MAI 2021
DE
LA VIE A L’ECRIT, DE L’ECRIT A LA VIE. DU REEL AU VIRTUEL, DU VIRTUEL AU
REEL
Par
Chantal CAMBRONNE-DESVIGNES, Professeure en Lettres classiques
Avec
la collaboration de Henri CHARCOSSET, Directeur de Recherches au CNRS, Sciences
physiques
Ce
texte
est basé sur une série de 23 articles autobiographiques remis par Chantal
Cambronne-Desvignes à Henri Charcosset, entre 2008 et 2021, pour son
site : https://anti-solitude.pagesperso-orange.fr/
Il
a pour adresse web : https://anti-solitude.pagesperso-orange.fr/autobiographie-en-virtuel-et-en-reel.htm
°°°°°°°
En fin de texte :
Présentation de Chantal Cambronne avec la liste de ses Contributions déjà déposées à
l’APA
Bibliographie, Remerciements
°°°°°°°°
Devise : « Il n’existe pas d’expérience
de vie qui soit infime »
°°°°°°°°
Le
fascicule résultant va entrer dans le
fonds documentaire de l’APA :
Association pour l’autobiographie et le
patrimoine autobiographique
19 rue René Panhard, 01500, Ambérieu-en-Bugey : http://autobiographie.sitapa.org/association
LES 23 ARTICLES PUBLIES SUR INTERNET
ENTRE 2008 ET 2021
I Cambronne-Desvignes Chantal(2008), 72 ans : c’est tout ce que
j’ai vécu qui a fait « une belle fille comme moi »
II Cambronne-
Desvignes Chantal(2009), Le rêve dans tous ses
états : aperçu, témoignage, perspectives
III Cambronne-Desvignes Chantal(2011), Histoires d’amour ; I.
L’oncle Alphonse
IV Cambronne-Desvignes Chantal
(2011, Histoires d’amour. II. Le fils du Sultan, et Ma petite
Chantal
V Cambronne-Desvignes Chantal
(2011), Histoires d’amour. III.
Grand- mère maternelle et …..Un vrai grand-père
VI
Cambronne
Chantal (2012), Se former et s’exprimer toujours et
encore. Témoignage d’une enseignante
de lettres née en 1936.
VII Cambronne -Desvignes
Chantal (2012), Histoires d’amour. IV.
Ma chérie, nous prendrons un appartement de 2 ou de 3 pièces ?
VIII
Cambronne-
Desvignes Chantal (2012), Histoires
d’amour. V. Le charme des lointaines
histoires d’amour
IX.
Cambronne-Desvignes Chantal
(2013), Histoires d’amour. VI. Mes élèves préférés. Témoignage d’une
enseignante de lettres retraitée
depuis 1982
X Cambronne-Desvignes Chantal
(2013), Histoires d’amour VII. Mon histoire d’amour avec le théâtre.
Témoignage d’une enseignante de lettres retraitée.
XI Cambronne-Desvignes Chantal
(2013), Histoires d’amour VIII. Mon histoire d’amour avec tante Mado.
Témoignage d’une enseignante de lettres née en 1936
XII Cambronne-Desvignes Chantal (2014), Histoires
d’amour. IX. J’aime qu’on me
raconte des histoires
XIII Cambronne-Desvignes
Chantal (2014), Histoires
d’amour. X. Entre l’amour et
l’amitié….
XIV Cambronne-Desvignes
Chantal (2014), Histoires
d’amour. XI. Coups de foudre,
coups de cœur
XV Cambronne-Desvignes Chantal
(2014), Histoires d’amour.
XII. Et moi est-ce que je m’aime ?
XVI Cambronne-Desvignes Chantal
(2015), Histoires d’amour.
XIII. Se dire, se raconter,
toute une aventure
XVII Cambronne-Desvignes Chantal
(2015), I. Le temps immobile
XVIII Cambronne-Desvignes Chantal
(2015), II. Le temps du divan
XIX Cambronne
Chantal (2016), Le temps.
III. Une petite fille pendant la guerre (1939-1945)
XX Cambronne-Desvignes
Chantal (2017), Anti solitude lors d’un changement
de lieu de résidence à 80 ans. Témoignage
XXI Cambronne
Chantal et Charcosset Henri (2018), Anti-solitude à tout âge,
ou « Plus on sort de soi, plus on est soi »
XXII Cambronne
Chantal et Charcosset Henri (2020), Confinement-Dé-confinement vus par une
Octogénaire vivant en Résidence
XXIII CambronneChantal (2021),
Des vœux personnels
d’une octogénaire vivant en Résidence. Un regard
en retour sur les 22 textes qui précèdent.
Note : Le site : https://anti-solitude.pagesperso-orange.fr/
mis à profit,
ici, entre 2008 et 2021, a
été initié en 2005.
I
Cambronne-Desvignes Chantal , 72
ans : C’est tout ce que j’ai vécu qui a fait « une belle fille comme moi »
Septembre 2008
Bref
balayage de ma petite vie pour commencer, et peut-être mettre en appétit.
Née en 1936, la seconde
de quatre enfants très rapprochés. Père, ingénieur et officier de réserve,
mobilisé donc en 1939, et mort en juin 1940. Grande pauvreté de ma mère, tombée
gravement malade à la fin de la guerre, de désespoir et de faim. Etudes
secondaires à la Légion d’Honneur. Après le bac, études à la Sorbonne, licence
et CAPES. Carrière dans l’enseignement, jusqu’à la retraite en 1992. Dix ans de
mariage (1959-1969) : une vraie catastrophe dès le départ, et 4 enfants,
quasiment venus par l’opération du Saint Esprit. Divorce à 35 ans. Et quête
éperdue de l’amour. Que je rencontre enfin à près de 50 ans. Irruption de
l’écriture à la quarantaine. Avec tout cela une psychothérapie, puis plus tard,
une psychanalyse (que je peux qualifier d’heureuse)
Texte
Je n’en reviens pas
moi-même de ce qui se passe aujourd’hui dans ma vie. J’ai conscience que ce
n’est pas habituel, pas « conforme » mais c’est ainsi.
Pourtant, comme toutes
les personnes de mon âge, je vis dans la précarité : je ne sais combien de
temps j’ai encore devant moi, dans quel état je serai dans six mois, dans un
an, où je finirai mes jours.
A
tout moment, tout peut s’arrêter.
Mais cela ne me freine
pas, pas du tout, au contraire. La plus grande partie de ma vie est derrière
moi et je ne peux changer un seul iota de ce passé. L’avenir, lui, est
incertain.
Mais il me reste le
présent et ce présent, il me va bien : depuis
5 ans maintenant, je me suis tournée vers le spectacle, la scène, et
c’est une expérience très riche.
Je pensais en avoir
quasiment fini avec l’écriture et voilà qu’un nouveau projet est là.
J’ai vu récemment, durant
quelques mois, mon univers se rétrécir, et puis j’ai tapé du pied au fond de la
piscine et me revoilà debout et allant de l’avant, retissant des liens, vivante
plus que jamais, et même — oui, je
vais oser le dire — plus attirante que dans ma jeunesse.
Accepter le passé pour
vivre pleinement jusqu’à la fin ? je dirais plutôt qu’il y a comme une récupération de ce passé, à la
fois une autre relecture de ce que j’ai vécu, et puis l’utilisation du maximum
d’éléments de ce tricotage de vie, y compris les brins douloureux, les mailles
lâchées, les nombreuses erreurs dans les motifs.
Quelques exemples :
J’ai longtemps pratiqué la gym volontaire, mais depuis quelques années le
médecin me l’interdit, à cause de mon dos. Mais une des dernières kinés qui
s’est occupée de mes douleurs — une superbe fille, jeune et souriante — m’a
dit, alors que j’accusais ma raideur quasi congénitale « Vous avez de
beaux restes » . Alors je n’ai plus pensé à mes
complexes d’enfant élevée dans un milieu de sportifs et dernière en gym.
J’ai reconnu les
bienfaits d’années de travail en salle entre 35 et 50 ans, et j’ai osé faire
l’apprentissage nécessaire pour me mouvoir en scène, et même danser, sinon avec
une totale aisance, du moins avec une certaine grâce.
Je
n’avais pas d’autorité à l’école, ni auprès de mes enfants.
Et puis un jour j’ai osé écrire Le chahut. Et un lecteur m’a
dit : Maintenant, avec ce livre, vous faites autorité…
Ainsi non seulement d’avoir écrit m’a quasi
complètement délivrée du poids de ce manque, de la culpabilité que j’en
ressentais, mais ce livre a mis du baume au cœur de dizaines et de dizaines de lecteurs
qui avaient vécu le même cauchemar.
A près de 50 ans, dans un
état de solitude extrême, très dépressive, je me suis tournée vers la
psychanalyse, dernier rempart pour moi contre le désespoir total. Durant les
six années de la cure, non seulement j’ai pu accepter mon passé, mais il a pris
d’autres couleurs. Bonne élève à la fin de ma scolarité, étudiante plus
qu’acceptable, je n’ai jamais été la première comme l’auraient voulu — que
dis-je comme l’exigeaient—mes parents. Et voilà que je découvrais que, si
j’étais incapable d’être « chef » je pouvais être une bonne seconde, quelqu’un
sur qui on pouvait compter, et qui occupait bien sa place.
En remontant plus loin
encore, jusqu’à ma petite enfance, je n’ai plus eu le même regard sur la
disparition prématurée de mon père. Certes il m’avait terriblement manqué. Mais
après tout, l’image que j’avais de lui, cette photo qui trônait sur son
bureau, c’était une bien belle image, celle d’un homme jeune et beau, avec un
regard doux et légèrement moqueur en même temps. Qui sait, s’il avait vécu, il
serait peut-être devenu un vieil homme insupportable et aigri.
Du moins je ne l’aurai
jamais vu ainsi. Il aimait passionnément ma mère, mais leur vie de couple n’a
duré que sept ans. Et puis, alors qu’il lui avait déjà fait quatre enfants en
quatre ans, s’il était revenu de la guerre, il aurait peut-être achevé de
l’épuiser en lui en faisant encore cinq ou six autres. Ou, qui sait, il
aurait pu aimer une autre femme.
Et
maintenant ? Comme presque tout le monde, j’ai un
passé lourd, et il m’arrive parfois d’avoir envie de réécrire l’histoire.
Mais ces blessures qui
ont laissé en moi des cicatrices, elles m’ont aussi rendue plus forte
—c’est à dire plus consciente de ma fragilité— et donné un grand appétit de
vivre, une capacité à recevoir ce qui m’est donné, elles m’ont permis de
grandir, de me trouver, d’être ce que je suis.
Vivre avec ce passé, le
reconnaître, en faire un allié au lieu d’un fardeau, c’est aussi ce qui me
permet d’être vraiment dans le présent, d’en accueillir non seulement ce qui
m’est bon, mais aussi les inévitables difficultés, les peines, les manques. Il
y a une phrase d’une chanson de Régine que j’aime beaucoup et qui me paraît une
bonne définition de la vie « Tout est bon dans le poulet ».
Ou encore ce passage d’un
poème de Verlaine que j’aime aussi :
La vie est bonne et l’on
voudrait mourir
Bien que n’ayant pas peur
du lendemain.
Jusqu’à la fin il y aura des demain. Et c’est bien qu’il en soit ainsi.
Chantal Cambronne-Desvignes
Jeu de questions-réponses entre Henri Charcosset( H.C.)
et Chantal Cambronne-Desvignes(Ch.C.), conscrits.
H.C. Tu
es particulièrement concise dans tes écrits. Ce style est très adapté aux
Net publications. Le visiteur d’un site est pressé de savoir l’essentiel d’un
article, dès qu’il en a commencé la lecture. Désir peut-être de te faire toute
petite, tout en ayant un besoin profond de t’extérioriser ?
Ch.C.
Je n’ai pas besoin de me faire toute petite, je suis toute petite… Plus
sérieusement, la concision, chez
moi, est un choix. En tant que lectrice, que spectatrice, je ferais
volontiers des coupes sombres dans bien des livres, dans bien des spectacles.
J’aime la simplicité, le naturel, ce naturel si difficile à atteindre. Je fuis
les procédés, le « littéraire », je cherche toujours une écriture nue, qui
aille à l’essentiel, au plus près de ce que je ressens, de ce que je suis. Au
départ, je développe davantage.
Et puis, en me relisant, des
pages entières me paraissent inutiles. Alors je taille, je taille encore.
J’obéis là à une sorte de nécessité intérieure. Il faut que chaque mot ait son poids. Ce faisant, je veux
peut-être, non pas me faire toute petite, mais être reçue, entendue toute
entière au contraire, telle que je suis.
H.C. L’écriture a joué un
rôle important dans ta vie, comme thérapie. Peux-tu nous en dire un peu
plus à ce sujet ? Sur les contacts que t’a amenés la publication de tes
ouvrages ?
Ce
doit être intéressant pour toi d’observer ton évolution entre le premier de tes
écrits et le plus récent ?
Ch.C.
L’écriture a été en effet, non une thérapie, mais plutôt un complément à la
thérapie. Les contacts ont toujours joué un rôle primordial, dès le départ. Le
fait d’être lue est pour moi plus important que le fait d’être publiée je
crois. Savoir que je serai lue par exemple, ne serait-ce que par quelques
personnes, a toujours été un stimulant formidable, un appel à une exigence
toujours plus grande : je ne
dois pas décevoir ceux qui me font confiance. Ainsi j’ai beaucoup aimé
le travail fait pour la revue de Littérature de Jeunesse Nous voulons
lire (tirage restreint, la publication étant uniquement destinée à des
professionnels). La critique d’un seul livre me prenait
parfois plusieurs jours. Je voulais tellement faire partager mon enthousiasme
pour un bon livre ! Ce fut aussi un bon apprentissage de la concision. Si
on dépasse la demi-page, le lecteur risque de se lasser. Et puis j’aimais
beaucoup les échanges avec le groupe de lecteurs, tous passionnés. Je dois
beaucoup aussi à Dominique Blanchard, qui a publié dans une revue
quelques-unes de mes nouvelles. C’est lui qui, le premier, m’a incitée à écrire
des textes plus longs. Par lui, notamment après la publication du Chahut, j’ai
connu d’autres écrivains dont certains sont devenus des amis. J’ai reçu des
lettres, fait l’expérience de la télévision. Et puis il y a eu l’APA, l’Association pour l’Autobiographie,
qui m’a permis, non seulement d’avoir des lecteurs, mais de rencontrer, au
cours des Journées annuelles, des personnalités très fortes, des gens
passionnants, écrivant ou non. J’ai pu, entre autres choses, échanger
longuement avec un jeune chercheur en sociologie, travailler avec un historien
qui est, lui aussi, devenu un ami.
Oui, c’est intéressant de
voir l’évolution de l’écriture. Longtemps je n’ai écrit que des articles
(compte rendu d’expériences, de stage, réflexions…) mais j’étais déjà
consciente d’avoir une écriture bien personnelle, non normée.
J’ai commencé à passer beaucoup de temps à
écrire lorsque j’ai été en retraite (donc à partir de l’âge de 56 ans). Jusqu’à
une époque récente, j’ai éprouvé la nécessité de revenir sur mon passé, en
particulier sur des périodes difficiles (mes années d’internat par exemple) ou
inavouables (mon amour pour un illettré). Je suis consciente que ce sont là mes
textes les plus achevés, les plus forts.
Aujourd’hui, mon
écriture s’allège. Comme ma vie au fond.
H.C. Que
tu te sentes bien mieux en toi, bien plus toi à 70 ans qu’à 50 ans est un fait.
J’ai l’impression que, sous des formes très diverses, cela n’est pas si rare. A
50-60 ans, on se retourne bien trop souvent encore vers tout son passé, avec
ses inévitables côtés négatifs. Chez les femmes interviennent beaucoup les relations
avec les hommes (en termes de manques, de déceptions), la non maternité
éventuellement. A 70 ans, on sent mieux que le temps presse de profiter à plein
de ce que la vie peut encore vous apporter, tu ne crois pas ?
Ch.C.
C’est vrai. On peut aussi faire une autre lecture de ce temps qui reste. Avec
un peu de chance, j’ai peut-être encore 20 ans à vivre. 20 ans c’est long, j’ai
donc le temps de prendre le temps pour apprendre à respirer, à laisser mûrir
les choses, à m’écouter. N’étant
plus dans la hâte fiévreuse, j’apprends la disponibilité. Et cela aussi
c’est bon.
Il y a autre chose aussi.
D’une certaine façon le regard de l’autre ne me pèse plus, ne m’empêche pas de
faire ce que je veux. J’ai conscience de me voir, non comme une personne d’âge
respectable, mais comme une personne tout court, ce qui me donne une grande
liberté.
H.C. Ta
relation à tes enfants et petits- enfants, tu la ressens comment ? Influent-ils
sur tes pensées par rapport à ton après vie sur terre ? Tu sembles
concernée par ce sujet aussi, si j’en réfère au titre de ton
ouvrage « Dieu ou la
vie », que je mets en priorité de mes lectures parmi tes ouvrages
publiés.
Ch.C.
Il y a quelque chose qui reste sensible, et qui s’en vient encore me travailler
la nuit, c’est le regret d’avoir été une mère si « absente » à la fois
physiquement et dans la disponibilité à mes enfants pendant leur enfance
et leur adolescence.
Aujourd’hui j’aime beaucoup les relations que
j’ai avec mes trois filles, des relations très « vraies ». Nous
échangeons beaucoup. Je compte sur elles et elles comptent sur moi, sans que ce
soit une relation fusionnelle, ou de dépendance réciproque.
Avec mon fils, c’est un peu plus difficile.
Nous avons plus de mal à nous « entendre » mutuellement et il y a parfois des
orages. J’ai appris peu à peu à faire silence dans ces cas-là, pour que rien ne
s’envenime.
Et je me réjouis de nos
rencontres dans les moments plus apaisés.
J’admire beaucoup mes enfants, je trouve
qu’ils se sont bien tirés d’affaire, chacun à leur manière, ils ont beaucoup
d’énergie et de personnalité. J’ai des liens très forts avec les filles de mon
aînée : nous nous voyons relativement rarement (trois ou quatre fois par
an) mais nous nous écrivons, nous nous téléphonons,
Elles se confient
beaucoup à moi. Des liens privilégiés aussi avec le fils d’une de mes autres
filles que j’ai souvent pris à la maison le mercredi pendant plusieurs
années : nous avions des rites, des moments de confidence. Aujourd’hui, il
a 20 ans et nous nous voyons rarement. Mais il arrive que nous nous envoyions
des mails plusieurs fois de suite pendant une soirée, messages très brefs, mais
pas anodins, et qui me touchent beaucoup.
Et je fréquente assidûment Guignol avec mes
deux derniers petits-enfants (2 et 4 ans) qui habitent dans la banlieue
bordelaise. J’ai 8 petits enfants en tout, mais je ne vois que rarement les 3
garçons de mon fils.
Dans
l’écriture, je ne parle pas de mes enfants, je ne m’en sens pas le droit ou je
n’en ai pas envie, ou les deux. Comme je n’écris que des textes
autobiographiques, je ne veux pas parler à leur place.
Mais il fut un temps, lorsqu’ils étaient
enfants, où j’écrivais des textes qui les mettaient en scène, chacun à leur
tour, des textes courts, sur la vie quotidienne (une promenade, la visite du
médecin, les découvertes liées aux saisons… ) que je
leur lisais ensuite. Je les avais envoyés à Casterman, qui les avait aimés…
mais qui ne les a pas publiés. Dommage, ils étaient tout à fait originaux.
Mon après vie sur
terre ? J’imagine que je continuerai à vivre en eux, tout comme ma
grand-mère paternelle reste toujours très vivante, ou d’autres personnes que
j’ai beaucoup aimées.
Cela dit, aujourd’hui, en ce qui me concerne, je pense qu’il n’y a aucune vie après
la mort.
La « foi » en Dieu a fait
partie des choses qui m’ont empêchée de vivre et elle s’est évanouie dans la
plus parfaite indifférence à mesure que grandissait mon amour de la vie (c’est
là le sens du titre Dieu ou la vie).
Cela dit, je crois dans
les gens, terriblement, et cette foi- là, rien ne peut me l’enlever.
II
Cambronne-
Desvignes Chantal(2009), Le
rêve dans tous ses états : aperçu, témoignage, perspectives
Suivi
d’échanges avec Henri Charcosset, webmestre
Janvier 2009
Tout le monde rêve, même
les personnes qui disent qu’elles ne rêvent pas. Les lignes qui suivent ne
prétendent pas être un traité sur le Rêve, simplement quelques réflexions sur
cette activité humaine, nourrie par l’expérience personnelle et quelques
lectures.
Comme tous les mammifères
supérieurs, nous rêvons pendant notre sommeil, mais nous rêvons aussi les yeux
grands ouverts, quand nous sommes bien réveillés, et ce jusqu’à la fin de notre
vie.
Les
rêves de la nuit.
Les rêves de la nuit ne
sont pas une construction — la construction vient plus tard, lors de l’interprétation du
rêve — mais une succession d’images, non reliées entre elles.
Dans les civilisations
anciennes, on attachait une grande importance aux rêves des personnages
importants, et ces rêves ne pouvaient être interprétés que par des
spécialistes, des prêtres, des devins.
Plus récemment, les
psychanalystes ont cherché à décrypter le sens des rêves de leurs patients. Les
poètes surréalistes aussi ont accordé une grande importance aux rêves comme
manifestations de l’inconscient, allant jusqu’à inventer des rêves ou des jeux
permettant une expression spontanée
(l’écriture
automatique par exemple).
Aujourd’hui le rêve n’est
plus seulement le domaine des spécialistes et chacun peut, à sa guise, interpréter
ses propres rêves, y voir, selon les cas, un avertissement (rêves
prémonitoires) un reflet des préoccupations du moment, un moyen d’évacuer des souvenirs
douloureux ou traumatisants.
Le rêve apparaît
dans ce temps du sommeil qu’on appelle le sommeil paradoxal. C’est un temps
court, qui précède le réveil.
Certaines personnes
disent qu’elles ne se souviennent pas de leurs rêves et peuvent en ressentir
une frustration. Qu’elles ne s’inquiètent pas : il leur reste tant
d’autres rêves possibles !
Les
rêves du jour.
Nous en faisons tous, de
notre naissance à notre mort, cela fait partie de la nature humaine.
Il y a plusieurs sortes
de rêves :
n les
rêves qui sont universels, qu’on
retrouve dans toutes les civilisations
et à toutes les époques : rêve d’immortalité, rêve d’un bel avenir
pour les enfants, rêve de réussite, de gloire, d’amour…
n les
rêves liés à une époque, à un
groupe : aujourd’hui, rêve d’une planète propre, d’un monde qui ne
soit plus régi par la Bourse, l’argent…
n les rêves personnels. Certains de ces rêves
n’ont que l’apparence de rêves personnels. C’est particulièrement net
aujourd’hui, où des rêves clef en mains nous sont imposés de l’extérieur par la
publicité, les médias (la minceur, la plage sous les palmiers dans une île
paradisiaque)
Souvent ces rêves ne sont
que des visions vagues, évanescentes. Mais, à côté de ces rêves-là, il y a
les désirs profonds et il
arrive que ces rêves-là se
concrétisent, deviennent
réalité.
Comment ce passage est-il
possible ?
-
en
donnant des contours précis au rêve, en s’informant sur les moyens de le réaliser (temps, financement,
aides possibles…)
-
en
se donnant une formation, en se faisant aider par des personnes compétentes, ou
ayant suivi le même chemin
-
en
cessant de se cramponner à une image idyllique (le médecin soigne plus souvent des angines que des
maladies rares, le grand amour ne se vit pas
perpétuellement dans l’extase d’une harmonie parfaite…)
-
en
faisant preuve de patience, de persévérance (on peut en ce moment penser à Françoise
Dolto par exemple) en se donnant du mal (aucun rêve ne tombe tout fait du ciel,
même les plus humbles) en acceptant de marcher à son rythme, étape par étape
-
en
ne se laissant pas décourager, impressionner par des avis contraires (c’est trop dur pour toi, tu
n’auras pas la force, …)
Dans ce chemin vers la
réalisation d’un de ces désirs profonds, il n’y a pas que des épines.
Lorsque la motivation est
là, on se découvre des dons qu’on
ne pensait pas avoir (ainsi le timide va avoir des audaces folles, l’apprenti
comédien, qui se croyait incapable de retenir trois phrases, récite des
tirades entières…)
On peut aussi réutiliser,
réinvestir dans le domaine choisi, des
compétences acquises ailleurs, à un autre moment (le sens de
l’organisation, la capacité à faire face à une situation inattendue par
exemple, une certaine culture)
Et surtout on peut
éprouver du plaisir dès
le début, même au sein des difficultés, puis au fur à mesure des progrès.
Conclusion :
le rêve et la vie, la vie et le rêve.
Il n’y a pas de vie qui
ne soit née d’un rêve. Je pense à tous ces rêves qu’on dit utopiques, mais qui, même réalisés
seulement partiellement, ont permis à l’humanité de progresser :
rêves de guérir des maladies, de voler, de communiquer à des milliers de
kilomètres de distance, de créer des protections sociales, de faire travailler
ensemble des ennemis…
Et puis il y a
aussi les rêves pour le
plaisir, qui ne demandent pas vraiment à être réalisés. Ces
rêves-là nous sont offerts quotidiennement par des livres, des films, un défilé
de mode, un spectacle de rue, une chanson, un beau paysage, les richesses des
musées, parfois une simple conversation. On peut dire que, sans cesse, le rêve nourrit la vie, et que la vie nourrit
le rêve.
L’un ne va pas sans l’autre,
et c’est bien ainsi.
Chantal Cambronne,
novembre 2008
Questions de
Henri Charcosset (webmestre). Réponses de Chantal Cambronne.
H.C : Sous
le terme général de « Rêves », tu parais rassembler un certain nombre de
termes : rêve, rêverie, rêvasserie, fantasmes,et
tu dois pouvoir en rajouter. Dans le fond, on passerait sa vie à rêver ? Y
compris et surtout peut-être quand on pense ne pas le faire ? Quels termes
opposerais-tu à rêve ?
Ch.C :
C’est difficile de répondre à cette question. Ce qui me plaît dans ce mot de «
rêves » c’est justement qu’il est très riche, qu’on ne peut s’en tenir à
une seule de ses significations, ne l’explorer que par un de ses aspects. Le
rêve n’est pas un domaine réservé aux astrologues, aux psychanalystes ou aux
poètes… Nous rêvons tous, d’une façon ou d’une autre. Et même, je n’hésite pas
à dire que ceux qui pensent être « réalistes » « pragmatistes » sont
aussi des rêveurs. Ainsi, au moment où se dessinent de très importantes
migrations, penser et décider que l’on va pouvoir « choisir » parmi les
migrants à accueillir est, à mon avis, non seulement une atteinte à la
libre circulation des hommes, mais un rêve complètement opposé à ce que sera la
réalité de demain. Inversement, comme je l’ai déjà dit, toute avancée réelle de
l’humanité vers plus de justice, de paix, d’harmonie, a toujours été précédée
et accompagnée de grands rêves.
Je renonce à donner des
mots qui s’opposeraient à « rêve » : ils sont trop nombreux, chacun
d’eux ne correspondant qu’à un des sens de ce mot.
H.C. :
Peux-tu nous parler de tes rêves nocturnes, pendant le sommeil ? Tes
premiers souvenirs remontent à quelle période de ta vie ? Comment la
teneur de tes rêves a-t-elle évolué depuis lors et jusqu’à présent ?
Moi-même je ne me suis
jamais bien souvenu de mes rêves de la nuit. Mais ce souvenir est devenu
récemment plus net. Il s’agit le plus souvent, dans un rapport très
approximatif à la réalité du moment, de faits ponctuels de ma vie
professionnelle au CNRS (arrêtée en 1989) influencée par mon handicap physique.
Tes difficultés de
relation avec tes élèves ( cf Le Chahut) se manifestent-elles encore dans tes
rêves ?
Ch.C J’ai
toujours beaucoup rêvé. Dans mon enfance je rêvais souvent que je m’envolais.
Ou plus exactement je nageais dans l’espace à peut-être un mètre du sol, et
j’avais une formidable impression de liberté. Il paraît que ce genre de rêve
peut s’interpréter comme un désir de l’enfant de grandir, d’être autonome. Ce
qui m’amuse, c’est que, aujourd’hui encore, je rêve que je m’envole, mais cette
fois, je suis reliée à un avion par une corde, je vole au-dessus des maisons,
et j’éprouve une légère angoisse devant la précarité de ma situation, puisque
je peux lâcher prise d’une seconde à l’autre. Mes rêves, d’une façon générale,
ont évolué au cours de ma vie. Ainsi, les premières années après mon divorce je
rêvais que j’étais revenue vers mon mari, et c’était épouvantable parce que je
ne voyais pas comment je pourrais à nouveau le quitter. Bien sûr, il m’arrive
encore, et même très souvent de rêver de l’école. Parfois les élèves ne veulent
pas entrer dans la classe ou s’en vont tous les uns après les autres. Le plus
souvent, en lien sans doute avec le fait que je suis en retraite, je rêve
plutôt que je n’ai pas donné de devoirs alors que la fin du trimestre approche,
ou encore que je ne sais plus dans quelle salle je
dois faire cours.
En tout cas, ce n’est jamais vraiment ma
réalité (l’absence d’autorité) mais toujours des situations que je n’ai
jamais vécues. Ce qui reste c’est sans doute, au fond de moi, quelque chose de
l’angoisse éprouvée chaque matin pendant des années.
Il me semble que le rêve
a forcément un rapport avec le vécu, ce dont tu fais l’expérience toi aussi.
H.C.
Si l’on prend maintenant le mot rêve à son sens général, à quoi
rêves-tu ? Que souhaites-tu de mieux pour toi, pour la période
qui va te conduire jusqu’à la fin de ta vie ? Moi- même, j’avoue
être un peu obnubilé par l’idée de pouvoir, savoir bien mourir, être un petit
peu leçon de vie jusqu’au bout, mourir vivant en somme (je n’en suis pas, par
contre, à une décennie près de durée de vie.) Il m’arrive de m’imaginer mourir,
un ordinateur portable à commande vocale en mains, pour modestement continuer à
communiquer de ci de là… et pourquoi pas, entre autres, avec toi, vu que les
femmes ont une espérance de vie supérieure.
Ch.C Aujourd’hui j’ai
des rêves à la fois énormes et modestes. Moi aussi je veux mourir vivante,
c’est à dire jusqu’au bout m’enthousiasmer, rire et pleurer, vibrer, aimer,
échanger, continuer à faire du théâtre. J’aimerais aussi, bien sûr, garder
toute ma tête, ne pas avoir trop de problèmes de santé. Mais malgré tout, même
ces handicaps qui surviennent en fin de vie, je n’en ai pas trop peur,
peut-être parce que j’ai vu plusieurs de mes proches, ma mère, deux de mes
tantes, fort bien s’adapter à leurs petites misères physiques (incontinence,
déplacements réduits, dépendance) et vivre encore des moments heureux.
