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Novembre 2011

 

HISTOIRE DE VIE D’UNE « RESCAPEE » DE LA POLIO, NEE EN 1946, ANCIENNE DU CENTRE DE GARCHES (1952-1956). I. ENFANCE, ADOLESCENCE

 

Christiane MAYBEL, christiane.maybel@sfr.fr

 

Ce témoignage se rattache aux sections Digest post-polio,  Histoires de vie, Donner sens à sa vie , sur ce site

 

Introduction, par Henri Charcosset

 Christiane nous donne ici une description très claire de sa vie de petite fille puis de jeune fille, au sein d’une famille unie, propice à la bonne assimilation du handicap sévère de l’une des quatre sœurs. A joué aussi un rôle essentiel pour le chemin de vie de Christiane, son séjour pendant quatre ans, à l’Hôpital Raymond Poincaré de Garches, haut lieu de la rééducation des séquelles de polio en France, à l’époque des épidémies (La vaccination est obligatoire chez nous, depuis 1961).

Le récit de Christiane n’est pas sans intérêt pour les enfants paralysés- autrement que par la polio bien sûr !- d’aujourd’hui. Ce que nous leur souhaitons, est de bénéficier

d’un soutien d’importance comparable à celui qui avait été consacré aux enfants et adolescents polios. Tel soutien s’est avéré très bénéfique pour la place dans la société des « rescapés » de la polio, à leur âge adulte. Que ce point-là puisse faire école !

 

A la prochaine mise à jour de ce site, Christiane nous parlera de sa vie d’adulte.

 

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Première partie – L’hospitalisation et la scolarité

Née en 1946 dans une famille ouvrière auboise très modeste, j’ai contracté la poliomyélite en mars 1952 à l’âge de presque six ans. J’ai été hospitalisée quelques mois à Troyes où j’habitais en attendant qu’une place se libère à l’hôpital Raymond Poincaré de Garches. Ce qui s’est produit en juin 1952 où j’ai rejoint le bataillon des filles de Netter III pour quatre longues années.

 

Je fis alors l’apprentissage de la vie en collectivité. Nous étions réparties en deux dortoirs de vingt enfants : celui des petites où j’ai commencé mon séjour Garchois et celui des grandes où je l’ai terminé. Un réfectoire nous réunissait toutes pour les repas qui servaient une nourriture « maison » de bonne qualité. Il fallait tout manger. J’ai connu de mémorables moments, seule dans le réfectoire devant mon assiette que je n’arrivais pas à finir et qui refroidissait ! Les vêtements étaient fournis par l’établissement et nous avions droit à l’élégant pantalon de survêtement bleu marine qui, nonobstant la couleur, nous faisait ressembler à Tintin ! Un sweat-shirt ou un tee-shirt (selon la saison) et une blouse uniforme complétaient la tenue et, pour les sorties, une pèlerine nous enveloppait de sa chaleur rude. Personne ne restait au lit, sauf en cas de maladie, et, quand le temps s’y prêtait, nous sortions toutes ensemble devant le pavillon, bien alignées sur nos chariots plats ou dans nos fauteuils roulants. Le matériel était ce qu’il pouvait à cette époque : le fauteuil en fer à trois roues et le chariot recouvert d’une simple couverture sous laquelle je rangeais mes petits trésors d’enfant.

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Le traumatisme affectif et psychologique de la séparation d’avec ma famille fut très important puisque je n’ai pas vraiment parlé pendant un an. Par la suite, j’avais des accès de « déprime » qui étaient soignés en me renvoyant dans le dortoir, sans aide ni traitement particuliers, en attendant que cela se passe ! Je ne voyais ma mère que tous les quinze jours, mon père une fois par mois et mes sœurs pas du tout. Comme la plupart des autres enfants, je ne quittais l’hôpital qu’au moment des grandes vacances. Le fait d’appeler les soignantes « Maman Un Tel » ne changeait pas grand-chose à l’affaire et aucune « cellule psychologique » n’existait à l’époque : à chacun (e) de se débrouiller comme il (elle) pouvait ! Ce qui n’enlève rien au dévouement des personnels. L’alternance des temps d’hospitalisation et des périodes de retour en famille était elle aussi difficile à vivre car elle nécessitait à chaque fois de se réadapter à un autre environnement.

