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Janvier 2011
LA RESILIENCE AU TROISIEME ET QUATRIEME AGE
Boris CYRULNIK
pages 55 à 58 dans :
La résilience ou comment
renaître de sa souffrance ?
Ouvrage sous la direction de
Boris Cyrulnik et de Claude Seron
Editions Fabert, 2003
En bref, « Résilience : Capacité à bien vivre et à se
reconstruire après un traumatisme ».Une blessure dans les premiers temps
de la vie saigne toute la vie. La créativité nous permet de surmonter la
blessure, de ne pas gémir, de ne pas être prisonnier du passé……L a réussite
sociale n’est pas un facteur de résilience ; c’est l’engagement qui
l’est….. Même au troisième âge, toujours on est condamné au combat, quand on a
été blessé dans le premier âge……Les résilients doivent faire quelque chose de
la blessure, sous peine d’être soumis à leur blessure » .HC
Articles de
Boris Cyrulnik,
Ethologue (Etude du comportement), Psychologue,, Neuropsychiatren, déjà sur ce site :
Cyrulnik
Boris, Parler d’amour au bord du gouffre. Enfants maltraités
et enfants trop aimés (ouvrage, 2004)
Cyrulnik
Boris, Mémoire et vieillissement (extrait
ouvrage, 2006)
Cyrulnik
Boris(2007), A
la recherche du bonheur
Introduction par Henri Charcosset
Arrivées à nos 60 à 90 ans, nous restons pour la plupart marquées par
des souffrances remontant jusqu'à aussi loin que faire se peut dans nos vies.
Ces souffrances peuvent par exemple se rattacher à des éléments
subjectifs du climat familial, quand nous étions petits. Qui a-t-il dit que nos
parents (biologiques) ne sont pas nos parents, tout comme nous ne sommes pas
les enfants de nos parents (biologiques) ? L’âge venant, un certain recul
par rapport à tous ces faits souvent peu avérés, nous rend plus compréhensifs.
Mais nos souffrances peuvent tout autant ou bien davantage, provenir de
faits bien objectifs, liés à des atteintes physiques ou/et morales, mentales,
sur notre personne.
J’ai personnellement été victime de paralysie très avancée, par le
virus de la poliomyélite, en 1953, à mes 17 ans. La soudaineté et la brutalité
de l’atteinte initiale, des conditions bien particulières d’un séjour juste après,
de deux ans en centre de rééducation fonctionnelle, pourraient-elles ne pas
laisser de marques?
Etc., etc., au cas par cas, selon tout un chacun(e).
Boris Cyrulnik, psychiatre, neurologue,
éthologue, est un chercheur de renommée mondiale. Il a beaucoup œuvré pour
l’introduction du concept de résilience, avec ses applications.
Le point de vue qu’il développe ici, que nous avons condensé ci-dessus
en peu de lignes dites En bref , est d’une grande importance…. dès bien
avant l’approche du grand âge .
Questions, réponses avec Boris Cyrulnik
La question posée à Boris Cyrulnik, lors d’un
jeu de Questions - Réponses avec la salle, pendant une réunion.
Vous avez écrit à plusieurs reprises que la
résilience était l’art de naviguer à travers les torrents. C’est une phrase qui
a d’ailleurs été reprise récemment dans «Le monde des livres». Si vraiment vous
considérez que c’est un art, comment cela s‘apprend-il ? Et notamment, pour le
quatrième âge, que peut-on faire pour ces blessures d’enfance, qui sont toujours
là, si proche de la mort?
Pendant
très longtemps, j’ai employé le mot « cicatrice », jusqu’au jour où on a fait
un petit groupe de recherche et de réflexion sur la résilience au troisième et
même au quatrième âge.
Et
depuis, je n’emploie plus le mot «
cicatrice ». Parce que, comme vous l’avez presque dit, la blessure saigne toute la vie, elle peut
se rouvrir n’importe quand.
Donc, les enfants blessés sont contraints à la
résilience toute leur vie. Ce qui peut être intéressant dans ce processus,
c’est l’intellectualisation.
Denis Jola a dit très justement que le plaisir de penser est
proche de l’état amoureux. « Je ne pense qu’à elle. » « Je veux lire : je
veux la rencontrer : ce livre, cette phrase qui va me faire comprendre. Je
ne pense qu’à elle, cette idée. »
C’est
vrai que l’on est « plein » d’elle : cette idée, puisqu’on la cherche.
Mais on est prêt à la recevoir. Dans cette perspective, l’intellectualisation
peut être proche de l’état amoureux.
La créativité nous permet de surmonter la
blessure, de ne pas gémir, de ne pas en faire une vendetta, de ne pas être
prisonnier du passé.
Les syndromes
post-traumatiques sont prisonniers du passé. Le syndrome post-traumatique
revoit tous les soirs l’image qui le torture. Ou n’importe quelle perception du
quotidien : « Je caresse son corps et cela me rappelle comment mon agresseur
a caressé mon corps. »
« Si je veux devenir humain quand même, malgré
la blessure, je dois combattre, ne plus être soumis au passé et ne plus être
soumis à ma mémoire. Il faut donc que je fasse quelque chose de ma blessure,
que je comprenne, que j’en fasse une oeuvre d’art, un roman, que je milite, Je
dois arriver à convaincre les gens que cela existe. Il faut que je transforme
ma blessure en quelque chose d’acceptable socialement. » En disant cela, je
viens de donner la définition de la sublimation de papa Freud.