Ainsi ma mère est tombée amoureuse à 90 ans et
elle parlait de son amoureux comme une jeune fille de 18 ans (quelle robe je
dois mettre pour lui plaire ?…. il vient s’asseoir à côté de moi à tel atelier, tu sais, il
a beaucoup d’allure… je crois que je lui plais moi aussi). Une de mes amies aussi
qui a 95 ans, quasi aveugle, garde toujours la passion de la vie. Alors,
pourquoi pas moi ?
III
Cambronne-Desvignes Chantal(2011), Histoires
d’amour ; I. L’oncle Alphonse
Janvier 2011
Introduction, par Henri Charcosset
Avec
Chantal Cambronne-Desvignes, nous avons le lien particulier d’être conscrite,
conscrit, née, nés en 1936. Chantal s’est présentée, il y a un peu plus de deux
ans, sur ce site, au travers de l’article :
Cambronne-Desvignes Chantal(2008), 72
ans : c’est tout ce que j’ai vécu qui a fait « une belle fille comme moi » ( I
dans La liste de ses articles)
Dans
cet article-ci, Chantal amorce une série d’Histoires d’amour. Avec L’oncle
Alphonse, on remonte à l’époque de l’enfance jusqu’à la fin de
l’adolescence de Chantal, en milieu de la petite
bourgeoisie (même de la bourgeoisie tout court, si je
prends en comparaison mon propre milieu originel, celui de la petite
paysannerie).
On
ne manquera pas de réfléchir sur le fait, bien mis en évidence dans
le récit qui suit, toujours utile, HC.
Texte de Chantal
Cambronne-Desvignes
Chez ma grand-mère,
durant toute mon, de toute enfance, qu’en
guère plus de cinquante ans, nos modes d’initiation et de faire vivre la
relation d’amour ont considérablement changé. Trop, et surtout trop
vite ?
Savoir
en référer, quand on pense la vie, sa vie, au passé.
Le Jour de l’An
se déroulait selon un rite immuable.
Nous, les Desvignes, arrivions toujours
les premiers. Après voir abandonné nos
manteaux dans le bureau, et laissé notre mère filer au salon, nous, les quatre
enfants, campions dans le vestibule pour accueillir les
innombrables oncles et tantes, cousins et cousines qui ne cessaient
d’arriver, et d’accompagner de baisers sonores et de rires, la
formule obligatoire :
« Bonne Année, Bonne
Santé. »
Quand tout le monde était
là, on passait à la salle à manger où trônaient déjà les affreux pots de
terre contenant les inévitables nouilles aux champignons qui constituaient
l’entrée.
Nous, les enfants,
une bonne douzaine à peu près du même âge, étions relégués tout au bout de
l’immense table. Ce qui n’était pas pour nous déplaire.
Nous savions bien
en en effet que, ce jour- là, les grandes personnes seraient bien trop
occupées à discuter pour faire attention à nous.
Et ce n’est pas par
hasard si je ne me souviens absolument plus des plats qui succédaient
à ces fameuses nouilles. En fait, nous attendions le moment favorable pour
demander si nous pouvions « sortir de table ».
C’était alors la ruée
vers le premier étage que nous pouvions occuper entièrement sans
que personne ne se soucie de ce que nous pouvions briquer. Les
occupations tranquilles du début de l’après-midi : jeux de carte,
nain jaune, canasta étaient interrompues par la grande assemblée autour de
ma grand-mère dans le salon Louis XVI, pièce interdite le reste de l’année.
Chaque petit enfant
disait un compliment ou un petit poème, ou encore, tout ému,
chevrotait une chanson avant de recevoir, des mains de ma grand-mère, son
cadeau.
Ma mère, elle, avait à
cœur de nous faire présenter un vrai petit spectacle, le plus souvent une
chanson jouée, mimée, avec costumes et accessoires et répétée tous
les soirs pendant au moins une semaine.
Nous étions de
loin, les meilleurs, c’est ce qu’elle nous répétait longtemps encore
après notre prestation. J’avoue que j’avais horreur de m’exhiber
ainsi devant la famille au grand complet.
Mais la
solidarité familiale l’emportait et je tenais vaillamment, quoique
rougissante et morte de honte, le rôle de la belle dame qui
guette, du haut de sa tour, le retour de Malborough, celui de la
jeune fille de bonne famille avec ses « nattes dans le dos » ou
encore celui de la fille du roi à sa fenêtre se moquant du « joli
tambour s’en revenant de guerre »
Heureusement, sitôt la
cérémonie terminée, nous repartions bien vite au premier.
L’excitation était alors à son comble, et, inévitablement, nous décidions
de jouer à « minuit- sonnant ». Pendant que l’un de nous comptait jusqu’à
cent, tous les autres se cachaient, qui sous un lit, qui derrière une porte,
qui sous un fauteuil ou une table.
Le « cent » était dit
bien fort par celui teignant en même temps la lumière. Il cherchait alors
à tâtons, palpait des formes dans le noir, se cognait aux meubles.
On entendait des rires
étouffés, des soupirs, jusqu’au cri final : « C’est toi Jacqueline, ou
Dominique, ou Michel ».
Et, naturellement celui
qui était pris devait coller à son tour. C’était follement amusant.
C’était au plus fort de
ce jeu que la voix de ma mère nous appelait :
« Les enfants,
nous partons chez l’Oncle Alphonse. » Nous avions beau réclamer une dernière
partie, ma mère était inflexible et il ne nous restait pas d’autre
choix que de récupérer nos manteaux et d’embrasser cousins et
cousines.
Après, je retrouve tout
de suite l’impression première à l’arrivée chez l’oncle Alphonse. Il
y avait un long couloir mal éclairé qui menait à un salon vieillot,
encombré de meubles, de bibelots, de tableaux. Quelle différence avec la
maison de ma grand-mère, les lustres, les meubles cossus, le coquet salon Louis
XVI. Quel silence après tant
de cris, d’excitation heureuse, de rires.
Ici tout était
pauvre et triste, silencieux, rien n’accrochait mon regard.
L’Oncle se
penchait pour nous embrasser et, de sa voix douce, nous posait les
questions rituelles sur l’école, les vacances, Noël.
Autant cet homme mince,
aux traits fins et d’une rare distinction m’impressionnait, autant je
n’éprouvais guère de sympathie pour sa femme, que nous appelions Tante
Jeanne.
Elle avait une voix rauque,-aux
accents de titi parisien, et, peut-être à cause de cela, ou
de l’accroche- cœur bien plaqué sur son front, je la trouvais
vulgaire.
Et puis, très vite, il y
avait la minute magique où l’Oncle ouvrait en grand les portes de la
bibliothèque et nous invitait à choisir chacun notre lecture.
Alors tout était oublié,
le couloir triste, les meubles fatigués, les questions redoutées à propos
de l’école.
Alors qu’à la maison,
nous nous disputions sans cesse, je n’ai pas le souvenir du moindre
conflit ces soirs- là. Chacun de nous se précipitait sur le livre de son
choix et il y en avait pour tous les goûts, entre le sapeur
Camembert, le savant Cosinus, la famille Fenouillard, les albums de
Bécassine, Zig et Puce…
Je connaissais
tous ces livres par cœur, mais, comme je ne les lisais que là,
l’enchantement était toujours le même. Et, tout le temps que durait
la visite,
je ne percevais que très vaguement le murmure de la conversation des
adultes, complètement absorbée que j’étais par ma lecture.
Pour finir, alors que
nous nous étions fait tirer l’oreille pour quitter la grande maison de ma
grand -mère, si pleine de rires, et d’agitation, nous n’avions maintenant plus
envie de repartir.
Une autre fois au cours
de l’année, nous retournions voir l’Oncle Alphonse et la tante Jeanne. C’était
le 14 juillet. Le salon donnait sur la place d’où était tiré le feu
d’artifice et ils nous proposaient de venir le regarder avec eux.
En attendant
que l’obscurité se fasse, nous nous replongions dans nos
lectures favorites. Et, dès le sifflement de la première fusée, nous
nous précipitions tous à la fenêtre. Comme nous étions au premier étage,
nous ne pouvions pas voir ce qu’on appelait « les fontaines » mais
le plaisir était quand même total. Dans la tiédeur de l’été, avec
ces étincelles magiques de toutes les couleurs, l’appartement perdait
sa tristesse.
Et puis, c’était l’époque
des grandes vacances et il n’était question ni d’école ni de
résultats scolaires. Tout était donc merveilleux.
Je serais incapable de
dire au juste à quel moment ont disparu en même temps les festivités
rituelles chez ma grand-mère et la visite obligée à l’Oncle Alphonse.
Je devais avoir
18 ans lorsque ma mère m’a proposé, un jour, tout à fait en
dehors des anciennes dates rituelles, une visite à l’Oncle Alphonse. Comme
les occasions d’être seule avec elle étaient rares, j’ai sauté sur
l’occasion.
En chemin, elle m’a
raconté ce qui la liait à l’Oncle Alphonse. C’était grâce à lui qu’elle
avait rencontré mon père. Vincennes à l’époque était une petite ville
de banlieue et beaucoup de gens se connaissaient.
Donc ma grand-mère
rencontrait de temps à autre l’oncle Alphonse et ils se donnaient
mutuellement des nouvelles de leur famille. Ma grand-mère avait parlé
de ma mère qui n’était pas encore mariée et l’oncle Alphonse avait dit que
son neveu, qui avait terminé ses études d’ingénieur, et fait
son service militaire, cherchait justement à se marier lui aussi.
Les deux familles appartenaient à
des mondes différents : dans la famille de ma grand-mère on était « dans
les affaires » et ma grand-mère, quoique veuve, avait des revenus
confortables et menait, dans sa grande maison, un certain train de
vie. L’Oncle Alphonse, lui, était ce qu’on appellerait aujourd’hui, un
artisan d’art et n’était manifestement pas riche.
Son neveu avait perdu son père, ciseleur comme
lui, mort de la tuberculose en 1915, et sa mère n’était qu’une
modeste employée de banque.
Mais mon père était
ingénieur, donc « promis à un brillant avenir » et le charme et la
distinction de l’Oncle Alphonse avait fait le reste. Comme ma
grand-mère paternelle était veuve, ’était lui d’ailleurs qui était
venu faire la demande en mariage officielle, avec ses « gants
beurre frais ». Bien que la rencontre se soit faite « sur présentation »
comme on disait à l’époque, mes parents ont vécu un amour fou qui a
duré sept ans, jusqu’à la mort brutale « pour la France » de mon
père, au cours d’un bombardement par les Allemands en juin 1940.
Ma mère donc vouait à
l’Oncle Alphonse une reconnaissance éternelle. C’était par lui que le bonheur
était entré dans sa vie. Elle l’appréciait aussi pour ce qu’il était,
pour son extrême gentillesse, son raffinement, et sans doute aussi pour la
sincère affection qu’il lui portait.
Quand nous avons sonné,
c’est la tante Jeanne qui nous a ouvert. Elle était très inquiète : «
Il est sorti il y a un moment, il ne devrait pas tarder à rentrer.» , puis, un peu plus tard, elle a commencé
à s’impatienter « Je suis sûre qu’il est encore en train de parler
avec cette femme…Je vois bien, elle lui court après… » Sa voix
était pleine de sous-entendus. C’était celle d’une femme qui craint
d’être trompée, partagée entre inquiétude et rancœur. Je n’en revenais
pas qu’elle puisse, à son âge, être jalouse, alors qu’il ne
s’agissait sans doute que d’une banale conversation de voisinage.
Pour faire diversion,
nous avons épuisé tous les sujets possibles de conversation:
sa santé, le temps, mes études,
Et l’oncle
Alphonse, heureusement, est enfin arrivé. Cet homme si poli, si empressé
d’habitude nous a à peine dit bonjour et s’est aussitôt assis à côté
de sa femme sur le petit canapé, avant même d’’enlever son manteau.
Il lui a pris la main, avec douceur et l’a regardée avec une infinie
tendresse. « Comment vas-tu, ma chérie ? Tu te sens bien ? Tu as besoin de quelque chose
? C’est bien simple, il ne voyait qu’elle, et rien n’était plus
important que d’être près d’elle, de la rassurer, de l’entourer.
Et nous,
nous n’existions plus. Cette scène n’a sans doute pas duré plus
de quelques minutes, Mais j’ai eu l’impression que le temps
était suspendu.
Rien d’autre n’existait
que la fine et haute silhouette de cet homme penché sur la femme
aimée.
Puis le monde s’est remis
en mouvement, l’Oncle nous a vues, nous a parlé comme il le faisait
habituellement, de sa voix douce qui allait si bien avec ses
yeux très clairs, cet appartement silencieux, ces meubles anciens aux
couleurs passées,
A l’époque, je n’avais
aucune expérience de l’amour. Je sortais de longues années d’enfermement et je
ne connaissais, par procuration, que les petits flirts de vacances de
mes camarades les plus émancipées. Bien sûr mon imagination galopait.
L’amour pour
moi c’était des mots doux chuchotés à mon oreille sur un balcon,
des déclarations enflammées, de longs baisers comme au cinéma, la
belle robe blanche de mariée, et, pour finir, une romantique
promenade en gondole à Venise. Ma mère avait eu beau me raconter
par le menu sa vie conjugale, sans aucune fioriture, j’en restais à une
vision de conte de fées.
Et voilà qu’une toute
autre réalité m’apparaissait tout à coup. Et j’étais bouleversée au
plus profond par ces gestes tout simples, par la tendresse exprimée par ce
vieil homme fragile, par la jalousie de cette femme sans grâce qui voulait
plaire encore à son mari, avec cet accroche-cœur que je trouvais si
ridicule quelques minutes auparavant et qui, maintenant,
m’attendrissait.
Point besoin
d’une baguette magique pour transformer cet appartement vétuste et
mal éclairé en palais.
L’amour, le grand amour
pouvait traverser le temps, se dire et se vivre jusqu’au bout du chemin.
C’était un amour comme celui-là que je voulais, et il était possible
puisque ces deux- là se regardaient encore comme deux jeunes gens à
plus de 80 ans.
Tout le long du trajet du
retour, je n’ai pu parler que de ce que je venais de voir. Et, comme je
gardais malgré tout plus d’admiration pour l’Oncle Alphonse, je dis à ma
mère que j’avais l’impression que c’était lui surtout qui était resté très
amoureux.
Alors ma mère m’a
rapporté le récit que lui avait fait la tante Jeanne lors d’un court
séjour à l’hôpital.
— Ce n’était pas
trop dur ? disait ma mère, vous n’avez pas eu peur avant l’opération ?
— Oh non, j’étais
tranquille, puisque j’étais avec mon mari.
Je n’ai revu ni l’Oncle
Alphonse ni la tante Jeanne.
C’est la
tante Jeanne qui est partie en premier. L’Oncle est resté à côté
d’elle toute la nuit, lui tenant la main entre les siennes, jusqu’à
ce qu’on vienne l’emporter. J’imagine qu’il lui parlait encore,
qu’il voulait encore l’accompagner dans le commencement de son
dernier sommeil.
Quelques mois après l’Oncle
Alphonse est parti à son tour, veillé par sa fille unique.
Toute la famille de mon
père s’est éteinte.
Mais la voix de
l’Oncle Alphonse, elle, est toujours là, douce et tranquille. Il
ne l’a jamais su, mais il a toujours représenté pour moi l’amour idéal, celui dont
ne parlent ni les films ni les romans, mais dont j’ai été, moi, témoin.
IV
Cambronne-Desvignes Chantal
(2011, Histoires d’amour.
II. Le fils du Sultan, et Ma petite Chantal
Mars
2011
LE FILS DU SULTAN
J’ai 10 ans et je suis
amoureuse du fils du Sultan. Je l’ai vu chez Bonne Maman et depuis il occupe
toute ma pensée. Je le revois, assis sur un de ces grands fauteuils du salon,
un peu à l’écart du reste de la famille. Sa mère, Marie-Thérèse
de Barochez — le nom me fascine — une belle grande femme, alimente
avec aisance la conversation. J’aime beaucoup sa voix. A côté d’elle, il y a sa
fille Colette, encore célibataire à plus de 30 ans. Je me demande bien
pourquoi, parce qu’elle est vivante, chaleureuse, et que je la trouve très
sympathique. Il y a aussi le père, mais je n’en ai qu’un pâle souvenir. Bonne
Maman est heureuse, elle adore les réceptions, avoir plein de monde autour
d’elle.
Comment
se fait-il que je sois autorisée à rester là ? C’est sans doute qu’il n’y
a aucun autre des petits enfants, et que ma présence ne gêne personne. Je suis
là dans mon petit coin. Tant mieux parce que je peux le regarder, Lui, et je ne
le quitte pas une seconde des yeux.
Je
contemple l’ovale parfait de son visage, son teint mat, ses grands yeux noirs.
Comme il est beau ! Comme j’aime son air sérieux et mélancolique ! Il
ressemble au Fils du Sultan de mon livre de Contes des Mille et une nuits.
Je l’imagine avec son turban, tournant de sa
belle main fine la petite boule cachée sous la crinière du cheval enchanté, qui
s’élève aussitôt dans le ciel.
Et
moi, je suis assise derrière lui sur la selle et j’entoure sa taille de mes
bras. Le cheval nous emporte dans les jardins de son palais, et il m’offre un
de ces fruits rares qu’il a cueilli pour moi. Il
tombe à mes pieds et embrasse mes mains tandis que la fontaine chante doucement
et que des oiseaux de toutes les couleurs volent dans les magnifiques cages
dorées.
Je
n’entends plus les conversations, j’oublie tout ce qui m’entoure. Je ne vois
que lui.
Est-ce
que j’ai entendu le son de sa voix ? Est-ce qu’il m’a embrassée, au moment
du départ, d’un baiser distrait comme le font les grandes personnes ?
Est-ce qu’il m’a seulement vue ? Je ne sais pas. Après, quand tout le
monde est parti, j’essaie d’apprendre des choses sur lui, mais la moisson est
maigre.
Il
s’appelle Yves, il est l’aîné de la famille, et il a 28 ans. Une chose est sûre
en tout cas, il n’a pas de fiancée. Ce qui me permet de rêver. J’ajoute des
épisodes à l’histoire, j’imagine des promenades avec lui, dans les jardins
somptueux de Bagdad, le parfum des fleurs, les belles esclaves nous éventant
pendant que nous reposons sur un divan garni de doux coussins.
A
chaque fois que je vais chez Bonne Maman, je ne peux m’empêcher d’espérer qu’il
viendra. Je l’attends ainsi pendant des semaines, des mois, peut-être des années,
je ne sais plus et un jour, enfin, le Fils du Sultan est là de nouveau
avec ses parents.
Mais il n’est pas seul. Et je comprends qu’il
est venu présenter sa fiancée à Bonne Maman.
Elle, la jeune fille, je ne la regarde même
pas, je ne veux pas savoir qui elle est, et même cela m’est complètement égal.
Mais lui, je sais que je l’ai perdu pour toujours. Comment ai-je pu me raconter
que je saurais l’attendre, qu’un jour, forcément, il me verrait, quand je
serais devenue une jolie jeune fille ? Là je suis en face de la vérité
toute nue. Pour ce ténébreux jeune homme, je ne suis, je n’ai jamais été qu‘une
gamine vers laquelle il faut se plier en deux pour effleurer sa joue d’un
baiser indifférent.
L’histoire
était donc terminée. Et, autant que je me souvienne, je n’ai pas été vraiment
triste. Seulement un peu vexée peut-être d’avoir tellement laissé courir
mon imagination dans le vide. Mais bon, ce n’était pas si grave après tout.
Et
aujourd’hui, eh bien je suis contente d’avoir été une petite fille capable de
s’inventer toute une histoire d’amour comme dans les Contes tant de fois lus et
relus, et nourrissant mes jours et mes nuits d’enfant sage.
MA PETITE CHANTAL
L’Oncle Maurice est
affectueux, trop affectueux pour mon goût. Je n’aime pas la façon dont il
accourt vers moi dès qu’il me voit, dont il m’embrasse. Ça ne me plaît pas du
tout. Je ne sais pas quoi faire ni quoi dire, et j’ai même un peu peur.
Il
est vrai que je suis très prévenue contre les méchants messieurs qui vous
attirent dans les coins pour vous faire de vilaines choses. Et si l’Oncle
Maurice était de ces messieurs- là ? Je n’ose pas m’ouvrir de ce souci à
ma mère.
Je préfère garder mes réflexions pour moi,
mais je me tiens sur mes gardes.
Bien
sûr, comme toutes les petites filles, je grandis. Jeune fille, je ne revois
l’Oncle Maurice que très rarement, et une seule fois m’a vraiment marquée.
C’est juste à ma sortie de pension. Il m’emmène, avec sa femme, tante Jeanne, à
un rallye organisé par le Rotary Club. Evidemment je n’ai pas la moindre idée
de ce que peut être ce Rotary.
Je comprends vaguement que c’est quelque chose
de très chic, qu’il faut en faire partie, mais c’est tout. Il y a plein de
voitures, plein de monde. Je suis affreusement intimidée au milieu de tous ces
gens qui sont très à l’aise. Et je suis soulagée quand il faut rejoindre la
voiture parce que le rallye commence. Je comprends qu’il y a un parcours à
suivre, qu’il faut s’arrêter, à des endroits précis, pour répondre à une
question compliquée, toujours complètement incompréhensible pour moi.
Mon
oncle et ma tante semblent bien s’amuser. Moi je me trouve un peu bête de ne
trouver aucune réponse, et j’attends que le temps passe. A la fin, il y a, je
crois vaguement me rappeler, la remise des prix, des applaudissements, sans
doute d’autres réjouissances dont je n’ai pas gardé le moindre souvenir.
Quelques
années plus tard, je me marie, je pars en province et perds de vue ma famille
parisienne, et donc l’Oncle Maurice.
Je
suis divorcée depuis longtemps et mes enfants sont déjà grands quand il se
trouve qu’une des sœurs de ma mère, tante Suzanne, prend sa retraite à
Bordeaux. A mon grand étonnement, car nous avons très peu de points communs, je
m’entends fort bien avec elle, je peux même dire que je la découvre...
Un
soir donc, elle m’invite à dîner : Oncle Maurice et tante Jeanne sont de
passage à Bordeaux, ils seraient très contents de me voir.
Je ne suis pas enchantée, mais je ne vois
aucune raison de refuser ce plaisir à ma tante que je sais très attachée à la
famille.
La
première personne que je vois en arrivant dans le salon, c’est l’Oncle Maurice.
Manifestement en grande conversation quand je suis entrée, je le vois se
tourner vers moi. Et aussitôt son visage s’illumine : « ma petite Chantal.
» Il a l’air si heureux, si heureux ! Comment ai-je pu avoir sur lui ces
horribles soupçons ! Il m’aime, cet homme, tout simplement. Et il m’a
toujours aimée, d’une façon inconditionnelle, imméritée si je puis dire puisque
je ne lui ai jamais dit trois mots.
Je
suis profondément émue. L’Oncle Maurice est un vieil homme, j’ai passé le cap
de la quarantaine depuis un moment, mais rien n’a changé et je suis toujours
pour lui la petite Chantal.
Aucun
souvenir du reste de la soirée, il n’y a que ce sourire éblouissant, ce regain
de jeunesse sur le visage de ce vieil homme, cette joie pure de quelqu’un qui
n’a rien à cacher.
Longtemps,
ensuite, je me pose des questions. Pourquoi ?
Pourquoi ai-je toujours été la préférée, moi, au
milieu d’une nuée de petites cousines, si jolies et si bien habillées, moi,
toute petite et sans grâce avec mes rubans roses qui ne tiennent pas, ma
raideur, mon incapacité à parler devant des adultes.
Et
puis je me dis que c’est peut-être cela justement qu’il aime, qu’il a toujours
aimé. Je ne ressemble pas aux jeunes filles et aux dames du Rotary, je ne suis
pas mondaine comme ma tante. Il y a sans doute en moi quelque chose de naturel
qui le touche, qui l’émeut. Et puis il n’y a peut-être rien. Je suis la petite
Chantal c’est tout.
Je
repense à cette journée au Rotary il y a bien longtemps.
Pourquoi
m’a-t-il emmenée ? Pourquoi moi ? Je sais maintenant — ce que
j’ignorais bien sûr en sortant de ma pension— que, dans ces clubs très fermés
de la haute société, les rallyes, les soirées dansantes sont prétextes à faire
se rencontrer jeunes gens et jeunes filles du même milieu, pour favoriser des
unions assorties, entre soi. Espérait-il me caser ? S’est-il ce jour- là
rendu compte que, non, je n’avais décidément pas le profil de la « débutante »
? L’a-t-il regretté ou, au
contraire, s’en est-il senti soulagé ? Je ne le saurai jamais.
Je
repasse aussi dans ma mémoire tout ce que je sais de l’Oncle Maurice : son
mariage pas vraiment heureux mais indestructible, avec la plus brillante et la
plus jolie des sœurs de ma mère. La Tante Jeanne en effet s’avère une
épouse certes décorative mais peu portée sur l’amour. J’ai appris je ne sais
plus comment ni par qui, sa liaison en Allemagne où il a passé quelques mois à
la fin de la guerre en service commandé —il est officier de réserve comme mon
père — sa vie d’homme d’affaires ensuite, efficace, dur, exigeant avec ses
collaborateurs.
Quand
je le rencontre chez ma tante, il n’a pas loin de 90 ans. Incapable de laisser
son fils lui succéder, il travaille toujours, se déplace d’un bout à l’autre de
la France chaque semaine pour rencontrer ses clients. Très élégant, mais sans
tapage, il se tient très droit, parle avec aisance, en homme qui « a réussi ».
Je
repars songeuse.
L’Oncle
Maurice est mort à l’âge de 102 ans. Et il était rentré en maison de retraite
juste quelques mois auparavant, sans que j’aie eu l’occasion de le rencontrer
une dernière fois.
V
Cambronne-Desvignes Chantal
(2011), Histoires d’amour.
III. Grand- mère maternelle et …..Un vrai grand-père
Juillet 2011
INTRODUCTION, par
Henri Charcosset, né en 1936
Selon
la bonne habitude de Chantal, son style est ici très clair. Mais il ne
faudrait pas croire que l’intérêt de ses textes se limite à une façon d’écrire,
claire, concise.
Son
histoire de vie, et la mienne – alors que nous sommes conscrits- diffèrent
tant, qu’on pourrait nous croire avoir été habitants de continents différents,
à des époques différentes.
Chaque histoire de vie est dans une très large mesure unique, et mérite
mise en mémoire, de par ses éléments clé.
Le stockage électronique des données, leur
formidable diffusion grâce à l’Internet, rendent bien plus plausible
qu’auparavant, d’avancer dans cette voie.
TEXTE DE CHANTAL
CAMBRONNE
Rendez-vous manqué….avec ma
grand-mère maternelle
Je n’aimais pas Bonne-Maman,
ma grand-mère maternelle. Elle me faisait peur avec ses gestes brusques, son
baiser sec, sa façon d’arpenter nerveusement son immense salle à manger de long
en large sans aucune raison,
Simplement par impatience, ses remarques
acerbes à Maria, sa bonne ukrainienne. Je n’aimais pas aller chez elle, une
fois par semaine, et quasiment tous les dimanches avec Maman. Quand les cousins
venaient, c’était bien, mais la plupart du temps, nous étions les seuls. Mes
frères jouaient aux petites autos dans le jardin, pendant que moi, sauf les
rares fois où nos inventions quelque bêtise,
je m’ennuyais mortellement.
Quand j’ai appris la mort
de Bonne-Maman, je n’ai pas pleuré, je n’ai même rien ressenti, sinon
peut-être du soulagement.
Et j’avoue que j’ai été
étonnée quand j’ai su que mon frère aîné, lui, avait pleuré en la voyant
sur son lit de mort.
Ce n’est que peu à peu,
que l’image que j’avais gardée d’elle a cessé d’être celle d’une « méchante ».
Je me suis mise à écouter ce que disaient d’elle ma mère, ma sœur, mes tantes.
J’ai reconstitué le puzzle et compris combien j’avais été injuste.
Pour commencer, sa
sécheresse apparente, sa nervosité, pouvaient se comprendre du fait que ma
pauvre grand-mère n’avait pas eu une vie facile. Elle n’en parlait jamais, mais
j’ai su que son père, avait été victime d’une rupture d’anévrisme, ou de
quelque autre grave accident.
Plusieurs versions
circulaient dans la famille, mais elles convergeaient toutes sur l’essentiel
—il avait vécu à l’état de légume, durant six années. Elle avait donc connu une
enfance pas bien drôle avec ce père qu’elle voyait chaque jour cloué sur son
fauteuil, ne faisant que répéter à longueur de journée une unique phrase,
toujours la même. A sa mort, elle avait vécu des années plus insouciantes et
connu la vie d’une jeune fille de la bonne bourgeoisie :
Voyages, sorties au
théâtre, bals costumés.
Mais ce fut finalement
une brève période.
A 21 ans, en effet, elle avait
épousé mon grand-père. Et, durant les vingt années de leur vie commune, elle
avait mis au monde treize enfants. « Sans compter les fausses couches » disait
une de mes tantes.
Ce fut vraiment un
mariage d’amour. Mais, outre le poids des naissances rapprochées, durant ses
années de vie conjugale, elle ne fut pas épargnée par les deuils et les
épreuves. Un de ses enfants, le petit Georges, mourut à l’âge de trois ans. Son
fils aîné, Jean, était sourd muet de naissance, et de santé fragile. Elle eut
aussi le grand chagrin de perdre son frère et sa sœur, morts tous deux
très jeunes de tuberculose. Sa sœur, jeune mariée, laissait une petite fille,
qu’elle éleva pratiquement avec ses autres enfants.
J’ai mis longtemps à le
réaliser, mais à la mort de son mari victime d’un banal accident de
chantier lors de travaux effectués à son
entreprise— Bonne-Maman avait à peine plus de 40 ans. Et elle était
enceinte de sa dernière fille. Elle n’eut sans doute guère de temps pour
pleurer : outre ce bébé qu’elle attendait, et qui eut par la suite de
graves problèmes de santé, il y avait ses autres enfants encore très jeunes,
des garçons un peu plus grands, mais qui lui donnaient bien du mal, n’ayant
plus derrière eux l’autorité du père, la gestion de l’entreprise familiale,
qu’elle avait dû confier à son second fils qui n’avait que 18 ans, et qui avait
donc dû arrêter ses études.