 

Sur le plan médical, j’étais suivie par le Professeur Grossiord et le Docteur Held et ma rééducatrice était « Maman » Vallat que je trouvais gentille (parce qu’elle l’était !). Paralysée quasi complètement des membres inférieurs, un peu moins du tronc et plus légèrement encore des bras, je pouvais cependant marcher un peu équipée d’un corset, d’appareils aux deux jambes et de cannes tripodes mais cela faisait plutôt partie des exercices de rééducation. Ceux-ci consistaient à mobiliser les membres de manière passive et active, à pratiquer des mouvements respiratoires et à tirer les muscles rétractés, ce qui n’était pas une partie de plaisir. La séance se terminait souvent par un bain thérapeutique donné par « Papa » Fouché. En dehors des soins, j’étais habituellement soit assise dans un fauteuil roulant, soit allongée à plat ventre sur un chariot plat, roulant lui aussi.

 

Car, il n’était pas question de manquer l’école, installée dans les salles de réfectoire, et, pour cela, il fallait être mobile car c’est nous qui allions à l’instituteur (trice) et non l’inverse ! L’une de mes institutrices m’impressionnait particulièrement par son regard vert pénétrant. Je n’ai retenu que son nom totémique du scoutisme : Bagheera.

 

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Les occupations extrascolaires n’étaient pas oubliées bien au contraire. Les activités manuelles m’ont fait découvrir et aimer les loisirs créatifs, comme nous disons maintenant : canevas, peinture sur textile, patatogravure, etc. D’autres distractions nous étaient proposées : bibliothèque, télévision, sorties diverses, scoutisme (un feu de camp m’a valu une « bonne » bronchite ), fêtes des prix dont celle de 1956 sur le thème de Peter Pan qui m’a marquée plus spécialement. Autre exemple pioché dans mon « cahier de vie » : « mercredi 21 décembre 1955, les élèves du lycée américain de Saint Cloud sont venus nous apporter des jouets et des gâteaux ». Les autres fêtes étaient célébrées comme il convient et comme le montrent les photos incluses. J’ai commencé le catéchisme à l’hôpital et je garde un bon souvenir de l’aumônier, Monsieur l’abbé Fallot, qui nous dispensait les cours.

 

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Ainsi, tout était mis en œuvre pour que la vie soit la plus proche possible de la vie ordinaire. Pour moi, par certains côtés, elle a même été extra-ordinaire car mes parents n’auraient pas eu les moyens de nous emmener visiter l’aéroport d’Orly, le château de Versailles ou assister à la représentation du « Malade imaginaire » … Dans ce domaine, je pense que le Centre Raymond-Poincaré était en pointe pour l’époque et les réalisations modernes mises en place dans les hôpitaux n’ont rien d’original pour moi.

 

L’objectif du Centre n’était pas que de soigner, il était aussi de rendre les enfants autonomes autant que possible, même si le terme n’était pas employé, et de faire en sorte qu’ils bénéficient, une fois rentrés chez eux, des meilleures conditions de suivi médical, paramédical et scolaire. Madame Demeyer, l’assistante sociale, y veillait avec soin et compétence.

 

Plusieurs autres séjours à Raymond-Poincaré ont eu lieu par la suite :

- 1957, pendant trois mois à Brézin,

- 1958, première arthrodèse vertébrale - partielle - prévue pour stabiliser une scoliose déjà forte et qui a eu surtout pour effet d’arrêter ma croissance …,

- 1960 / 1961, tentative guère fructueuse pour me mettre en position assise mais acquisition réussie de la technique du Frog-breathing (entrée en cinquième après le certificat d’études avec apprentissage des bases de l’anglais et découverte enthousiasmante du chant choral que je n’ai pas pu pratiquer ensuite à mon grand regret ),

- 1975, seconde arthrodèse, totale et avec de nouvelles techniques médicales, qui cette fois m’a enfin permis de m’asseoir (7 heures par jour ) et de voir le monde d’une autre manière,

- 1976, pour la confection du corset définitif,

- 1979, nouveau corset, mal conçu et qui n’a pas servi (par contre je suis devenue amie avec ma voisine de chambre et nous sommes toujours en relation)

- 1995, en urgence dans le service de réanimation médicale de Widal III à la suite d’une décompensation respiratoire aigüe (j’en suis repartie avec obligation d’une ventilation nocturne à la fois contrainte supplémentaire et meilleure qualité de vie)

 

