XXI Cambronne Chantal et Charcosset Henri (2018), Anti-solitude à tout âge, ou « Plus on sort de soi, plus on est soi  »

Avril 2018

 chantal.cambronne@orange.fr  et http://autobiographie.sitapa.org/ 

 Introduction

La citation exacte est: « Plus on sort de soi-même, et plus on est  soi-même », dans : Propos sur le bonheur (1928)  d’Emile Auguste Chartier, dit Alain

 Le ressenti de solitude, même en l’absence d’isolement objectif, est fréquent à tout âge. Mais en toutes circonstances, nos capacités d’anti-solitude sont importantes. Sachons puiser dedans ! Henri Charcoset

 

Texte de Chantal Cambronne  

Solitude, solitudes

Il est difficile de parler de la solitude car elle a de multiples visages. Et dans la même vie, elle ne se présente pas toujours de la même façon.

Ainsi, en ce qui me concerne, j'ai connu la solitude dans le couple :

 

 

 dix ans de mariage réussi d'un  point de vue extérieur : quatre beaux enfants, une maison agréable avec un jardin, un voisinage sympathique,…

alors que, pour moi, rien n'allait et que je ne pouvais parler à personne de ce qui me minait ; plus tard la solitude que peut connaître une jeune femme seule, sans amour, sans parler de la solitude du professeur qui n'a guère d'autorité et qui doit affronter  chaque jour cette réalité- là.

 

Aujourd'hui j'ai 82 ans. Je suis seule depuis bientôt un an, en ce sens que je ne suis plus en couple. Et que, par ailleurs, se profile à l'horizon la solitude inévitable des fins de vie : les douleurs qui s'installent, la mort qui se rapproche, la disparition, déjà commencée, de mes proches, disparitions qui ne peuvent que devenir plus fréquentes.

 

Pourtant je ne suis pas triste, et je ne me sens pas isolée, en retrait de la vie. Il m'est arrivé, certes, d'avoir des instants de panique, lorsque je ne me sens pas bien par exemple. Je ressens alors la peur viscérale de mourir sans aucune aide près de moi, aucun secours, aucun réconfort. Mais ces moments- là sont rares. 

Je ne me sens pas flouée parce que mes forces diminuent, parce que je fais tout plus lentement, parce qu'il y a moins de monde autour de moi que quand j'avais 40 ans.

 Tout récemment, j'ai déposé un dossier d'admission dans un Foyer logement. Je crois qu'on appelle cela maintenant

 

 Maison de l'indépendance ou  Résidence Personne Agée. 

Je ne sais pas encore comment je vivrai ce changement. Mais je l'envisage comme une nouvelle étape dans ma vie, une étape pleine de promesses : je vais rencontrer de nouvelles personnes, tisser des liens avec elles, découvrir d'autres activités, voyager, ce que je ne fais plus depuis longtemps.

 

Il m'arrive aussi quelque chose à quoi je ne m'attendais pas. J'appréhendais beaucoup en effet le déménagement.  Je vis encore pour l'instant dans un grand appartement, avec une vue magnifique sur la montagne. Je suis habituée

au quartier, je connais tous les commerçants, et je me trouve bien dans cet environnement.

 Et j'allais me retrouver  dans un appartement plus petit, dans un autre quartier de la ville.

Je ne me voyais pas non plus faire les cartons, descendre  des affaires du haut des armoires, nettoyer l'appartement après…sans compter tous ces petits trucs administratifs, changements d'adresses, relevé des compteurs…

 Et puis cette inquiétude a fortement diminué quand je me suis mise à donner  pas mal de choses, à mes enfants,  à des amis : de la vaisselle, des livres, des disques, des tableaux… Contrairement à ce que j'imaginais, non seulement  cela n'a pas été difficile, mais au contraire, j'ai éprouvé beaucoup de plaisir à le faire.

J'ai bien aimé par exemple voir mon gendre préféré rayonner de joie en emportant la cocotte en fonte que m'avait donné  une vieille demoiselle pour mon mariage. Ce garçon, en effet, adore faire la cuisine, des petits plats mitonnés: avec lui,  la cocotte sera en bonnes mains.

 Mes petites filles, à qui j'avais demandé de venir avec des cartons, sont reparties,  ravies de leurs acquisitions…Plus tard,  je ferai envoyer à chacun de mes enfants le meuble de son choix.