Certes, Bonne-Maman n’a
jamais eu de gros problèmes financiers, ni pendant son mariage ni après. Elle
pouvait entretenir du personnel — femmes de chambre, bonnes, couturière à
domicile— elle avait une grande maison, un jardin avec des arbres
fruitiers, un immense garage qui servait de terrain de jeux à ses enfants, puis
à ses petits- enfants. Ses filles eurent chacune une belle dot et une superbe
robe de mariée, création d’un grand couturier. Mais, au jour le jour, si
la nourriture était excellente et abondante, si les enfants ne manquaient de
rien, il n’y avait aucun luxe : ma grand-mère s’achetait deux robes par
an, toujours très simples et convenant à toutes les circonstances. Il n’était
pas question de vacances, ni de sorties au restaurant, ni de bijoux, ni
d’aucune fantaisie.…
Le personnel était certes
nombreux, mais à l’époque, il n’y avait pas de machine à laver, pas de mixers,
rien de ce qui facilite aujourd’hui la vie des familles. Et puis, c’était tout
de même 10 à 15 personnes autour de la table tous les jours sans compter les
amis des enfants qu’elle gardait souvent à manger, voire à coucher.
Ses journées donc étaient
longues : levée très tôt, elle n’avait jamais le temps de se poser, me
disait ma mère : repas à prévoir, commandes à passer, courses, achat et
entretien des vêtements, gestion de l’économie familiale, organisation des
activités qu’on faisait à l’époque à la maison : cardage des matelas au
printemps, confitures, entretien du jardin, cueillette des fruits, couteaux à
repasser, couturière à faire venir pour les uns ou les autres, essayages…
A table c’était elle qui découpait les rôtis, les volailles, servait et
surveillait son petit monde…
Alors que je la voyais
uniquement comme un gendarme en jupon, élevant ses enfants à la dure, sans leur
donner toute l’affection qu’ils auraient pu attendre, j’apprenais aussi qu’elle
s’était donné beaucoup de mal pour trouver une institutrice pour son aîné qui
puisse lui enseigner le langage des signes, que, dès qu’elle avait appris la
mort de mon père, elle avait traversé toute la France —voyage long et difficile
en cette période d’exode —pour être près de sa fille, qu’elle était très fidèle
dans ses amitiés, qu’elle avait toujours été très généreuse.
Plus tard, à la fin de la
guerre, quand ma mère était tombée gravement malade, elle m’avait prise chez
elle et j’y étais restée plusieurs mois. Je me sentais très seule dans sa
grande maison,
Mais je réalise
aujourd’hui qu’elle avait dû s’en rendre compte car après quelques semaines,
elle avait accueilli aussi ma sœur.
J’ai compris aussi
pourquoi mon frère lui était si attaché. Quand il avait eu sa pleurésie, à
l’âge de 9 ans, pendant des mois, elle était venue le voir presque tous les
jours, jouant avec lui, lui tenant compagnie.
Des images d’elle plus
souriantes me sont aussi revenues, toutes les histoires qu’elle nous
racontait : le souvenir ébloui, mille fois évoqué, de son mariage
place des Vosges où habitaient ses parents, avec un escalier si large qu’« on y
marchait quatre de front », les commerçants qui traversaient la rue pour la
saluer « chapeau bas », son mari qui était « un chaud lapin », l’oeuf décoré par elle quand elle était petite fille, sa
belle robe de marguerite qu’elle avait porté à un bal costumé « puisque je
m’appelle Marguerite, » ses voyages de jeune fille « ma mère avait la bougeotte
et nous sommes allés partout : en Angleterre, en Autriche, en Italie
» jamais je ne l’ai entendue se lamenter sur son sort. Elle préférait évoquer
les bons moments.
Et pourtant, après avoir
élevé sa nombreuse famille, elle s’était retrouvée bien seule à la fin de sa
vie.
Il m’aurait suffi de peu
de choses pour la découvrir, pour l’apprivoiser, pour vivre de bons moments
avec elle, j’en suis sûre aujourd’hui. A l’époque, je n’ai pas su, je n’ai pas
pu. C’est un rendez- vous d’amour manqué, je le regrette.
Mais je peux du moins lui
offrir en hommage ces quelques lignes.
J’ai tout de même eu un vrai grand-père
Lorsque je suis née, mes
deux grands- pères avaient disparu depuis longtemps, l’un emporté par la
tuberculose, l’autre mort dans un accident.
Et j’ai fort
regretté de ne pas les avoir connus. Est-ce pour cela que j’ai toujours plu aux
vieux messieurs ? C’est possible. Sans m’en rendre compte, il se peut que
j’aie toujours cherché à attirer leurs regards.
Ce qui est sûr, c’est que
ma quête, consciente ou inconsciente, n’a pas été vaine. Un jour en effet, au
moment où je ne l’attendais plus, je l’ai rencontré ce grand père de mes rêves
d’enfant. Nous nous sommes adoptés dès notre première rencontre. Père de mon
compagnon d’alors, il avait en réalité l’âge de mes parents, et nous n’étions
séparés que par une génération. Mais je ne l’avais pas connu jeune. Et tout
naturellement il a été mon grand-père, et j’ai été sa petite fille chérie.
En plus, il
s’appelait Alphonse, comme ce grand-oncle que ma mère nous emmenait voir quand
nous étions enfants.
Tout de suite, des rites
se sont créés entre nous. Après le déjeuner, nous faisions ensemble des mots
croisés pendant une bonne heure, rivalisant de rapidité pour vérifier un mot
dans le dictionnaire, riant de nos erreurs ou de nos trouvailles. Souvent il me
racontait ses souvenirs de mer —il avait été cuisinier sur un bateau — ses
histoires de copains. Il riait beaucoup et, comme j’ai moi aussi le rire
facile, nous avions parfois du mal à nous arrêter. Au moment du départ, il me
glissait en douce une bonne part d’un délicieux jambon qu’il avait accommodé
à sa manière.
J’ai compris à quel point
il était attaché à moi lorsqu’il m’a proposé de m’emmener dans sa petite
voiture sans permis à son jeu de boules. Ce jeu de boules c’était son univers à
lui. Personne de sa famille ne l’accompagnait jamais, ni ses enfants, ni même
sa femme, qu’il adorait pourtant.
Nous sommes donc partis
tous les deux, fiers comme tout, lui de piloter sa petite auto, et moi de
l’avoir comme chauffeur pour moi toute seule. Le jeu de boules, une minuscule
trouée dans le bois voisin, ne comportait qu’une seule piste.
Sur le côté, il y avait
juste deux ou trois chaises en métal, une étagère avec quelques bouteilles,
c’est tout.
Mais c’était le royaume
d’Alphonse et il me le faisait découvrir, me présentait à tous ses copains, me
racontait les apéritifs à la fin de l’après-midi, les bons coups des uns et des
autres, les repas au restaurant une fois par an.
Et puis il avait un rôle
dans leur association : c’était lui le trésorier.
Puis nous sommes repartis
tous les deux Alphonse et moi et je l’ai remercié pour ce bon après-midi. Je ne
pouvais pas lui dire — je n’aurais pas su comment le faire — mais c’était
extraordinaire pour moi de voir un homme heureux comme il savait l’être, de
presque rien : quelques heures de liberté, des copains familiers, toujours
présents, quelques verres partagés, une tape familière dans le dos, une
plaisanterie.
Nous n’avons jamais
reparlé de cet après-midi- là. Mais notre affection s’en est trouvée renforcée.
Il y avait entre nous une complicité qui n’avait pas besoin de se dire. Je
l’aimais et il m’aimait, c’est tout.
Alphonse est mort d’une
crise cardiaque peu de temps après notre sortie ensemble au jeu de boules
Jusqu’à la fin, il a gardé
de beaux cheveux blancs bouclés, une silhouette de jeune homme, des gestes
vifs, un rire joyeux, un formidable appétit de vivre.
J’ai encore en tête une
photo prise lors de son dernier Noël. Rigolard, il lève son verre devant une
armée de bouteilles vides… un bien beau souvenir en vérité !
Ses comptes étaient bien
à jour.
J’ai raconté moi
aussi le jeu de boules en face de la maison de ma grand-mère, le plaisir pour
moi de suivre les discussions passionnées autour du cochonnet, centimètre à la
main pour vérifier les distances, le geste magnifique du tireur et l’éclatement
des boules l’une contre l’autre. Tout de suite je me suis sentie bien là, en
sympathie avec ces messieurs, écoutant leurs histoires, leurs jeux de mots, les
blagues sans doute déjà racontées cent fois, mais neuves pour le public nouveau
que j’étais.
VI
Cambronne
Chantal (2012), Se former
et s’exprimer toujours et encore. Témoignage d’une enseignante de lettres née en 1936
Juillet 2012
LE
MOT DU WEBMESTRE, Henri Charcosset
J’apprécie
bien Chantal Cambronne, ma conscrite. Elle fait partie de mes fidèles amies rencontrées
puis fréquentées sur la toile. On ne s’est pas rencontré en vrai. Ceci pour
dire que dès lors qu’il s’agit d’amitié purement amicale, des relations
qualifiées de virtuelles, peuvent s’avérer plus réelles et profondes qu’avec
bien de nos connaissances de la vie courante.
Le
texte principal ci-dessous de Chantal est conforme à la concision habituelle de
son style.
A
retenir en premier lieu, du beau parcours de vie de Chantal Cambronns
sa grande capacité à « rebondir », à chaque fois que la
vie lui fait des misères,
d’une ou plusieurs sortes à la fois.
TEXTE
DE Chantal CAMBRONNE
Quand une personne pose
cette question, cela veut dire généralement : quelles études avez-vous faites
? Quels sont vos diplômes ? Je vais donc brièvement évoquer ma formation
initiale, puis je parlerai plus longuement de la formation tout au long de ma
carrière et je ferai part de mes réflexions personnelles sur ces deux types de
formation.
Formation professionnelle initiale. J’ai effectué ma
scolarité primaire dans une petite école libre de mon quartier, puis mes études
secondaires à la Légion d’Honneur. Ensuite j’ai passé une licence de Lettres
classiques à la Sorbonne, un DES (qui correspond à la maîtrise d’aujourd’hui)
et, pour finir, j’ai obtenu le CAPES en 1960 après une année de stages
rémunérés à Dijon.
Formation
professionnelle permanente, non validée par un diplôme. J’ai
enseigné pendant deux ans dans un lycée de Haute Marne, puis j’ai pris un congé pour convenances personnelles
pendant cinq ans. Après cette pause, je n’ai pas repris l’enseignement dans le
même état d’esprit. Une rencontre organisée par les Cahiers Pédagogiques sur le
thème de la Classe active m’a
donné l’envie de vivre vraiment ma profession, et non plus de l’accepter, faute
d’une autre alternative.
Je suis donc arrivée devant mes élèves avec un
enthousiasme tout neuf.
Ensuite, entre 1970 et
1992, année où j’ai pris ma retraite, je n’ai pas cessé de me former et je ne
suis pas sûre d’être capable d’énumérer tous les stages, rencontres, journées,
projets auxquels j’ai participé par la suite. Il y eut des stages directement
liés à l’enseignement dans ma discipline (enseignement du français, poésie,
grammaire nouvelle) et d’autres plus généraux (création et créativité,
expression corporelle, initiation aux maths modernes) .
La plupart de ces
formations, je les suivais pendant les vacances scolaires d’été (stage vidéo,
projet d’établissement, évaluation).dans le cadre du
CRAP (association connue essentiellement par les Cahiers Pédagogiques). J’ai aussi
bénéficié de quelques stages dans le cadre du collège,
Je suis devenue moi-même
formatrice à la suite d’une bonne inspection. J’ai été tutrice d’une candidate
au CAPES, et surtout j’ai co-animé pendant plusieurs années, avec une collègue
et amie, des stages organisés par la MAFPEN (organisme officiel de la formation
des enseignants) sur toutes sortes de thèmes (lecture des consignes,
préparation d’un salon du livre, travail en équipe…) Parallèlement j’ai co-animé plusieurs ateliers durant les rencontres
d’été organisées par le CRAP (le changement, vivre au collège, la place de
l’écrit dans la vie d’un établissement…)
Réflexions à propos de ces deux types de formation
— Il me semble, en gros,
que j’ai subi plutôt que participé à, ma formation initiale. Mais cela ne veut
pas dire, contrairement à ce que j’ai longtemps cru, qu’il ne m’est rien resté
de ces années- là. Ainsi, de mes longues années d’internat, j’ai gardé la
capacité de faire mon travail rapidement, et, grâce à d’excellents professeurs,
le sentiment que tout pouvait devenir intéressant (les auteurs les plus
médiocres en français par exemple) dès lors qu’on s’y intéressait. A la fac,
essentiellement l’année du DES, j’ai acquis quelques méthodes de recherche. Et
l’année de stages pour l’oral du CAPES, j’ai compris qu’il y avait autant de
façons d’enseigner que d’enseignants.
Mais ce qui a été, et de
loin, le plus important dans ma vie, c’est sans nul doute la formation permanente. Ce qui me suggère plusieurs réflexions :
— Si ma formation
initiale a été relativement longue (bac + 5 pour moi), me donnant des bases non
négligeables pour mon développement ultérieur, elle n’a jamais occupé que 20
ans de ma vie, tandis que la formation continue, elle, a joué (et joue encore) un
rôle moteur durant les 50 années suivantes.
— La formation initiale
m’est imposée de l’extérieur,
la
formation continue, presque toujours, je la choisis.
— Autre évidence : que je
sois formatrice ou moi-même en formation,
la formation continue
concerne ma personne toute entière, mes relations avec les personnes, ma façon
de voir et de comprendre une situation. Elle me donne l’occasion de savoir où
j’en suis, d’ouvrir le champ de mon expérience, d’élargir mes horizons, de
mûrir aussi. Même lorsqu’elle semble ne pas concerner directement mon métier
d’enseignante, elle l’enrichit. Elle me donne un nouvel élan. Elle me permet
d’apprendre des choses sur moi dont je peux me servir dans d’autres situations.
Ainsi, formatrice, je comprends que je n’ai pas l’âme d’un chef mais que je
suis une bonne seconde, fiable et enthousiaste. J’y acquiers aussi une plus
grande confiance en moi, qui me permet par exemple de considérer que mes
travaux valent la peine d’être gardés, pour être réutilisés dans d’autres
contextes.
— J’ai envie de dire
aussi que ce qui a été peut-être le plus formateur pour moi, c’est la
fréquentation des jeunes et de leur famille. J’ai beaucoup appris dans le
dialogue avec des adolescents difficiles, avec d’autres, heureux de vivre,
débordant d’idées et d’énergie, ou faisant courageusement face à des situations
dramatiques, au contact de parents étrangers, ou aux prises avec le handicap de
leur enfant, avec des problèmes matériels importants ou simplement préoccupés
de bien faire et ne sachant pas trop comment s’y prendre.
Conclusion— En fait, il n’y a pas
de conclusion, pas de fin. En écrivant cet article, j’ai réalisé que,
pour moi en tout cas, la formation ne s’arrêtera jamais. Depuis que je suis en
retraite (c’est à dire depuis 20 ans)
— je me suis tout d’abord
lancée dans la critique littéraire (en littérature jeunesse) et là, je me suis
formée sur le tas, mais avec de nombreux échanges avec d’autres critiques.
— Et puis les
circonstances m’ont amenée à apprendre à lire à un étranger qui n’avait jamais
été scolarisé. J’ai trouvé appui auprès d’une association, et suivi une courte
formation. Là aussi je dois dire que j’ai beaucoup appris de cet homme et
d’ailleurs, nous avons fini par collaborer avec la rédaction d’un témoignage
sur sa vie en France.
— Ensuite il y a eu le
théâtre. Pendant 7 ans j’ai appris des textes, joué (mimes, courtes pièces,
danse, chant) collaboré à la mise en scène, sous la
houlette d’une metteuse en scène très exigeante.
…Et aujourd’hui je
fréquente un atelier de peinture. Là j’en suis tout à fait au début…Après, je
ne sais pas encore. Mais ce que je sais, c’est que toujours de nouveaux chemins
s’ouvrent.
Mon seul souhait serait
que la même chance de pouvoir se former tout au long de la vie devienne enfin
une vraie réalité et non plus une promesse tôt abandonnée.
VII Cambronne -Desvignes
Chantal (2012), Histoires d’amour. IV.
Ma chérie, nous prendrons un appartement de 2 ou de 3 pièces ?
Septembre 2012
Ce ne fut pas le coup de
foudre au premier regard entre mes parents. Leur rencontre fut organisée par ma
grand-mère et l’oncle de mon père, qui étaient de vieux amis et les premiers
échanges ne furent pas marqués par l’enthousiasme. Ma mère surtout ne savait
pas trop si elle plaisait ou non à mon père et restait dans l’inquiétude.
Et puis, alors qu’elle
commençait à penser que cela ne marcherait pas entre eux, il y eut, dite sur le
ton le plus naturel, cette phrase de mon père, demeurée à jamais dans les
annales familiales : « Ma chérie, prendrons-nous un appartement de deux ou de
trois pièces ? » Cette déclaration d’amour n’avait certes rien de romantique.
C’est pourtant bien ces termes que mon père a employés pour déclarer sa flamme
à ma mère. Mais aussitôt après, ils tombaient dans les bras l’un de l’autre et
s’embrassaient avec passion. Les fiançailles furent brèves, deux mois à peine.
Une fois la décision prise, et mon père sûr de ce qu’il voulait,
il
n’était pas question de perdre une seconde.
J’ai toujours gardé
l’album de mariage de mes parents, et il m’a accompagnée dans tous mes
déménagements. Ce fut un mariage tout à fait traditionnel, avec robe blanche à
traîne pour la mariée, queue de pie pour le marié, demoiselles d’honneur,
photos officielles, long cortège, grande réception, et mon père dut se plier à
toutes ces cérémonies qu’il n’appréciait guère.
Par contre, le voyage de
noces n’eut rien de conventionnel. Grands sportifs tous les deux, mes parents
remplacèrent le classique voyage à Venise par la descente du Rhône en canoë, et
dormirent sous la tente, une modeste canadienne.
Et, très vite, ce
mariage, tout à fait « raisonnable » du point de vue des parents (ma mère apportait
une belle dot, et mon père la perspective d’un brillant avenir, en tant
qu’ingénieur) devint une union très passionnée. Je peux dire que mes parents,
ont vécu un amour fou durant 7 ans, amour hélas, brutalement brisé par la mort
de mon père. Certes, je n’ai pas été le témoin direct de leur histoire, mais ma
mère nous a beaucoup raconté les petits et grands événements de leur vie et,
lorsque ma mère est entrée en maison médicalisée, à la fin de sa vie, j’ai eu
en mains leur correspondance : les lettres que mon père lui écrivait au cours
de ses déplacements, et surtout, au début de la guerre, les lettres
quotidiennes durant les quelques mois qui ont précédé sa mort.
Et j’en ai été longtemps
bouleversée.
Ils étaient très
différents tous les deux. Ma mère, vive et intelligente, aurait bien aimé faire
des études et devenir enseignante, mais, à cette époque, une jeune fille de
bonne famille devait seulement se préparer à tenir sa maison, s’occuper de son
mari et de ses enfants. Elle fut tout juste autorisée à suivre des cours
d’infirmière, et à être cheftaine de louveteaux.
En tant qu’aînée des
filles, elle s’était beaucoup occupée de ses soeurs plus
jeunes, les
aidant pour leurs devoirs, leur faisant travailler leur
piano. Mais elle était aussi très imaginative et inventait pour elles toutes
sortes de jeux. Elle savait raconter des histoires, embellir la vie. Vivant
dans une famille très nombreuse et accueillante (en plus de ses nombreux
enfants, ma grand-mère, très généreuse, accueillait volontiers les cousins et
les amis, sa maison était toujours pleine) elle avait l’habitude du bruit, du
mouvement ce qui convenait à son tempérament très actif. Elle était à la fois
sérieuse et gaie.
Mon père, lui, était un
homme grave, toujours sérieux, très méthodique. Il n’avait qu’une soeur, de deux ans plus âgée que
lui, et il avait vu, dans son enfance, son père, un homme doux et sage, plein
de délicatesse, s’affaiblir et
ourir
lentement de tuberculose.
Sa mère, jeune veuve de
40 ans, avait trouvé un emploi à la banque,
mais
ses revenus étaient modestes et mon père savait qu’il ne devrait sa situation
qu’à son mérite personnel. Il était d’une grande rigueur morale, je dirais même
un peu raide. Son sérieux, son manque d’humour et de fantaisie pesait parfois à
ma mère. Cela dit, comme ma mère, il avait un esprit curieux, et aussi un côté
épicurien, aimant les bons repas et le bon vin (la saga familiale dit qu’il
reconnaissait non seulement les vins, mais l‘année du crû
qu’on lui servait.) De tempérament plutôt sauvage, il avait malgré tout gardé
depuis son adolescence quelques très bons amis.
A vrai dire, la force de
leur amour balayait tout ce qui aurait pu les opposer, comme un ouragan. En
dépit de la fatigue, des naissances rapprochées, le désir, la faim qu’ils
avaient l’un de l’autre est toujours restée aussi vive. Dans les lettres que
mon père écrivait à ma mère au début de la guerre, depuis sa garnison en
Bourgogne, il se plaignait parfois qu’elle ne lui écrive pas tous les jours, ou
que ses lettres soient trop brèves. Ma mère répondait qu’avec nous quatre, si
petits, (lorsqu’il fut mobilisé, dès le début de la guerre, mon frère aîné
avait 5 ans, moi 3, mon autre frère 2 et ma sœur tout juste un an) elle
n’arrêtait pas de la journée et le soir, elle était morte de fatigue.
Alors il lui demandait
pardon de ses exigences, et trouvait les mots les plus tendres pour lui dire
son amour et son admiration. Il lui disait combien elle lui manquait, ce qu’il
lui ferait si… Et lorsque, parfois, il rêvait qu’il la trompait, il en était
bouleversé et horriblement malheureux.
Elle était plus
importante que tout, la première, et passait bien avant nous, ses enfants,
qu’il avait désirés pourtant et dont il était fier. Dans la vie de tous les
jours, c’était toujours à elle qu’il pensait. Pour elle, il avait fait
lui-même, dans la salle de bains, les installations les plus pratiques, pour
qu’elle se fatigue le moins possible quand elle nous baignait ou nous
changeait, il lui faisait la lecture quand elle était occupée à ses tâches
ménagères. Pour que sa famille ne manque de rien, il se privait, lui, de petits
plaisirs, acceptait de faire des repas moins raffinés, voyageait en seconde
lorsque son entreprise l’envoyait sur des chantiers en province et donnait la
différence à ma mère. Dans l’amour aussi, il était plein d’attentions et de
tendresse.
Ma mère, elle, était
souvent tiraillée entre nos besoins à nous, et cet amour insatiable. Mais
c’était vers mon père que son cœur, son corps, sa vie, allaient.
Plus tard, elle nous a
souvent dit que, pour une mère, rien ne pouvait être pire que la mort d’un de
ses enfants. Mais je ne la croyais pas vraiment.
La mort de mon père l’a
laissée dans un désespoir profond.
En une nuit ses cheveux
étaient devenus tout blancs et de ses yeux secs ne pouvait couler aucune larme,
tant elle était au-delà de la douleur, comme amputée d’une partie d’elle-même
Elle ressentait le manque
de lui au creux de son ventre, dans son corps tout entier. Quelque chose en
elle s’était brisé, Certes il y avait la guerre,
les difficultés de ravitaillement, la queue partout, nos problèmes de santé, la
misère, les papiers pour avoir trois sous. Mais il y a avait,
plus que tout, ce manque dont elle ne se remettait pas, ces baisers et ces
caresses si brutalement enlevés et, lorsqu’elle a failli mourir à la fin de la
guerre, ce fut autant de désespoir que de faim, je crois.
On dit toujours que
l’amour est aveugle. En ce qui les concerne, je ne le crois pas. Ma mère
parlait des défauts de mon père aussi bien que de ses qualités, de ce qui les
opposait aussi bien que de ce qui les rapprochait, de leurs différents aussi
bien que de leurs moments de pur bonheur.
Comment dire, c’était un amour enraciné dans
le quotidien, lucide et généreux, une passion physique très intense,
accompagnée d’une grande tendresse
et
d’une grande admiration réciproque.
Ils ont passé une
dernière fois huit jours ensemble, comme de jeunes mariés,
lorsque,
nous confiant à la garde de ses sœurs, réfugiées avec elle en Dordogne, elle
réussit à le rejoindre quelque part du côté de Dijon, là où il était en
garnison pendant la drôle de guerre. Là, ils furent heureux une dernière fois,
savourant chaque instant de liberté, faisant des projets pour après la guerre.
J’en ai beaucoup voulu à
mon père lorsque j’ai lu dans ses lettres le poids de ses exigences, la piètre
opinion qu’il avait de moi, de nous quatre, mais j’ai fini par lui pardonner à
cause de cet amour pour ma mère. Il pouvait lui avouer ses faiblesses, oublier
sa dureté, devenir par moments en face d’elle comme un enfant qu’elle devait
consoler. Et elle, lasse et accablée de soucis, tirait toujours de leur amour
une incroyable force, renaissant au plus petit mot tendre et à la caresse des
mots.
Cet amour de mes parents
je ne l’ai connu que dans l’absence. Lorsque mon père est mort, en effet, le 13
juin 1940, je n’avais que 4 ans. Et cette absence m’a profondément marquée.
Mais je les remercie tous les deux de m’avoir donné en héritage le désir,
depuis ma plus tendre enfance, de vivre un grand amour dans la simplicité et la
vérité du quotidien, d’y avoir cru, et finalement, de l’avoir rencontré.
VIII
Cambronne-
Desvignes Chantal (2012), Histoires d’amour. V. Le charme
des lointaines histoires d’amour
Novembre 2012
Il me vient à l’esprit
des histoires qui m’ont marquée, et qui font partie de mon paysage intérieur,
même si, apparemment, elles sont sans rapport direct avec ma vie.
Certaines sont
plaisantes, comme celle d’une lointaine cousine qui osa, le jour même de son
mariage, dire « non » devant Monsieur le Maire au grand effarement de toute
l’assistance, ou celle de la bague de fiançailles de Bonne-Maman, ma
grand-mère maternelle, refusée parce que pas assez belle au goût de la famille.
D’autres sont attendrissantes, comme celle de la « petite tante » devenue si
petite et menue qu’un jardinier l’avait renversée un jour sans la voir. Tout
attendri et ému, il l’avait prise dans ses bras — elle était aussi légère
qu’une enfant— déposée avec précaution dans sa brouette et transportée ainsi
jusqu’à la maison de retraite où elle séjournait. La petite tante s’en
était tiré avec le col du fémur cassé, mais elle s’en était bien
remise et s’était amusée de son aventure quand on la lui avait racontée. Il y a
eu aussi des amours interdites, des amours contrariées.
Ainsi, ma grand-mère
maternelle a-t-elle voulu séparer son dernier fils, Henri, d’une « créature »
dont il était tombé amoureux en l’envoyant faire la guerre en Indochine —
l’éloignement paraissant toujours, dans ces cas-là la meilleure solution pour «
guérir » —. J’ignore si le remède a été efficace, car je n’ai appris que
récemment cette histoire. Je sais seulement que mon oncle a, par la suite,
divorcé deux fois avant de rencontrer enfin l’amour de sa vie. Quant au cousin
qui était, paraît-il « de la jaquette » on n’en parlait rarement, et encore
avec des airs pleins de sous-entendus, que je mis très longtemps à comprendre.
Dans la saga familiale,
figurait naturellement en bonne place l’arrière-grand-père Alexis, venu en
sabots de sa Bourgogne natale, faire fortune à la capitale. Fort habilement cet
Alexis sut profiter de sa connaissance des chevaux et inventa, avec un ami
américain, une pommade pour les soigner. Lorsque les chevaux furent remplacés
par les voitures, l’aventure aurait pu tourner au désastre. Ce ne fut pas le
cas. Le grand-père Alexis fonda, dans une lointaine banlieue parisienne, une
usine de peinture dont hérita mon grand-père.
Je sais peu de choses de
la personnalité de cet arrière- grand-père et j’ignore quelle sorte de mari il
fut. Ce que je sais par contre, c’est que, en bon patriarche,
lorsque
son fils Henri mourut accidentellement, il reprit sa place de chef de famille
et déclara, sans que personne ose le contredire : « Moi vivant, aucune de mes
petites-filles ne travaillera. »
Ma mère qui aurait tant
voulu enseigner, souffrit beaucoup de ce diktat, mais ne put qu’obéir. Il est
vrai qu’à l’époque, une jeune fille de la bonne bourgeoisie devait seulement se
préparer à être une bonne maîtresse de maison. Peut-être aussi cet homme
voulait-il, par cette phrase demeurée célèbre dans les annales familiales,
assurer les siens qu’il saurait toujours les mettre à l’abri du besoin et
prendre en mains leurs intérêts.
J’ai beaucoup entendu
parler aussi de mon arrière- grand-mère du côté maternel. Elle était,
paraît-il, très gentille et je sais que ma mère l’aimait beaucoup. Elle
habitait la même rue que sa fille, ma grand-mère Bonne-Maman. Et tous les
jours, elle arrivait chez elle avec son panier à ouvrage, s’installait dans le
jardin s’il faisait beau, ou devant une fenêtre s’il faisait mauvais et, sans
relâche, raccommodait, faisait des ourlets, retournait des cols de chemise (en
ce temps-là, on usait les vêtements jusqu’au bout) tout en chantonnant parce
que,
en
dépit de ses malheurs (elle était veuve d’un mari longtemps grabataire,
et
deux de ses enfants étaient morts de tuberculose) elle était restée très gaie.
Un soir justement, où toute la famille était réunie pour le dîner, un des
enfants fut repris vertement par mon grand-père pour avoir osé chanter un
refrain à la mode.
« On ne chante pas à table ». Il s’ensuivit un
long silence. Et, voilà qu’au milieu de ce silence, on entendit s’élever la
douce voix de la grand-mère qui entonnait : « Mimi Pinson la blondinette… » Et
bien sûr tout le monde éclata de rire. Plus tard, devenue très vieille, elle se
mit, dans sa tête, à rajeunir de jour en jour. Elle était une jeune fille de 20
ans qui se préparait pour le rendez-vous avec son fiancé. En se regardant dans
la glace, elle disait, paraît-il « Mon dieu, il ne va pas me trouver bien belle
aujourd’hui mon fiancé ». A la fin, elle se voyait comme une toute petite fille
et ma grand-mère qu’elle prenait pour sa mère, devait venir l’embrasser et la
border dans son lit. Mais ce n’était pas vraiment triste, parce que tout le
monde l’aimait et l’entourait.
Mais j’avoue surtout
vouer, plus qu’à tout autre membre de ma famille, une grande tendresse à
l’égard de mon grand-père paternel, Philippe. Sur les photos, je vois un homme
au visage sérieux, avec des yeux noirs et un regard profond.
Il était ciseleur et j’ai retrouvé dans les
papiers de ma grand-mère quantité de dessins de bijoux, de bibelots. De là vient
peut-être mon goût pour les objets de style art nouveau. Je sais qu’il avait un
atelier rue du Temple à Paris
(atelier qu’il
partageait sans doute avec son frère Alphonse, ciseleur lui aussi),
et
je l’imagine sans peine silencieux et absorbé par son délicat travail.
