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Janvier 2013

 

HISTOIRE DE VIE D’UNE « RESCAPEE » DE LA POLIO, NEE EN 1946, ANCIENNE DU CENTRE DE GARCHES (1952-1956). V. SOUVENIRS ET EXPERIENCES D’ADULTE

 

Christiane MAYBEL, christiane.maybel@sfr.fr

 

Ce témoignage se rattache aux sections Digest post-polio,  Histoires de vie, Donner sens à sa vie , sur ce site

 

Introduction, par Henri Charcosset

 

Dans une première partie, CLIC,  Christiane avait traité de son enfance, adolescence, très marquée par son atteinte par le virus de la polio, à l’âge de 6 ans, avec un handicap moteur résiduel important.

 

Le handicap marque de manière tout aussi importante sa vie d’adulte. C’est la deuxième partie de son témoignage, CLIC .

 

Dans une troisième partie, Christiane traite de son engagement associatif, et de ses convictions,  CLIC .

 

En quatrième partie, CLIC Christiane évoque le souvenir de rencontres ayant jalonné de manière très positive pour elle, son enfance et son adolescence.

 

Chaque détail de son récit a son importance et permet notamment de suivre l’évolution des conditions d’aide médico-sociale aux personnes handicapées. A Christiane, il aura fallu attendre la cinquantaine pour pouvoir accéder à une vie autonome.

 

Pour moi, il est clair que des personnes naissent plus douées que d’autres pour se construire une vie somme toute agréable, dans des conditions sévères de handicap. Christiane a bénéficié de ce don particulier… en plus de quelques autres !

 

Son présent article évoque ses expériences et rencontres à l’âge adulte.

 

TEXTE, de Christiane Maybel

 

66 ans de vie dont 60 de handicap moteur sévère : cela en fait des souvenirs ! Après ceux de l’enfance et de l’adolescence, en voici quelques-uns de ma vie d’adulte.

Parmi les soutiens rencontrés au cours de ma vie, je soulignerai celui de Pierre B., ami et employeur de mon père. Certes, il était peut-être d’abord un patron mais il nous a apporté une aide précieuse par son amitié et en se mettant à notre disposition pour me transporter dans l’un de ses véhicules d’entreprise : un bon vieux « Tub » façon Louis la Brocante. Le chariot arrimé avec des cordes, il m’a emmenée à l’église pour ma communion solennelle, au lycée pour les épreuves du Bac ( accompagnée de Maman, assise dans mon fauteuil roulant, car elle s’était cassée la jambe ! ), dans le Loiret pour une visite chez une tante, etc.

Lorsqu’en 1972, une nouvelle équipe a fait son entrée au bureau départemental de la F.N.M.I.P., elle n’est pas passée inaperçue. Anne-Marie, Louisette, Michelle, Blandine et moi étions arrivées avec la ferme intention de faire évoluer l’association et de lui donner le nouveau dynamisme dont elle avait grand besoin, surtout sur le plan de la revendication. La tâche n’a pas été facile mais elle a été couronnée de succès. Ma responsabilité de trésorière n’a pas été non plus de tout repos car la caisse était vide et il a fallu remettre les finances en ordre ainsi que l’organisation pratique, dont le fichier des adhérents. Nous ne savions pas qui était toujours membre et qui ne l’était plus !

 

IMG_0003Dans le creuset de l’action et du travail en commun, toutes sont devenues des amies. Puis se sont jointes Mauricette, Jeanne, Annie et plus récemment Jacqueline, Andrée … Les relations n’ont été rompues, pour certaines, que par la mort. D’autres liens ont été plus éphémères. Lucienne, permanente au secrétariat national de la F.N.M.I.P., a beaucoup compté dans mon engagement. Il me semblait que l’attachement était réciproque mais elle a brusquement disparu de mon horizon sans que je sache pourquoi. J’en ai conçu, en plus de la tristesse, une certaine amertume.

 

 

 

Avec Mireille, j’ai le souvenir d’une incartade lors de notre séjour commun à l’hôpital Raymond-Poincaré au cours duquel nous nous sommes connues. Pour fêter je ne sais plus quel événement, une de mes amies avait apporté une bouteille de champagne, ce qui était interdit. Un peu bêtement, nous l’avons ouverte dans notre chambre. Le bruit du bouchon qui saute a aussitôt donné l’alerte ! Comme nous ne voulions pas renoncer à notre bouteille, nous sommes allées dans les sous-sols pour la boire tranquillement, du moins en partie, à même le goulot puisque nous n’avions pas de verre. Après quoi, mine de rien, nous l’avons jetée dans une poubelle. Nous avons eu droit à une belle réprimande mais nous n’avons éprouvé aucun remord. Quel dommage que le handicap et la distance ne nous permettent de nous voir qu’à peu près tous les quinze ans mais l’amitié résiste !

