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Novembre 2010
LA
SORCIERE ET LA FEE, DEUX PERSONNAGES A
LA FOIS BONS ET MAUVAIS
Hélène LOUP, conteuse
Introduction
Cet article original vient en prolongement de :
Loup Hélène (2010), Contes et conteurs
d’hier et d’aujourd’hui….
Loup Hélène(2010), Un fonctionnement de conteur
Bonne lecture !
Texte
Quand un conteur facétieux demande à quelqu’un,
à brûle-pourpoint :
-
Quelle
est la différence entre une fée et une sorcière ?
la personne interrogée répond d’abord du tac au
tac :
-
Facile !
La sorcière est méchante, la fée est bonne.
Et le conteur taquin de dire :
-
Eh
non ! Car cela dépend des cas. Ainsi, c’est
une fée qui jette un mauvais sort à la petite princesse du conte « La
Belle au Bois Dormant ». Charles Perrault (XVII° siècle)
l’appelle « la vieille fée », les frères Grimm (XVIII°) « la
treizième fée et, dans le ballet de Tchaïkovski (XIX°), on la nomme « la Fée Carabosse ». C’est
cette même Fée Carabosse que l’on retrouve d’ailleurs, toujours aussi méchante,
dans le dernier couplet de la chanson enfantine « Dame Tartine ».
De même, dans « Le conte du Roi Renaud » (« Contes
du vieux-vieux temps » - Henri Pourrat) c’est la très belle fée de
la fontaine qui impose à Renaud de choisir soit de « l’épouser sur
l’heure », soit de « sécher sur pied pendant sept ans », soit de
mourir « cette nuit, sur la minuit ». Et
comme Renaud, très épris de sa jeune femme, répond imprudemment qu’il
« aimerait mieux mourir sur l’heure », il mourra en effet, « sur la
minuit », des suites d’une blessure faite en tombant de cheval.
En revanche, une
sorcière peut se montrer bonne. Ainsi, c’est une sorcière maligne qui
aide le roi à conquérir la belle et sage Zalgoum qui
se cache dans une grotte par crainte de son frère qui veut l’épouser (« Zalgoum » -
Tellem chaho !
Contes berbères de Kabylie – Mouloud Mammeri). Et, en Italie, c’est une
« stria » (une sorcière), la Befana, qui
porte traditionnellement les cadeaux aux enfants la nuit de l’Epiphanie.
Mais surtout, les
fées comme les sorcières sont des personnages qui ont des pouvoirs et qui s’en servent à leur guise. Elles peuvent
changer le destin des pauvres humains que nous sommes en bien comme en mal.
Tout dépend de leur humeur. Tant mieux pour qui leur plait. Tant pis pour qui
leur déplait. La « Dame Holle » des
contes de Grimm et sa consœur, la fée du conte « Les Fées » de
Perrault, se montrent bénéfiques avec la fille aimable, et
maléfiques envers celle qui ne l’est pas. L’auteur de contes modernes,
Pierre Gripari, s’est amusé dans « La fée du
robinet » (« Les contes de la rue Brocca »),
à parodier le conte de Perrault en inversant tout : la fée donne le bon
don (cracher des perles en parlant) à la mauvaise fille, le mauvais (cracher
des serpents en parlant) à la bonne. Mais la morale y trouve quand même son
compte car le bon don fera le malheur de la mauvaise fille, et le mauvais don
le bonheur de la bonne. Dans la mythologie grecque, la magicienne Médée aide
Jason à conquérir la toison d’or et à rajeunir son père Aeson.
Mais quand Jason se détourne d’elle, elle se transforme en furie, tue ses
enfants et s’enfuit dans un char conduit par des dragons ailés. Quant à la
sorcière populaire russe, Baba Yaga, elle est
généralement dangereuse, mais elle peut aussi se montrer bénéfique pour qui
sait se la rendre favorable.
Enfin certaines
fées changent au fil du temps. Ainsi, les « dames noires »
(certaines dévoraient des enfants) et les « dames rouges » (qui
aimaient à mort leurs amants) seraient
des « dames blanches » (personnages bénéfiques dans les
anciens récits) qui auraient mal tourné. Au contraire les Gianes
de Sardaigne qui, autrefois se repaissaient, disait-on, de sang et de plaisirs,
se sont peu à peu adoucies jusqu’à devenir de gentilles fées, bonnes épouses et
mères attentionnées.
La personne interrogée répond alors :
-
Les fées sont belles, les sorcières laides.
Mais ce n’est pas encore
la bonne réponse. La belle-mère de Blanche-Neige (Grimm) est très belle, et Dame Holle, avec ses grandes dents, très laide. En outre la beauté des fées aussi est changeante.
Autrefois, Dame Holle était d’une grande beauté,
altière et divine.