Tout ce que je sais de ce
grand-père- là me plait bien. Ma grand-mère, Mamine,
me disait qu’elle avait été très heureuse avec lui. Elle parlait avec
gourmandise de ce temps- là. Elle était très gaie, et il y avait dans son rire
sonore
qui n’en
finissait plus, quelque chose de sensuel encore après des années de veuvage,
alors qu’elle me paraissait très très vieille
lorsque j’étais enfant. Plus tard, bien après sa mort, j’ai retrouvé,
bien cachés derrière les livres pour enfants que je redécouvrais avec
bonheur à chacun de mes séjours chez elle, des petits livres coquins qu’elle
devait regarder avec son mari une fois les enfants couchés. Je trouvais cette
image de leur couple amusante et attendrissante à la fois.
Mais il y a quelque chose
de lui qui me touche davantage. Il aimait prendre des photos de sa famille, de
sa femme, de ses enfants. Derrière chaque photo, il notait, de sa belle
écriture fine, outre la date, le lieu et les circonstances dans lesquelles elle
avait été prise. J’ai découvert aussi et lu avec émotion une lettre qu’il avait
écrite à sa fille, Madeleine, ma tante donc, âgée alors d’une dizaine d’années.
Il lui faisait plein de recommandations et même quelques petits reproches, mais
le tout était dit d’une façon tellement délicate, avec tant de mots gentils !
Je comprenais bien
l’adoration qu’elle lui vouait. Parfois je me demande si ce n’est pas à cause
de cela, de l’abandon qu’elle a ressenti lorsqu’il a disparu— elle n’avait que
12 ans — qu’elle ne s’est jamais mariée.
Malheureusement je n’ai
pas connu ce grand-père Philippe, qui est mort de tuberculose très jeune, à 40
ou 41 ans. Quand la guerre de 14 a été déclarée, il était déjà malade et n’a
donc pas été mobilisé. Mais, comme l’idée de ne pas servir son pays le tourmentait
beaucoup, il s’était enrôlé dans le service civil pour se rendre tout de même
utile et il y a perdu ses dernières forces. Il est mort en 1915.
L’album de famille est
plein de ces morts prématurées et longtemps j’ai vécu le cortège des veuves
comme une malédiction qui ne concernait que les miens, alors qu’en fait, entre
guerres — celle de 1914 surtout fut particulièrement meurtrière-et épidémies,
beaucoup de personnes disparaissaient prématurément.
Aujourd’hui, je me rends
compte aussi que ces femmes dont j’ai plaint la solitude ont été très aimées
par des hommes bons, loyaux, fidèles et passionnés. Et le récit de ces trop
brèves amours, je le garde en moi comme un héritage précieux.
IX
Cambronne-Desvignes Chantal
(2013), Histoires d’amour. VI. Mes élèves préférés. Témoignage d’une enseignante de lettres retraitée depuis 1982
Novembre 2012
Mes
préférés
Toute ma vie
d’enseignante a été une épreuve : manquer d’autorité est un handicap difficile
à surmonter et, plus d’une fois, je suis partie en classe l’angoisse au ventre.
Cela dit, je ne regrette pas d’avoir exercé ce métier. Et, avec le recul du
temps (cela fait 20 ans maintenant que je suis en retraite) c’est le positif
qui l’emporte.
J’ai des souvenirs de
moments très plaisants, d’autres passionnants, d’instants de profonde émotion.
Ainsi j’entends encore le rire cristallin de deux adorables petits sixièmes,
tandis que — pour leur montrer que lire pouvait être un bonheur — je leur
lisais « Un éléphant ça compte énormément » une réflexion philosophique sur le
temps qui passe, sur la mort, mais qui démarre d’une façon très humoristique
(le petit éléphant, dans sa première année, fait une crotte tous les jours, à 2
ans,
il en fait deux et ainsi
de suite jusqu’à 50 ans puis il en fait une de moins à 51 ans… jusqu’à ce que
l’heure arrive où il doit rejoindre le cimetière des éléphants). C’était
merveilleux ce rire en cascade, si frais, un rire de pur bonheur.
Comment oublier ce jour
où une petite fille m’a dit, après toute une série d’exercices sur le
dictionnaire : « jamais je n’aurais cru qu’on pouvait aller si loin avec ce
travail » ? Plaisant souvenir aussi que cet adolescent qui raconte, avec quel
talent, comment il régale sa famille avec des spaghettis à la bolognaise (quand
je lui fais lire son devoir, nous en avons tous l’eau à la bouche, moi et toute
la classe). Souvenir attendrissant de cet autre garçon, passionné de football,
et qui me demande avec anxiété à la fin d’un cours s’il est vrai que ce milieu
est aussi le lieu de sales combines et de tricheries.
Je n’ai pas eu peur de
dire parfois merci à tel ou telle. Merci à ce gamin qui, dans une rédaction,
dit l’amour de sa maman, loin des clichés habituels, ou encore à cet autre, qui
s’imagine, résistant condamné à mort, écrivant à ses proches une dernière
lettre. Avec des mots tout simples, ses mots à lui, la sobriété de son
écriture, il touche au plus profond.
Je vois encore des
visages, cette petite fille passionnée par le cours,
avec ses yeux très
bleus, qui brillaient comme des étoiles, cette très belle jeune fille de 15
ans, nantie d’une forte personnalité et si mûre déjà, qui trichait sur son âge
pour gagner des sous en faisant les vendanges, cette autre, d’humeur
tranquille, avec un visage paisible et plein de sagesse, le fin visage de cette
petite, aussi énergique que menue qui tenait la maison presque toute la semaine
en l’absence de sa mère, représentante.
Il y a eu aussi,
forcément, des sympathies, des connivences plus profondes avec tel ou telle. En
effet, un professeur peut-il aimer tous ses élèves également, sans avoir de
préférences ? A-t-il le droit d’avoir des antipathies ? Est-il vrai qu’il
préfère les élèves les meilleurs, et que ce sont ceux- là les « chouchous » ?
Je ne peux pas répondre
pour les autres. Mais en ce qui me concerne, oui, je peux bien avouer qu’il
m’est arrivé plus d’une fois de souhaiter ne plus jamais avoir devant mes yeux
tel ou tel élève insupportable. Cela ne veut pas dire pour autant que je le détestais.
D’ailleurs, un de ces élèves particulièrement chahuteur s’est littéralement
jeté dans mes bras quelques années plus tard, le jour où on fêtait les 20 ans
du collège. « Je voulais vous remercier. Grâce à vous et à Madame Oudin (le professeur de maths) je suis toujours passé dans
la classe supérieure, vous m’avez fait confiance, vous ne m’avez jamais
condamné. Pourtant dieu sait que j’étais dur !
J’ai pu faire des études,
obtenir une licence en droit et maintenant je suis CRS. »
Heureusement, j’ai
rarement éprouvé de véritable antipathie. En réfléchissant bien, je ne trouve
guère que 4 ou 5 élèves parmi les quelques milliers que j’ai vu défiler, pour
lesquels je ne parvenais pas à trouver quelque chose qui me les rende
sympathiques. Tout en culpabilisant d’éprouver ce sentiment de rejet, je
m’efforçais d’être juste. Mais je dois avouer que je ne suis pas sûre d’y être
parvenue.
D’une façon générale, je
pense avoir eu un regard positif sur les adolescents. J’en ai admiré certains
pour leur dynamisme, d’autres pour leur sens critique, d’autres pour leur
imagination. Il y en avait aussi qui parvenaient à gérer des situations
personnelles ou familiales difficiles. Je me souviens ainsi d’un garçon, le dos
enserré dans un corset, qui jamais ne se plaignait de ne pouvoir se mêler aux
jeux de ses camarades, d’une jeune fille dont la maman se mourait d’un cancer
et qui toujours se portait au secours d’un ou d’une camarade en difficulté, de
cette autre qui devait à la maison suppléer aux défaillances d’une maman
alcoolique. Combien de fois ai-je admiré l’énergie, la capacité d’organisation
de tel jeune qui menait déjà sa barque comme un adulte,
la
bonne humeur de tel autre qui devait changer constamment de collège au gré des
chantiers du papa.
J’avoue aussi avoir
toujours eu un faible pour ceux que j’appelais « les charmants paresseux » ces
garçons qui, très intelligents, se contentaient d’une petite moyenne, parce que
trop de choses les passionnaient en dehors de l’école (le sport, la musique,
l’engagement dans une radio libre, le plaisir de discuter avec les copains).
J’ai bien aimé aussi un
petit couple d’élèves de sixième qui ne se quittaient jamais, ni en classe ni à
la récréation. Ils étaient si mignons, si attendrissants. Je n’ai pas oublié
non cet autre couple d’ados, Richard et Caroline, si terriblement sympathiques
dans leur aimable nonchalance.
Il y a eu aussi cette
petite fille, toujours contente, prête à s’enthousiasmer pour tout ce que nous
faisions, et qui le disait tout aussi naturellement.
Les élèves, surtout les
petits sixièmes, étaient persuadés que je ne pouvais préférer que les
meilleurs. Ce en quoi ils se trompaient. Je me souviens encore de ce « mauvais
élève » qui avait tant de mal à écrire même un texte court. Mais, comment dire,
on sentait que c’était une gosse bien élevée, très aimé chez lui et il
respirait la santé, l’équilibre. Il ne demandait qu’à bien faire pour nous
contenter, mais il n’y arrivait pas et l’envie de s’amuser l’emportait pour
finir.
J’avoue que je le
comprenais.
Cette année- là, avec la
complicité de la documentaliste, nous avions organisé, à l’instar de Carelman, une exposition d’objets introuvables. Et lui,
très astucieux, avait inventé une paire de chaussons munis d’une ampoule, «
pour y voir clair la nuit dans son jardin. » Bien sûr le « jury » l’avait
récompensé. Mais le gamin était déçu. Il avait passé beaucoup de temps à
réfléchir, dépensé ses quelques sous pour son invention et, avec les bonbons
gagnés, le compte n’y était pas. Il le disait en toute ingénuité mais a
finalement bien accepté la situation quand il a compris que, tout en
reconnaissant ses mérites, nous n’avions pas d’autre ressource que les petits
dons récoltés auprès des commerçants du quartier. Plus tard, il est parti
préparer un CAP, mais il me faisait envoyer le bonjour par un camarade à lui,
ce qui me touchait beaucoup.
Il y a eu aussi ce gamin
qui, lui aussi, peinait beaucoup et sans grand résultat. C’était un beau petit
garçon avec des yeux bleus magnifiques, gai et chahuteur à ses heures. J’ai
rencontré les parents. Ils m’ont dit qu’à cause d’une malformation de la
vessie, il avait déjà été opéré 15 fois et que c’était un enfant courageux, qui
ne se plaignait jamais.
Eux, ce qu’ils voulaient
avant tout, c’est qu’il puisse mener une vie normale et ils ne le
chouchoutaient pas, le laissaient faire du vélo, pratiquer un sport. Comme je
les comprenais ! Et je peux dire qu’ils avaient bien réussi.
Ce petit garçon n’était
pas traumatisé, avait plein de copains et je me disais que ses résultats scolaires
après tout, c’était secondaire. Plus tard, d’ailleurs il a appris un métier,
s’est marié, a eu des enfants et il vit toujours dans le quartier du collège.
J’ai envie de donner une
place particulière à Catherine. C’était une jeune fille un peu lourde, pas
spécialement belle. Mais je voyais bien qu’elle était très populaire dans la
classe, que tout le monde l’aimait, et il y a avait toujours des garçons autour
d’elle. C’était une fille généreuse, ouverte, très droite, très franche,
capable par exemple de me reprendre si elle trouvait que je ne m’exprimais pas
assez clairement. Un jour elle est venue chez moi pour me demander de lui
donner des leçons particulières parce qu’elle ne se trouvait pas assez bonne en
grammaire. Et elle a tenu à préciser que c’était elle qui me les paierait, ces
leçons, avec les sous qu’elle gagnait. Ce fut bien la première et unique fois
où j’ai eu une demande semblable ! Mais j’ai trouvé cela extraordinaire, elle
était tellement déterminée ! Plus tard, elle voulait être conductrice de poids
lourds :
« Non, ce n’est pas trop dur pour une femme,
il y a maintenant la conduite assistée. Et puis j’aimerais cela, cette vie- là,
être sur les routes » .
J’espère qu’elle a
réussi.
Je ne saurais terminer
sans parler de Marcel. Ce n’était pas ce qu’on appelle un bon élève, pas du
tout même. Mais je l’aimais bien. C’était un adolescent heureux. Il se plaisait
bien en classe, tout comme il aimait les récréations, et il avait plein de
copains. Il était extrêmement sympathique, avec un visage ouvert, et un air de
bonne santé qui faisait plaisir à voir. A chaque fin de cours, il s’approchait
de moi, tout près, tout près, mais sans jamais me toucher : « Madame, est-ce
que je peux vous embrasser ? » Et je lui faisais, moi aussi, toujours la même réponse
« Non, pas aujourd’hui., pas pendant le travail, mais le dernier jour de
classe, je te promets, tu pourras m’embrasser. » Je crois que j’aurais été
déçue si une seule fois, il avait manqué à ce rituel. Quand le dernier jour est
arrivé, nous nous sommes donc embrassés de bon cœur. Je ne l’ai pas eu en
classe l’année suivante. Mais je n’étais pas inquiète pour lui. Je me disais
que, forcément, ce garçon- là qui prenait la vie à pleines mains, avec un si
bel appétit, s’en sortirait toujours.
Aussi ai-je été très
triste quand j’ai appris qu’une voiture l’avait fauché juste devant le collège,
alors qu’il se penchait sur sa mobylette pour voir pourquoi l’éclairage ne
fonctionnait pas. Il est mort sur le coup et cette fois il n’a eu le temps d’embrasser
personne. Il venait d’avoir 14 ans.
X
Cambronne-Desvignes Chantal
(2013), Histoires d’amour. VII. Mon histoire d’amour avec le théâtre. Témoignage d’une enseignante de
lettres retraitée
Mai 2013
Mon
histoire d’amour avec le théâtre
Coup
de foudre de la rencontre, bouleversement du quotidien, patient apprentissage
de la vie commune, concessions mutuelles, alternance de temps difficiles et de
moments magiques, et, après les derniers feux de la passion, encore si pleins
de promesses, la séparation, telle a été mon aventure avec le théâtre.
Avant la rencontre, il y
a souvent l’idée qu’on se fait de l’amour. Ainsi le théâtre, pendant très
longtemps, a été pour moi synonyme de corvée pénible —lorsque, enfant, avec ma
mère comme metteur en scène, je devais interpréter pour l’innombrable troupe
des oncles, tantes, cousins et cousines quelque chanson — ou de nécessité
culturelle, le plus souvent teintée d’ennui — lorsque, étudiante, je
fréquentais la Comédie française ou le théâtre Marigny.
Et puis, je devais alors
avoir dans les 35 ans, au cours d’une rencontre d’été avec des enseignants, on
m’a proposé d’interpréter une courte pièce de Brecht : « La
délation ». J’ai répété pendant deux jours avec le comédien qui
devait me donner la réplique et m’aider à trouver une mise en scène. Puis j’ai
joué devant une cinquantaine de personnes. Et là, d’un seul coup, j’ai compris,
du dedans, tout ce que représentait le théâtre : l’élaboration d’une mise en
scène, le dur apprentissage d’un texte, le travail du comédien, fait de rigueur
et de patience, le trac, l’émotion de sentir le courant passer avec le public,
et, pour finir, l’ivresse des applaudissements. Cela a vraiment été un déclic
pour moi. Tout de suite, il a fallu que j’introduise le théâtre dans mon
enseignement, que j’aille voir des comédiens répéter, que je commence à
fréquenter les cafés- théâtre, plus tard, que j’aille au festival
d’Avignon.
J’ai réalisé aussi, à ce
moment- là que, lorsqu’on enseigne, on est tout le temps dans une situation
théâtrale, devant un public particulièrement exigeant. Heureusement, comme au
théâtre, il y a une barrière, une certaine distance avec le public, même s’il
n’y a plus d’estrade pour la signifier. Cette compréhension des choses m’a
d’ailleurs beaucoup aidée à mieux vivre la relation professeur élève.
Cela dit, ma vie commune
avec le théâtre, elle, a commencé beaucoup plus tard,
il
y a de cela seulement une douzaine d’années maintenant. Les premiers temps de
ma retraite en effet, je me suis d’abord tournée vers l’écriture, vitale pour
moi à l’époque. Il ne me restait plus comme situation théâtrale, puisque j’en
avais terminé avec la classe, que quelques conférences ou interventions dans
des collèges, ou au cours de colloques ou de rencontres.
C’est un peu le hasard
qui m’a conduit à vivre pleinement avec le théâtre pendant près de huit ans. Je
venais de contacter l’association « Echange des savoirs »
. Dans ce cadre, toutes les demandes étaient possibles. A cette
époque, je me sentais plus souple dans ma tête, plus apte à évoluer que dans ma
jeunesse et j’avais envie de retrouver quelque chose de cette souplesse dans
mon corps, dans ma façon de bouger. J’ai eu de la chance car Geneviève s’est
trouvée là pour répondre à ma demande. Lorsque j’ai commencé à travailler avec
elle, j’étais bien loin de me douter où m’entraînerait cette aventure. Nous
avons commencé par nous retrouver dans le local de l’association une heure par
semaine. Geneviève m’a appris à marcher, à occuper l’espace, à faire demi tour, puis m’a fait travailler sur quelques
enchaînements simples (enfin pas si simples que cela pour moi). Et, un jour, je
me suis entendu dire : « Le public pourrait se mettre ici, la scène serait là.
»
Et j’ai su, dans le même
instant, que c’était cela que je voulais : me produire devant des gens, avoir
un public.
Et, à partir de ce moment-là,
bien sûr, les choses ont changé. Je me suis préparée à monter sur la scène. Et
peu à peu s’est construit mon premier mime. Mon personnage donnant à voir la
transformation d’une marionnette en une personne vivante correspondait à ce que
je vivais, tout en le traduisant différemment. A la maison, je répétais tous
les jours, souvent pendant plus d’une heure. Dès la fin de la première année,
j’ai pu présenter ce mime, qui n’avait même pas de titre. C’était un spectacle
de dix minutes, devant un petit public, mais peu m’importait. Je passais la
rampe, et je n’avais qu’un désir : continuer, continuer…
A partir de l’année
suivante, je suis allée travailler chez Geneviève deux fois par semaine, puis
trois fois. Les séances duraient une heure, une heure trente au début, puis
elles ont été de plus en plus longues et ont fini par durer la matinée entière.
C’était un investissement énorme en temps (et en argent) mais, selon
l’expression bien connue : « Quand on aime, on ne compte pas » je n’avais
jamais l’impression que c’était trop. Certes le travail quotidien, à la maison
ou chez Geneviève, était souvent difficile et il m’est arrivé plus d’une fois
de pleurer d’impuissance après une heure à répéter la même petite séquence.
Mais, assez vite, j’ai vu que je faisais des progrès.
Ce qui a été alors très
stimulant, à côté des leçons en tête à tête, c’est la rencontre d’autres
comédiens amateurs.
J’étais toujours la doyenne du groupe, mais je
voyais bien que cela n’avait aucune espèce d’importance, seule comptait notre passion
commune et le plaisir de jouer ensemble. J’ai bien aimé les répétitions, dans
une atmosphère créative et chaleureuse, les petits problèmes techniques résolus
dans la bonne humeur, les affinités avec tel ou telle, l’admiration réciproque,
les échanges, les fous rires, l’affolement de dernière minute, le trac,
l’excitation en attendant ensemble le lever de rideau (quand il y en avait un)
le bonheur de jouer — ce moment béni où le temps est comme suspendu— les
applaudissements, les petites réflexions après le spectacle, les rangements à
faire très vite, les dernières accolades avant la séparation… dont on sait
qu’elle n’est que provisoire puisqu’il y aura d’autres spectacles, d’autres
rencontres.
Ce que j’ai bien aimé
aussi, c’est la possibilité qui m’a été offerte, de ne pas me cantonner à un
seul genre de spectacle, une seule discipline. Plus le temps passait, plus je
voyais le champ des possibles s’élargir, au gré de mes désirs ou des
opportunités qui s’offraient.
Ainsi j’ai pu passer du rôle de la jolie femme
en robe du soir qui chante, un verre de champagne à la main, à celui du clown
qui court après une balle qui lui échappe sans cesse, ou à celui du titi
parisien qui va au bal du samedi soir.
Il n’y avait en effet, pas de hiérarchie dans
le choix de ce que Geneviève nous faisait jouer —
le répertoire allait
de la poésie classique (Victor Hugo, Baudelaire ou Verlaine) aux Diablogues de Dubillard en
passant par les fantaisies d’un carnaval imaginaire, ou une scène de
science-fiction, et cela me plaisait beaucoup car je n’aime pas non plus
établir de hiérarchie dans la culture en général.
Bien sûr, il y a eu des
moments particulièrement intenses, plus chargés d’émotion. Ainsi, lorsque, par
exemple, nous avons mimé, à plusieurs, avec de simples masques neutres sur un t
shirt
et des collants noirs, une promenade en gondole à Venise, sur une
musique très lente, très belle. Ou lorsque, au cours d’un spectacle, inventé,
préparé et présenté avec une amie qui habitait à l’autre bout de la France,
j’ai dit, penchée sur un landau d’enfant, un poème qui évoquait la naissance de
ma dernière fille, en 68.
La dernière fois que j’ai
joué, c’était avec mon compagnon, que je venais alors de rencontrer.
Et cela a été un grand
bonheur de me retrouver avec lui sur la scène à danser un tango et une valse
avec des figures que nous avions inventées tous les deux
et de vivre ensemble
la joie d’applaudissements nourris.
Et puis, très peu de
temps après, alors que nous devions présenter le même spectacle devant un autre
public, je suis tombée et je me suis fêlé deux côtes, ce qui a eu pour effet de
m’écarter pour un temps de la scène.
La fin de l’aventure, qui
a duré tout de même presque huit ans, est alors survenue très vite. La cause
directe en a été un diffèrent avec Geneviève qui nous
a amenées à une rupture rapide. Cela a été un peu douloureux sur le moment,
mais très vite, j’ai réalisé que, depuis un moment déjà, je pressentais que
tout pouvait s’arrêter d’un jour à l’autre, ne serait-ce qu’en raison de mes
problèmes physiques. Plus tard j’ai compris aussi que nous étions peut-être
arrivées au bout d’une certaine façon de travailler ensemble.
Du jour au lendemain
donc, le théâtre est sorti de ma vie. Sans regrets. J’ai vécu avec lui de
belles années, intenses et riches, connu des émotions inoubliables, fait, grâce
à lui, de belles rencontres. Et mon regard, quand je vais au spectacle, s’en
est trouvé changé pour toujours, plus aigu, plus chaleureux aussi parce que je
sais le travail qu’il y a derrière ce qui semble parfois si facile, comme
allant de soi.
XI
Cambronne-Desvignes Chantal
(2013), Histoires d’amour. VIII. Mon histoire d’amour avec tante Mado. Témoignage d’une enseignante de
lettres née en 1936
Janvier 2014
Tante
Mado
Rien que ce nom de Tante
Mado que nous devions lui donner, nous paraissait quelque peu ridicule, quand
nous étions enfants. Et, celle que nous ne voyions que comme une vieille fille
un peu geignarde et ennuyeuse était, quand nous étions chez ma grand-mère
paternelle, l’objet de nos a parte moqueurs. Et j’avoue que, même
adulte, c’est cette image d’elle que j’ai longtemps gardée.
Aujourd’hui, je me dis
que ma tante Mado aurait pu tout à fait être une héroïne de Maupassant, une de
ces femmes discrètes, effacées, un peu grises, vouées au silence, invisibles.
Qui était-elle
vraiment ? Et elle, comment se voyait-elle ?
Quelles étaient ses pensées secrètes, ses désirs, ses rêves ?
Moi-même, lorsque j’ai appris à mieux la connaître et que j’ai apprécié chez
elle bien des qualités, lui ai-je jamais posé des questions sur sa
jeunesse, ses sentiments, son métier, sa vie ?
J’ai envie, aujourd’hui
qu’elle n’est plus qu’un nom sur une pierre tombale dans un village que j’ai
beaucoup aimé, mais où je ne retournerai plus, de lui redonner vie, même s’il
doit y avoir beaucoup de blancs dans mon récit.
Je sais qu’elle a
beaucoup souffert de la mort de son père qu’elle adorait. J’ai retrouvé une
lettre qu’il lui avait adressée alors qu’elle avait une dizaine d’années, une
lettre très affectueuse, pleine de délicatesse. Cet homme, mon grand-père, est
mort de tuberculose en 1915, alors qu’elle avait seulement 12 ans. Ma
tante l’avait toujours connu fatigué,fragile.
Mais malgré la maladie, alors qu’il n’avait pas été mobilisé à la déclaration
de guerre, il s’était engagé dans un service civil, et pour elle, il était
un héros.
La scolarité de ma tante
s’est arrêtée à ce moment- là. J’ai toujours entendu dire qu’elle était bête,
incapable de faire des études. Et j’ai été influencée par ce jugement. A vrai
dire, je ne sais quasiment rien des années d’adolescence de ma tante. J’ignore
comment elle a appris son métier de modiste, à
quel moment et dans quelles conditions elle a été embauchée chez un grand
couturier. Je sais seulement qu’elle a travaillé dans ses ateliers pendant 22
ans.
Comment ma tante a-t-elle vécu toutes ces
années ? Quels souvenirs avait-elle gardés de l’atmosphère qui y
régnait, de ses camarades, du travail qu’on lui demandait ?
Jamais je n’en ai rien
su, et comme je regrette aujourd’hui de ne pas lui avoir posé de
questions ! Certes, j’ai toujours vu ma grand-mère porter les
chapeaux qu’elle lui confectionnait, mais jamais elle ne disait un seul mot du
talent de sa fille. Je crois que, pour ma grand-mère, les choses allaient de
soi. Ou peut-être était-ce plutôt que ma tante Mado restait pour elle à jamais
une enfant et qu’à cette époque, on ne devait pas faire de compliments aux
enfants, cela faisait partie des règles d’une bonne éducation.
Quant à son frère… Les
frères, certes, ne sont pas toujours tendres avec leur sœur, mais ma tante
Mado a vraiment joué de malchance avec le sien, Jacques, mon père.
Contrairement à sa sœur, il était un élève brillant, lauréat du Concours
général de physique, puis ingénieur à la sortie d’une grande école. C’était aussi
un grand sportif, un brin casse- cou, et il avait beaucoup de camarades,
sortait, allait danser, alors qu’elle, était une jeune fille sage et
tranquille. J’imagine qu’au fond de lui, il aimait bien sa sœur, mais il se
moquait tout le temps d’elle, et ne la tenait guère en grande estime autant que
j’aie pu le comprendre, d’après les propos de ma mère qui n’appréciait pas non
plus sa belle- sœur.
Lorsqu’elle fit sa
connaissance quelques semaines avant son mariage,
ma tante Mado avait
autour de 30 ans et, paraît-il, déjà toutes les apparences de la vieille fille.
Quand je regarde les photos de cette époque, je vois que, certes, ma tante
n’était pas une beauté, mais elle avait beaucoup d’allure, « la classe » comme
disent les jeunes.
Ensuite, le frère parti,
le papa décédé depuis longtemps, se peut-il qu’elle ait été déjà vouée à ne
jamais se marier ? Je ne sais pas, et j’avoue n’avoir que de
très vagues souvenirs de ma tante dans ma petite enfance. Elle vivait alors
dans la maison familiale avec sa mère, un de ces petits pavillons de banlieue
sans caractère, à Viroflay. Elle avait sa chambre à l’étage, une pièce que je
n’ai jamais vue et, aujourd’hui je me demande si elle s’autorisait à y mettre
le moindre objet personnel.
Lorsque ma grand-mère, en
1942, a décidé de partir vivre à la campagne, il était évident que ma tante
suivrait et je doute fort qu’elle ait eu son mot à dire. Il était convenu que
l’air de la campagne lui ferait le plus grand bien
(elle
avait eu une diphtérie dont elle avait mis longtemps à se remettre) qu’elles
pourraient vivre toutes les deux avec la modeste retraite de ma grand-mère.
Tante Mado s’occuperait du jardin, elle élèverait des poules et des
lapins.
Ma grand-mère vendit donc
sa petite maison de Viroflay pour s’installer à Coulanges, un tout petit
village à 10 kilomètres de Blois,
dans
un ancien pigeonnier de belles dimensions, entouré d’un grand jardin. Tante
Mado fut-elle heureuse de quitter la maison de son
enfance ? Ou vécut-elle cela comme un exil
qu’elle était obligée d’accepter ? ou bien encore était-ce pour
elle une évidence qu’il n’y avait pas d’autre choix pour elle que de se retirer
dans cette tour comme les princesses des contes, mais pour elle, sans espoir
qu’un beau seigneur vienne un jour l’en délivrer.
J’ai toujours entendu ma
mère dire que sa belle- sœur n’était qu’une paresseuse. Mais c’était
terriblement injuste. Ma tante s’est tout de suite mise vaillamment au travail
de la terre. Outre le temps qu’elle passait au jardin à planter, repiquer,
sarcler, récolter, elle enfourchait son vélo, qu’elle avait équipé d’une
remorque et faisait ses vingt kilomètres toutes les semaines pour faire des
courses à Blois, tuait volailles et lapins lorsqu’il le fallait, cueillait l’herbe
convenant aux lapins,
allait chercher et
installer les bouteilles de butane dans la cuisine, et bien d’autres
choses encore. Elle faisait même des travaux d’homme et portait de
lourdes charges sans demander l’aide de personne.
Comme j’aimais beaucoup ma
grand-mère, je ne m’offusquais pas de la voir traiter ma tante Mado en
éternelle mineure, incapable de prendre la moindre décision, d’avoir la moindre
autonomie.
Je n’ai réalisé cette
situation que lorsque ma grand-mère est morte.
C’était l’année de mon
mariage et ma tante avait 55 ans.
Bien que je ne voie pas
très souvent ma tante à cette épique, j’ai été
frappée du changement qui s’est opéré en elle. C’était spectaculaire. Elle qui
n’avait jamais eu le droit de décider quoi que ce soit, a pris sa vie en mains
d’une façon magistrale, sans rien demander à personne.
Elle organisa la maison
de façon tout à fait différente, s’installa au rez de
chaussée de la tour, aménagea et équipa toute seule le premier étage pour
y recevoir des locataires, et elle en trouva tout de suite. Elle acheta une
machine à tricoter, prit des commandes, participa à la vie du village et, alors
que jusque là, elle ne voyait que les amies de sa
mère, ne recevait jamais une lettre adressée à elle seule, elle se mit à avoir
des amis.