 

En 1981 chez Mireille

 

Boué 1981

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les mêmes 15 ans après chez moi  

    Troyes 1996 juin

 

                                     

 

 

 

 

 

 

A plusieurs reprises, j’ai mentionné ma participation, régulière et fervente, au pèlerinage diocésain à Lourdes. Il a représenté pendant de nombreuses années le seul voyage possible ( et quel voyage ! ) car j’y étais totalement prise en charge. Les souvenirs en sont personnels, de l’ordre du vécu spirituel intime. Ils ont laissé une empreint indélébile.

 

Copie de Lourdes 1984 2

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Il y avait aussi une vie en dehors de la prière ! Bien concret, un souvenir en témoigne que j’aime pour son côté cocasse. Dans la salle commune où plusieurs générations étaient rassemblées, l’extinction des feux était sonnée à neuf heures. Un soir que n’avions pas la moindre envie de dormir mais plutôt de boire un petit coup, Nicole, seule valide de la bande, s’est dévouée pour aller acheter une bouteille de Jurançon et des biscuits. Dans l’obscurité et au milieu des rires étouffés, avec quelle délectation n’avons-nous pas trempé nos biscuits dans le vin ! Cependant la chose s’est sue et nous avons pris un savon le lendemain mais cela rendait notre « transgression » encore plus savoureuse. Un jour ou deux plus tard, Nicole s’est fait prendre en photo : elle pose fièrement devant l’objectif avec en arrière-plan le cadavre de la bouteille trônant sans vergogne aux côtés d’une statuette de Notre-Dame de Lourdes !

Une rencontre particulièrement décisive a été celle de Pierre que j’ai connu lorsqu’il a été nommé curé dans ma paroisse en 1967. Il ouvrait une perspective inouïe devant moi car il tenait un autre langage par rapport au handicap que celui que j’avais toujours entendu : la souffrance à offrir, la croix à porter, langage contre lequel j’étais plutôt en rébellion. Grâce à Pierre, je suis passée du statut de personne handicapée que l’on aide à celui de personne qui se prend en charge et qui peut, à sa mesure et selon ses potentialités, devenir actrice de son propre destin. Comme je l’ai déjà précisé, c’est lui qui m’a fait connaître la Fédération Nationale des Malades, Infirmes et Paralysés puis l’Action Catholique Ouvrière. Il m’a accompagnée pendant plusieurs années. Il a marié une de mes sœurs, baptisé sa fille puis sa petite-fille, prié aux derniers instants de mon père, célébré les funérailles de ma mère : il était devenu en quelque sorte le prêtre de la famille ! Je garde vivants dans ma mémoire son esprit de pauvreté, son souci des défavorisés, sa profondeur dans la foi, sa disponibilité.

Si, pendant longtemps, il a été impensable ne serait-ce que d’envisager partir en vacances, celles-ci sont quand même devenues un jour possibles. En 1987 puis en 1988 et en 1989, l’une de mes sœurs a eu la gentillesse et la générosité de proposer que maman et moi partions avec elle sous réserve que j’organise moi-même mon voyage : elle se chargeait de la location. Je ne me le suis pas fait dire deux fois !! Elle habitait Annecy, nous Troyes et le lieu de vacances se situait à l’Ayguade qui est la plage d’Hyères…

 

hyeres_ayguade_6

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Qu’à cela ne tienne, on allait voir ce qu’on allait voir. Il a fallu mettre sur pied quasiment une véritable expédition. Je me serais presque crue Tabarly avant son tour du monde. Comme je ne peux pas rester longtemps assise, le moyen de transport le plus rapide et donc le plus adapté était l’avion. Mais il fallait se rendre à Orly avec fauteuil roulant et chariot plat ; le premier a pris place dans le coffre du taxi et le second sur le toit. Merci Monsieur F. de votre gentillesse et de votre serviabilité ! Caser le tout dans la soute de l’avion ne posait pas de problème à condition que celui-ci ne soit pas une Caravelle : dans ce cas, le chariot voyageait par vol séparé ! A l’arrivée m’attendait la passerelle qu’il fallait descendre marche par marche. Cramponnée à mon fauteuil, je n’en menais pas large.

