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Janvier 2012

 

CE QUI CAUSE L'ENNUI DANS LE COUPLE

 

Sophie CADALEN

 

Pages 162 à 168 de son ouvrage

"Ni Mars, ni Vénus", oui nous sommes différents, mais autrement...,

 paru aux éditons Leduc, 2006

 

 

Introduction, par Henri Charcosset

 

Sophie Cadalen est psychanalyste à Paris... (Elle écrit bien !)... Son ouvrage est en quatre parties : 1/ " les hommes viennent de Mars, les femmes viennent de Vénus " ce qui est vrai 2/ pourquoi les recettes ne fonctionnent pas... 3/ Comment se vit (vraiment) le couple 4/ Chacun est une planète.

Si nous reproduisons "Ce qui cause l'ennui dans le couple", chapitre de la 4ème partie de l'ouvrage, c'est parce que le sujet concerne directement beaucoup d'entre nous, adultes jeunes et même plus jeunes du tout. Que ce soit rapport à nous-mêmes, à notre conjoint ou bien encore au tandem que nous nous efforçons de faire avancer. L'âge venant, ne craignons-nous pas parfois  qu’un jour ou l'autre, l'un des deux se retrouvera  seul : sachons bien nous apprécier, dès maintenant, sans attendre que la Destinée ait décidé de nous séparer. HC, veuf avec compagne.

 

Texte

 

Ce qui, assurément, me fera désirer ailleurs car je n’aimerai plus ici, dans mon couple, sera cette curiosité que je n’ai plus, et qui avait enflammé notre rencontre. Dès que je pense avoir fait «le tour» de l’autre, dès que je pense avoir sondé tous les recoins de sa planète, dès que je suis assuré de le connaître «par coeur », l’amour dans  notre couple est en péril. Il ne va pas tarder à se débiner.

 

 Si nous parvenons à cette maîtrise de soi et de l'autre promise par les recettes, si notre couple ronronne, bercé par les allers-retours de monsieur entre madame et sa caverne, et les creux de vagues de sa «moitié », si nos efforts font de nous les Martiens et Vénusiennes idéaux et parfaits, nous allons nous ennuyer. Car nous n’allons plus nous aimer. Peut-être aimerons-nous cette image du couple que nous donnons à voir, peut-être aimerons-nous le résultat de nos efforts. Mais nous ne nous aimerons plus l’un l’autre. Nous ne nous aimerons plus d’un amour qui nous surprend, qui décoiffe nos certitudes, qui ébouriffe nos raisons. Nous ne nous aimerons plus, justement, comme ce premier jour où nos désirs prenaient le pas sur nos raisons. Ce premier jour de la rencontre où nos volontés étaient laminées par le trouble, et l’intuition que quelque chose d’important était en train de se jouer.

 

Et pourtant, s’il est un amour du premier jour à entretenir pour que notre couple dure, c’est celui-là. Cet amour qui n’est posé sur aucune certitude, qui n’est pas  sûr de son lendemain mais est heureux d’y aller, un amour inconscient, qui ne s’est bardé d’aucune définition et n’est pas encombré de modèles. S’il est un amour du premier jour qui garantit les jours à suivre, c’est cet amour dans lequel je plonge en n’étant sûr de rien, sans être certain que je fais bien, sans savoir ce que l’autre me trouve et pourquoi il s’attache à moi. Sans que je sache moi-même ce que l’autre peut être ou avoir qui me séduit tant...

 

Et cette disponibilité à l’ignorance n’est pas une posture théorique, irréaliste. C’est la parfaite connaissance de soi, et de l’autre, qui est impossible. C’est la maîtrise absolue de notre couple qui est un fantasme. Un fantasme dangereux qui tuera nos élans et nos sentiments.

 

Etre disposé à l’ignorance pour, le temps passant, rester ouvert à l’étrangeté de l’autre, c’est ne pas se farcir la tête et le quotidien de méthodes sur la gestion du «nous », c’est repérer et éviter les généralités — nombreuses — qui circulent sur chaque sexe et que nous reprenons allègrement à nos comptes.

 

Pour continuer à être porté par cette inconscience amoureuse — une inconscience qui au final s’avère judicieuse et «efficace » —, il s’agit de réaliser comme on est prompt à enfermer l’autre dans une personnalité figée et bien cernée. Et comme on s’empresse soi-même de se définir un caractère et des besoins, comme on s’efforce ensuite de s’y conformer pour ne pas les mettre en doute.

