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                                                SEPTEMBRE 2007

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MEMOIRE  ET  VIEILLISSEMENT

 

Boris   CYRULNIK

                          « De chair et d’âme », Editions Odile Jacob, 2006

 

                           Extraits par Henri Charcosset

 

P14  La vieillesse qui vient de naître n’est plus ce qu’elle était. La représentation du temps se dilate quand les âges se préoccupent de l’infini et se rappellent leur long passé. Leur mémoire différente renforce leur identité, optimise ce qu’ils savaient déjà et renonce à ce qu’ils avaient faiblement acquis. Ils redécouvrent Dieu dont ils font une base de sécurité. Tandis que la neuro-musicologie nous explique le mystère d’un homme qui doit être à la fois neurologique, émotionnel et profondément culturel, nous proposant ainsi une nouvelle théorie de l’Homme.

De l’éditeur de l’ouvrage : « Boris Cyrulnik explique pourquoi, pour chacun d’entre nous, la vie est une conquête permanente, jamais fixée à l’avance. Ni nos gènes ni notre milieu d’origine ne nous interdisent d’évoluer. Tout reste possible. Un message d’espoir, plein de tendresse et d’humanité.

 

P196  On construit l’idée qu’on se fait de soi, on donne forme à son passé avec des souvenirs précis ou recomposés, parfois avec de faux souvenirs qui nous permettent de gouverner notre avenir puisque nous connaissons nos habitudes passées. Nous ne pouvons faire ce travail que si notre lobe préfrontal de l’anticipation reste connecté au circuit limbique de la mémoire et que si notre entourage dispose autour de nous quelques figures marquantes et des événements sociaux pour jalonner notre mémoire intime.

 

P197  La mémoire de travail, celle qui transforme les événements récents en souvenirs, diminue à partir de l’âge de soixante ans. Il devient difficile de répéter une série de dix chiffres ou de noms choisis au hasard. La mémoire des récits, elle, s’améliore avec l’âge. On a même tendance à croire que ces histoires sont édifiantes et preuves de sagesse alors qu’il s’agit simplement de l’aboutissement d’une stratégie d’existence mille fois révisée, mille fois répétée qui procure à l’âgé une certitude ressassée.

         A l’opposé, les anciens qui veulent encore réaliser un rêve ou terminer un projet vivent dans l’anticipation. Ils désirent peindre, rencontrer, comprendre et s’engager dans des actions humaines…

         Les récits des âgés alternent entre le donneur de leçons et le créatif à la recherche d’événements. Dans les deux cas, les narrations opposées préservent leur identité. Même dans la restriction temporelle des démences où le malade ne peut plus anticiper ni aller chercher des souvenirs, quelques bribes résurgentes maintiennent la structure d’un moi squelettique…

         Il arrive qu’on fasse un récit dont on a oublié la source… Une perception banale déclenche une évocation personnelle…

 

P198  Mais, chez les âgés, il y a toujours… un moment de sa biographie plus facilement évoqué : les événements survenus entre dix et trente ans constituent la colonne vertébrale de notre identité. Quarante ou cinquante ans plus tard, nous relions préférentiellement les objets et les événements que nous percevons avec cette période sensible de notre jeunesse où l’affectif et le social s’apprêtaient à donner sens à toute l’aventure de notre existence.

 

P199  Les exercices physiques, les plaisirs intellectuels et les relations affectives ont un effet protecteur de nos neurones…

         Ce qui protège le mieux nos fonctions cognitives, c’est l’hygiène de vie : les exercices physiques, les efforts intellectuels, le réseau affectif familial et amical ; les petits stress qui nous éveillent et les vacances qui nous engourdissent créent des alternances qui empêchent la routine et donnent la sensation de vivre. Le sport de bas niveau, le mariage, l’amitié et les désaccords intellectuels sont nos meilleurs médicaments… Alors que le tabagisme, la sédentarité, le surpoids, le sous poids et surtout l’isolement affectif et intellectuel constituent les risques majeurs d’une vieillesse difficile.

 

P200  L’attachement qui organise notre manière d’aimer et de nous socialiser est au cœur de la vieillesse, comme il a été le pivot des petites années. L’empreinte affective a inscrit dans notre mémoire le goût que l’on donne au monde. Quand notre enveloppe affective nous a sécurisés lors des interactions précoces, le goût du monde est léger, agréable et parfumé. Mais quand quelque chose a souffert en nous ou autour de nous, c’est un goût d’amertume que prend souvent la vie. Cette tendance n’est pas une fatalité puisque les empreintes sont des apprentissages cognitifs qui évoluent comme toutes les mémoires en s’effaçant ou en se renforçant…

 

P201  Le grand âge constitue une dernière période sensible. Le vieillissement neuronal contraint l’âgé à passer une transaction contradictoire : son identité narrative, mille fois révisée, lui donne des certitudes historiques au moment où le monde autour de lui change.

 

P202  Le monde affectif qui entoure les âgés s’appauvrit, mais, comme le récit de soi est gravé dans leur mémoire, les anciennes figures d’attachement internalisées, médiatisées par des objets et des symboles, évoquent sans cesse au fond d’eux-mêmes l’aimé absent. Ils peuvent maintenir un lien affectif fort avec une figure absente simplement rappelée par une photo, une lettre ou un petit objet.

         Le pouvoir symbolique est si puissant que la babiole en est transfigurée. Quand on est seul dans la vie, abandonné par tous dans un monde inconnu, on peut se rapprocher de Dieu, se rendre dans un lieu de prière en espérant le rencontrer, percevoir les objets ou les symboles qu'évoquent sa présence et participer à des rites d’interaction  avec lui… L’âge répond à une représentation sécurisante internalisée, imprégnée dans sa mémoire.

 

P205  Les vieux n’ont plus la possibilité biologique de recevoir de nouvelles empreintes puisque leur synaptisation est ralentie. Mais ils peuvent mieux organiser l’existence qui leur convient, retrouver les amis d’enfance imprégnés dans leur mémoire, reprendre avec eux la conversation interrompue il y a soixante ans et se laisser distraire par des amis occasionnels auxquels ils s’attachent peu.