La
différence entre fées et sorcières n’est pas non plus
dans la façon de se vêtir. Les unes comme les autres peuvent être
habillées splendidement ou recouvertes de haillons, tout en noir ou plaisantes
et bien proprettes. Certaines même sont nues ou quasi nues. Quant au chapeau noir pointu dont on affuble les sorcières
à notre époque, il ne date que de quelques décennies et nous vient des USA. En
Europe, ce couvre-chef était plutôt celui des médecins. Quant aux fées de ma
jeunesse, elles étaient souvent aussi pourvues de chapeaux pointus. Mais
c’étaient des hennins, semblables à ceux
apparus au XV° siècle en Bavière.
La baguette n’est pas davantage un attribut spécifique
des fées. Jusqu’au XIX° siècle, les « belles dames » n’en
utilisaient guère. Et dans le long conte de Grimm « Les frères »,
la sorcière qui change hommes et bêtes en statues de pierre se sert d’une
baguette. C’est aussi ce dont se sert Circé (« L’Odyssée »)
pour changer les compagnons d’Ulysse en pourceaux. Et ni les lecteurs ni les
spectateurs de Harry Potter ne se sont étonnés de voir les sorciers imaginés
par la romancière moderne, J.K. Rowling utiliser des baguettes. Celles-ci se sont d’ailleurs
singulièrement perfectionnées depuis les baguettes de la sorcière et de Circé,
et même celles des fées de nos représentations actuelles.
Les unes et les autres peuvent habiter de magnifiques demeures,
de petites chaumières ou des grottes. Mais dans des lieux insolites comme
l’eau, l’arbre ou les fleurs, on ne trouve guère que les fées. Et ceci est un
indice. Seuls, en effet, des personnages du monde de « faërie »
(ou « féerie » dès le XII° siècle) peuvent habiter là, pas les
humains. Les fées sont des êtres d’un autre
monde. Et si ces deux mondes se côtoient, se confondent parfois un
instant, ils sont cependant radicalement différents. Le temps, par exemple, ne
s’y écoule pas de la même manière, et gare à qui s’attarde
quelques jours dans les délices de faërie. Il ne
retrouvera plus les siens à son retour. Trop de temps aura passé.
Les sorcières
sont des femmes qui pratiquent la magie. Cette magie est dite noire
quand elle est maléfique, blanche quand elle est bénéfique. A l’époque où il
n’y avait pas de médecins, c’était les femmes qui soignaient. Ainsi Yseut
soigna Tristan. Et dans les cas graves, les gens du peuple allait
voir les sorcières. Elles utilisaient beaucoup les plantes, dont on sait
qu’elles furent et sont encore très utiles comme médications. Et elles
faisaient des « incantations ». Autrement dit, elles faisaient appel aux pouvoirs de quelque personnage
de l’autre monde. Ainsi Médée invoquait Hécate, une déesse mystérieuse
qui paraît avoir été liée aux Ombres et à la nuit. Mais l’Eglise (catholique en
France, protestante dans d’autres pays), pour ne citer qu’elle, n’a pas
apprécié cette concurrence. Au XV° siècle ont
commencé des persécutions pour éradiquer les sorcières,
persécutions qui ont été particulièrement violentes et organisées au XVI°
siècle et jusqu’au XVII°. C’est à cette époque que l’on a considéré les sorcières et les sorciers comme tenant leurs pouvoirs
du diable. Et cette image est restée, avec celle des sabbats, et celle,
terrible, des bûchers. Ainsi, dans le petit conte de Grimm intitulé « Dame
Trude » (Trude est le nom de la sorcière en allemand), il est dit que
Dame Trude fait des choses « mauvaises et impies », c’est-à-dire
contraires à la religion, et elle apparaît comme « le diable en personne
avec une tête de feu ». Quant aux fées, on
a peu à peu confondu puis remplacé les plus révérées d’entre elles, avec et par
des saints, des anges, ou même Dieu et Marie,
et le culte païen, par des rituels en accord avec la religion chrétienne.
C’est là un schéma habituel de remplacement d’une religion par une autre. Quand
ce changement de personnage se produisait à l’intérieur même d’un conte, ce
conte pouvait en être transformé. Ainsi, dans le conte de Grimm « L’enfant
de Marie », la succession d’épreuves subies par la reine n’a pour but
que de lui faire enfin avouer la vérité, à savoir qu’elle avait ouvert, malgré
l’interdiction formelle de la Vierge Marie, la porte de la treizième chambre.
Mais dans « La grande Fade » (fade signifie fée en occitan) de
mon enfance qui conte la même histoire mais avec une fée, la succession
d’épreuves a pour but de vérifier si la jeune reine initiée saura se taire et
garder les secrets révélés et découverts lors de son initiation quoiqu’il lui
en coûte.