 

Car ces êtres — soi et l’autre — sont en mouvement. Celui que j’ai connu ce jour n’en finit pas de changer. Et moi, qui me sens « égal à moi-même », je suis en évolution imperceptible et pourtant réelle. Et nos évolutions n’ont pas de direction morale. Nous ne devenons pas plus sages, plus raisonnables, plus stupides, plus intelligents ou plus distraits. Nous devenons, tout simplement.

 

De même que nos corps se modifient, de même que nos goûts varient, de même nos désirs changent d’objet et d’élan pour y aller. Ainsi de nous et de nos amours. Nous aimons différemment selon les amants, selon les âges ou les saisons. Nous sommes nous-mêmes différents au centre de ces amours, nous nous sentons autres souvent. Différents de ce que nous étions avant.

 

Le sentiment du «même », lorsqu’il se ressent, signe davantage de malaise que de satisfaction. Et quand nous invoquons notre caractère immuable, et inchangé, c’est souvent pour se protéger — ou tenter de gérer — ces mouvements intimes en soi. Des mouvements qui nous inquiètent. Car que vais-je devenir, si je change ? Que va-t-il en être de nous, de notre couple, si nous sommes deux à être en mouvement? Comment aller ensemble vers une vieillesse paisible et radieuse si nous ignorons qui nous serons demain et si nous nous plairons encore?

 

Pour faire taire ces questions — aux impossibles réponses — nous tentons de retenir en nous ces mouvements. Nous tentons d’être de moins en moins désirants, afin de rester là où nous sommes, ensemble, afin de n’être pas tentés, à force d’envies, d’aller voir toujours plus loin, et risquer de se perdre de vue.

 

Ce que nous mettons sur le compte de la routine, ce ne sont pas les tâches et les obligations quotidiennes qui, à force de plomber le couple, le privent de sa légèreté d’aimer. Ce sentiment d’ennui qui nous gagne et rend l’autre moins désirable, ce ne sont pas les courses à faire qui immanquablement le nourrissent. Ce qui écrase une relation, c’est l’obstination que nous avons mise, l’un et l’autre, à rester sur place pour être sûrs de ne pas s’égarer en route. Et si l’on s’ennuie, si l’on en finit par ne plus s’aimer, c’est parce que l’on a eu peur du mouvement de cet amour, et que l’on s’est inconsciemment échiné à le cantonner quelque part. Quand il avait besoin d’air et de mouvement pour s’épanouir1 et grandir encore.

 

Chacun sent en lui le potentiel d’amour qu’il a. Chacun sent qu’il peut aimer encore et davantage. Chacun en craint les excès, et les débordements que cette énergie pourrait provoquer. Chacun veut respecter, à sa façon, ses engagements. Et pour être sûr de ne pas aimer trop et n’importe comment, pour être sûr de ne pas aimer hors de son couple, chacun retient et raisonne ses élans. Comme un appétit trop grand qu’il faudrait contrôler, auquel il ne faudrait surtout pas s’abandonner si je ne veux pas grossir. Ces élans sont ces désirs, qui ne sont pas systématiquement sexuels, qui nous font curieux, gourmands de la vie. Si je bride ces élans, si je résiste au mouvement de ma vie et si l’autre est aussi raisonnable que moi, nous ne nous surprendrons pas. Nous ne nous découvrirons pas, encore, étrangers l’un à l’autre car portés, décidément, par des envies différentes.

 

Une fois la tempête de la rencontre passée, nous nous assurons que nous ne traverserons plus d’autres turbulences. Et le meilleur moyen est de ne plus prendre la mer. Pour reprendre la métaphore gourmande1 si je mange midi et soir le même menu et dans le même ordre, je ne serai pas tenté de trop manger, ou de vouloir goûter d’autres nourritures. Si je n’ai pas le choix, j’en oublierai que d’autres mets, appétissants  existent. Et je n’aurai pas à payer pour mon péché de gourmandise...

 

S’obliger au même menu, c’est s’obliger à une définition de soi, de l’autre, immuable. Une définition que nous maîtrisons, grâce à laquelle l’autre ne me surprendra pas, où nos conflits seront toujours les mêmes et nos projets dessinés d’avance. Après le bouleversement de la rencontre, après la perte des repères qu’elle a entraînée, nous nous obligeons ensuite — sans intention consciente —à remettre des repères en place et à les fixer pour ne plus être perturbés. Pour ne pas risquer de décevoir l’autre, ou de le choquer, nous nous efforçons — encore une fois sans préméditation — de ne plus changer, de ne plus déroger à nos définitions. Même si nous sentons au fond de nous que nous ravalons des désirs, que nous cultivons des frustrations, que nous ne jouissons pas de la vie comme nous le souhaitons. Même si nous sommes engoncés dans des personnages qui ne nous racontent pas tout à fait, mais nous ne les abandonnons pourtant pas. Car que deviendrions-nous sinon? Où cela mènerait notre couple si nous faisions sauter les carcans, si nous osions les changements? Mon compagnon apprécierait-il cette nouveauté, mon impétuosité?