En attendant ce changement proche, je ne peux pas dire que je souffre de la solitude.  J'en suis encore à en découvrir  les avantages : pouvoir lire à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit, ne rendre de compte à personne, faire  le minimum de cuisine pour contenter mon petit appétit, rester dans le silence quand j'ai besoin de réfléchir, de travailler.

 Je dirai plutôt que c'est une solitude habitée que je vis actuellement : j'ai la chance d'avoir pu me faire de nouveaux amis dans cette petite ville où je vis depuis deux ans, de participer aux activités d'une petite association.

 J'ai même eu la chance de pouvoir remonter sur scène récemment, alors que je pensais bien que cela ne pouvait plus m'arriver.

 Et je me sens acceptée telle que je suis.

 

Il me semble que j'ai eu, autrefois, des périodes de solitude beaucoup plus difficiles à vivre. La solitude, alors,  je la refusais de toutes mes forces.

Aujourd'hui, je l'accueille comme une des facettes de ma vie. Oui, je sais,

 il y a des solitudes très douloureuses, surtout quand  on souffre, ou quand on habite loin de tout.

 

 Et puis, j'ai la chance de nouer facilement 

des contacts, de savoir encore rire, repartir après un échec, fût-il très dur. 

Je ne suis pas sûre d'être un bon témoin pour parler de la solitude. Mais ces articles ne sont-ils pas faits pour accueillir tous les points de vue?  

°°

En écho à Chantal Cambronne, par Henri Charcosset

Rebondir à tout moment de nos vies, pour transformer le négatif des événements qui nous affectent, en facteurs de progression, Chantal en fait fort bien état.

 

Mon expérience permet d’ajouter un facteur, celui de l’entrée en réelle dépendance physique. En peu de jours, début juillet 2017, un problème de santé m’a obligé à me faire assister par une auxiliaire de vie, matin et soir, 7 jours /7, pendant 1,5 H, pour la toilette y compris intime, l’habillage du matin, le déshabillage du soir. S’y rajoutent le passage quotidien d’une infirmière, celui, trois fois par semaine d’une kinésithérapeute.

J’ai très vite ressenti le bénéfice à en tirer, au plan de ma relation aux autres.

Quotidiennement, je prends un réel intérêt à ces personnes, facilement huit au total, avec leurs origines, histoires, perspectives de vie très individualisées. 

Il est clair et net, que de chaque personne rencontrée au cours de nos vies, nous avons à apprendre. Tout un chacun, trop souvent sans en avoir conscience, a à transmettre, en se rendant utile à d’autres, et déjà à soi-même. D’où  un plus de confiance en la valeur de ce que individuellement, nous avons à vivre. 

 

 L’Internet se prête particulièrement à la publication d’articles témoignage. L’Internet et le fait d’utiliser l’écrit classique se complètent, de manières qui restent largement à explorer. 

 

Un mot pour évoquer la perspective de la fin de notre vie sur terre ?

D’une part, je me rappelle aussi bien que si c’était hier, de ma grand’mère paternelle approchant de la fin de sa vie. Assise sur son fauteuil, un soir elle me dit, me regardant malicieusement dans les yeux : «  Tu sais, je me demande si demain matin, je me réveillerai vivante ou bien morte ! » Sure qu’elle était, qu’elle se réveillerait ! 

 

D’autres points que la mort en elle-même, me rendent plus perplexe.

D’une petite dizaine d’hommes connus d’à peu près mon âge, la  moitié est décédée depuis l’an passé. Parfois dans des conditions si dures, que je me demande si je saurai « Mourir vivant ». Va savoir !

Sur l’évolution  de la vie en couple au cours des ans, je suis veuf (1990) avec compagne, la même depuis 1992-1993. Elle est sans famille aucune comme je le souhaitais ; un peu plus âgée que moi, elle vit bien son grand âge. Depuis fin 2015, elle est sous tutelle et en EHPAD.

 Opportunités pour moi de m’instruire davantage de la réalité de la vie. Je vis seul, comme toi, Chantal.

Mais toi, avec un divorce suivi de plusieurs relations avec un compagnon, tu te situes bien plus dans la « modernité » que moi !

Oui et non, car je crois beaucoup à la réalité des relations dites virtuelles, avec l’Internet comme support. Cette relation peut être plus facilement plurielle que les relations dites en vrai !

Le grand âge ne se prête-t-il pas à la promotion de l’amour amitié, en référence à l’ouvrage de Jacqueline Kelen :

« Aimer d’amitié.  L’amour véritable commence avec l’amitié » (1992)