Pourtant, là encore, on trouve des exceptions,
assez rares, mais incontournables. Dans le « Roman de la Table Ronde »,
Morgane et Viviane sont des femmes initiées par l’enchanteur Merlin et qui
finissent par devenir des fées à force de « féer »
(faire comme les fées). D’ailleurs Morgane vit à Avalon, lieu légendaire, et le
château de la fée Viviane se trouve dans un lac. Et c’est parce que Lancelot,
le chevalier le plus célèbre de la cour du roi Arthur a été élevé là qu’il sera
nommé Lancelot du Lac. De même, mais d’une autre façon, la sorcière populaire
russe Baba Yaga, est à la frontière des deux mondes,
celui des humains et celui de « faërie ».
Elle est la sœur de la marâtre de « Vassilissa
la belle » (« Contes russes » - Afanassiev), elle a forme humaine, habite une chaumière au
cœur de la forêt et utilise ses ustensiles ménagers pour pratiquer sa magie.
Mais dans le « mortier elle voyage, du pilon elle l’encourage, du
balai efface la trace » (« Contes russes » - Luda). Sa chaumine, montée sur des pattes de poulets,
tourne et retourne sur elle-même et obéit quand on lui demande de se tourner du
bon côté. Et, dans « Vassilissa la
belle », les yeux des crânes plantés sur les tibias qui constituent la
barrière s’allument et éclairent la nuit.
Ainsi certains personnages participent des deux mondes,
celui des esprits et celui des hommes. Merlin était fils à la fois d’un esprit
mauvais et d’une femme. Les « héros » grecs, Héraclès (Hercule pour
les Romains), Achille, Jason, Thésée, sans oublier « la belle
Hélène », et beaucoup d’autres, étaient, par définition, né(e)s d’un dieu
ou d’une déesse (ou d’une nymphe), et d’une femme ou d’un homme. Et que dire
des Pharaons ou des Empereurs de Chine déclarés dieux sur terre…
D’autres passent d’un monde dans l’autre :
après sa mort, Ino devient la nymphe marine grecque, Leucothée.
Les enfants sacrifiés par les Incas devenaient des dieux. Certains chrétiens
considéraient qu’un jeune enfant mort devenait un ange. Et des personnages
divins s’incarnent.
Certes,
dieux et déesses ne sont pas des fées ni des sorcier(e)s. Mais nombre de nos personnages du monde de faërie
sont issus de très anciens personnages mythologiques, c’est-à-dire des
anciennes religions et croyances. D’ailleurs, en Europe, les mots mêmes de
fée et de sorcier(e) ont une étymologie latine : fata
(ou fatum = prédiction - destin) et sors. Pour les Romains, les « tria Fata »,
autrement dit les « trois fées » ou les « trois
destinées », étaient les trois Parques, les divinités du Destin. Elles
étaient identifiées aux « Moires » grecques dont la première
filait le fil de la vie de chaque être humain, la deuxième enroulait le fil, la
troisième le coupait. Nul, même les dieux, ne pouvaient changer le destin. Les
« fata » n’étaient donc pas humaines, mais
faisaient partie d’un autre monde.
Le mot
« sors » désignait, chez les Latins, l’objet (caillou, tablette,
baguette, lamelle) portant une inscription, que l’on mettait dans une urne pour
tirer au sort, ou répondre aux questions posées à des oracles (=divinations,
prédictions). Puis, par extension, ce mot en est venu à signifier : sort,
destin. Il s’agit toujours de destinée. Mais ici, ce sont des êtres humains qui
y président. D’où le mot latin « sorciara » (diseur de sort), qui en est venu à
signifier : donneur de sort. Et, de fait, nos sorcières (mot apparu
en France dès le XII° siècle) et sorciers (XIII°) possèdent souvent le don de
divination, comme la Taufpatin de « Raiponce »
qui sait que l’enfant à venir sera une fille. Et on constate que pour désigner
le personnage qui a pour fonction d’être le médiateur d’un groupe entre le monde de la « surnature »
et le monde des hommes, on utilise le mot sorcier(e), ou chamane en Sibérie.
Pas le mot fée.
L’origine des fées et personnages du monde surnaturel est
plus complexe et a fait l’objet de diverses recherches et controverses.
De façon générale, il paraît que les trois « fata »
ont été rapidement amalgamées aux divinités champêtres gréco-latines, naïades,
hamadryades, sylvains, fatuae et fatuis
(enfants de Faunus ou Faune, surnommé Fatuus, et de Fauna, surnommée Fatua) et autres
nymphes et satyres, auxquelles se sont semble-t-il combinées les « Matres » (déesses mères) gauloises, et divers personnages
issus de la mythologie nordique comme certains elfes blancs, sans oublier
quelques revenants et autres êtres d’une nature non terrestre mais très
voisine.
Mais ce qui
est sûr, c’est que, au contraire du mot
sorcière, le mot fée n’a pas de masculin. Voilà qui devrait
intéresser les psychanalystes. Mais ceci est une autre histoire.