Pour rejoindre la location, seule solution : l’ambulance. Enfin nous voilà sur site comme disent les militaires. Je passe sur la présence de petites marches à l’entrée et à l’intérieur de la maison : obstacles mineurs puisque j’avais des « bras » à ma disposition. J’évoquerai en passant les lève-personne empruntés : l’un datait d’avant le déluge puisqu’il fallait, pour me soulever, tourner une sorte de manivelle un peu comme on le fait avec un presse-purée et l’autre me déposait dans mon fauteuil avant même que j’ai le temps de dire ouf.

Les activités étaient plutôt limitées car nous n’avions pas de voiture pour nous déplacer et, même à pied, nous avions vite fait le tour de la petite ville. Je ne pouvais pas non plus me baigner à cause de mon « équipement » orthopédique mais j’ai pu quand même tremper mes orteils dans la mer : alors là, quel pied !! Je découvrais des plaisirs simples et jusqu’alors inconnus : les balades en bord de mer, l’horizon sans fin où la mer d’azur rejoint un ciel bleu que n’encombrent pas les nuages comme en Champagne, le vent qui, au bout de la jetée, fouette le visage et les cheveux, le cliquetis des mâts des petits bateaux au mouillage, l’ombre profonde des pins parasol, le vol des flamands roses et des goélands, et, incontournable, la dégustation de la glace ! Autre amusement : le rendez-vous de 18 h pour voir se poser l’avion qui nous frôlait presque la tête dans un vacarme assourdissant. Notre maison se trouvait en bout de piste de l’aéroport d’Hyères mais le trafic aérien étant alors réduit nous ne subissions pas de nuisances sonores.

 

 

Copie de S6303506L’expérience s’est renouvelée deux autres fois à l’occasion d’événements familiaux. Les améliorations de toutes sortes qui se sont produites au fil du temps ont facilité l’organisation. Mais partir ainsi avec un handicap aussi lourd reste une équipée et l’accessibilité laisse encore beaucoup trop à désirer, interdisant maintes excursions par exemple. Cependant, après le train et l’avion, j’ai expérimenté le bateau : visite ( trop courte à mon gré ) de la rade de Toulon en 2010 et des calanques entre Cassis et Marseille en 2012. Quelles sensations et même pas le mal de mer !

 

 

 

 

 

 

 

Ces deux derniers voyages, pour moi magnifiques, n’ont pu se réaliser que grâce à mon amie Edith qui a été tout en une : accompagnatrice, auxiliaire de vie, bricoleuse genre MacGyver, chauffeur, photographe, etc. Comme le Disciple pour Léonard ( voir la B.D. du même nom ), elle s’est pliée à tous mes impératifs ( volontairement, elle ) pour que les choses se passent au mieux, ce qui a été le cas. Mais, me semble-t-il, elle ne s’en est pas mal trouvée non plus. Elle est d’ailleurs toujours partante pour m’accompagner dans mes virées. Elle contribue largement à maintenir ma vie ouverte malgré le fait de vivre seule, avec les possibilités réduites qui en découlent.

 

Je termine par un pêle-mêle de photos qui disent sans mot d‘autres joies et émotions liées à la présence de mes nièces, neveux, petites-nièces et petits-neveux, elle-même source d’une multitude de souvenirs heureux.

Présentation1

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Secouée par la tourmente, envahie maintes fois par la souffrance et enfermée en elle, requise par la nécessité de faire face et de tenir bon, je n’ai vu souvent que le malheur du handicap, ce dont il m’a privée, ce qu’il m’a empêchée d’être et de réaliser. Je ne voulais pas saisir ce qu’il a pourtant comporté de positif, ce qu’il m’a en quelque sorte poussée à devenir, ce qu’il a révélé en moi et dans ceux qui m’ont approchée. Le proverbe le dit bien : « A quelque chose, malheur est bon ». Aussi, relire ma vie à l’occasion de ce témoignage me permet d’en mieux déceler les étincelles qui l’ont illuminée, la force vive qui l’a entraînée dans son courant, l’amour à l’œuvre de manière parfois éclatante et, à d’autres moments, si discrète qu’il en est presque imperceptible. Je remercie Henri de m’avoir sollicitée et de m’avoir ainsi donné cette opportunité.