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Juillet 2011
MEME !
BONNE-MAMAN ! MAMY !
RACONTE-MOI
UNE HISTOIRE !
Hélène LOUP – conteuse professionnelle – http://heleneloup.canalblog.com
Introduction
Conteuse professionnelle, Hélène Loup a déjà publié
sur ce site :
Loup Hélène (2010), Contes et
conteurs d’hier et d’aujourd’hui….
Loup Hélène(2010),
Un fonctionnement de conteur
Loup Hélène ( 2010), La sorcière
et la fée, deux personnages à la fois bons et mauvais
Loup Hélène
(2011), Les mille et un visages du Petit
Chaperon Rouge
Texte
Les liens entre
petits-enfants et grands-parents de sang, adoptifs ou même choisis, peuvent
être forts et précieux. Le conte est un excellent « médiateur », pour
utiliser un terme à la mode.
Je n’en veux pour preuve que l’expérience qui
fut la mienne. C’est pourquoi je vous la conte, pas pour le plaisir, enfin pas
seulement, mais parce que je ne me sens aucun droit de donner des conseils. Et
que je sais, par expérience, la force d’une histoire.
A peine ma
grand-mère arrivée pour la visite hebdomadaire du dimanche :
-
Mémé,
raconte-moi une histoire !
-
Quand
j’aurai déjeuné, ma petite Mimi.
Les
traditionnels gâteaux du dimanche dégustés :
-
Mémé,
raconte-moi une histoire !
-
Après
le café, ma petite Mimi !
Le café
siroté par les adultes :
-
Mémé,
raconte-moi une histoire !
-
Mais
oui, ma petite Mimi !
Nous nous
installions rituellement sur une « banquette », un petit canapé sans
dossier, ma grand-mère au milieu, mon amie Odile d’un côté, moi de l’autre, ma
mère sur une chaise en face, appuyée un peu de biais contre la grande table de
la sombre salle à manger, les deux chattes fermant le cercle sur le tapis de
cordes. Elles nous tournaient le dos, mais leurs oreilles mobiles révélaient
l’écoute attentive de nos deux petits sphinx. Et c’était parti pour une heure
et demi à deux heures d’histoires. Ou plutôt, de
l’histoire, car ma grand-mère nous racontait en épisodes les grands romans
qu’elle avait dévoré dans sa jeunesse, quand ses yeux y voyaient encore :
« Sans famille » et « En famille » d’Hector Malot, ou encore
du Zénaïde Fleuriot. Pendant la semaine, elle se remémorait ce qu’elle voulait
conter le dimanche, et, quand sa mémoire faisait défaut, elle inventait. Ce qui
faisait que l’histoire de Rémy, ma préférée, que j’ai dû entendre une bonne
dizaine de fois, était toujours un peu nouvelle, sur une trame connue.
Le lien qui
se créa autour « des histoires », comme nous disions alors, fut si
fort que, quelques soixante ans après, je m’en souviens comme si c’était hier.
Et il me permit d’accepter qu’il n’y en ait pas d’autres. Non, il n’y eut ni
maltraitance d’aucunes sortes, ni désavantage. Ma grand-mère avait trop le sens
de la famille et des convenances pour ne pas m’aimer. Mais ce n’était que du
bout du cœur. Seulement elle adorait conter et moi j’adorais écouter. Et grâce
à cette passion commune, j’ai eu une grand-mère, une vraie grand-mère dont on
garde le souvenir chaud et lumineux toute sa vie durant.
Pourtant,
tout aurait pu basculer. Quelques années après ma naissance, ma place de
dernière des dix petits-enfants, me fut ravie par une jeune cousine, le onzième petit-enfant.
Ma grand-mère, qui habitait avec son fils, sa belle-fille et leurs quatre
enfants, s’en enticha tout de suite. Ce qui ne me troubla pas. Je demeurais des
années encore son auditrice préférée, en fait la seule à encore (ou déjà) être
en âge de réclamer des histoires. Nanoune grandit.
Mémé commença à lui conter à elle aussi des histoires, des histoires de petits.
Cela ne me troublait toujours pas, puisque j’avais celles que j’aimais, celles
pour plus grande ! D’ailleurs ma grand-mère avait raconté, je le savais
par mes aînés, à tous ses petits-enfants. Puis, un dimanche, Mémé me
déclara :
-
Tu
es trop grande pour que je te raconte encore des histoires. Tu sais lire,
maintenant.
Et puis je raconte à Nanoune.
Et là, je
fus troublée ! Frustrée serait le mot juste. Lire n’est pas écouter. Et je
ne me sentais nullement « trop grande ». Un lien se rompait.
Pas tout à
fait. Mémé me montra comment trouver, sur le piano, les notes de la gamme. Elle
n’était pas très musicienne. Et les appareils d’audition (une mastoïdite
l’avait rendue sourde quand elle était jeune) était encore moins perfectionnés
que les nôtres. Mais apprendre le piano avait fait partie de sa formation de
« jeune fille de bonne famille ». Ce qui finit par décider ma mère,
malgré une situation financière difficile, à entendre mes réclamations depuis
des années et à me faire donner des leçons de piano, enfin.