Elle qui, auparavant,
n’écrivait jamais, — c’était sa mère qui se chargeait aussi de la
correspondance et, tout au plus, rajoutait-elle une ligne ou deux— m’écrivait
de bien jolies lettres, pleines de poésie, sensibles, avec des détails sur
elle, sur la vie du village. Elle avait un style très personnel et qui me
plaisait bien.
Quand ma mère, trop âgée,
a cessé d’aller à Coulanges,
c’est
moi qui, le plus souvent, suis allée voir ma tante Mado, qui était ma marraine.
Dans l’esprit de ma mère,
c’était une corvée qu’elle me demandait là. Pour moi, ce fut au contraire
l’occasion de mieux connaître ma tante et de l’apprécier.
J’allais donc à Coulanges
trois ou quatre fois par an. Tante Mado aurait sûrement aimé que je vienne
plus souvent, que je reste plus longtemps, surtout l’été, mais jamais elle
ne s’est plainte de la brièveté de mes passages. Jamais je ne l’ai
entendue se plaindre de rien d’ailleurs.
Je m’en voulais
terriblement d’avoir été si injuste envers elle dans mon enfance. Certes elle
ne ressemblait en rien à ma grand-mère, mais elle avait sa personnalité, des
goûts bien à elle. Elle s’intéressait beaucoup aussi à son entourage, savait
écouter ses voisins, les gens du village, connaissait bien leurs problèmes et
se sentait solidaire d’eux. A la demande d’une amie, elle devint même guide
touristique pour faire visiter les vestiges bien conservés d’un couvent,
reconnus comme monument historique. Et elle, qui était jugée si sotte, s’est
passionnée pour l’histoire de ce lieu. Elle n’était pas de ces guides qui
récitent machinalement des dates, elle s’était informée, avait lu des
documents, connaissait quantité de détails fort intéressants.
Et, quand elle m’a emmenée faire la visite,
j’ai été stupéfaite et très admirative de voir l’étendue de ses connaissances.
Il y a autre chose, qui
pourrait paraître un détail, mais qui, à moi, me paraît chose importante.
Dans mon enfance, et plus
tard, J’ai toujours vu un chien à Coulanges, Mais c’était le chien de ma
grand-mère, pas le sien. Ce n’est que, quand elle a été seule qu’elle a eu
enfin un animal vraiment à elle. C’était un petit ratier, qui la regardait avec
des yeux adorant. Si elle sortait dans le jardin, il la suivait, si elle
s’asseyait, il se couchait à ses pieds, et, dès qu’elle se relevait, il se
relevait aussi. Elle lui parlait, le caressait. Ils formaient un couple
inséparable. Quand ma tante Mado est entrée en maison de retraite, je me
demandais ce qu’il adviendrait du chien. Mais il est mort, deux jours avant
qu’elle parte, comme s’il avait pressenti leur séparation. J’ai réalisé alors
que c’était peut-être la seule fois où elle s’était sentie complètement
acceptée et aimée.
Quand est venu le moment
où elle a dû entrer en maison de retraite, elle a vendu sa maison et nous a
distribué l’argent qu’elle en a retiré, ne gardant pour elle que le minimum
pour assurer ses vieux jours. Elle s’était préparée depuis longtemps
à ce départ, et j’ai admiré la façon dont, très vite, elle s’est adaptée à la
vie en collectivité.
Je me rends compte en
écrivant que, d’une certaine manière, elle a été un modèle pour moi, comment
dire, la preuve qu’à tout âge de la vie, on peut changer, grandir, oser
s’affirmer, et cela sans écraser qui que ce soit. D’ailleurs sa meilleure amie,
Madame Augeard, me confiait :
« J’aimais beaucoup votre
tante et je l’admirais.
Elle était la gentillesse
même. C’est bien simple, je ne l’ai jamais entendu dire du mal de personne,
jamais. »
Le jour de son
enterrement, j’étais, avec une de mes filles, la seule représentante de la
famille, mais tout le village était derrière son cercueil et j’ai compris
qu’elle, la citadine, avait été depuis longtemps, adoptée par tous, et aimée.
XII
Cambronne-Desvignes Chantal (2014), Histoires d’amour. IX. J’aime qu’on me raconte des
histoires
Avril 2014
Chantal
Cambronne-Desvignes, née en 1936, traite ici des histoires, celles que l’on
nous raconte et celles que nous racontons. Alors les histoires, comme
composante importante de l’Histoire ? Oui, si l’on s’en tient
au propos de Chantal Cambronne ! Henri Charcosset
J’aime
qu’on me raconte des histoires
Je dois pour une bonne
part l’amour des histoires à ma mère. Déjà, dans la vie quotidienne, elle
avait le don de transformer le plus petit incident en une aventure
passionnante, drôle, tragique, ou émouvante. Souvent, le soir, oubliant sa
propre fatigue,
Elle nous lisait des
Contes quand nous étions petits :
L’oiseau bleu, Belle Biche et Beau Mignon, La petite poule noire, La
petite fille aux allumettes, Aladin et la lampe merveilleuse… Plus tard, elle
nous racontait ses livres préférés : Nez de cuir, Les gens de Mogador… Ou
encore des livres qui racontaient la vie des animaux.
Celles- là, elle les
aimait particulièrement. Jamais l’idée ne me serait venue à moi de lire un de
ces ouvrages, tant j’étais persuadée que j’en mourrais d’ennui, mais sa voix de
conteuse me transmettait quelque chose de sa passion et je découvrais avec
bonheur le monde des baleines, des abeilles, des insectes…
Cela dit, elle n’était
pas la seule à me pourvoir en histoires. Ainsi, chez ma grand-mère paternelle,
je lisais et relisais « le journal de Marguerite » qui avait nourri sa propre
jeunesse. J’étais bien loin alors d’imaginer qu’il s’agissait d’un journal
fictif, écrit pour l’édification des jeunes filles. Pour moi, Marguerite était une vraie petite fille, avec ses défauts,
ses petites révoltes, son cœur d’or. Sur la première page du livre, elle était
en tenue de première communiante. Elle était si belle, dans ses dentelles et
ses frous frous qu’on aurait dit plutôt une mariée. Nous
parlions de ce livre toutes les deux, ma grand-mère et moi, pendant des heures,
sans jamais nous lasser. Chez elle aussi, les jours de pluie, je lisais et
relisais « Nos poilus dans les tranchées » dans la collection des petits livres
roses.
Le texte était illustré
et les images me plaisaient autant que le texte, qui ne montrait que les bons
côtés de cette guerre horrible.
Dans la petite école
libre de mon enfance,
j’ai
été aussi nourrie de belles histoires, celles qui sont racontées dans la
Bible,
le
déluge avec la colombe qui ramène dans son bec un rameau
d’olivier, les filles de Loth transformées en statues de sel,
Absalon cloué aux branches d’un arbre par sa longue chevelure, et puis la vie
des saints, l’histoire du Père de Foucault, la petite sœur Thérèse qui veut
tellement entrer au couvent avant d’en avoir l’âge, Maria Goretti qui préfère mourir plutôt que de perdre sa
vertu.
J’absorbe avec la même avidité les récits de
mon livre d’histoire : Clovis et le vase de Soissons,
Jeanne d’Arc, Jeanne Hachette, Charlotte Corday…
Mais je crois que,
très vite, ce sont les romans que je préfère. J’irai même plus loin. Pour moi
aimer lire, c’était aimer lire des romans, des histoires avec des personnages,
des passions, des rebondissements, une belle fin. Ce n’est que, très
tardivement, et, pour une bonne part en observant la façon dont les élèves se
ruaient sur les encyclopédies, les dictionnaires, les revues spécialisées, les
livres documentaires, que j’ai compris que non seulement on pouvait préférer
lire autre chose que des romans, mais que ces lectures étaient tout aussi
valables. Moi-même, peu à peu, je me suis mise à d’autres lectures, des
quotidiens, des revues. Au début en me forçant, puis parce que je ressentais la
nécessité, à partir des années 68-70, de me tenir au courant de ce qui se
passait dans le vaste monde.
Mais
j’ai toujours préféré apprendre des choses par le biais d’une histoire.
Ainsi
j’ai beaucoup lu, vu au cinéma ou à la télévision la vie de personnalités
Marquantes.
Catherine II de Russie, Gandhi, Martin Luther King, Marie Curie, et bien
d’autres. Sans parler de récits de vie de toutes sortes de gens :
infirmière, médecin de campagne, mannequin ayant vécu l’horreur de l’excision,
chanteurs,
Et
je peux dire que j’ai plus appris sur les mœurs, l’évolution d’un pays, le
sort de certaines populations par les romans que par des articles de journaux,
fussent-ils excellents. J’ai découvert avec Jorge Amado le Brésil,
la misère des favelas, la vie dans les plantations, la Suède d’aujourd’hui, ses
reniements, ses difficultés, avec Henning Mankell, la vie dans une ville chinoise avec des romans
policiers chinois.
Aujourd’hui encore, je
suis tellement dans l’histoire que j’en arrive à considérer les personnages
comme de vraies personnes.
En sortant d’une salle de
cinéma par exemple, il m’arrive de dire : « Je trouve qu’à tel moment, il
(ou elle ) aurait dû faire telle
chose, si seulement il avait pu rencontrer plutôt telle personne….)
Je ne dois pas être la seule à avoir ce type de réaction, sans quoi comment
expliquer le succès actuel des « docufictions »
Ces histoires ne sont pas
seulement pour moi une mine de renseignements, elles sont aussi une source de
réflexion, une nourriture, elles ne sont pas à côté de ma vie,
elles
m’aident à mieux comprendre le monde, à mieux me comprendre moi, à vivre mieux,
plus intensément.
Je voudrais dire aussi
qu’il n’y a pas que les histoires racontées dans les livres qui me passionnent.
J’éprouve toujours le plus grand plaisir à écouter les gens raconter leur
parcours, comment ils ont choisi leur métier, rencontré l’homme ou la femme de
leur vie, comment leurs idées ont évolué, comment ils vivent leur présent.
Je ne crains que rarement
d’être indiscrète parce que la plupart des personnes aiment se raconter et le
font très bien, même lorsqu’elles croient qu’elles ne sauront pas le faire.
Pour finir je ne peux
résister au plaisir de raconter une aventure qui m’est arrivée dans un train.
J’avais déjà eu l’occasion d’entendre des confidences de mon voisin ou de ma
voisine. Le voyage s’y prête volontiers car on sait qu’on ne reverra jamais la
personne et que donc tout peut être dit. Mais cette fois- là il s’agit d’autre
chose.
J’avais pour voisins dans
le compartiment un couple avec un jeune garçon de 5-6 ans. Le gamin était
insupportable, ne tenant pas en place, et les parents, excédés, ne
savaient plus que faire et se sentaient gênés de déranger tout le monde.
Je me sentais en
sympathie avec les parents débordés par leur progéniture, pour la raison très
simple qu’avec mes quatre enfants, pleins de vie et turbulents,
Je connaissais bien le
problème. Mais, quand j’ai commencé moi aussi à me fatiguer de voir le garçon
gesticuler, courir partout, ouvrir et fermer la porte du compartiment, je lui
ai demandé s’il voulait que je lui raconte l’histoire de « la princesse qui ne
pouvait pas dormir. »
Tout en la racontant,
j’en cherchais une autre dans ma tête, puis une autre, une autre encore et
ainsi, pendant plus d’une heure, jusqu’à ce que le train arrive à Paris, j’ai
raconté, raconté, prenant à peine le temps de reprendre mon souffle. Le gamin,
sagement assis, ne bougeait plus, ne disait
plus rien, me regardant et ne perdant rien des gestes qui accompagnaient les
mots. Et les parents aussi écoutaient.
C’était extraordinaire.
Alors je peux dire que j’ai béni le fait d’avoir dans ma vie pu entendre, lire,
raconter tant d’histoires et qu’elles puissent servir à distraire un pauvre
gosse qui n’avait pas d’autre choix que d’attendre la fin d’un voyage qui lui
paraissait interminable.
Je me demande si, en
fait, dans la vie, tout n’est pas qu’histoire, qu’elle s’écrive avec un petit h
ou un H majuscule.
Et, parmi toutes ces
histoires, qui s’écrivent ou se disent à travers le monde, il y a la mienne que
je raconterai peut-être un jour. Mais, comme disait le petit lion Titus, dans
un dessin animé que je regardais autrefois avec mes enfants tous les soirs «
ceci est une autre histoire »!
XIII
Cambronne-Desvignes
Chantal (2014), Histoires
d’amour. X. Entre l’amour et
l’amitié….
Juillet 2014
Chantal Cambronne-Desvignes, professeur de lettres
retraitée, née en 1936, traite ici d’un sujet qui, un jour
ou l’autre, nous a tous concernés : l’état intermédiaire entre
amitié et amour. Elle en traite d’une belle façon…. à
la mode d’il y a quelque 60 ans. HC
Manolis :
entre l’amour et l’amitié…
Manolis a fait irruption dans ma vie d’étudiante
sage — je dirais aujourd’hui beaucoup trop sage — d’une façon tout à fait
inattendue, naturelle en même temps. Non pas sur un beau cheval blanc, comme
dans les contes de mon enfance, mais à la Sorbonne, un jour que je peinais à
trouver une place dans un amphithéâtre bondé, ou devant les panneaux qui
annonçaient le début des cours de tel ou tel professeur. J’étais alors en
dernière année de licence. Manolis venait
d’Athènes, vouait une admiration éperdue à la langue française, qu’il parlait à la perfection — à
tous les professeurs … et à moi. Il me réservait une place à côté de
lui au premier rang de l’amphi et son visage s’illuminait dès qu’il me
voyait.
Je
ne le connaissais pas depuis huit jours qu’il me faisait une déclaration
d’amour enflammée. Et moi qui avais tant souhaité être passionnément aimée,
voilà que j’étais incapable de lui répondre. Certes j’admirais son
intelligence, son enthousiasme, j’appréciais sa compagnie, je le trouvais
vivant, sympathique, chaleureux, mais je n’éprouvais pas la moindre attirance
pour lui et je savais bien que cela ne changerait pas. Je le lui ai
dit tout de suite : je ne voulais ni lui faire du mal, ni le faire
marcher. Il a sans doute été déçu mais il n’en a rien montré et il a gardé le
même empressement, la même chaleur, le même regard amoureux. Cela n’a pas été
dit, mais, de fait, il a accepté que nos relations restent sur un plan purement
amical.
Je
pense que, malgré tout, il gardait l’espoir qu’un jour je changerais d’avis car
il a voulu connaître ma mère, qui a d’ailleurs proposé, quand je lui en ai
parlé, de l’inviter à dîner à la maison. Je
me souviens de cette soirée comme si c’était hier. Nous sommes partis de la
Sorbonne ensemble et il a absolument voulu acheter des fleurs.
Chez la fleuriste, il a choisi un énorme
hortensia, ce qui fait que, lorsque ma mère a ouvert la porte, elle n’a d’abord
vu que les fleurs avant de le voir, lui. Par la suite, nous avons beaucoup ri
de cette apparition de Manolis disparaissant
complètement derrière son hortensia.
Cela
dit, il nous a fait passer une excellente soirée, racontant de multiples
anecdotes sur son pays et ses coutumes.
Ainsi il nous a dit comme il adorait
marchander avec un de ses amis commerçants, non pour faire des affaires, mais
simplement pour le plaisir de trouver le bon argument et d’emporter la partie.
Il a laissé aussi ma mère raconter ses histoires, ce qu’elle sait faire à la
perfection et elle a été, cela va de soi, entièrement conquise.
Une
autre fois, il m’a appelée, affolé parce que je n’étais pas venue à un cours.
J’étais alors au fond de mon lit, avec une bonne bronchite. Inquiet, il est
aussitôt venu me voir. Il s’est assis au bord du lit et m’a raconté les
derniers potins de la fac pour me distraire. Pareille chose ne m’était jamais
arrivée et je dois dire que j’ai été émue d’une telle sollicitude.
Mais
je crois que mon meilleur souvenir de cette époque, ce sont les dimanches que
nous passions à préparer ensemble les devoirs dans sa chambre de la Cité
Universitaire.
Il
avait convaincu quelques autres étudiants de se joindre à nous et ce petit
groupe a très bien fonctionné tout au long de l’année.
Il y avait Jacques, un garçon très gentil et toujours égal à lui-même,
Dominique, un grand timide, et une jeune fille, Catherine.
J’arrivais
toujours la première, pour avoir le temps de discuter avec Manolis.
C’était
un moment privilégié où nous pouvions échanger très librement sur tous les
sujets, y compris ses flirts éphémères dont il se sentait toujours un peu coupable,
et Helena, son premier amour, perdu de vue depuis longtemps et qu’il ne
reverrait sans doute jamais.
Puis, lorsque les autres arrivaient, nous nous
mettions au travail de façon efficace, mais toujours dans une atmosphère
joyeuse, décontractée. Pour moi qui me sentais bien isolée à la Fac, je vivais
là quelque chose de tout à fait nouveau. Je découvrais la chaleur de la bonne
camaraderie, je me sentais bien, à l’aise pour une fois. C’était formidable.
Manolis voulait
absolument nous faire partager son admiration pour nos professeurs. A la fin de
l’année, il se mit en tête d’inviter notre professeur de latin, Monsieur
Perret, un homme austère et distingué qu’il estimait particulièrement.
Et,
pour lui, il était évident que nous serions tous de la fête.
Le
professeur en question accepta l’invitation et notre petit groupe se retrouva
donc avec lui dans un restaurant tranquille près de la Sorbonne. J’étais un peu
intimidée, mais, en fait, ce fut un moment très agréable. Monsieur Perret nous
offrit l’apéritif, se montra tout au long, simple, chaleureux, attentif à
chacun de nous.
Quelques
jours plus tard, le hasard fit que je passais une épreuve orale avec lui. Il
fit exactement comme si nous ne nous étions jamais rencontrés et je suis
certaine qu’en m’interrogeant, il garda toute son objectivité.
Je
me souviens encore de la dernière rencontre de notre petit groupe, autour d’un
verre de jus d’orange et de quelques gâteaux secs.
C’était
la fête : nous étions tous reçus à ce fameux certificat de grammaire et
philologie, réputé comme le plus difficile de la licence.
Ce
jour- là, Jacques nous a annoncé que nous ne devions surtout pas boire dans son
verre parce qu’il était contagieux. Il allait entrer en sana quelques jours
plus tard. Il disait cela comme quelque chose de très naturel, sans aucune
trace de tristesse. Dominique, lui, osa inviter à danser une jeune italienne
qui était là par hasard ce jour- là.
Lorsque
je le rencontrai quelques mois plus tard, il m’annonça son mariage avec le. Je
ne sais ce qu’est devenu Catherine.
Puis
le temps a passé. Nos études avaient pris des voies différentes et je ne voyais
plus Manolis. Et puis un jour il a
surgi juste en face de moi, devant les grilles du Jardin du Luxembourg. Il
était accompagné d’une belle jeune fille, qui le dépassait d’une tête. « Tu
vois, j’ai retrouvé Hélena, et nous allons nous
marier dans dix jours. » Il était rayonnant.
Et
j’étais heureuse pour lui. Nous nous sommes embrassés chaleureusement. Et puis,
j’ai vu leurs deux silhouettes s’éloigner, sans nostalgie. Nous avions vécu une
si belle année !
XIV
Cambronne-Desvignes
Chantal (2014), Histoires
d’amour. XI. Coups de foudre,
coups de cœur
Octobre 2014
Coups
de foudre, coups de coeur…
J’ai gardé longtemps
l’image stéréotypée du coup de foudre : le mouchoir de baptiste tombé par
hasard des mains de la belle et que le beau jeune homme court lui rendre,
prélude à une histoire d’amour éternel. Mais aujourd’hui, avec ma déjà
longue expérience des choses de la vie, j’ai bien envie de dire que des coups
de foudre — je devrais dire plutôt des coups de cœur, j’en ai connu, et j’en
connais encore, qui valent bien toutes les romances et qui s’étendent bien
au-delà du champ de la passion amoureuse.
Le premier coup de coeur qui me vient à l’esprit, rencontre fulgurante, riche
d’émotion, remonte à l’été de mes 11 ans, lorsque je suis partie en Norvège.
Après trois jours de voyage en train, épuisants, en compagnie de galopins
insupportables, plus une nuit en centre d’accueil (lequel n’avait d’accueillant
que le nom) et un dernier voyage en car ou en train, je ne sais plus, j’arrive
enfin chez ma famille d’accueil. Seule, la maîtresse de maison est là.
Dieu qu’elle est belle ! Elle a de
superbes yeux noirs, très vifs, avec plein de joyeuses petites rides autour,
des pommettes hautes, une voix chantante, et un sourire, un sourire…je me dis
qu’avec ses yeux en amande, elle doit venir du grand nord, de la lointaine
Laponie, ce qui ajoute à son charme et me fait rêver. Elle me fait comprendre
qu’elle ne sait pas un mot de français, ce qui ne l’empêche pas de me poser des
questions sur ma famille, mes frères et sœurs… Quand elle voit que nous sommes
arrivées au bout de ce que nous pouvons nous dire par gestes et mimiques
diverses, elle va chercher un petit dictionnaire français-norvégien, que nous
nous mettons à feuilleter à tour de rôle à la recherche des mots qui vont nous
aider. La recherche devient de plus en plus frénétique, et, pour finir, nous
nous mettons à rire, mais à rire, sans pouvoir nous arrêter. Et c’est ainsi que
nous surprennent les autres membres de la famille : une grande jeune
fille, un adolescent aussi farouche que beau,
et le père de
famille, un vieux monsieur (il me semble très vieux à côté de sa femme, mais
ils doivent avoir le même âge) qui va être un vrai grand-père pour moi. J’ai
été très heureuse cet été- là, qui avait si bien commencé.
Deux ans plus tard,
ma vie est toute différente. Cette année-là, en pension, j’ai un professeur de
français-latin terrible, Madame Vasseur, dont j’ai une peur bleue. C’est une
vieille femme sèche, à la voix sévère, qui ne sourit jamais.
Je redoute d’être
interrogée, je redoute le moment où elle va nous rendre un devoir, je redoute même
de seulement rencontrer son regard.
Chaque cours avec elle
est un supplice.
Et puis, il y a ce fameux
jour de la lingerie. Ma mère m’a envoyé là- haut faire je ne sais plus quelle
réclamation et la responsable, une horrible mégère, qui me fait encore plus
peur que Madame Vasseur, hurle contre moi pour un crime que j’aurais commis
sans le savoir. Je me retrouve dans la cour de récréation, désespérée, en
larmes. Et tout à coup je sens une main sur mon épaule, et je vois le visage de
Madame Vasseur penché sur moi : « Qu’est-ce qui se passe, mon petit ?
» Sa voix n’a plus rien de terrible, on dirait plutôt celle d’une
gentille grand-mère.
Alors je raconte comme je
peux mon histoire, entre deux sanglots. Je ne crois pas que madame Vasseur
comprenne grand- chose à ce qui se passe, mais elle me parle, me dit des mots
de réconfort, et réussit, pour finir, à me faire sourire.
J’imagine qu’elle ne
s’est jamais douté à quel point j’ai été touchée, à
quel point elle a pu, par ces quelques instants d’attention, éclairer ma vie de
petite pensionnaire : ma si terrible prof est donc un être humain, elle a
un cœur, elle peut éprouver de la compassion.
Je n’en reviens pas. J’ai
continué à avoir peur d’elle, mais d’une façon plus normale. Jamais je n’ai
oublié cette scène, jamais.
Et j’en suis encore émue
aujourd’hui. Un autre jour, dans un passé beaucoup plus récent. Je marche
tranquillement dans la rue. De dos, je vois devant moi un enfant qui tient la
main de sa maman.
Tout à coup, il s’arrête.
Et je vois le fin visage d’un tout petit garçon — peut-être 4-5 ans — le regard
tourné vers sa mère, sans aucune trace de colère, ni d’ennui, et je l’entends
dire, de sa douce voix tranquille : « J’aurais pas
voulu que ce soit si loin. »
C’est tout. La maman ne
dit rien et l’enfant recommence à trotter à côté d’elle. J’ai trouvé
extraordinaire qu’il utilise aussi bien le langage (au diable la
grammaire !) pour dire au plus juste ce qu’il ressentait, l’ennui du
chemin trop long, la fatigue, tout cela le plus naturellement du monde. J’ai
vécu toute la matinée avec ce regard et cette petite voix d’enfant. J’ai fixé à
jamais en moi ce bien bel instantané.
Un autre moment de pur
bonheur, dans un tram bondé à une heure d’affluence. J’ai la chance d’être
assise, près de la porte. Entre une dame d’une cinquantaine d’années, peut-être
plus, peut-être moins. Sa silhouette me semble un peu lourde, massive plutôt
et son visage n’a rien de remarquable.
Enfin, c’est ce que je
crois tout d’abord. Jusqu’à ce que je m’aperçoive que quelque chose me retient
chez cette femme, que je suis comme aimantée par elle. En fait, elle emplit
complètement de sa présence l’espace autour d’elle. Jamais je n’ai vu une telle
expression de bonté, de plénitude rayonnante. Elle parle doucement à sa
voisine, une toute jeune fille, elle ne sourit pas vraiment, elle ne fait rien
de spécial, rien. Mais elle est là, complètement là.
Dans le tram, je ne vois
plus que ce visage, je pourrais presque dire que je m’en nourris. J’aurais envie
de lui parler, de lui dire ce que je ressens à la regarder, envie de savoir qui
elle est, quel est le secret de ce rayonnement qui émane d’elle.
Mais je ne fais rien
d’autre que la regarder et la regarder encore.
Je n’ai jamais revu cette
femme, mais, après des mois, son visage ne s’est pas encore effacé.
Il y a aussi, parmi ces
passants dans ma vie, cet homme que je n’ai rencontré que quatre ou cinq fois.
C’est un des voisins de ma belle-famille et rituellement, à chaque promenade,
il convient de s’arrêter devant sa maison. Je ne sais rien de lui sinon qu’il a
perdu la vue à la suite d’un accident et qu’il est veuf depuis peu.
L’après-midi, il est accoudé à la barrière de
son jardin et répond naturellement à notre bonjour.
Mais c’est vers moi, qu’il ne connaît pas,
qu’il se penche pour me raconter une histoire. Je ris de bon cœur et il
s’empresse d’en raconter une autre. Il me dit qu’il aime m’entendre rire. Je me
rends compte qu’il aimerait bien que je reste là, mais bon : je dois bien
suivre les autres qui n’ont pas envie de s’attarder.
La fois suivante, deux
jours après, il me dit qu’il me reconnaît avant même que j’aie eu le temps de
dire quelque chose, qu’il me sent arriver. Alors nous rions et il me serre les
mains chaleureusement, les bras, les épaules, il me respire, il est heureux.
Comme la première fois, il se penche vers moi pour me parler. Il a une belle
voix chaude. Je sens bien que, pour lui, le monde entier a disparu, il ne voit
plus que moi, si on peut dire cela d’un aveugle. Ce que nous nous disons
importe peu. L’important c’est d’être là, de trouver quelque chose, n’importe
quel prétexte pour prolonger la rencontre. Je suis happée par cette voix, cette
main sur mon bras, ce désir que le regard ne peut plus dire, mais
que je ressens si fort que je voudrais que les autres disparaissent et qu’il
n’y ait plus que nous, entrant ensemble dans la petite maison et tombant dans
les bras l’un de l’autre sitôt la porte refermée. La même scène se reproduit
encore plusieurs fois durant mon séjour, avec le même trouble, le même
bouleversement, la même attirance réciproque, à la fois manifestée et tue.
Je garde un souvenir très fort de ces
brefs échanges à fleur de voix, à fleur de peau. Rien ne pouvait se passer
entre nous, rien, et nous le savions tous les deux. C’est peut-être d’ailleurs
ce qui a donné une telle force à ce coup de foudre.
Oserai-je raconter le
petit bal de Martel ? C’était encore un autre temps, plus lointain. Je
campais avec ma sœur. Il faisait un temps détestable et vivre sous la tente
avec la pluie n’est pas très exaltant. Alors, quand nous avons vu l’annonce,
sur une affiche, d’un bal à Martel, deux soirs de suite, nous n’avons pas
hésité.
Lorsque nous sommes
arrivées sous la halle du marché, lieu des réjouissances, il n’y avait encore
personne. Si, deux jeunes gens, arrivés comme nous en avance. Tout
naturellement, nous avons commencé à parler, échangeant nos expériences de
camping sous la pluie. Et, tout aussi naturellement, quand la musique a
commencé, nous sommes entrés sur la piste de danse. Et Michel ne m’a plus
quittée de la soirée.
Lorsque le dernier slow est arrivé, il m’a
embrassée, un long baiser qui a duré tout le temps de la danse. Et nous nous
sommes donné rendez-vous pour le lendemain.
Cette fois, je suis
retournée seule à Martel et Michel est arrivé seul lui aussi sur la place. A
nouveau, nous avons dansé toutes les danses jusqu’au dernier slow, et il y a eu
encore un très long baiser. Le bal était terminé et nous sommes allés nous
asseoir sur un banc. Nous avons parlé, longtemps, de nous, de nos vies, de nos
désirs les plus chers. Puis nous avons cherché un coin tranquille… et nous nous
sommes aimés, comme on dit dans les histoires. Nous nous sommes revus le jour
suivant, et encore le jour suivant. J’avais près de 40 ans, et lui, beaucoup
plus jeune, venait d’entrer dans la vie.
Comment faire comprendre
cela ? Ce n’était pas une passade, une petite histoire pour rire, pour
passer le temps, mais bien autre chose : une vraie rencontre, pleine de
fraicheur et de tendresse.
Michel voulait fonder une
famille, rendre une femme heureuse, lui être fidèle et avoir des enfants. De
mon côté, je ne lui ai rien caché de ce que je vivais, mon divorce, ma
nombreuse famille, mon désir d’un grand amour. Nos échanges étaient simples et
naturels tout comme était naturelle notre intimité.
Quand le jour de la
séparation est arrivé, nous savions que notre adieu serait
définitif : nous habitions dans des villes trop éloignées l’une de l’autre
pour prolonger la rencontre, au moins un temps.
Pour la dernière fois, nous nous sommes
embrassés, cette fois fraternellement,
et je suis partie
sans me retourner, heureuse et prête à affronter le retour au quotidien.
Au moment où je pensais
en avoir terminé avec ces coups de foudre, coups de cœur, il m’en est revenu un
tellement plus fort que tous les autres que je l’avais caché bien au fond de
moi.
J’ai 15 ans et je suis en
maison familiale. Un jour, je rencontre une de mes camarades de classe. Je ne
suis pas amie avec elle, et même je la connais très peu, mais là, nous sommes
contentes de nous voir et elle nous invite aussitôt, mes frères et moi, à venir
chez elle.
Très bon accueil de sa
mère et de sa soeur, une jeune fille aussi
resplendissante et tonique qu’elle est pâle et effacée.