Maintenant,
quand on arrive au troisième ou quatrième âge... J’employais le mot « cicatrice
», et un jour, j’entends le général Croq raconter
l’histoire suivante : un de ses amis, médecin militaire, fait la guerre du
Vietnam. Il est très jeune, il assiste et participe à des choses horribles
comme il y en a dans toutes les guerres. Quand je vois dans les journaux
actuellement : c’est scandaleux, il y a de la torture, des enfants sont
morts, etc., ça me paraît fou. Si on fait la guerre, il y aura des choses
dégueulasses. Ce n’est pas la peine de se poser la question, c’est sûr qu’il y
aura des tortures, qu’il y aura des enfants tués, des viols. Je ne comprends
même pas comment on peut se poser la question.
Donc,
cet homme assiste et participe à des choses inracontables, car émotionnellement
elles sont trop difficiles à dire. (De plus, avec notre culture, on a du mal à
les entendre. D’où la complicité au déni, qui est un facteur de protection et
qui devient vite une amputation de la personnalité.)
Progressivement,
il s’en remet, finit ses études, poursuit son travail et fonde une famille. Il
a développé une structure résiliente au sens de Georges Vaillant à Standford. [Georges Vaillant travaille sur deux
populations : des enfants, adolescents blessés qui arrivent au troisième âge, de manière constructive et qui ont tous été
créatifs.
La réussite
sociale n’est pas un facteur de résilience mais ils ont été créatifs quand même. Ils ont
fait des expositions de peinture qui ont échoué. Il y en a un qui a réussi mais
la plupart ont échoué. Cela n’a aucune importance, ils ont été créatifs. D’autres
ont fait des associations, ils se sont engagés, ils ont milité et ça a marché
ou ça a raté. La réussite n’est pas un facteur de résilience, c’est
l’engagement, c’est la créativité qui est un facteur de résilience.]
Donc,
cet homme est un résilient. Un jour, à 72 ans, il doit avoir une petite
anesthésie pour une intervention chirurgicale bénigne. Pour donner moins de
médicaments anesthésiques, les médecins maintenant ont pris l’habitude de
faire une prémédication, c’est-à-dire qu’ils donnent un peu d’atropine et un
peu de tranquillisants pour diminuer les somnifères. Ce qui n’empêche qu’il y a
quelques heures avant l’anesthésie où les gens sont obligés de se laisser
aller. Et qu’est-ce qui se passe pour ce médecin militaire ? Il se laisse aller
sous l’effet des médicaments et hop, ressurgit l’horreur de la guerre du
Vietnam qu’il avait contrôlée pendant 50 ans
de sa vie et qu’il n’avait pas réglée. Il l’avait contrôlée, il l’avait
maîtrisée, il avait fait quelque chose de productif, d’acceptable socialement,
de beau et de généreux. Au moment du laisser-aller de la prémédication, le
syndrome post-traumatique qui était tapi ressurgit et le médecin est pris d’une
panique anxieuse sous l’effet des tranquillisants.
Cela
m’a fait comprendre que le trauma saigne
toute la vie. C’est pour cela que maintenant je n’emploie plus
l’expression de cicatrice. Cela m’a fait comprendre aussi que même au
troisième âge, toujours on est contraint au combat, quand on a été blessé dans
le premier âge. Ça peut être beau, ça peut être intéressant, on peut
être amoureux, amoureux d’une personne, amoureux d’une idée, amoureux d’un
pays. Mais c’est une contrainte.
Quand
on n’a eu autour de soi que des tuteurs de développement qui nous ont permis
d’être suffisamment heureux, malheureux comme tout le monde, les épreuves ne
sont pas des traumatismes. La définition pour moi est radicalement différente.
Personne n’a échappé aux épreuves. Nous avons tous eu notre part d’épreuves, 50 % des gens dans la salle ont eu des traumatismes.
C’est énorme. Le traumatisme.., il faut avoir côtoyé la mort, celle de
quelqu’un qu’on a aimé ou la sienne. Il faut même que je croie avoir été mort.
Et ce n’est pas une image.
Barbara
dit « J’ai été morte. » Elle a été victime d’inceste, ensuite elle a été
traquée par la Gestapo et elle dit « J’ai été morte, j’avais une anesthésie à
l’intérieur, je n’éprouvais plus rien, que je sois morte ou vivante, c’était
pareil. Que je sois prostituée ou que j’aime quelqu’un, je ne pouvais pas
aimer, j’étais morte. J’ai recommencé à vivre à 25 ans quand j’ai chanté. »
Georges
Perec dit la même chose « J’ai été mort, petit voyou, sale gosse, voleur,
bagarreur, placé à l’assistance publique. J’ai été mort. Un jour, quelqu’un m’a
dit que je devrais écrire. Je me suis remis à vivre. »
Michel
Del Castillo dit la même chose « J’ai été mort. »
George
Semprun, déporté à Buckenwald, dit : « La sortie
des camps n’est pas le retour de la vie, il faut réapprendre à vivre. Je ne sais
pas comment ma femme va me recevoir, comment ma fille va me recevoir. J’ai été
transformé, j’ai été mort psychiquement par le camp de Buckenwald.
» Et il dit très joliment, assez curieusement : « Chaque année que je
prends en plus, plus je vieillis, plus je m’éloigne de la mort. »
Quand
on n’a pas accepté cette idée que le trauma côtoie la mort, ça c’est autre
chose.
On est
contraint à la métamorphose. Il faut réapprendre à vivre autrement. Ce matin,
je paraphrasais Françoise Dolto : c’est la reprise d’UN développement, ce
n’est pas la reprise DU développement.
Mais,
on ne peut pas faire autrement : puisqu’on
a été mort, il faut réapprendre à vivre. Et ce combat est nécessaire toute sa
vie, même dans les troisième et quatrième âges. Je crois que les résilients
doivent trouver des engagements, des combats, etc. Ils doivent faire quelque
chose de leur blessure sous peine d’être soumis à leur blessure.
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Note : a
déjà été publié sur ce site : FG, La résilience
chez les âgés. Quand se repose la question du sens