En outre,
par chance pour moi, Nanoune faisait partie de ces
enfants qui ont le génie de la découverte et des idées saugrenues. Aussi
désormais, chaque dimanche, ma grand-mère était accueillie par ces mots de ma
mère, de moi, de tous ceux qui étaient présents ce jour-là :
-
Mémé,
qu’est-ce qu’elle a encore fait, Nanoune ?
Et Mémé,
épanouie, racontait la dernière trouvaille de Nanoune
avec délectation. Moi, j’écoutais avec avidité. J’avais mon histoire
dominicale. Cela dura quelques années.
En outre, si
ma mère ne contait pas, elle évoquait volontiers ses souvenirs de lectures,
comme « Les Martyrs » de Chateaubriand » et surtout « Les
histoires comme ça » de Kipling, dont elle m’a passé le goût. J’en dis
quatre aujourd’hui. Elle racontait aussi avec plaisir et talent ce que les
conteurs nomment « récits de vie », les anecdotes qui constituent le
roman familial. J’en garde encore les mots exacts. Mon père ne contait pas non
plus, mais il inventa un magnifique mensonge, décrivant comment il avait enlevé
la girafe du zoo de Vincennes pour sa petite dernière de quatre-cinq ans, moi,
à qui il l’avait imprudemment promise. Il mourut peu après. J’avais 13 ans
quand je compris quel cadeau il m’avait fait. Nul dans ma famille ne chercha à
me détromper, ou je ne m’en rendis pas compte. Cette histoire, je la conte
désormais, avec celles de Nanoune.
Mais Nanoune grandit encore. Elle s’assagit, hélas ! Et ma
mère n’allait pas très bien.
Seulement
j’étais déjà assez grande désormais pour rêver sur mes livres, ceux que nous
avions à l’époque : les « Contes et légendes » de Fernand
Nathan, et un énorme volume rouge, doré sur tranche, tout en papier bible fin
et gravures précieuses protégées par une feuille de papier translucide vierge
ultra fine, de la traduction intégrale et quelque peu expurgée des « Mille
et une nuits » par Antoine Galland. Je lisais partout, même dans la rue en
marchant, un œil sur le livre, un sur le chemin à suivre, ou encore derrière un
fauteuil de la salle à manger, dans le coin le plus sombre, parce que le gros
livre rouge doré sur tranche était rangé là et que je ne pouvais différer d’une
seconde le plaisir de lire et rêver. Une amie me racontait qu’elle lisait sur
l’échelle qui permettait d’accéder aux plus hauts rayonnages de la bibliothèque
familiale où se trouvait l’ouvrage convoité pour les mêmes raisons.
Et puis
j’avais depuis longtemps, pris l’habitude de raconter à mes copines, amies et
connaissances, d’abord les récits de ma grand-mère, plus tard ceux que je
lisais ou inventais. Il y avait aussi toutes les histoires que j’imaginais avec
l’aide de poupées en papier (j’en avais une bonne douzaine) et de cartes à
jouer dépareillées pour tracer, sur la grande table de la salle à manger (douze
couverts au moins), les plans des lieux où mes figurines évoluaient ; et,
un peu plus tard, celles dans lesquelles j’entraînais des bandes d’enfants
fascinés par ces mondes de rêves. Sans parler d’écrits que je croyais secrets.
Mais ma mère, fière comme une maman, les montra à mon insu, croyait-elle, à
d’autres adultes et je les détruisis. Je mis des années avant de recommencer à
écrire. Mais je continuais à « rêver », à m’inventer des histoires.
Lors de la redoutable période de l’adolescence, je me mis à transformer en
contes symboliques mes difficultés à vivre et affronter les épreuves. Cela
m’aida beaucoup, et continue de m’aider.
Cependant je
ne contais plus. J’avais renfermé cela à double tour en moi. Or, en 1975, lors
de la création d’un biblioclub (bibliothèque
associative) jeunesse, l’une de mes sœurs aînées, qui m’avait entendue à mon
insu conter à mes camarades, me fit engager pour organiser un atelier théâtre
(sept ans de formation) et « l’heure du conte ». Mémé devait bien
rire, dans sa tombe.
Car
maintenant, c’est moi qui racontait. Je racontais
plusieurs fois par semaine dans le biblioclub, puis
assez vite en professionnelle. Ma deuxième fille me suivait partout. Elle a
entendu beaucoup de contes. Elle m’en réclamait même, parfois, et elle avait
ses préférences. Quand nous étions en voiture, ma mère, qui nous accompagnait
souvent, me disait :
-
Et
si tu racontais une histoire à ta fille,
pour l’occuper.
Et je
racontais. Mais je ne saurais dire qui prenait le plus de plaisir à écouter, de
la fille ou de sa grand-mère !