Mais surtout, surtout,
j’ai le coup de foudre pour le jeune homme qui s’avance vers nous. Il est très
beau, sportif, avec un visage qui inspire d’emblée la sympathie, un regard vif,
des gestes harmonieux. Bref je suis plus que sous le charme, et je tombe
follement amoureuse.
Il me faut un certain
temps pour réaliser que ce jeune homme si séduisant est, en réalité, le père
des deux jeunes filles.
Je le comprends seulement lorsque je le vois
jeter vers les trois femmes de sa vie, des regards pleins d’amour et d’admiration.
A ce moment- là, mes pensées, mon désir
prennent un autre tour, bien évidemment.
Je revois la photo de mon
père. Lui aussi était jeune et beau, et, s’il avait vécu, lui aussi peut-être
jouerait au ballon avec nous et je serais fière de lui, et heureuse, si
heureuse. Je suis amoureuse de cet homme et en même temps, non, je ne peux pas
être amoureuse, puisqu’il est l’image de mon père.
Je vis un torrent
d’émotions. Mon dieu, elle ne sait pas quelle chance elle a, cette fille,
d’avoir un père pareil, un père qui joue avec ses enfants, et qui est heureux
de jouer avec eux, un père qu’elle peut présenter à ses copines, un père qui
est là tous les jours, un père qui regarde sa petite famille avec amour.
C’est un peu comme si,
tout à coup, je rencontrais mon père, comme s’il était là, devant moi, vivant,
ô combien vivant. Ce n’est plus une image dans un cadre.
Maintenant que j’ai
raconté cette histoire, il me semble que je ne peux pas en raconter d’autres,
bien que les coups de cœur fassent toujours partie de ma vie.
Sans doute parce que
celui-là a été plus fort, plus marquant, et que je n’en ai jamais parlé à
personne, sinon à ma petite sœur très aimée, à qui je dédie ce texte.
XV
Cambronne-Desvignes Chantal
(2014), Histoires d’amour.
XII. Et moi est-ce que je m’aime ?
Janvier
2015
Et
moi, est-ce que je m’aime ?
En commençant à
rédiger ce texte, je me suis rendu compte qu’en fait cela n’aurait guère de
sens de parler de la relation que j’entretiens aujourd’hui avec moi-même sans
évoquer mon cheminement tout au long de ma vie. Tout amour en effet
a une histoire, avec ses découvertes, ses
temps apparemment morts, ses révolutions, ses moments heureux, et, comme j’ai
atteint l’âge respectable de 78 ans, l’histoire de cet amour-
là, plus proche de la fin que des commencements, est
longue.
Le début, je le connais
peu directement. Je n’ai que de vagues souvenirs, seulement quelques scènes
très claires, mais isolées, que j’ai du mal à interpréter. Mais, si je regarde
les photos, je vois que, dès le commencement, je ne corresponds pas à l’image
classique de la petite princesse. Les belles boucles blondes, les grands yeux
de biche au regard enjôleur, ce n’est pas moi.
Mais je m’aime bien, je me trouve même à
croquer. Je ressemble à un bébé japonais avec mes tout petits yeux vifs, mes
bonnes joues et ma frange (sur un seul côté : j’ai toujours eu des cheveux
rebelles). Sur presque tous les clichés, je ris, ou alors je tourne la tête,
plus intéressée par ce qui se passe ailleurs que par l’objectif. Plus tard,
derrière mes lunettes rondes (j’en ai porté très tôt) je suis frappée par mon
regard, innocent, naïf, un peu rêveur. Et j’aime bien aussi cette petite fille
que j’ai été et qui m’attendrit.
Et aujourd’hui, enjambant
moult années, à l’autre bout du temps qui m’est imparti, est-ce que je peux
dire que je m’aime ? Est-ce que je suis comme j’aurais voulu être, comme
j’ai rêvé d’être autrefois ? Est-ce que je me plais ? Je ne
peux m’empêcher de rapprocher les photos d’aujourd’hui de celles d’autrefois.
Mes joues ont un peu fondu, mais mes yeux sont toujours aussi petits et
brillants.
Je n’ai rien d’une
grand-mère rockeuse, encore moins d’une grand-mère mannequin, mais je ris
toujours aussi facilement et, quand je ris, tout mon visage s’éclaire. Tout
cela est plutôt sympathique, mais ne dit pas grand- chose de l’aventure de ma
vie. En effet, en ne regardant que ces deux moments, on pourrait se dire que
tout va bien, et que tout a toujours été bien entre moi et moi.
Ou tout au moins que les
deux bouts se rejoignent, la fin de vie ayant, comme chacun sait, des points
communs avec son début.
En fait, il m’a fallu
parcourir un long, long, chemin pour arriver à me rencontrer vraiment… et
à m’aimer. Enfant, je faisais miens les reproches qui m’étaient adressés :
j’étais une enfant renfermée, maladroite, inapte à tous les sports, tête en
l’air. Et derrière le sourire des photos, il y avait une petite fille inquiète,
peu sûre d’elle, qui se tourmentait pour beaucoup de choses, et plus que tout
de ne pouvoir répondre aux attentes de sa maman. Plus tard, adolescente,
grosse, voûtée, sans grâce, mal fagotée, je ne risquais pas de m’accorder le
moindre point positif. Certes, à force de subir des reproches sur ma « paresse
» je me suis jetée dans le travail comme d’autres se suicident et je suis vite
devenue une bonne élève. Mais je me ne suis pas réconciliée avec moi-même pour
autant, sans doute parce que je ne me sentais pas davantage aimée ou du moins reconnue. J’avais bien une amie
inséparable, mais je n’avais pas son aisance et je me sentais à l’écart des
autres.
Aimée, je l’ai été, et
même passionnément, au début de mes études. Mais je n’ai pas pu, pas su aller
au bout de cet amour : peur de la grossesse (lourde hérédité : ma
grand-mère a eu 13 enfants et ma mère 4 en 4 ans) de l’abandon si je cédais, et surtout endoctrinement dans un groupe
catholique qui bannissait toute relation
hors mariage au nom
d’une « sainte » pureté.
Endoctrinement qui m’a
amenée à opter un peu plus tard pour un mariage fort ,
« chaste » c’est à dire quasiment immatériel, en
réalité tout à fait névrotique et voué dès le départ à l’échec.
Quand ai-je commencé un
peu à m’aimer ? Il a fallu tout un concours de circonstance : la
rencontre d’un homme qui m’a vue comme une femme et désirée, me donnant le
sentiment d’exister même si je restais obstinément fidèle à mon mari, la
relative liberté de mouvement enfin accordée par ce dernier qui, de son côté,
était tombé amoureux d’une autre, l’apparition des robes courtes, à porter sans
ceinture qui me rendait plus légère (je me suis enfin habillée comme la jeune
femme que j’étais) la certitude soudaine, au seuil de mes 30 ans, que Dieu ne descendrait
pas de son ciel pour me porter secours et que je devais intervenir moi-même
dans ma propre vie, et enfin mai 68 que je n’ai pas vu venir, mais qui a eu une
grande importance dans mon évolution.
Le mouvement était lancé
et, même si les années suivantes ont encore été très dures, parfois même
chaotiques, même si la désespérance est encore survenue plus d’une fois, je
n’ai pour ainsi dire plus cessé de me battre pour sortir
de
ma trop longue inertie.
Alors que j’avais opté pour le rôle de femme au
foyer, j’ai recommencé à enseigner, j’ai demandé le divorce, j’ai refusé d’être
une femme seule, (ce qui m’a conduit plus d’une fois à des choix de partenaire
tout à fait calamiteux, je le reconnais) j’ai cherché de l’aide du côté de la
psychothérapie, de la dynamique de groupe, j’ai eu des amies, j’ai appelé au
secours quand cela devenait trop dur. Il m’arrivait aussi de tomber malade
quand je n’en pouvais plus et, après quelques jours sous la couette, de
repartir pleine d’espoir et d’énergie, de même qu’à chaque rentrée je me
persuadais que, cette fois, je saurais « tenir » mes classes.
Et enfin, j’ai entamé une
psychanalyse, un vrai travail de fond. J’avais presque 50 ans, mais alors là
j’ai fait des pas de géant à la rencontre de moi-même. A côté de ce que j’avais
vécu comme négatif, surgissaient, de façon inattendue, des éléments positifs,
heureux. Depuis toujours, des personnes m’avaient aimée, acceptée, et cela même
à des moments où j’étais franchement insupportable. Ma place de seconde dans la
fratrie était finalement une bonne place, et, dans la vie elle me convenait
aussi : je n’avais pas l’âme d’un chef, mais j’étais une bonne seconde ;je n’étais jamais celle qu’on remarque en premier
dans un groupe, mais je comptais, j’étais écoutée.
Ma mère certes n’avait pas su toujours me
prendre, m’encourager,
mais elle m’aimait, à
sa façon de mère tigresse. En classe, sans être devenue jamais un professeur
plein d’autorité (ce qui d’ailleurs ne me paraissait plus la qualité à posséder
avant toute autre) le calme se faisait plus souvent et plus durablement dans
mes classes, j’étais appréciée de mes directeurs qui sollicitaient et
écoutaient mes avis, j’avais une bonne réputation comme enseignante.
Moi qui avais peur de
tout, j’avais osé me mettre au sport, à la couture, parler en public, animer
des ateliers, j’osais… j’osais exister tout simplement, être moi et non plus
chercher à être la femme, l’amante, la mère que je m’étais si longtemps imaginé
que je devais être.
Finalement j’ai compris
que tout le reste était de peu d’importance. Je ne me reconnais aucun talent
remarquable. J’ai écrit des livres, dont
quelques- uns ont été publiés, mais je n’ai pas su me vendre, j’ignore l’art de
me mettre en valeur, je n’ai jamais été une beauté à faire tourner les têtes,
j’ai plein d’imperfections, de défauts comme on dit.
Mais comme je possède
maintenant cette qualité d’être quelqu’un qui existe, je ne me sens ni
supérieure ni inférieure à qui que ce soit
. Au bout donc de toutes
ces années de quête de moi, je peux dire que je suis en paix avec moi-même. Ce
n’est pas le grand amour, mais une relation apaisée, tranquille. Je ne désire
nullement être une autre et je n’envie aucune femme au monde. Et s’il me vient
encore, surtout la nuit, des regrets, des remords — tant de choses que j’aurais
pu faire et que je n’ai pas faites, tant d’erreurs que j’aurais pu éviter— je ne peux plus en être dupe, et je peux les
tenir à distance.
Avant de mettre un point
final à ces histoires d’amour, je vois bien que, tout au long de ce chemin,
j’ai eu raison de donner la priorité à l’amour, à l’amour d’un homme, d’espérer
le vivre au quotidien, raison de croire à la tendresse, raison de croire à ce
lien qui se crée et se renforce au fil du temps, parce que cet amour- là, j’ai
fini par le rencontrer, en même temps que je me rencontrais moi-même. Une
première fois il m’a accompagnée pendant 25 ans. Et aujourd’hui je vis un amour
encore tout jeune quoiqu’il ait déjà quelques années et je ne doute pas qu’il
sera là jusqu’au bout du chemin. Il est très beau aussi le dernier amour.
Remarque du 03 mai 2021.Elle
arrive 6 ans après le texte. Là où Chantal Cambronne émettait le souhait
d’aller jusqu’au bout du chemin avec son compagnon du moment. Une fois de plus
cela n’aura pas été le cas. Et cela était peu courant pour des gens de notre
époque. J’y vois une corrélation nette avec la perte de son père, à ses 4 ans,
au début de la guerre.de 1939-1945. HC
XVI
Cambronne-Desvignes Chantal
(2015), Histoires d’amour.
XIII. Se dire, se raconter, toute une
aventure
Juillet
2015
Se
dire, se raconter, toute une aventure
Très tôt, j’ai eu envie de
connaître la vie des gens. Ainsi, enfant, j’étais déjà fascinée par
le « née Rostopchine » qui suivait toujours, dans mes lectures préférées, le
beau nom de l’auteur « Madame la Comtesse de Ségur. » Je me
demandais si cette noble dame avait eu comme parent ce fameux général Dourakine
de « l’Auberge de l’Ange gardien » cet ogre à la fois terrible et généreux, si
elle avait été une princesse russe dans sa jeunesse, avant de rencontrer ce
comte français dont elle portait le nom et si elle gardait, au fond du cœur, la nostalgie des immenses plaines de son
pays d’origine. Ces simples noms sur la première page faisaient vagabonder
mon imagination autant que les aventures de Sophie, ou les malheurs du
pauvre Torchonnet.
Ma première vraie
rencontre avec le récit autobiographique, je l’ai faite plus tard, vers l’âge
de 18 ans. Une jeune néo-Zélandaise, venue faire ses études en Angleterre
contracte la poliomyélite lors d’une escale en Egypte et raconte dans un livre
dont je n’ai jamais oublié le titre : « Ressuscitée d’entre les morts »
les étapes de sa lutte contre la maladie, et elle le fait d’une façon très
vivante, avec simplicité, naturel et humour. C’était comme si c’était à moi
qu’elle s’adressait et ce récit a été, tout au long de ma vie, un encouragement
dans les moments difficiles. Je me disais alors que, comme elle, je m’en
sortirais, l’histoire, mon histoire, se terminerait bien.
C’est peut-être dans
cette perspective, pour me raccrocher à la vie, que j’ai écrit mon premier
texte. Du moins la première version de ce texte que j’ai tout de suite appelé: « la maison abandonnée » J’avais tout juste 30
ans à l’époque et on ne peut pas dire que je nageais dans le bonheur :
dans mon couple, je me sentais prisonnière, je n’étais pas libre de mes
mouvements, incapable même de penser et j’étais très malheureuse, sans oser
l’avouer à qui que ce soit, pas même à moi, ce qui est peut-être encore pire.
Mes deux premiers enfants
avaient alors 2 et 4 ans, et, le seul moment de la journée où j’osais un peu
respirer, c’était, comme je ne devais jamais m’éloigner longtemps, lorsque je
les emmenais promener près de la maison.
J’ai eu envie de raconter
ce trajet quasi quotidien, toujours le même, avec ses rites, la rencontre d’un
vieil homme qui me faisait peur, la longue halte devant une toute petite maison
inoccupée depuis longtemps et à propos de laquelle j’inventais une histoire.
Comme le dessin avait été aussi un de mes rêves, j’ai voulu aussi illustrer ce
texte, mais mes médiocres essais sont partis bien vite à la poubelle et j’ai
abandonné la partie.
Quelques années plus
tard, vers la quarantaine, à la suite d’une conversation avec des personnes
quasi inconnues, j’ai compris que l’écriture allait être vitale pour moi, même
si j’écrivais encore peu, faute de véritable disponibilité. Je saisissais les
occasions qui se présentaient. Ainsi, comme un concours de nouvelles avait lieu
dans mon quartier, j’ai retravaillé « la maison abandonnée » et j’ai
obtenu le premier prix. Encouragée par ce succès, j’ai commencé à écrire des
petites histoires pour enfants. Et j’ai décidé d’écrire tout bonnement des
petits faits de mon quotidien familial. L’idée m’est venue que chaque histoire
pouvait être racontée par un de mes quatre enfants, qui en serait donc le
héros.
Les sujets me venaient très facilement :
la visite du médecin à la maison, la venue de la grand-mère, une promenade en
montagne, le passage des saisons…
d’une
écriture très plaisante, pas vraiment difficile. Dès qu’un texte était écrit,
je le lisais aux enfants qui étaient donc mon premier public, et ils étaient
ravis : c’était un moment de connivence entre nous.
Quand j’ai eu une dizaine
de textes, je les ai envoyés à un éditeur à qui ils ont plu, mais qui ne les a
pas publiés pour autant.
Et puis la retraite est
arrivée, retraite que j’ai eu la chance de pouvoir prendre tôt (je n’avais que
56 ans). Je venais de terminer une psychanalyse, j’avais du temps. Mais
surtout, je venais de faire deux rencontres décisives :
une
avec un jeune éditeur qui cherchait des textes et a publié les miens dans une
revue littéraire (Le Bord de l’Eau), une autre avec l’Association pour
l’Autobiographie. Je savais, car c’était le principe même de l’association, que
j’aurai des lecteurs, et, cette fois, au-delà du cercle familial. J’ai donc
continué à écrire des textes courts, évoquant des moments clés de ma
vie, des temps forts, ou des souvenirs d’enfance, des douleurs gardées
secrètes longtemps. C’était en effet une évidence pour moi que je ne savais pas
inventer, créer des personnages, des situations différentes de celles que je
vivais. Je mettais parfois plusieurs mois pour écrire un texte de quatre
pages. Mais je ne peux renier aucun de ces textes, ils sont peut-être les
meilleurs, les plus forts que j’aie jamais écrits.
J’ai su tout de suite que
raconter des événements d’une façon linéaire :
je
suis née le…après une enfance comme ci… j’ai vécu dix ans à de telle
manière… n’avait pas vraiment d’intérêt. En tout cas pas pour moi,
ce n’était pas ce que je voulais. Je pensais plutôt par thèmes : l’amour,
la solitude, l’internat. Ce que j’avais à écrire s’imposait à moi, exactement
comme cela se passe pour les auteurs de fiction. Ce que je voulais avant tout,
c’était retrouver ce que j’ éprouvais
, avec les mots justes, rester toujours dans la simplicité, la
nudité. Et cela c’est très difficile. Il y a des textes que
j’ai recommencé, je ne sais combien de fois. Alors que j’étais sûre d’être
lue, c’était tout aussi évident pour moi que, exactement comme si j’écrivais
des œuvres de fiction, je devais être encore plus exigeante, je ne devais pas
décevoir les lecteurs. Je crois que j’ai aussi très vite réalisé qu’il n’y a
pas de différence entre l’écriture autobiographique et toute autre écriture.
C’est bien une création, une recréation de ce qui a été vécu à un
moment donné. Et cette création peut prendre des formes très différentes. Ainsi
j’ai adopté celle des essais (Le Chahut) des poèmes (la solitude, mes jardins)
des romans (Habib) de la correspondance fictive (Les lettres d’Estelle), des
nouvelles (tout le recueil Histoires d’amour par exemple).
Alors que tout le monde
me décourageait — c’est un genre difficile,
peu apprécié en
France —
J’ai commencé par les
nouvelles.
Au bout de quelque
temps, l’éditeur qui les publiait m’a conseillé d’écrire des textes longs.
Le démarrage du premier, que j’ai tout de suite appelé « L’absence » a été
difficile : je voulais dire ce qu’avait représenté la mort de mon père dans
mon enfance et mon adolescence. Mais, dans ma première tentative, je
mélangeais mes impressions d’enfant et le regard adulte que je projetais sur
mes souvenirs. La critique de mon premier lecteur, mon compagnon d’alors, a été
impitoyable et j’ai compris alors mon erreur. Il me fallait trouver un point de
vue qui rende le récit cohérent, et m’y tenir. J’ai alors eu l’idée de partir
des trois jours qui avaient précédé mon entrée en pension à la Légion
d’honneur. Cette petite part de fiction m’a permis d’introduire les faits,
les sentiments marquants de mon enfance en restant fixée à l’âge que j’avais
alors (11 ans) et cela a été beaucoup plus facile. Je me suis aperçue aussi que
prendre quelques libertés avec la réalité n’enlevait aucunement le caractère autobiographique
du texte.
C’était plutôt une
béquille qui permettait d’aller à l’essentiel.
Plus tard, lorsque j’ai entrepris d’évoquer
mes années d’internat, j’ai choisi la classe de troisième qui a été une classe
charnière, à travailler comme ma mère et mes profs voulaient que je travaille,
j’ai
résisté pendant des mois, par la seule force d’inertie, à une
demande absurde de ma mère .
Et j’ai placé dans cette
année des faits qui ont eu lieu plus tard, mais qui auraient pu aussi bien se
passer cette année- là. J’avais compris aussi que je devais trouver une entrée
qui justifie mon récit. J’ai donc imaginé que je tenais « Un journal dans la
tête » pour ne pas laisser de trace (nous étions très surveillées et
n’avions aucun espace d’intimité) et ce procédé me permettait de rendre plus
vivants les moments que je voulais décrire.
Durant toutes ces années,
je me suis rendu compte aussi, et cela a été une découverte extraordinaire que
l’écriture n’isole pas, bien au contraire. J’ai beaucoup échangé avec des lecteurs,
avec d’autres écrivains, j’ai été amenée à faire des conférences, à participer
à des Rencontres (colloques de l’Autobiographie, du CIEN, une association
regroupant des enseignants et des psychanalystes, Salons du Livre…)
Parallèlement pendant
plus de 10 ans, j’ai collaboré, comme critique littéraire, à une revue de
littérature de jeunesse (Nous voulons lire).
C’était un travail
passionnant, un lieu de rencontre aussi avec d’autres critiques.
Je n’avais aucune formation pour cela, mais je
m’y suis mise très vite. Et je crois même pouvoir dire que ces deux formes
d’écriture se complétaient,
se
rejoignaient : je créais une certaine distance par rapport au vécu dans
mes textes autobiographiques (je ne disais pas tout par exemple) et,
inversement, mes textes critiques étaient toujours très personnels, on aurait
pu les reconnaître même sans ma signature.
Pour finir, j’ai envie,
pour mieux montrer le cheminement de l’écriture à la vie et de la vie à
l’écriture, d’évoquer l’histoire de « La maison abandonnée » mon premier texte
et celui qui m’a accompagnée pendant des années. Dans ma première version,
j’avais imaginé un happy end : à la fin de l’histoire : je faisais
toujours la même promenade, mais cette fois, j’avais un troisième enfant et je souriais.
Plus tard, pour le concours dont j’ai parlé, je n’ai plus voulu tricher et j’ai
réécrit certains passages du texte : le vieil homme, comme dans la
réalité, n’avait plus rien de sympathique, et l’histoire, jusqu’au bout,
restait dans la tonalité de la tristesse.
Pour la publication dans la revue du Bord de
l’Eau, j’ai encore apporté des modifications.
Et puis le temps a passé.
A 67 ans, je me suis lancée dans le théâtre.
Et j’ai eu la chance d’avoir un excellent
professeur en la personne de Geneviève. A un moment donné, j’ai eu envie
qu’elle mette en scène ce texte, et elle a accepté.
Je l’ai alors réécrit encore une fois dans
l’optique d’un spectacle, et la mise en scène de Geneviève a été très
inventive. « La maison abandonnée » a été jouée pour la première fois dans une
maison de retraite et a suscité chez les spectateurs une grande émotion. Un peu
plus tard, alors que l’Association pour l’Autobiographie avait retenu pour ses
Journées le thème « Le rêve », j’ai pensé que je pourrais reprendre la mise en scène
de ce texte et je l’ai donc proposé. Il y a eu beaucoup de résistance (sans
doute parce que je n‘étais pas une vraie professionnelle) mais finalement
l’idée a été retenue et j’ai joué devant une cinquantaine de personnes. Fiasco
total ! Le local habituel n’étant pas disponible, j’ai joué sous un
chapiteau avec une acoustique déplorable, et le micro censé faire porter ma
voix ne tenait pas en place. Et, comble de malchance, alors qu’un débat devait
suivre, tout le monde est parti très vite car il faisait un froid épouvantable.
Cela dit, une partie des
spectateurs a beaucoup aimé et surtout, je suis repartie avec une
interprétation de mon texte que je n’aurais jamais imaginée :
cette
maison abandonnée, me disait-on, me représentait symboliquement,
abandonnée
que j’étais dans ma désolation et ma solitude.
Je le savais déjà, mais
cette fois, je l’ai compris vraiment : le texte une fois écrit, appartient
au lecteur.
Il en fait
l’interprétation qui lui convient, qui correspond à ce qu’il vit. Et c’est vrai
que la maison, maison d’enfance, maison réelle ou maison rêvée, est un des
thèmes essentiels de la vie. Finalement je suis repartie enrichie de cette
façon de voir et cela m’a grandement aidée à accepter le relatif échec de la
représentation.
Plus tard j’ai participé
à l’écriture d’un roman collectif, avec 5 personnes que je ne connaissais pas
auparavant.
Nous avions un certain nombre de règles à
respecter, des lieux imposés pour les différentes scènes, et chacune (nous
n’étions que des femmes) était responsable d’un personnage. Ce qui
était intéressant, c’est que notre manager, celui qui avait eu l’idée de ce
roman à plusieurs voix confiait la rédaction de chaque chapitre tantôt à une
seule fille, tantôt à un binôme à chaque fois différent.
Cela a été un travail
passionnant car à chaque fois, il y a avait un travail
d’adaptation à la personne avec qui on écrivait.
Et cette rencontre a été,
à chaque fois, quelque chose de formidable, une marche l’une vers l’autre. Le
texte final adopté n’était pas un compromis, mais vraiment un nouveau texte, né
de la rencontre.
A la fin, le roman certes
était plein d’imperfections, mais formidable de vie, pétillant et réjouissant à
souhait.
Je me suis rendu compte
alors que la vie et l’écriture n’étaient pas des choses séparées, qu’on pouvait
aller, sans arrêt, dans une sorte d’enrichissement mutuel de
l’une à l’autre, de la vie à l’écriture et de l’écriture à la vie.
Aujourd’hui j’écris
moins, mais comment dire, l’écriture, cette forme d’écriture là, très
personnelle, m’a permis de prendre conscience que, comme dans un tricot les
fils gris, les fils noirs des moments difficiles peuvent se marier avec les
fils colorés des moments heureux et créer pour finir, un bel ouvrage dont on
n’a pas à rougir. Et je suis bien contente d’avoir pu faire cette découverte-
là.
XVII
Cambronne-Desvignes Chantal
(2015), I. Le temps immobile
Juillet
2015
Chantal
Cambronne-Desvignes,,née en
1936, commence ici à traiter de la brève mais néanmoins essentielle
question :du Temps. Henri Charcosset
Le
temps immobile
Ce
qui m’est arrivé ce jour- là ressemble à un de ces récits fantastiques que j’ai
beaucoup lus à une certaine époque. Je n’aimais pas du tout ceux qui faisaient
appel à d’invraisemblables machines futuristes, d’improbables calculs, de
voyages inter galaxies. Par contre j’appréciais fort ceux qui s’inspiraient
d’une réalité déjà en marche. Ce qui est sûr, c’est que, qu’ils soient d’une
totale invraisemblance ou d’une portée philosophique et humaine certaine, je ne
pouvais absolument pas imaginer que ces histoires puissent avoir un rapport
quelconque avec ma propre vie. Et pourtant…
Il
faut absolument que je raconte cette aventure qui m’a marquée durablement. Cela
va bien sans doute avec la réalité de la chose,
il
m’est impossible de me souvenir du contexte de l’événement. Je n’arrive pas à
retrouver le lieu où je me trouvais à ce moment- là, et encore moins ce que
j’étais censée être en train de faire. Non, il ne me reste aucune image de ce
qu’il est convenu d’appeler le contexte. Cela m’ennuie fort, mais, comme je
n’ai pas l’habitude d’inventer, que je ne sais raconter que ce que je vis ou ai
vécu, je ne peux qu’avouer mon impuissance à mettre en scène cette aventure.
La
seule chose qui me paraît à peu près certaine, c’est que je ne dormais pas, que
j’ai eu pleinement conscience de ce qui se passait et que la scène a eu lieu un
après-midi. J’étais à l’intérieur, dans une pièce silencieuse, et aucun bruit
ne me parvenait du dehors. Il n’y avait aucun mouvement autour de moi. Je ne
sais pourquoi, je me vois debout, mais je ne suis même pas sûre de cela.
Simplement il y avait ce silence et cette immobilité.
J’ai
regardé ma montre, plusieurs fois, machinalement, comme on le fait quand on est
inoccupé, ou qu’on attend quelqu’un par exemple. Puis, un peu plus tard, avec
plus d’attention. J’ai eu alors l’impression que l’aiguille n’avait pas bougé.
Je me suis dit que, peut-être je n’avais pas laissé passer assez de temps pour
pouvoir percevoir un changement. Je me suis alors obligée à ne plus regarder le
cadran, j’ai cherché à penser à autre chose, pendant un temps qui m’a semblé
très long. Et puis, je n’ai pas pu m’empêcher de regarder à nouveau ma montre
et rien n’avait changé : il était toujours la même heure.
Si
l’aiguille avait bougé, c’était tellement peu que je ne pouvais pas être sûre
qu’il s’était passé quelque chose. J’ai commencé alors à me sentir mal à
l’aise, vaguement angoissée. Que se passait-il ? le monde se serait-il
arrêté ? Il n’y avait toujours aucun bruit là où je me trouvais et rien
dans la pièce ne retenait mon attention.
Et
pourquoi est-ce que je restais là sans rien faire pour changer les
choses ? J’étais comme paralysée moi aussi. Je n’osais plus faire un
mouvement. Même aller jusqu’à la fenêtre me paraissait chose impossible. Il me
semblait que j’étais rivée au seul mouvement des aiguilles de ma montre.
Mon
dieu, il y avait un temps fou que j’étais là. Ou alors… peut-être qu’il n’y
avait plus de temps, que plus rien jamais n’allait bouger. J’étais condamnée à
demeurer dans cette immobilité, cette sorte de néant qui durait, durait,
durait…
Je n’avais jamais vécu quelque chose d’aussi
angoissant, une situation aussi
terrifiante, et sur laquelle je n’avais aucune prise.
J’ai
beaucoup de mal à retrouver le moment où, à nouveau, les choses sont peu à peu
redevenues normales.
Je crois que j’ai recommencé, enfin, à
entendre des bruits familiers. Encore immobile, je guettais les signes de la
vie qui revenait. Et cette fois, quand j’ai regardé ma montre, j’ai vu que
l’aiguille avait réellement bougé.
Pas
beaucoup encore, mais assez pour me redonner espoir : j’étais sauvée. Dans
un moment, proche, j’entendrais sans doute des pas dans le couloir,
quelqu’un entrerait dans la pièce. Peu à peu me revenaient les choses que je
devais faire dans ce temps qui était en train de redevenir mon temps habituel.
Quel
soulagement ! C’est comme si je quittais la plus horrible des prisons.
Maintenant, tout m’était rendu, les éclats de voix dans le couloir, les arbres
dehors, qui bougeaient, l’agitation, les cris, la vie, enfin ! J’ai vécu
un moment magnifique, à la mesure de l’horreur du temps immobile dans lequel
j’avais été inexplicablement engluée.
Que
plus personne jamais ne me parle d’éternité, de visages figés dans une
pure contemplation, de bouches ouvertes sur une note infinie, fùt-elle la plus belle et la plus pure. Dante, longtemps
avant moi, avait compris cela, en imaginant Francesca da Rimini enlacée sans
fin aux bras de son amant, condamnée à une étreinte éternelle.
Non,
il faut que le temps bouge, qu’il soit comme une source jamais tarie,
un
courant qui passe sans s’arrêter.
Il
ne peut être qu’un flot incessant, comme la vie. Il est la vie.
