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Mars 2011
LES MILLE ET UN
VISAGES DU PETIT CHAPERON ROUGE
Hélène
LOUP, conteuse – http://heleneloup.canalblog.com
Introduction
Conteuse professionnelle, Hélène Loup a déjà publié
sur ce site :
Loup Hélène (2010), Contes et
conteurs d’hier et d’aujourd’hui….
Loup Hélène(2010),
Un fonctionnement de conteur
Loup Hélène ( 2010), La sorcière
et la fée, deux personnages à la fois bons et mauvais
Texte
Lorsqu’on
entend ces mots : « Le Petit Chaperon Rouge », on imagine
immédiatement une fillette encapuchonnée de rouge, un panier au bras ou à la
main, quelque part dans la forêt où rôde un loup vorace. On se rappelle la mère
qui envoie l’enfant, la grand-mère chez qui elle se rend.
Mais très vite s’instaurent des désaccords et des
interrogations :
/ le loup incite-t-il la petite à prendre le chemin le plus long, ou à perdre son temps à cueillir des fleurs ?
/ La porte
est-elle fermée ou bien ouverte à son arrivée à la maison de sa
grand-mère ?
/ Cette
dernière est-elle appelée Mère-Grand
ou Grand-mère ?
/ Faut-il tirer « la bobinette et la
chevillette cherra » [tombera] ou « le loquet » ?
/ La petite fille reste-elle mangée ainsi que la vieille
dame ? Ou est-ce un chasseur qui les
sauve ? A moins que ce ne soit un bucheron ?
/ Et dans le
panier, y avait-il, en plus de la galette, « un
petit pot de beurre » ou « une
bouteille de vin ?
En réalité,
toutes ces propositions sont exactes. Cela dépend tout simplement de la version
considérée. En France, les plus connues depuis le XIX° siècle sont, à égalité,
celle de Charles Perrault (France - XVII°)
et celle des frères Grimm (Allemagne -
XVIII°). Et les adaptations qui en sont données les mélangent allègrement,
empruntant à chaque version ce qui séduit le plus l’adaptateur.
Pour plus de
clarté, j’ai mis les variantes utilisées par Charles Perrault en bleu, celles
de Jacob et Wilhelm Grimm en vert. Quant au « bucheron »,
il se trouve dans d’autres versions, dont celle de l’anglais Jack Kent. Dans le conte britannique la fillette
n’est pas mangée. Elle prétexte un petit besoin (cela se faisait alors dehors)
et en profite pour se sauver. Un bucheron qui « passait justement par
là » tue le loup d’un coup de hache et sort la grand-mère du ventre de
l’animal.
Ce que l’on
sait moins, c’est que le conte allemand a été inspiré par le conte de Perrault.
En effet, l’une des conteuses de qui les frères Grimm tenaient les récits
qu’ils ont publiés, était d’origine française. Et si les collecteurs ont trouvé
beaucoup de versions de ce conte en France, il n’y en a pas en Allemagne. De
plus, le « chaperon rouge » que porte la petite fille et qui lui sied
si bien est une variante propre à Perrault. Ce qui permet de dire que le conte
anglais est également inspiré de la version écrite du conte de Charles Perrault
qui fut très largement diffusée dans les siècles qui suivirent.
Le début est
le même ou à très peu près dans ces trois versions. Mais les fins diffèrent.
/ Celle de
Grimm est un croisement avec la fin du « Loup et les sept chevreaux » :
le ventre du loup est ouvert dans son sommeil, ceux qu’il a dévoré en sont
sortis et remplacés par des pierres.
/ Celle de
Kent est plus proche d’une des fins fréquentes dans les versions
traditionnelles : l’enfant échappe à la dévoration et fuit. Mais Kent
sauve également la grand-mère, ce qui est moins habituel dans les récits
populaires.
/ Quant à
Perrault, il reprend la tradition du « conte d’avertissement », celui
qui finit mal, que l’on retrouve également dans diverses versions paysannes.
Mais il a écarté certains éléments très généralement retrouvés dans les récits
populaires soit parce qu’il les considérait comme trop puérils (les noms des
deux chemins), soit trop malséants (le déshabillage de la fillette ainsi
que viande et sang de la grand-mère mangé et bu par l’enfant).