A mon retour chez moi en 1956, j’ai retrouvé la maison de mes parents, vétuste et sans aucun aménagement, sans sanitaires, juste l’eau courante, mais avec un jardin qui a été un lieu privilégié de contact avec la nature. Ma mère prit alors le relais des différents personnels qui s’étaient occupés de moi pendant mon hospitalisation. En plus d’assumer une maisonnée de six personnes, elle fut ainsi tour à tour aide-soignante, auxiliaire de vie, kinésithérapeute-adjointe, assistante scolaire et j’en oublie sûrement ! Ce qui ne l’empêchait pas d’effectuer des travaux de repassage à notre domicile. Mon père, menuisier, travaillait dur (bien au-delà des trente-cinq heures ! ) afin de subvenir aux besoins de la famille et fabriquait les matériels qui m’étaient nécessaires : chariot plat, fauteuil roulant, cannes, etc. ce qui représentait une substantielle économie puisque la Sécurité Sociale ne les remboursait pas.

 

Au fil du temps cependant, l’aide sociale et technique aux personnes handicapées a évolué, heureusement, et notre situation s’est améliorée progressivement. J’ai sans doute été, dans l’Aube et dans les années 60, la première utilisatrice d’un lève-personne qui m’avait été offert. Comme il n’existait pas de magasins spécialisés pour la fourniture de ce type de matériel, celui-ci est arrivé directement chez moi, en kit et avec notice explicative en anglais !! Ma mère et moi, avec force patience et rires, sommes venues  à bout du montage. Nous avons grandement apprécié cet appareil très utile qui a soulagé mes parents et qui fait toujours partie de mon quotidien.

 

L’intégration scolaire étant encore un rêve et bien que l’école primaire se trouvât de l’autre côté de notre jardin, c’est grâce au Centre National de Télé Enseignement que j’ai poursuivi mes études primaires puis secondaires. Des institutrices bénévoles se sont relayées auprès de moi pour m’apporter ce que j’appellerais un soutien scolaire complémentaire et bienvenu et ont noué avec nous des amitiés réconfortantes. Lorsque je suis passée en secondaire, d’autres personnes m’ont épaulée. Il s’agissait d’élèves d’un établissement catholique dont j’avais connu certains professeurs lors de mes nombreux pèlerinages à Lourdes. Ils m’ont accompagnée  jusqu’au Bac que j’ai passé en 1967 ( quand je dis « accompagnée », en terminale, j’étais en avance sur eux dans le programme ! ). Leur présence, bien qu’amicale et désintéressée, me mettait un peu mal à l’aise. Nous n’étions pas du même milieu social et je le ressentais fortement d’autant plus que j’ai toujours été d’une grande timidité. Pendant cette période scolaire, deux correspondantes, l’une canadienne et l’autre de la Haute-Volta (devenue Burkina Faso), m’ont donné une ouverture sur le monde. J’ai eu la grande joie de rencontrer Diane, venue de son Québec pour un voyage de deux mois en Europe en 1971.

 

Parmi les rares activités de loisirs à ma portée, le dessin a représenté plus qu’un passe-temps, un véritable exutoire qui me permettait de m’évader d’une réalité pénible et frustrante. Là encore, j’ai été mise en relation avec une personne formidable qui était professeur de dessin de mes sœurs au lycée. Elle m’a donné des cours bénévoles et elle a cherché à savoir si je pouvais envisager d’exercer mes « talents » dans l’illustration, après une formation adéquate. La réponse a été négative, non à cause de mon niveau mais en raison des difficultés pratiques liées à ma situation de handicap. J’en ai conçu une telle déception que j’ai abandonné, à tort sans doute, crayons et pinceaux.

 

Pourtant, forte de l’état d’esprit insufflé à Raymond-Poincaré, il a toujours été évident que je devais travailler, comme tout un chacun, alors que le contexte dans lequel je vivais et l’importance des séquelles de la maladie ne s’y prêtaient pas. J’ai donc cherché quel autre métier je pouvais pratiquer à domicile puisque je ne pouvais pas me déplacer. Il m’a fallu un an pour aboutir et finalement me trouver devant ce choix : la traduction du russe ( ?!) ou la comptabilité. La première option me paraissait extravagante, j’ai préféré un terrain plus sûr et je me suis inscrite pour un B.T.S. de comptabilité. J’ai préparé le diplôme mais je ne l’ai pas obtenu. Paradoxalement, c’est ma situation de handicap qui m’a permis de mener des études que mes sœurs n’ont pas pu entreprendre car elles devaient travailler le plus tôt possible pour augmenter les très petites ressources du foyer.

 

Avec le travail professionnel, une autre étape de ma vie s’ouvrait dont j’aurai l’occasion de parler ultérieurement.

 

Christiane Maybel : christiane.maybel@sfr.fr