Ce qui est
certain, c’est que, sans que je m’en rende compte, ce bain de langage fut
particulièrement bénéfique à ma fille. Elle souffrait de problèmes cognitifs,
notamment au niveau du langage. A cette époque, il n’existait pas de
rééducation pour ce genre de troubles d’origine neurologique, disaient les
médecins concernés. La cure de contes en tint lieu avec un certain succès.
Ce fut à peu
près à ce moment-là, en 1981, qu’eut lieu la grande contée des retraités de
L’Age d’Or au musée d’art moderne tout récemment créé de Beaubourg. L’année
précédente, les chefs de files des « nouveaux conteurs » avaient
accepté d’y raconter. Mais ils refusèrent de le faire une deuxième fois de
façon bénévole. Le musée se tourna vers les bibliothécaires qui, manquant de
temps, se tournèrent vers la nouvelle association de jeunes retraités (certains
n’avaient que 55 ans) d’office qui se mirent au travail avec enthousiasme. Et
leur talent, leur présence, leur solidité dans des conditions difficiles de
va-et-vient, leur joie de vivre, emportèrent un franc succès. Tous les conteurs
furent frappés par la relation qui s’établissait naturellement entre les
retraités et le public, enfants comme adultes. Depuis, l’atelier du conte de
l’Age d’Or continue. C’est le seul atelier inter-âge de cette association. Et
les enfants qui y ont goûté en garde généralement un souvenir charmé. Certes,
il arrive, quelquefois, que le « métier » soit un peu moins présent
que chez les conteurs professionnels. Mais l’alchimie se fait.
Comme
conteuse, on me demanda souvent d’amener des enfants à inventer, écrire ou raconter
lors d’ateliers scolaires. Je ne peux oublier notre joie, avec l’enseignante,
quand un enfant se mettait à conter, notre jubilation devant les trouvailles,
les preuves d’un talent naissant. Certaines histoires nous ont bouleversées. Et
je me rappelle encore avec émotion ce jeune garçon venu de Côte d’Ivoire, trop
grand, en échec partiel, affligé d’un bégaiement gênant et d’un très fort
accent, qui racontait si bien que le silence se faisait autour de lui et que,
dans la cour de récréation, les enfants avaient pris l’habitude de venir
l’écouter conter. Il avait « entendu », chez lui. Et cela se
ressentait. J’ai repris un conte d’Alain, que je dis toujours, en citant ma
source, « La belle-mère ogresse ».
Et lors des
« journées du conte de la bibliothèque de Beaugrenelle »
(Paris 15°) où, depuis plus de vingt ans, ont lieu, fin novembre, des partages
de contes, professionnels et amateurs confondus, conteurs confirmés et
débutants mêlés, nous avons souvent vus, avec une émotion partagées par tous
les assistants, des enfants se lancer à conter, parfois avec déjà une véritable
compétence.
Le mélange
des âges, dans un public, représente d’ailleurs, pour un conteur, au-delà de la
frustration de ne pouvoir dire certains récits lassant pour les petits, au-delà
de la gêne que peut représenter une certaine agitation des plus jeunes, le
subtil et jubilatoire plaisir de raconter « à plusieurs niveaux ».
Quand les enfants se réjouissent, les parents et encore plus les grands-parents
s’amusent à déguster leur joie, leurs découvertes de petits. Et quand le
conteur adresse une remarque facétieuse aux plus grands, les plus jeunes
entendent, sans comprendre ces sous-entendus entre adultes, mais les écoutent,
les reçoivent. Certains s’en souviendront peut-être, plus tard. J’ajoute que
les regards malicieux et initiés de personnes qu’aujourd’hui on qualifie à de
Papy et Mamy (Papy et Mamie, pour moi, comme pour mes petites-filles, sont les
diminutifs affectueux de Papa et Maman) m’ont souvent été de précieux et
merveilleux soutiens lors de contées.
Aujourd’hui,
quand j’entends mes petits-enfants me dire avec une avidité que je reconnais
bien :
-
Bonne-maman,
raconte-moi une histoire !
je
souris. Merci, Mémé.
Et quand
l’aînée de mes petites-filles me demande, sur les conseils de sa maman, notre
fille, très consciente de l’importance des liens entre petits-enfants et
grands-parents, de l’aider pour l’orthographe ou la compréhension de l’Odyssée,
l’ombre de ma grand-mère plane doucement autour de nous. Et, tout comme j’ai appris
de ma grand-mère les notes sur le piano, ma petite-fille tête dure apprend les
règles de conjugaison quand elle y était restée systématiquement rétive.
Aussi, quand
ma mère commença à perdre la tête et de retrouva dans un de ces établissements
pas très réjouissants, j’ai emmené avec moi mon petit-fils âgé alors de deux
ans. L’enfant n’était nullement affecté par les situations de handicaps graves
qu’il voyait. Et les regards les plus vides se sont soudain éclairés. Et
lorsque je revenais, je voyais que l’on regardait derrière moi si le petit
suivait. Pas de conte, cette fois. Mais cette anecdote en est un à elle toute
seule.
Comme le disaient les conteurs irlandais :
Prends et que celui qui reçoit ce conte
l’enrichisse.