Cette
expérience m’a permis, je crois, de commencer à aimer le temps.
Comme
dit la chanson de Jeanne Marie Sens « il en faut du temps pour aimer le temps
».
Pour
moi tout a commencé ce jour-là je crois. Ne me croyez pas si vous voulez, mais
je n’ai rien inventé, j’ai bien trop peu d’imagination.
Une
amie à moi a crû que je m'étais reconvertie dans le genre fantastique. Mais il
n'en est rien. Je pense simplement que cette aventure m'est arrivée à une
période où j'étais sans cesse en train de courir. N'avoir rien à faire pendant
un moment, a dû me perturber j'imagine !
XVIII
Cambronne-Desvignes Chantal
(2015), II. Le temps du divan
Septembre 2015
Le
temps du divan
Il m’en a fallu du temps
pour en arriver à ce temps- là ! Mais j’aurais pu aussi ne
jamais le vivre, ne jamais le connaître alors qu’il a tellement influé sur le
cours de ma vie. Alors peu importe que j’ai emprunté
ce chemin seulement à l’approche de la cinquantaine, après bien des détours,
bien des expériences plus ou moins heureuses, bien des errements.
Ces jours-ci , j’ai été très
frappée par une conversation que j’ai eue avec une jeune femme qui me parlait
de sa première expérience professionnelle.
Elle avait travaillé auprès de personnes
atteintes de la maladie d’Alzheimer.
« C’est un monde parallèle,
me disait-elle, complètement hors de notre monde habituel, mais un monde
passionnant, dans lequel il se passe plein de choses, et j’ai beaucoup aimé »
Je pourrais en dire
autant de ces centaines d’heures passées sur le divan durant six ans.
Il a fallu que je me
sente tout à fait au bout du rouleau comme on dit, au fond de la désespérance
pour recourir à l’analyse. Une fois ma décision prise — ce qui n’est pas chose
si facile — il s’est passé relativement peu de temps avant que j’ose prendre
rendez-vous avec le psychanalyste qui m’avait été conseillé.
Cette première entrevue a
eu lieu en face à face. J’étais devant un homme jeune, avec un visage et une
voix agréable, qui m’a plu d’emblée. A la fin de l’entretien, il m’a dit que je
devrais attendre quelques semaines avant qu’il me recontacte pour me dire s’il
me prenait. Ces semaines- là m’ont paru longues, mais déjà je me sentais un peu
mieux d’avoir pu formuler ma demande d’aide. Et puis je crois que j’avais
confiance : il me semblait que, forcément, mon histoire l’intéresserait,
puisqu’elle m’intéressait, moi.
Un mois peut-être après
ce premier rendez-vous, j’ai su que j’étais acceptée. Dès la première séance,
un rythme a été fixé : trois séances par semaine, des jours, un horaire
qui ne varierait qu’en de rares occasions. Et puis, il y avait un cadre,
toujours le même, rassurant donc.
La salle d’attente, aux
murs blancs, était meublée très simplement, avec juste un tableau au mur, deux
chaises, une table basse, un endroit calme donc. De plus, je n’ai jamais
vu quelqu’un présent dans cette salle quand j’arrivais, et je n’ai jamais non
plus croisé quelqu’un à la sortie du cabinet.
Je restais peu de temps
dans la salle d’attente et je dois dire que j’ai beaucoup apprécié cette
ponctualité : elle faisait partie des éléments de stabilité dont j’avais
besoin. Cela signifiait aussi que ce temps, cette demie- heure était
bien pour moi, uniquement pour moi.
Nous nous serrions la main et nous disions simplement « bonjour » à
l’arrivée, et « au revoir » au moment du départ. Il n’y avait ni Madame, ni
Docteur, ni aucune autre formule de politesse ou d’usage. Cela aussi me
plaisait bien, me mettait à l’aise.
Sitôt entrée dans le
cabinet, je m’allongeais sur le divan. Si la lumière était un peu vive,
aussitôt le psychanalyste baissait le store. Au moins dans les premiers temps,
je n’y voyais pas un procédé pour enclencher plus facilement la parole. J’étais
plutôt touchée par cette attention à veiller à ce que je sois bien.
Je me souviens qu’il
m’était difficile de me mettre à parler tout de suite.
Enfin, je veux dire à
parler vraiment. Mais j’ai vite compris que les choses insignifiantes
apparemment, que je finissais par dire, comme : « il fait doux aujourd’hui
» pouvaient être le sésame pour ouvrir la porte de l’inexploré. Après, les
choses venaient assez facilement. Il y avait parfois des silences, rarement une
intervention de la part de l’analyste. Jusqu’à la phrase finale : « C’est tout pour aujourd’hui » ou «
Nous en resterons là pour aujourd’hui » qui, si je me souviens bien, pouvait
survenir aussi bien au milieu d’une phrase que j’étais en train de dire.
Ce que je peux dire,
c’est que j’étais toujours dans l’inattendu. Avant la séance, je me demandais à
chaque fois, la plupart du temps non sans quelque appréhension, ce que j’allais
bien pouvoir inventer.
Inventer, oui, c’était
exactement le mot qui me venait pour parler de ce qui se passait là. Et je vois
bien aujourd’hui que ce mot- là- était juste, pas une simple
expression. Comment dire ? Il n’y a pas de déroulement linéaire, pas non
plus de clé qui apparaissent, clarifiant d’un seul coup des pans entiers de la
vie, des explications qui justifient ce qui a été ressenti à telle période.
C’est un chemin beaucoup plus obscur, ou plutôt peut-être, pour reprendre une
expression de Victor Hugo
« Une obscure clarté »
que je ne perçois pas forcément immédiatement, mais parfois en sortant, ou plus
tard. Et ce que je découvre, ce ne sont pas des discours, ce ne sont pas des «
explications » mais l’importance, dans le présent et dans le passé, de petits
faits, de silences, de choses entendues, pas comprises, longtemps oubliées ou
mises de côté, niées. En tout cas, rien de ce qui pourrait ressembler à un
discours que je baptise de « psy » faute de trouver le terme adéquat, ne me
vient pour parler de ce que je découvre, rien, ni dans le fond ni dans la
forme, aucun recours à des expressions telles que : le complexe d’Oedipe, le rôle castrateur de la mère, le complexe
d’infériorité. Ces mots- là ne me viennent jamais, et dans la bouche de
l’analyste non plus. Nous restons dans la réalité, le quotidien, dans la vie en
somme.
Durant ces années — mais
je ne sais plus quand cela a commencé au juste —, je faisais souvent un rêve
qui me paraît assez bien correspondre à ce monde que je découvrais, pas à pas,
au fil des séances. J’étais dans une sorte de tunnel pas très large, avec, de
chaque côté une paroi de sable d’une teinte chaude, dans les ocres.
Ce tunnel s’enfonçait en pente douce dans les
profondeurs de la terre, je n’en voyais pas la fin, je ne voyais même pas au-
delà de quelques mètres.
L’air devenait de plus en
plus tiède, chaud même.
Je n’avais pas peur, je me sentais bien, en
sécurité, je marchais doucement, tranquille. Je ne fais plus du tout ce genre
de rêve, il est vraiment lié à ces années, à ce temps- là.
L’interprétation que je peux en faire est toute simple : entrer en
moi-même n’avait rien de dramatique, bien au contraire. Et je n’avais peut-être
pas besoin de voir loin devant moi pour avancer, pour suivre mon chemin.
Au début le psychanalyste
m’avait demandé, ou conseillé je ne sais plus, d’oublier tout ce que je pouvais
savoir de la psychanalyse. Et je n’ai eu aucune difficulté à le faire à vrai
dire. Tous ces mots qu’on emploie : transfert, contretransfert, ou encore
l’idée par exemple que je pouvais devenir amoureuse de l’analyste me
paraissaient du domaine de l’invention, je ne me sentais pas concernée. Je ne
savais même pas à quelle école de psychanalyse appartenait mon analyste et, à
vrai dire, cela m’était complètement égal. Je peux simplement dire que cette
relation — une relation longue, six ans ce n’est pas rien — ne ressemble à
aucune autre, n’a ressemblé pour moi à aucune autre en tout cas, et que le
temps passé sur le divan ne ressemblait pas aux autres temps de ma vie.
Je serais incapable de
dire ce que représentait cet homme :
je ne pouvais
envisager aucune relation avec lui en dehors des séances, il ne pouvait pas devenir
un ami, je ne le voyais pas non plus comme un maître, comme celui qui sait
tout, qui a le pouvoir de guérir, et qui, dans sa propre vie, a le pouvoir de
tout dominer, de tout résoudre. D’ailleurs il avait un fils d’une vingtaine
d’années qui l’appelait de temps à autre. La conversation était toujours très
brève, mais je comprenais qu’il n’était pas toujours d’accord avec lui. Et cela
me rassurait justement qu’il ne soit pas un homme exceptionnel, ni un saint, ni
un gourou. Comment dire ? J’avais fait appel à lui, j’avais besoin de son
aide, mais j’avais conscience que, comme dans un accouchement, je ne subissais
pas ce qui se passait, je jouais aussi un rôle. J’étais persuadée d’ailleurs
que, de mon côté, je lui apportais quelque chose, je ne savais pas quoi au
juste, mais forcément quelque chose, parce que mon expérience, comme ma
personnalité, avait quelque chose d’unique.
Ce qui nous liait était,
je crois, de l’ordre du respect, respect de ce que nous étions l’un et l’autre.
Il y avait une proximité et une distance en même temps. Les deux étaient
nécessaires et gage de confiance.
Il paraît aussi que
beaucoup de patients oublient de venir à leur séance. Cela ne m’est jamais
arrivé. Par contre, à un moment donné, j’ai eu envie d’arrêter.
L’analyste m’a seulement
dit alors qu’il lui semblait que nous pouvions aller beaucoup plus loin, mais
que, si j’en ressentais le besoin, nous pouvions convenir d’une pause de
quelques mois. Ces quelques mots ont suffi à me convaincre de continuer :
je savais que je pouvais lui faire confiance, croire à ce qu’il venait de me
dire.
Les séances ne se
ressemblaient pas toutes. Il en y avait une que j’aimais plus que les autres,
celle du samedi. J’étais la première patiente (du moins je le suppose) à 7h du
matin. Je partais donc de la maison très tôt, au saut du lit quasiment, juste
après la douche, sans prendre de petit déjeuner. Les choses, à cette heure- là,
me venaient plus facilement, peut-être parce que je n’avais pas le temps de
trop reconstituer mes défenses, ou parce que la fatigue n’était pas encore là.
Et, lorsque je rentrais, le petit déjeuner — mon repas préféré — me paraissait
encore meilleur que les autres jours.
Comment ai-je su que la
fin approchait ? J’ai un peu de mal à m’en souvenir aujourd’hui.
Durant les derniers mois, je ne venais plus que deux fois par semaine, et je
payais à chaque fois l’intégralité de la séance. Il avait dû me proposer cette solution, lorsque j’avais exprimé
cette impression d’arriver au bout du chemin que nous pouvions faire ensemble.
Et puis, un jour, il y a
eu la dernière séance.
J’ai parlé longtemps, dit que je voulais
essayer d’avancer seule, que je me sentais prête à le faire et qu’en même
temps, je savais que je pourrais à nouveau faire appel à lui si j’en ressentais
le besoin. Il m’a écoutée sans dire un seul mot. Et nous nous sommes dit « au
revoir » comme les autres fois, avec peut-être un peu plus de chaleur dans la
voix et encore, je n’en suis même pas sûre. Et je ne suis jamais retournée le
voir.
Qu’est-ce qui a changé
pour moi durant ces années, et après ? Est-ce que je peux dire
que je suis repartie guérie à jamais de ce qui n’allait pas bien chez
moi ? L’analyse n’est pas faite pour guérir, mais pour vivre autrement les
choses, c’est tout.
Au cours de la première année,
il y a eu dans ma vie, des changements spectaculaires sur le plan
professionnel, alors que j’en parlais peu pourtant : j’ai eu une très
bonne inspection et on m’a confié une stagiaire, je suis devenue formatrice
MAFPEN (formation permanente des enseignants) j’ai coanimé des stages d’été, je
me suis sentie reconnue par mon chef d’établissement qui, jusque- là, avait eu
une attitude plutôt agressive à mon égard.
Plus tard, au lieu de
jeter en fin d’année, toutes mes préparations, je me suis mise à archiver pour
réutiliser au moins en partie mes travaux.
Et, même s’il y a eu
encore des années difficiles, dans l’ensemble, mes classes étaient plus calmes.
Sur le plan affectif, je
peux dire déjà que j’ai été frappée par le fait que, bien des éléments de ma
vie que j’avais vécus comme négatifs, dans mon enfance en particulier, avaient
aussi eu des aspects positifs. Je découvrais par exemple qu’il y avait toujours
eu dans ma vie, même dans les périodes où, dépressive, j’étais insupportable,
des personnes qui m’avaient aimée de façon complètement inconditionnelle, sans
rien me demander en échange.Et
je voyais combien cela avait été important. Des choses que je voyais comme
négatives m’apparaissent sous un jour beaucoup plus positif. Ainsi, je n’ai
jamais pu être la première en classe, seulement parmi les bonnes élèves ;
je n’ai jamais eu l’âme d’un chef et, si on me faisait jouer ce rôle, cela ne
marchait pas du tout. Et là, je découvrais que j’étais, au collège où
j’enseignais, ou dans des activités de formation, non quelqu’un qui se mettait
en avant, mais une bonne seconde, quelqu’un sur qui on pouvait compter, dont
l’avis était écouté. Et être seconde, c’est aussi une bonne place, une place
nécessaire à la bonne marche des choses.
Le plus important, je
crois, a été de comprendre que je n’ai pas à nier ce que j’éprouve au fond de
moi, même si ces sentiments me paraissent négatifs.
Si j’ai mal, j’ai mal, si je ne comprends pas
ce qui m’arrive, je ne comprends pas. Si j’en veux à quelqu’un eh bien, je lui
en veux et j’ai le droit d’éprouver ces sentiments- là, je n’ai pas besoin de
les refouler, de faire comme s’ils n’étaient pas là.
Autre-chose : je ne
peux plus être dupe des jugements que je ne peux m’empêcher encore de m’asséner
à tout propos. Déjà je comprends que le sentiment de culpabilité lui-même n’est
d’ailleurs pas complètement négatif : les personnes qui sont persuadées
d’avoir toujours bien agi, en toutes circonstances, qui ne doutent pas un
instant d’avoir raison, ne vont pas bien en réalité et manquent terriblement de
lucidité. Ce qui a changé, c’est que je ne me complais plus dans une
culpabilité paralysante.
Et surtout, je ne me sens
plus dupe des sentiments négatifs qui me viennent. Ainsi, si je me trouve
stupide, ou « nulle », moche, mauvaise dans
telle ou telle situation, je peux me regarder comme si j’étais quelqu’un
d’autre et revenir vite au bon sens. Je sais très bien que je ne suis ni nulle,
ni moche, ni bête en réalité.
D’ailleurs qui me demande
d’être une mère parfaite, une amante parfaite, une fille, une sœur, une amie,
une enseignante parfaite ?
Qu’est-ce que c’est que
cette histoire ?
Délivrée enfin de tous ces fantasmes, je peux
me lancer sur de nouvelles pistes, faire ce que j’ai envie de faire sans me
bloquer sur des interdits, du style « ma pauvre fille, tu n’es pas faite pour
cela, tu n’y arriveras pas »
Ainsi, pour ne donner que
quelques exemples, alors que j’ai peur de tout, des araignées, d’un claquement
de pétard, de l’agressivité, des conflits, en même temps, je n’ai peur de rien.
La seule chose qui m’importe, c’est ce que je désire vraiment. Ainsi, j’ai pu
faire de l’écriture mon deuxième métier, je me suis mise au théâtre à plus de
65 ans, j’ai pu, sur la scène, jouer les clowns, danser, chanter, toutes choses
pour lesquelles je pensais n’avoir aucun talent. Et, à près de 75 ans, j’ai osé
encore une fois l’aventure d’aimer et d’être aimée.
Cela dit, et c’est
peut-être paradoxal, je m’étonne toujours qu’on puisse m’aimer. Cela
m’émeut profondément, parce que je ne me trouve rien d’extraordinaire.
Finalement, je me dis que c’est peut-être parce que je suis quelqu’un qui
existe, que je suis vivante, ce qui est à la fois peu et beaucoup.
Et puis peut-être aussi
parce que je ne me sens ni au-dessus ni en dessous de qui que ce soit.
Pour terminer je voudrais
dire, parce que cela me paraît aussi important, lorsque je ne vais plus voir
l’analyste, cela ne signifie pas que l’analyse est terminée.
Elle ne peut pas l’être
car maintenant, cette distance que j’ai appris à avoir, elle est toujours là,
je la retrouve chaque jour. Et je sais, dans le même temps que ma fragilité,
que je connais bien et qui, elle aussi, est toujours présente, est en même
temps ce qui fait ma force. Enfin j’ai acquis la certitude, chevillée au corps,
que, jusqu’à la fin de ma vie, des choses seront possibles, que des portes
s’ouvriront encore, quels que soient les handicaps inévitables de ma fin de
vie.
J'ai parlé de tout cela
avec le psychologue du cabinet médical que je
fréquente. Après tout, on étudie bien en classe Les Pensées de Pascal, Charles
Juliet a bien publié aussi des textes sous le titre Fragments, et, chaque jour
paraissent des recueils de nouvelles. Je crois que cela me fait du bien que
toutes ces parcelles de vie forment finalement un tout, dessinent un chemin.
XIX
Cambronne
Chantal (2016), Le temps. III. Une petite fille pendant la guerre (1939-1945)
Janvier 2016
Une
petite fille pendant la guerre (1939-1945)
-Née en janvier 1936, j’ai
donc 3 ans et demi au début de la guerre et 9 ans le 8 mai 1945 lorsqu’elle se
termine.
Je suis trop petite pour avoir des souvenirs
des années qui ont précédé. Mais j’entendrai toujours ma mère dire
j’entends toujours ma mère dire qu’elle a eu 4 enfants en 4 ans. Mon frère
François est en effet né en juin 1934, moi, Chantal en Janvier 1936, mon frère
Michel en décembre 1936, et ma petite sœur Marie-Christine en juillet 1938. Je
n’ai aucun souvenir de mon père, mobilisé dès le premier jour de la guerre et
qui mourra le 13 Juin 1940 à Neufchâteau au cours d’un bombardement. Il n’est
pour moi qu’une photo dans un cadre, que nous ornons, à chaque fête des
Rameaux, d’un rameau de buis.
— Quand j’entends
les grandes personnes dire, en soupirant « avant la guerre, on trouvait de
tout… avant la guerre, on ne manquait de rien, avant la guerre je ne crois pas
à ce conte de fées qu’elles racontent. Cela me fait le même effet que les
leçons de morale qu’elles ne cessent de nous prodiguer, à nous les enfants, au
nom de leur expérience. Moi, je ne connais que la guerre, elle fait partie de
mon quotidien.
—A vrai dire, je trouve
naturelles, normales, des tas de choses qui paraissent horribles pour les
adultes. Je suis habituée aux cartes d’alimentation, au poêle qui trône dans la
salle à manger et remplace le chauffage central, aux pannes
d’électricité, à la sirène, aux Allemands dans la rue et dans le métro.
J’appelle le monsieur qui passe tous les soirs pour vérifier que nos stores
sont bien baissés : « la défense passive » sans me poser de questions sur
le sens de cette expression. Je ne peux même pas dire que j’ai peur des
bombardements car ils m’effraient beaucoup moins que les pistolets à amorces de
mes frères, qu’ils font claquer exprès sous mon nez. J’aime bien quand ils ont
lieu la nuit parce que nous descendons à la cave par l’escalier de service, ce
qui donne à l’expédition un parfum d’aventure et que, là, nous retrouvons les
autres enfants de l’immeuble avec qui nous jouons aux cartes ou aux osselets.
Et, quand ils ont lieu
dans la journée, les sœurs nous rassemblent dans le réfectoire et nous font
dire le chapelet, ce que je trouve beaucoup plus plaisant que de faire des
problèmes et d’écouter la maîtresse. Je me plais d’ailleurs beaucoup dans ma
petite école libre : les sœurs sont gentilles, les récréations très
longues. Entre l’histoire de France et l’Histoire Sainte, les processions, les
reposoirs fleuris, les bougies de la chapelle, l’odeur d’encens, mon
imagination est abondamment nourrie. Il y a même une séance de cinéma tous les
jeudis après-midi et je ne la manquerai pour rien au monde, avec la magie des «
oh » et des « ah » à chaque changement de bobine.
—Pendant toutes ces
années, je n’ai jamais non plus souffert de la faim. Le matin, ma mère nous
fait une bouillie consistante avec le lait que nous touchons quotidiennement. A
l’école, la nourriture est détestable la plupart du temps. Je me souviens en
particulier de choux fleurs avec une horrible sauce au vin. Et je suis un peu
dégoûtée quand je vois les jeunes bonnes repartir avec les piles d’assiette
restées pleines d’où le jus s’écoule tout le long de leur passage, mais, pour
moi, le principal est que personne ne m’oblige à manger.
—Et puis, il y a aussi
des choses que ma mère trouve horribles et que, moi, j’adore :
l’hydromel par exemple, un succédané
de miel savouré à la petite cuillère,
et ces barres sucrées
à peine enrobées d’une mince pellicule de chocolat qui font partie de nos
rations du mois. De toute façon, je n’ai pas énormément d’appétit.
—Les destructions de la
guerre, je ne les vois qu’une fois, en septembre 1944, lorsque je reviens de
chez ma grand-mère. Le train s’arrête dans la gare d’Orléans qui a été
bombardée. Je vois encore les locomotives, ou ce qui en reste, suspendues en
l’air, les rails tordus, les wagons éventrés… Le silence qui règne sur les
lieux m’épouvante. Je m’attends presque à voir sortir des morts des décombres.
C’est un grand choc.
—De l’occupation, il ne
me reste qu’un souvenir marquant. Deux officiers SS habitent
l’appartement juste au- dessus du nôtre. Nous les croisons parfois
dans l’escalier, sanglés dans leur bel uniforme. Ils sont polis, saluent
toujours ma mère.
—Un jour, alors que nous
sommes tous descendus dans la cour pour aller donner une pièce à un chanteur
des rues, nous claquons, dans notre précipitation, la porte de l’appartement en
oubliant de prendre la clé. Notre mère n’est pas là et nous sommes résignés à
l’attendre sur les marches de l’escalier. C’est alors que les deux officiers SS
arrivent :
—Que faites-vous là, les
petits enfants ?
—Nous attendons que notre
maman revienne car nous n’avons pas les clés pour rentrer.
—Venez les enfants, vous
l’attendrez chez nous
—Bien entendu, nous
n’osons pas refuser l’invitation et nous nous retrouvons tous les quatre dans
leur appartement. Ils nous posent quelques questions, celles que posent
toujours les adultes : l’école, la sagesse à la maison… Ils parlent
parfaitement français. L’un d’eux prend ma petite sœur sur ses genoux. Et alors
là nous sommes terrorisés : que pourrons nous faire si jamais
ils lui font du mal ? Et ces bonbons qu’ils nous ont donnés, s’ils
sont empoisonnés ? Jamais le temps ne nous a paru aussi long !
—Enfin, ma mère arrive.
Elle remercie poliment les deux allemands de nous avoir hébergés (que peut-elle
faire d’autre ?) mais sitôt la porte de l’appartement refermée, elle
explose :Vous ne savez donc pas que ces gens sont
méchants, très méchants ! je vous ai cherchés partout, vous vous rendez
compte ?
—Je réalise alors qu’elle
a eu encore bien plus peur que nous ! Bien que je n’aie pas vraiment
souffert matériellement de la guerre, tout n’est pas rose malgré tout dans ma
vie d’enfant, loin de là. Notre mère, qui a appris, très vite, le métier de
pédicure reçoit les clients à la maison, ou va les soigner chez eux,
pendant
que nous sommes à l’école. L’été, nous sommes
dispersés tous les quatre. Je ne comprends jamais trop ce qui se passe,
pourquoi par exemple je passe l’été de mes six ans dans une ferme en Normandie,
chez des inconnus. Je sais seulement que ma mère, elle, doit rester à la
maison pour travailler et qu’elle ne peut pas s’occuper de nous.
—Surtout je me rends
compte que je ne suis pas la petite fille qu’elle aurait rêvée d’avoir :
je ne suis pas jolie, je suis renfermée, maladroite, étourdie, et, comme elle
dit, « je ne trouve pas de l’eau à la rivière ». En plus je n’ai jamais les
amies qu’il faut : l’une est juive (« avec le nom qu’elle a) ;
l’autre m’offre un bon goûter parce qu’elle a des parents « collabos ». Le soir
surtout, elle crie beaucoup, nous reproche à tous les quatre, « de ne penser
qu’à jouer, jouer, jouer. » J’essaie de bien faire, je voudrais
tellement lui faire plaisir, mais ce que je fais n’est jamais bien, et je
souffre beaucoup de ne pas répondre à ce qu’elle attend de moi.
—Et, à la fin de la
guerre, peu de temps après la Libération, il se passe quelque chose de beaucoup
plus grave. Un soir en rentrant de l’école, je la vois couchée dans le noir.
Elle me dit qu’elle est très malade et que je dois partir tout de suite chez ma
grand-mère maternelle, qui me fait très peur. Mes frères, eux, seront chez
l’une ou l’autre de mes tantes.
Je suis terrorisée à
l’idée que ma mère pourrait mourir, et persuadée que nous serons alors tous les
quatre séparés. Lorsqu’après seulement trois mois, nous pouvons rentrer à la
maison, elle est encore très fatiguée et nous confirme qu’effectivement elle a
failli mourir, mais que l’idée qu’elle ne pouvait pas nous laisser complètement
orphelins l’a aidée à rester en vie. Pour nous, elle a abrégé sa convalescence,
mais nous devons être très sages.
— C’est à
ce moment- là qu’elle abandonne peu à peu son métier de pédicure pour
entrer comme comptable dans l’entreprise familiale de peinture à Aubervilliers,
entreprise dirigée par son frère aîné. On lui assure qu’elle pourra rester à la
maison pendant les vacances, qu’elle gagnera mieux sa vie qu’en restant
pédicure. Mais il n’en sera rien en réalité.
—Le 8 mai 1945, je suis
seule à la maison lorsque toutes les cloches se mettent à carillonner. La
guerre est finie. Mais pour moi, cela n’a pas grand sens. Avec les Américains,
nous sommes toujours dans l’occupation, et ils sont même plus encombrants que
les Allemands. Rien n’a vraiment changé et ma mère est toujours aussi pauvre.
Pour comble de malheur, peu après, je suis pensionnaire à la Légion
d’Honneur où je reste pendant six ans : je ne m’habituerai jamais à la
pension. Et mon père me manque plus à l’adolescence que dans mon enfance.
— Finalement, je
n’ai guéri de la guerre et de ses douloureuses conséquences : le poids
trop lourd d’un père absent, la détresse tyrannique de ma mère, la famille
éclatée, que vers la cinquantaine. Parcours long et difficile donc, et il me
faudrait tout un livre pour le raconter. Livre que je me mets, dès aujourd’hui,
à écrire.
Le vécu de la guerre de
1939-1945, pendant l’enfance, a été particulièrement individualisé. Pour ma
part, j’étais dans une très petite ferme du Brionnais (71), et n’ai guère été
directement affecté, pour la raison que mon père était réformé. Nous
alimentions, contre paiement, des « Lyonnais»
pouvant venir jusqu’à nous. Alors que d’autres « Lyonnais », telle ma
compagne, en étaient réduits à consommer des épluchures de topinambour ! Henri Charcosset
XX
Cambronne-Desvignes
Chantal (2017), Anti
solitude lors d’un changement de lieu de résidence à 80 ans. Témoignage
Mai
2017
Introduction
A
la suite de ses précédents articles témoignages sur ce site , Chantal Cambronne, professeur de lettres
retraitée, née en 1936, traite de son expérience toute récente d’un changement de lieu de résidence. Avec
une aptitude remarquable
à se faire de nouvelles relations, et de nouvelles
activités, mutuellement enrichissantes avec les gens qu’elle y
côtoie. Penser à l’inévitable survenue un jour ou l’autre de sa véritable perte
d’autonomie, lui parait plus naturel, dans ce nouveau cadre de vie. Henri
Charcosset
Texte de Chantal
Cambronne
Je n’ai pas du tout
l’intention de chanter les louanges du déménagement. A mon âge — je venais
d’avoir 80 ans— j’aurais préféré ne pas avoir à bouger.
Et, si nous avons décidé,
mon compagnon et moi, de voguer vers d’autres horizons, après plus de 50 ans
passés à Bordeaux, c’est que nous y étions acculés. Nous devions absolument
quitter un appartement devenu insalubre suite à un dégât des eaux, jamais
réparé et sans aucun espoir qu’il le soit un jour. Les loyers à Bordeaux
et en banlieue étant devenu prohibitifs ou situés dans des zones nouvelles
totalement inhumaines, désertes, avec, pour tout horizon, des cubes de béton à
l’infini, il nous est apparu, après quelques mois de recherches infructueuses,
que nous devions, tout simplement, quitter la ville.
Une fois cette première
décision prise, il fallait trouver un point de chute qui nous convienne à tous
les deux. Le choix des Pyrénées s’est vite imposé, puis nous avons cherché
« la » ville qui nous conviendrait, ni trop grande, ni trop petite. Oloron
Sainte Marie, 11000 habitants, en plus de la perspective d’un loyer nettement
plus abordable qu’à Bordeaux, nous a vite paru l’endroit le plus approprié.
Pour diverses raisons : médicales d’abord (présence d’un hôpital, de tous
les spécialistes dont nous avions besoin : audioprothésiste, ophtalmo,
cardiologue, diabétologue, kiné…) culturelles ensuite (un cinéma avec des films
en V0, un festival de jazz, des concerts).
Notre quête a pris tout de même quelques mois,
mais notre persévérance a fini par payer.
En 48 heures, suite à la parution d’une petite
annonce dans « Le bon coin » nous avons fait le voyage, visité l’appartement
rêvé, plus grand et moins cher que celui que nous quittions avec une vue
« imprenable » sur les montagnes, dans un quartier agréable, avec des commerces
de proximité, une magnifique cathédrale, des maisons anciennes… signé le bail,
pris, au centimètre près, toutes les mesures nécessaires pour caser nos
meubles… avant de vite ite rentrer sur Bordeaux pour préparer le
déménagement.
Je ne vais pas trop
m’attarder sur ce chapitre, qui fut, de loin, le plus pénible pour nous deux
mais davantage encore pour mon compagnon, qui a fait le plus gros du travail.