Ainsi un
même conte subit bien des transformations en passant d’un conteur à un autre,
de l’oral à l’écrit et de l’écrit à l’oral. Ces diverses versions ont été
regroupées par les chercheurs successifs, Aarne puis
Thompson, et enfin Uthor, en « conte-type » dans leur grande Classification
toujours utilisée. « Le Petit Chaperon Rouge » a reçu le
numéro 333.
Dans leur
ouvrage « Le conte populaire français – catalogue raisonné des
versions de France et des pays de langue française », les chercheurs
Paul Delarue et Marie-Louise Tenèze proposent, pour
chacun des contes-types une version traditionnelle intégrale. Cette version
n’est pas un archétype. Il n’y en a pas. Mais ils l’ont volontairement choisi
parmi les versions qui leur ont paru les plus représentatives de la tradition
populaire. Pour le conte-type 333, ils ont utilisé un
conte d’origine nivernaise recueilli vers 1885 par le collecteur bien connu des
spécialistes, Achille Millien, auprès de Louis et
François Briffault (Montigny aux Armognes
– Nièvres).
Voici cette
version. Elle est plus rude que celles, mieux séantes, auxquelles nous sommes
habitués.
C’était une femme qui avait fait du pain. Elle
dit à sa fille :
-
Tu vas porter une époigne [petit pain fait
des rognures de pâte] toute chaude et une bouteille de lait à ta grand.
Voilà la petite fille partie. A la croisée de
deux chemins, elle rencontra le bzou [le
loup-garou] qui lui dit :
-
Où vas-tu ?
-
Je porte une époigne toute
chaude et une bouteille de lait à ma grand.
-
Quel chemin prends-tu ? dit le bzou, celui des Aiguilles ou celui des Epingles ?
-
Celui des Aiguilles, dit la petite fille.
-
Eh bien ! moi, je prends celui des Epingles.
La petite fille s’amusa à ramasser des aiguilles ; et le bzou arriva chez la Mère grand, la tua, mit de sa viande
dans l’arche [sorte de coffre où l’on mettait les
réserves de nourriture] et une bouteille de sang sur la bassie.
La petite fille arriva, frappa à la porte.
-
Pousse la porte, dit le bzou.
Elle est barrée avec une paille mouillée.
-
Bonjour, ma grand, je vous
apporte une époigne toute chaude et une bouteille de
lait.
-
Mets-les dans l’arche, mon enfant. Prends de la
viande qui est dedans et une bouteille de vin qui est sur la bassie.
Suivant qu’elle mangeait, il y avait une petite chatte qui disait :
-
Pue !… Salope !… qui mange la chair, qui
boit le sang de sa grand.
-
Dhabille-toi [Déshabille-toi],
mon enfant, dit le bzou, et viens te coucher vers
moi.
-
Où faut-il mettre mon tablier ?
-
Jette-le au feu, mon enfant, tu n’en a plus besoin.
Et pour tous les habits, le corset, la robe, le cotillon [le
jupon], les chausses [la culotte-pantalon], elle lui demandait où les
mettre. Et le loup répondait : « Jette-les au feu, mon enfant, tu
n’en a plus besoin. »
Quand elle fut couchée, la petite fille dit :
-
Oh ! ma grand, que vous êtes poilouse [poilue] !
-
C’est pour mieux me réchauffer, mon enfant !
-
Oh ! ma grand, ces
grands ongles que vous avez !
-
C’est pour mieux me gratter, mon enfant !
-
Oh ! ma grand, ces
grandes épaules que vous avez !
-
C’est pour mieux porter mon fagot de bois, mon
enfant !
-
Oh ! ma grand, ces
grandes oreilles que vous avez !
-
C’est pour mieux entendre, mon enfant !
-
Oh ! ma grand, ces
grands trous de nez que vous avez !
-
C’est pour mieux priser mon tabac, mon enfant !
-
Oh ma grand, cette grande
bouche que vous avez !
-
C’est pour mieux te manger, mon enfant !
-
Oh ! ma grand, j’ai
faim d’aller dehors [très envie d’aller faire pipi] !
-
Fais au lit, mon enfant !
-
Oh ! non, ma grand, je
veux aller dehors !
-
Bon, mais pas pour longtemps !
Le bzou lui attacha un fil de laine au pied et
la laissa aller.
