et il n’y a pas d’auditeur non plus, car si le conteur
ne « voit » pas, l’auditeur ne « voit » pas. Si le conteur
ne ressent pas les sensations et sentiments (peur, froid, odeur, sons, faim ou
régal,…), l’auditeur ne les ressent pas non plus. Il s’ennuie et cesse
d’écouter.
Conte et conteur, par le
seul langage, ouvrent un monde imaginaire et vivant de sensations, formes,
couleurs, sentiments, mouvements. Ils font « rêver » tout
éveillé. Conter est bien un art, un « art vivant ».