Que l’on parte à 200 mètres ou à 300 kilomètres en effet,le problème est le même : cartons à faire,
meubles à abandonner parce qu’en trop mauvais état pour supporter un transport,
tri des affaires à donner ou à jeter, grand ménage à faire, etc. Et les jours
qui filent à une allure folle…
Et puis, le jour du
départ est arrivé. En ce qui me concerne, je n’ai regretté à aucun moment de
quitter Bordeaux : depuis un moment déjà, je n’avais plus aucune
activité extérieure, mes amies, ma famille étaient, pour la plupart, loin
déjà. Cela dit, certaines de mes amies se faisaient du souci pour moi,
craignant que j’aie des regrets de quitter la grande ville,
ma fille aînée
s’inquiétait de me savoir encore plus loin d’elle en cas d’urgence.
Je ne voulais pas me
laisser influencer, persuadée que, d’une façon ou d’une autre, je m’adapterais.
Certes, les premières
semaines ont encore été mouvementées : il fallait tout ranger à nouveau,
se débarrasser des cartons, régler les petits problèmes (Orange, Edf, le
téléphone…) faire des achats (télévision tombée en panne pour de bon à remplacer,
meubles de rangement à trouver…) prendre contact avec médecin, kiné,
cardiologue, ophtalmo…
Et puis, c’est vrai, il y
avait aussi des petites déceptions : certains quartiers de la ville
semblaient abandonnés, tristes, avec des magasins fermés, des maisons
inoccupées depuis longtemps. Les boutiques étaient un peu vieillottes et nous
nous disions que, sans doute, nous devrions, de temps en temps, aller à Pau
faire des achats, pour les vêtements en particulier.
Aujourd’hui — il y a tout
juste un an que nous sommes ici — cette idée même d’aller à Pau faire des
achats pour renouveler ma garde- robe me fait sourire. Certes les
choses ne se sont pas faites d’un seul coup. Il a fallu apprivoiser le
voisinage, les commerçants, se mettre en quête des activités possibles,
contacter les associations.
Mais tout cela finalement
n’a pas pris tellement de temps.
A peine quelques mois
après notre arrivée, j’ai eu l’impression d’être là depuis très longtemps,
presque depuis toujours. Et de m’y trouver vraiment bien. Et je ne ressens pas
le besoin de m’évader. Je connais quasiment tous les commerçants du
quartier. Chaque matin la boulangère me demande si je vais bien et nous
échangeons toujours quelques mots. Je sais que le boucher a toujours habité
Oloron, et il m’a même montré la maison où il est né (tout près de sa
boutique). Dans le corps médical, tout le monde communique, échange. Comment
dire, il y a une sorte de familiarité qui s’installe. Et puis ici, nous sommes
proches de la campagne, et cela se sent. Je retrouve quelque chose de ce que je
vivais autrefois quand j’allais chez ma grand-mère en Touraine. Les gens ne
sont pas pressés, prennent le temps de bavarder. Les milieux sociaux sont moins
clos : je parle bouquin avec la coiffeuse, politique avec ma kiné, je vois
des expos dans des petites salles sympathiques et les artistes qui sont là ne
se prennent pas trop au sérieux.
Quant aux boutiques,
elles ne sont pas si mal et finalement, nous trouvons sur place à peu près tout
ce dont nous avons besoin, et même de jolies choses.
Dès mon arrivée j’étais
décidée à entamer ici une nouvelle vie. Bien sûr au début j’ai un peu tâtonné.
J’ai compris par exemple que ce serait trop
compliqué de faire du sport, surtout avec mes problèmes de dos.
Et la piscine (que
j’avais expérimentée à Bordeaux pendant deux ans) ne me disait plus rien.
Pendant un bref moment, tentée par le chant, — il y avait deux chorales tout
près de chez nous — je n’ai finalement pas donné suite. Par contre, j’ai renoué
avec des activités « d’avant ». Je me suis d’abord renseigné sur un atelier de
dessin. Je ne voulais plus copier des œuvres comme je l’avais fait à Bordeaux
durant plusieurs années dans un atelier très sympa par ailleurs, mais pouvoir
donner libre cours à mon imagination. Et, miracle, j‘ai trouvé quelque chose
qui me convient tout à fait. Et je ne regrette pas que les séances soient très
espacées (quatre en tout dans l’année scolaire) : l’animatrice est jeune,
talentueuse et très accueillante.
Et puis, plus récemment,
j’ai trouvé ce que je cherchais depuis longtemps : une véritable équipe de
bons copains rassemblés autour d’activités que j’aime et pratique depuis 40 ans
— la lecture et l’écriture. Ce n’était pas évident au départ, car l’association
« Livres sans frontières » » me proposait surtout un travail solitaire :
lecture critique de livres pour la jeunesse, participation à un jury
pour un concours d’écriture.
Et puis, il y a eu
l’aventure du Printemps des Poètes : d’abord un
travail à deux, puis à trois ou quatre.
Puis un enregistrement de
textes à la radio avec 6 participants. Et là, le miracle a eu lieu, après
l’émission, autour d’un verre : tout à coup, c’est devenu un groupe, un
groupe vivant,
une vraie communauté,
décidée à faire bouger les choses. Et depuis, nous enchaînons une réflexion
commune, la préparation d’autres actions, le salon du Livre, le recrutement de
nouveaux adhérents… Nous sommes
tous différents, en âge, en talents. C’est vivant et chaleureux. Alors je suis comblée.Comment dire ? Je me
sens « reconnue » en dépit de mon âge respectable.
Reconnue dans cette
association, mais aussi dans le quartier. Je suis petite, sans ambition
dévorante, et là, je me sens juste à ma place.
Une des difficultés
rencontrées a été le fait que nous avons dû chercher notre voie chacun de notre
côté, que, dans le couple, nous n’avons pas avancé chacun au même rythme.
Mon compagnon a eu plus de mal que moi à trouver sa place, alors qu’il était
plus motivé que moi au départ. Mais aujourd’hui, j’ai l’impression que nous
avons trouvé chacun nos marques, dans des domaines différents, chacun dans son
rôle propre. Et c’est très bien ainsi.
Cette aventure m’a
conforté dans ce que je savais déjà depuis longtemps : il n’y a pas d’âge
pour évoluer, pour changer de vie, pour découvrir, pour faire des rencontres.En ce qui me concerne,
cette étape me permet d’envisager avec plus de sérénité le moment où je
connaitrai la dépendance, où je devrai entrer en maison de retraite. Mais là
aussi, il y aura des ressources à trouver. Jusqu’à la fin, en souhaitant que la
souffrance physique, la douleur insupportable nous soit épargnée, bien sûr, la
seule chose qui me fasse vraiment peur.
XXI
Cambronne
Chantal et Charcosset Henri (2018), Anti-solitude à tout âge, ou « Plus on sort de soi, plus on
est soi »
Avril 2018
chantal.cambronne@orange.fr et http://autobiographie.sitapa.org/
Introduction
La
citation exacte est: « Plus on sort de
soi-même, et plus on est soi-même », dans : Propos
sur le bonheur (1928) d’Emile Auguste
Chartier, dit Alain
Le ressenti de solitude, même en l’absence
d’isolement objectif, est fréquent à tout âge. Mais en toutes circonstances,
nos capacités d’anti-solitude sont importantes. Sachons puiser dedans !
Henri Charcosset
Texte
de Chantal Cambronne
Solitude, solitudes
Il est difficile de
parler de la solitude car elle a de multiples visages. Et dans la même vie,
elle ne se présente pas toujours de la même façon.
Ainsi, en ce qui me
concerne, j'ai connu la solitude dans le couple :
dix ans de mariage
réussi d'un point de vue extérieur :
quatre beaux enfants, une maison agréable avec un jardin, un voisinage
sympathique,…
alors
que, pour moi, rien n'allait et que je ne pouvais parler à personne de ce qui
me minait ; plus tard la solitude que peut connaître une jeune femme seule,
sans amour, sans parler de la solitude du professeur qui n'a guère d'autorité
et qui doit affronter chaque jour cette
réalité- là.
Aujourd'hui j'ai 82 ans.
Je suis seule depuis bientôt un an, en ce sens que je ne suis plus en couple.
Et que, par ailleurs, se profile à l'horizon la solitude inévitable des
fins de vie : les douleurs qui s'installent, la mort qui se rapproche, la
disparition, déjà commencée, de mes proches, disparitions qui ne peuvent que
devenir plus fréquentes.
Pourtant je ne suis pas
triste, et je ne me sens pas isolée, en retrait de la vie. Il m'est arrivé,
certes, d'avoir des instants de panique, lorsque je ne me sens pas bien
par exemple. Je ressens alors la peur viscérale de mourir sans aucune
aide près de moi, aucun secours, aucun réconfort. Mais ces moments- là
sont rares.
Je ne me sens pas flouée
parce que mes forces diminuent, parce que je fais tout plus lentement, parce
qu'il y a moins de monde autour de moi que quand j'avais 40 ans.
Tout récemment,
j'ai déposé un dossier d'admission dans un Foyer logement. Je crois qu'on
appelle cela maintenant :
Maison de
l'indépendance ou Résidence Personne Agée.
Je ne sais pas encore
comment je vivrai ce changement. Mais je l'envisage comme une nouvelle étape
dans ma vie, une étape pleine de promesses : je vais rencontrer de nouvelles
personnes, tisser des liens avec elles, découvrir d'autres activités, voyager,
ce que je ne fais plus depuis longtemps.
Il m'arrive aussi quelque
chose à quoi je ne m'attendais pas. J'appréhendais beaucoup en effet le
déménagement. Je vis encore pour l'instant dans un grand appartement,
avec une vue magnifique sur la montagne. Je suis habituée
au quartier,
je connais tous les commerçants, et je me trouve bien dans cet environnement.
Et j'allais me retrouver dans un appartement
plus petit, dans un autre quartier de la ville.
Je ne me voyais pas non
plus faire les cartons, descendre des affaires du haut des armoires, nettoyer
l'appartement après…sans compter tous ces petits trucs administratifs,
changements d'adresses, relevé des compteurs…
Et puis cette
inquiétude a fortement diminué quand je me suis mise à donner pas mal de
choses, à mes enfants, à des amis : de la vaisselle, des livres, des
disques, des tableaux…
Contrairement à ce que j'imaginais, non
seulement cela n'a pas été difficile, mais au contraire, j'ai éprouvé
beaucoup de plaisir à le faire.
J'ai bien aimé par
exemple voir mon gendre préféré rayonner de joie en emportant la cocotte en
fonte que m'avait donné une vieille demoiselle pour mon mariage. Ce
garçon, en effet, adore faire la cuisine, des petits plats mitonnés:
avec lui, la cocotte sera en bonnes mains.
Mes petites filles, à qui j'avais demandé de
venir avec des cartons, sont reparties, ravies de leurs acquisitions…Plus
tard, je ferai envoyer à chacun de mes enfants le meuble de son choix.
En attendant ce
changement proche, je ne peux pas dire que je souffre de la solitude. J'en suis encore à en découvrir les avantages
: pouvoir lire à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit, ne rendre de
compte à personne, faire le minimum de cuisine
pour contenter mon petit appétit, rester dans le silence quand j'ai besoin de
réfléchir, de travailler.
Je dirai plutôt que c'est une solitude habitée
que je vis actuellement : j'ai la chance d'avoir pu me faire de nouveaux amis
dans cette petite ville où je vis depuis deux ans, de participer aux activités
d'une petite association.
J'ai même eu la
chance de pouvoir remonter sur scène récemment, alors que je pensais bien que
cela ne pouvait plus m'arriver.
Et je me sens
acceptée telle que je suis.
Il me semble que j'ai eu,
autrefois, des périodes de solitude beaucoup plus difficiles à vivre. La
solitude alors, je la refusais de toutes mes forces.
Aujourd'hui, je
l'accueille comme une des facettes de ma vie. Oui, je sais,
il
y a des solitudes très douloureuses, surtout quand on souffre, ou quand
on habite loin de tout.
Et puis, j'ai la chance de nouer
facilement des contacts, de savoir encore rire, repartir après un
échec, fut-il très dur.
Je ne suis pas sûre
d'être un bon témoin pour parler de la solitude. Mais ces articles ne sont-ils
pas faits pour accueillir tous les points de vue?
°°
En écho à Chantal
Cambronne, par Henri Charcosset
Rebondir à tout moment de
nos vies, pour transformer le négatif des événements qui nous affectent, en
facteurs de progression, Chantal en fait fort bien état.
Mon expérience permet
d’ajouter un facteur, celui de l’entrée en réelle dépendance physique. En
peu de jours, début juillet 2017, un problème de santé m’a obligé à me faire
assister par une auxiliaire de vie, matin et soir, 7 jours /7, pendant 1,5
H, pour la toilette y compris intime, l’habillage du matin, le déshabillage du
soir. S’y rajoutent le passage quotidien d’une infirmière, et celui, trois fois
par semaine d’une kinésithérapeute.
J’ai très vite ressenti
le bénéfice à en tirer, au plan de ma relation aux autres.
Quotidiennement, je prends
un réel intérêt à ces personnes, facilement huit au total, avec leurs
origines, histoires, perspectives de vie très individualisées.
Il est clair et net, que
de chaque personne rencontrée au cours de nos vies, nous avons à apprendre.
Tout un chacun, trop souvent sans en avoir conscience, a à transmettre, en
se rendant utile à d’autres, et déjà à soi-même. D’où un plus de confiance
en la valeur de ce qu’individuellement, nous avons à vivre.
L’Internet se prête
particulièrement à la publication d’articles témoignage. L’Internet et le fait
d’utiliser l’écrit classique se complètent, de manières qui restent largement à
explorer.
Un mot pour évoquer la
perspective de la fin de notre vie sur terre ?
D’une part, je me
rappelle aussi bien que si c’était hier, de ma grand’mère paternelle approchant
de la fin de sa vie. Assise sur son fauteuil, un soir elle me dit, me regardant
malicieusement dans les yeux : « Tu sais,
je me demande si demain matin, je me réveillerai vivante ou bien
morte ! » Sure qu’elle était, qu’elle se réveillerait !
D’autres points que la
mort en elle-même, me rendent plus perplexe.
D’une petite dizaine
d’hommes connus d’à peu près mon âge, la moitié sont décédés depuis l’an passé.
Parfois dans des conditions si dures, que je me demande si je saurai « Mourir
vivant ». Va savoir !
Sur l’évolution de la vie
en couple au cours des ans, je suis veuf (1990) avec compagne, la même depuis
1992-1993. Elle est sans famille aucune comme je le souhaitais ; un peu
plus âgée que moi, elle vit bien son grand âge. Depuis fin 2015, elle est sous
tutelle et en EHPAD.
Opportunités pour moi de m’instruire
davantage de la réalité de la vie. Je vis seul, comme toi, Chantal.
Mais toi, avec un divorce
suivi de plusieurs relations avec un compagnon, tu te situes bien plus dans la
« modernité » que moi !
Oui et non, car je crois
beaucoup à la réalité des relations dites virtuelles, avec l’Internet comme
support. Cette relation peut être plus facilement plurielle que les relations
dites en vrai !
Le grand âge ne se
prête-t-il pas à la promotion de l’amour amitié, en référence à l’ouvrage de
Jacqueline Kelen :
« Aimer d’amitié. L’amour véritable commence avec
l’amitié » (1992)
XXII
Cambronne
Chantal et Charcosset Henri (2020), Confinement-Dé-confinement vus
par une octogénaire vivant en Résidence
Juin
2020
INTRODUCTION
Cela
fait une douzaine d’années que j’ai contacté Chantal Cambronne pour lui
proposer de participer à mon site.
Un
coup de foudre que j’avais ressenti pour la qualité de son style….dont
il faut déjà bien dire qu’elle n’en a pas perdu un brin.
Cette
qualité de style, j’aimerais bien la voir se transférer un peu plus chez les
Internautes, participant comme moi aux Doctissimo forums.
Chantal
nous a fait bénéficier au cours des ans d’une série de 22 articles, qui
précèdent dans ce fascicule.
Henri
Charcosset, Né en 1936, Directeur de Recherches au CNRS, Sciences physiques,
Père de deux enfants, grand-père de quatre petits-enfants.
Texte de Chantal
CAMBRONNE
Avec
en italique des Remarques de Henri CHARCOSSET
Je pensais, tout à fait
sérieusement, tenir une sorte de journal de confinement. Je n’ai pas résisté
plus de trois jours. Et je n’en éprouve pas de remords. Je ne me suis laissé
couler ni dans le désespoir, ni dans l’angoisse, ni dans l’ennui, mais je ne
voyais pas trop ce qui était vraiment à retenir.
D’ailleurs souvent c’est après coup qu’on
réalise certaines choses. Ainsi, dans la Résidence autonomie où je me trouve,
nous avions le droit d’aller faire les courses, pourvu seulement que nous
soyons munis du laissez-passer et de la carte d’identité.
Ce n’est qu’à la fin du
confinement que j’ai réalisé que je ne voulais pas avoir à me justifier, je ne
voulais pas me sentir en liberté surveillée, comme si je me retrouvais en
pension, quand je redoutais plus que tout l’oeil
terrible de la Surveillante générale. Alors je préférais rester dans le cadre
de la Résidence, pas trop désagréable avec le grand jardin, le beau temps...
Chantal
Cambronne appelle ici à une remarque concernant le lieu de vie de la personne
avançant vers son grand âge. Elle se trouve plutôt bien dans ce qu’elle nomme
sa « Résidence autonomie ». Est-on aussi mal qu’on le dit si souvent,
en EHPAD ?
Ce n’est pas vrai, en tout cas si j’en réfère
à ma compagne d’après veuvage. En EHPAD. Elle bénéficie d’une chambre avec une
belle vue, d’activités extérieures enrichissantes,hors
période de confinement, bien sûr…etc…Quant à moi-même, je réside encore seul, à
mon domicile privé. L’entrée en véritable dépendance physique il y a près de
quatre ans, me vaut de fréquenter en bon nombre, des auxiliaires de vie, et
autres aides à la personne. Que des femmes, formées à l’accompagnement de la
fin de la vie, vue comme une composante naturelle de la vie ! Non, il ne
saurait y avoir de conditions standardisées de finir sa vie.
En
anticipant peut-être un peu…le moins possible, j’espère que tous ces très âgés encore capables, se voient encouragés pour ne
pas dire un peu poussés, à un temps de télé bénévolat, pour transmettre
vers les générations montantes, le fruit
de la longue histoire de leur vie ! HC, 11.06.2021
Mais, dès ce moment-là,
j’ai compris que ce n’était pas tant le confinement qui allait tout
bouleverser, mais la suite, le après, ce qu’on appelle le déconfinement, mais
qui n’en est pas vraiment un.
En fait, c’est maintenant que les choses
commencent, qu’on va entrevoir soit le monde d’après, désespérément semblable à
celui d’avant et porteur de catastrophes mondiales, soit des tentatives de
sortir de ces impasses où le monde s’enfonce.
Comme je suis plutôt d’un tempérament optimiste, je regarde partout, cherchant
ce qui se crée, ces îlots de vie différente, de regard différent, sur cette
possibilité de créer autre chose, même petit, même minuscule. Car je crois à
ces choses minuscules.
Je
ne partage qu’à demi, les propos généralistes de mon amie. Revenir davantage
qu’on ne le fait à la dure mais riche leçon de notre passé. Lequel vivait comme
essentiel, le travail plutôt que le loisir. La retraite loisir va vers sa fin.
La télé activité d’utilité sociale doit se développer, quand le temps du
travail, qui peut être télé travail, est moins de mise !
Je crois que nous, les
vieux, nous avons notre rôle à jouer. Parce que, même si certains veulent nous
enterrer au plus vite (Nous coûtons cher à la Sécu) nous sommes vivants, nous
pensons, nous avons des projets, nous aimons, nous savons encore rire, pleurer,
inventer.
Il
ne tient qu’à nous, les vieux, de tenir notre rôle, sauf empêchement physique
ou mental majeur. Et déjà, il tient essentiellement à nous que ceux qui ont été
nos enfants petits, restent nos enfants jusqu’au bout de nos vies.
Le
prolongement du lien parental est de notre responsabilité première, ne
serait-ce que du fait que nous avons moins de charges !
Dans
un autre domaine ; cité comme exemple, notre responsabilité est grande
dans le peu d’appui, et déjà moral, que nous manifestons sur les forums, auprès
des multiples jeunes adultes en chômage prolongé ou autrement isolés. Le sens
principal de nos actions a à se situer dans la mise en confiance de l’individu
par rapport à soi-même, quelles que soient les conditions de sa vie.
Et, au total, eh bien,
au-delà des angoisses que je partage avec d’autres, je veux vivre à fond ce qui
se passe. Je n’ai que de petits projets portant principalement pour le moment, autour d’un livre et de la
lecture, au sein de notre association locale….Sans
oublier entre autre, ma participation au site de Henri Charcosset,
forme de bénévolat social praticable depuis chez soi, sans structure ni budget
l
Les autres avancent
aussi, cela va de soi. Les liens, de plus en plus nombreux entre nous, se
renforcent. Comme je suis toute petite moi-même, je fais confiance au tout
petit, au grain de sable dans la chaussure. Chantal Cambronne, le 25 mai 2020
XXIII. Cambronne Chantal (Janvier 2021) Des vœux personnels d’une Octogénaire vivant en Résidence.
Un regard en retour sur les 22 textes qui précèdent
Chantal, née comme
moi en 1936, résiste de son mieux à l’avancée de son âge. On remarquera
ci-dessous combien elle mémorise, avec des appréciations assez fines au
cas par cas, les personnes hébergées dans la même résidence qu’elle. Cela ne
peut être que le fruit d’une bonne prédisposition complétée par une pratique
quotidienne. Cela peut donner à réfléchir pour le maintien dans des
dispositions mentales aussi satisfaisantes que possible, des personnes résidant
en EHPAD. Henri Charcosset
Bonjour Henri, et bonne année,
envers et contre tout, avec ce qui nous reste d’énergie, de confiance dans le
positif, le possible en nous, autour de nous.
Je ne sais plus depuis combien d’années
nous nous connaissons, j’aurais presque l’impression que c’est depuis toujours.
Que de passe-t-il ici ?
Une
nouvelle résidente vient d’arriver, Marie, une bien jolie dame, très fine,
hypersensible. Elle arrive à une période difficile, où les rencontres sont
moins faciles. Nous avons tout de suite sympathisé,
Et puis il y a Josette qui vient me voir ce
matin pour me demander quel jour on est, et me dire qu’elle va mieux,
Daniel qui joue quasiment tous les
jours avec moi au Scrabble, et se sent très mal dès qu’il est seul,
Gracieuse, ma voisine, avec laquelle je me
croise plusieurs fois par jour, sportive et très bavarde,
Une autre Marie que je vais voir souvent et
qui faisait partie de l’atelier dessin (en arrêt), qui a des yeux très bleus et
un regard de jeune fille,
René qui croit en un dieu vengeur prêt à
détruire la planète pour nous punir de nos turpitudes,
Christian, ancien militant à la CGT à qui
je passe mon journal et qui découpe des articles pour les passer à d’autres,
Paulette, quasiment aveugle, qui
écoute des livres enregistrés, et qui m’a bien aidée au groupe lecture, et, et,
etc.
Je connais plus de la moitié des résidents.
Et j’apprécie le côté familial de la
structure. Les animatrices, qui font aussi le ménage, les gardes de nuit,
servent les repas.
Elles font tout ce qu’elles peuvent pour
alléger le confinement. Je ne pouvais pas choisir meilleur endroit pour ma fin
de vie.
Décidément non, pour le moment, je n’arrive pas à écrire des textes travaillés.
Il y aurait bien pourtant le Printemps des Poètes que notre
association doit faire vivre en temps normal.
Le thème de cette année, le Désir, est
pourtant très riche. J’avais l’intention d’utiliser un très beau roman de Marc
Alexandre et d’écrire moi-même un poème sur ce thème.
Mais
je n’arrive pas à m’y mettre, car nous n’avons guère de possibilités de faire
quelque chose. Pas de réunions, pas de lieux pour produire quoi que ce soit.
Nous gardons le contact, et les liens affectifs se resserrent, mais la
motivation est en berne. Cependant qu’en hiver, les plantes, la terre
continuent à travailler. Et sans doute nous aussi, d’une autre manière.
Cher conscrit, à bientôt, avec toute mon amitié. Chantal.
Commentaire en final de Chantal
Cambronne-Desvignes
Le 15.02.2021
Que dire de ma
série de textes parus sur ton site depuis 2008 ? Il me semble que tout est
intéressant : nos échanges, tous ces textes.
Impression que tout cela est très fort, c’est toute une vie qui se dit là, qui
ne se dit pas toujours de la même manière d’ailleurs, mais qui est unique.
Oui, cela pourrait être intéressant de
faire publier tout cela, tous ces morceaux de vie. C’est comme une espèce de
bouillonnement. Le premier mot qui me
vient, c’est que tout cela est terriblement vivant, charnel, sensible. Tant de
choses différentes, et pourtant une tonalité générale, un désir de positif, de
ne
rien perdre de la richesse de la vie, même dans les heures difficiles.
Peut-être pourrait-on suivre un ordre
chronologique pour chacun des aspects : la relation avec ma mère, l’école les
études, la formation, le rôle des « psy » pour la quête de soi.
Comment dire ? Il me semble que je navigue dans une écriture ordinaire (en ce
sens que je n’ai pas eu un destin extraordinaire, que je ne suis pas une grande
romancière) mais qu’il y a dans ces pages quelque chose d’unique, qui force
l’attention.
Ces textes me ressemblent. J’ai eu un tas
de zones d’ombre, je ne suis ni très calée, ni meneuse, ni spécialement
remarquable. Mais je vis, je suis quelqu’un qui vit, qui s’est battue pour
exister, et qui existe aujourd’hui.
Les personnes autour de moi sentent cela et
m’aiment bien. Je n’ai pas d’ambition, je ne fais d’ombre à personne, mais je
suis là. Tu as fait un travail fantastique de tout réorganiser. Mon amitié
t’est acquise.
Chantal Cambronne-Desvignes,
PRESENTATION
de Chantal CAMBRONNE avec SON ŒUVRE (2021)
Naissance en 1936, seconde d’une famille de
4 enfants.
Père mort à la guerre en 1940.
Adolescence en internat à la Légion d’honneur
(6 ans).
Études supérieures à La Sorbonne. Capes de lettres classiques en 1959. Mariage
la même année. 4 enfants entre 1960 et 1968
Enseignante en collège, et formatrice MAFPEN les dernières années. Retraite à
56 ans /// Critique en littérature de jeunesse pour la revue « Nous voulons
lire » pendant 12 ans // Théâtre amateur entre 67 et 73 ans.
A commencé à écrire vers 40 ans, et a cessé, pour l’essentiel, de le faire
depuis peu.
Ses ouvrages
(romans, nouvelles, témoignages….) tous déposés en deux
exemplaires à l’APA
Habib : C’est une histoire d’amour entre
l’intellectuelle que je suis et un
étranger, analphabète, rencontre brève et
très forte /// L’absence :
retour sur l’enfance au moment d’entrer en pension /// Moi, je pense que je
suis immortelle ///Les lettres d’Estelle : une série de courts
récits à différentes époques (enfance, vie de jeune femme, solitude dans le
couple, puis dans l’après divorce) ///Moi je pense que je suis immortelle :
une fin de vie (celle de ma mère) racontée à plusieurs voix (petits enfants,
soignants, sœur…) /// Un journal dans la tête : évocation des
années d’internat de l’adolescence
Le Chahut : Témoignage et
analyse de la situation de professeur sans autorité
Dieu ou la vie : un parcours,
depuis la foi absolue jusqu’à l’indifférence totale
Tant de temps pour aimer le temps : Chronique du
quotidien au tournant des 70 ans /// Rêves, rêve : Rêves de la
nuit, désirs et accomplissements de toute une vie. /// La seule de ces œuvres, éditée par « Le bord de
l’eau » en 2001, à être encore diffusée en librairies, en 2021, est le
récit « Le chahut ».
Un échange entre
nous deux a donné ceci ;
Henri. En lisant Le Chahut, je me suis dit que tu es pourvue d’une solide constitution aux
plans physique et mental. Beaucoup, dans ces conditions, auraient vraiment
craqué et se seraient mis en arrêts maladie successifs, ou se seraient
retrouvés en invalidité. Toi pas. De par tes origines, ta volonté ?
Chantal. Je crois
que je fais partie de ces petites
natures nerveuses, vite fatiguées, facilement accablées, mais qu’un rien
revigore. Ainsi chaque année, je me suis offert à peu près une semaine de congé
maladie, rarement plus, à la faveur d’une angine, d’une trachéite, d’une chute
de tension. Je me mettais alors sous la couette, je passais la journée à dormir
ou à rêvasser.
Ces
petites haltes me permettaient de repartir. De même, à chaque rentrée, reposée,
ressourcée par les rencontres de l’été, je repartais pleine d’espoir, je me
disais que les choses se passeraient mieux.
Et ce mieux durait un certain temps,
parfois toute l’année. Je crois aussi que je dois avoir la vie chevillée au
corps. Mais ce vouloir vivre n’était pas conscient. Je dois dire enfin que mes
enfants m’ont aidée à tenir. S’il m’arrivait de dire deux fois de suite :
Je suis fatiguée, ils me disaient : « tu l’as déjà dit. »
Et
je trouvais qu’ils avaient raison, que je n’avais pas à m’apitoyer sur mon
sort. Bien sûr j’ai été tentée de tout lâcher. Et plus d’une fois. Mais, seule
après mon divorce, en avais-je les moyens ?
Bibliographie sur la Société
d’inclusion (2021)
°°°°°°
Collectif (Auteur), « Le croisement des savoirs. Quand le
quart monde et l'université pensent ensemble », Edité en Décembre
1999.
°°°°°°°
Gardou
Charles, « La société inclusive, parlons-en ! : Il n'y a pas de vie
minuscule ». Ouvrage paru en 2018,
1ère édition en 2012, Editions Erès
°°°°°°
Cuilleron Grégory avec Jenni Alexis, « La vie à pleine main" Né avec une
seule main, je ne me suis jamais senti handicapé", Editions Albin Michel,
2020
Inclure : « Ce serait créer un
monde global où valides et handicapés vivraient les uns parmi les autres, selon
ce qu'ils sont individuellement ».
Intégrer : « Ce serait plutôt faire entrer des composants
étrangers dans un système préexistant, et donc faire entrer de force les
handicapés dans le monde valide »
°°°°°
Charcosset
Henri, Devise entrée sur Internet le 1er janvier 2001 :« Tous handicapés, tous chercheurs, sans exceptions, en vue d'une société plus
juste et plus humaine ». Le site originel ayant été supprimé par son
auteure, Contribution reportée à CLIC. Devise
associée : « Il n’existe pas d’expérience de vie qui soit
infime »
Remerciements : A Eric Thaî ( peudonyme
laitdesoja2) pour son aide en traitement de texte. Et à Robert Ronot, informaticien retraité, entre-autre pour nous avoir
introduit aux versions gratuites de TeamViewer et de FileZilla.
FIN