Quand la petite fut dehors, elle fixa le bout du fil à un prunier de la
cour. Le bzou s’impatientait et disait :
« Tu fais donc des cordes ? Tu fais donc des cordes ? »
Quand il se rendit compte que personne ne lui répondait, il se jeta à
bas du lit et vit que la petite [s’]était
sauvée. Il la poursuivit, mais il arriva à sa maison juste au moment où elle
entrait.
Selon les versions (Delarue en a indiqué
trente-cinq, mais des recherches plus récentes en comptent des centaines ), la fillette est un garçon. Ou bien il y a
plusieurs enfants : des filles, ou un frère et une sœur. Mais il s’agit
toujours d’enfant.
La personne visitée est généralement la
grand-mère. Mais elle peut être la mère. Et dans un récit marocain, il s’agit
du grand-père grabataire.
Le dévorant est presque toujours un loup chez
nous, rarement l’ours ou encore un « homme bien laid et sa truie ».
Mais au Tibet ou au Canada, c’est un ours. En Chine, il s’agit du léopard, en
Corée du tigre, et au Japon d’un démon. En Afrique de l’Est, c’est un lion et
au Maroc un ogre. En Italie, où Italo Calvino a mit, dans ses « Contes
populaires italiens » trois contes du type « Chaperon
Rouge », l’un d’entre eux a, comme prédateur, «L’ogresse poilue ». Dans tous
les cas, la personne que va voir l’enfant a été dévorée.
Il arrive, cependant, que ce ne soit pas
l’enfant qui sorte de chez lui mais que ce soit le « glouton » qui
vienne après avoir dévoré la mère ou la grand-mère.
Il y a une assez grande cohérence des
diverses versions de cette histoire en France et autour de la France
(Allemagne, Tyrol, Italie). Mais on trouve des récits comportant de grandes
différences dans les deux autres continents riverains de la Méditerranée,
l’Asie et l’Afrique, comme on peut facilement s’en rendre compte en lisant la
dizaine de versions données par les conteurs Fabienne Morel et Gilles Bizouerne dans « Les histoires du Petit Chaperon
Rouge racontées dans le monde » (Syros – collection : Le tour du
monde d’un conte)).
Si la façon de conter l’histoire varie d’un
conteur à un autre, que dire quand des auteurs s’amusent à parodier le conte, à
s’en amuser ou à le détourner !
Le Petit Chaperon devient alors « vert »
et raisonnable, un peu raisonneuse même (Solotareff),
voire « bleu marine » (« Contes à l’envers »
Dumas et Moissard), tueuse de loup dont elle
utilisera la peau comme manteau (Roald Dahl),
vaillante « Chapeau rond rouge » (Geoffroy de Pennart) qui vole au secours de sa grand-mère, au demeurant
pas du tout en danger, ou fillette rousse insupportable qui terrifie tout le
monde, même le loup (« Mademoiselle Sauve-qui-peut » -
Philippe Corentin). Elle rend le loup fou avec ses « Et pourquoi ? »
(Michel Van Zeveren) au point qu’il s’ouvrira
lui-même le ventre, le transforme en « Loup obéissant »
(Loulou et Cie), tente désespérément de le rendre végétarien (« Marlaguette » – Marie Colmont), ou
rencontre un « Petit Lapin Rouge » (Rascal)
qui va l’aider à changer la fin de l’histoire en une histoire sans loup. Elle
se métamorphose même en héritière américaine recherchée et retrouvée par
« John Chatterton détective » (Yvan Pommaux)
très années 50.
Enfin pour
les adultes, elle se métamorphose en louve-garou et part, avec le loup-garou qui, après avoir dévoré la grand-mère dont les
os jetés sous le lit tressautent, l’a séduite (à moins que ce ne soit elle…).
Ensemble, ils rejoignent « La compagnie des loups » (Angela
Carter) qui les attendent.
On le voit aux quelques exemples cités dans
ce court article nullement exhaustif, un conte, même assez bien défini comme le
conte-type 333, est chose mouvante, vivante.
Il n’y a pas une « vraie version », mais des versions et des
variantes diverses, celles du moins qui ont survécu, d’une même histoire, d’un
même type d’histoire, dont les origines se perdent dans la nuit des temps. A
chacun, conteur, auditeur et autres rêveurs, d’en faire son miel.