 

Cette routine, si souvent invoquée pour justifier de l’échec de nos amours, est le résultat de nos spontanéités ravalées par peur de perdre l’autre, par peur de se perdre soi, par peur de perdre le contrôle de cet amour et de notre couple.

 

Et c’est exactement ce que vantent les guides l’abandon de toute spontanéité. Une spontanéité que nous avons lorsque nous nous rencontrons, malgré nos timidités et nos tracs. Car même si nous bafouillons, nous ne sommes pas encore encombrés d’images trop précises l’un de l’autre. Nous n’avons pas encore de vérités à ménager, nous n’avons pas de certitudes à devoir confirmer. Nous improvisons l’un avec l’autre, et nous verrons si le jeu nous tente, si nous avons envie de le poursuivre.

 

Mais dès que nous nous engageons les enjeux deviennent plus importants1 et nous recourons de nouveau à nos intelligences pour assurer nos amours. Des amours que nous savons si fragiles et si volages. Alors nous nous conformons à ces costumes d’homme et de femme qui nous tendent les bras, nous invoquons les généralités sur la maternité, sur la sexualité, sur les renoncements inévitables dans tout engagement. «Il faut bien grandir », se dit souvent dans le sens des sacrifices à faire, toujours, dans la vie...

 

Le prêt à l’emploi du couple, et de la façon d’être homme ou femme, ne pouvait que remporter l’adhésion de ces aspirations enfouies en chacun. Ces aspirations à ne plus changer, à ne plus désirer, à se trouver et ne plus se quitter, à ne pas trop aimer. Cette spontanéité retenue, après les envolées euphoriques de la rencontre, se vérifie dans la sexualité. Après s’être «éclatés» ensemble — parce que l’on n’avait rien engagé et que le plaisir était à prendre maintenant — le couple a glissé vers une sexualité tranquille, sans surprise et sans danger. Au point qu’elle finit par lasser, au point que parfois l’envie disparaît, et que l’on repense avec nostalgie aux temps insouciants où on aimait « ça ».

 

Sauf que «aimer ça » n’est pas un privilège de la jeunesse ou des premières fois. Cet étiolement de la sexualité n’a aucun rapport avec l’inexorable course du temps. Il est en rapport avec le contrôle que j’ai de moi, avec le souci que j’ai du jugement de l’autre, avec la peur que j’ai, notre intimité s’installant, de me découvrir autre. Un(e) autre que mon compagnon de vie peut-être n’aimerait pas. Il y a, dans la sexualité, des élans sauvages, agressifs, susceptibles de se révéler et qui nous effraient. Même si leur réalisation n’a rien de sauvage ni d’agressif. Plus nous investissons d’amour dans la relation, et plus nous cherchons à retenir la dimension sexuelle et pulsionnelle de notre désir, pour ne pas surprendre cet autre qui nous aime. Quand nous nous sentons si peu aimables et si féroces dans quelques-uns de nos fantasmes... Si le couple s’ennuie sexuellement, ce n’est pas de se connaître «par coeur », d’une connaissance qui a tari le flot de nos envies. S’il s’ennuie, c’est qu’il n’ose plus s’abandonner. Ce n’est pas l’habitude qui tue la passion sexuelle d’un couple, mais sa pudeur qui prend le pas sur la fantaisie du désir. Un désir qui, lui, n’arrête pas de changer. Un désir dont le goût et les caresses de prédilection sont à revisiter toujours, tant il est mobile et joueur.

 

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Sur ce site, voir entre autre :

 

Kelen Jacqueline, Aimer d’amitié. L’amour véritable commence avec l’amitié ( ouvrage, 1992)    

 

Maillard Catherine (2008), Ecrivez des lettres d’amour !

 

Maillard Catherine (2009), Comment s’aimer toujours ?   

 

Maillard Catherine (2010), Comment mieux vivre ensemble? 

 

Maillard Catherine (2011), Dépasser la crise du milieu de vie

 

Et témoignage autobiographique, en sept parties successives, de Christian Bernadou, d’âge la soixantaine, marié, parent de quatre filles:  

 

Bernadou Christian (2011), Evolution de la vie de couple. L’hypothèse de la polyunion