Sections du site en Octobre 2009 : Ajouts successifs d’articles -- Sujets
d’articles à traiter – Pour publier -- Post-Polio -- L'aide à domicile --
Internet et Handicap -- Informatique jusqu’à 100 ans – Etre en lien --
L’animal de compagnie -- Histoires de vie -- Donner sens à sa vie – A 85 ans aller de
l’avant -- Tous chercheurs -- Liens –
Le
webmestre.
RETOUR A LA PAGE D’ACCUEIL : CLIC AUTEURS, TITRES DE TOUS
LES ARTICLES : CLIC SYNTHESE GENERALE: CLIC
……………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………..
SEPTEMBRE 2007
°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°
MEMOIRE
ET VIEILLISSEMENT
« De chair et d’âme », Editions Odile Jacob,
2006
Extraits par Henri Charcosset
P14 La
vieillesse qui vient de naître n’est plus ce qu’elle était. La
représentation du temps se dilate quand les âges se préoccupent de l’infini et
se rappellent leur long passé. Leur mémoire différente renforce leur identité,
optimise ce qu’ils savaient déjà et renonce à ce qu’ils avaient faiblement
acquis. Ils redécouvrent Dieu dont ils font une base de sécurité. Tandis que la
neuro-musicologie nous explique le mystère d’un homme
qui doit être à la fois neurologique, émotionnel et profondément culturel, nous
proposant ainsi une nouvelle théorie de l’Homme.
De l’éditeur de l’ouvrage : « Boris Cyrulnik explique pourquoi, pour chacun d’entre nous, la vie est une conquête permanente,
jamais fixée à l’avance. Ni nos gènes ni notre milieu d’origine ne nous
interdisent d’évoluer. Tout reste possible. Un message d’espoir, plein de
tendresse et d’humanité.
P196 On construit l’idée qu’on se fait de soi, on
donne forme à son passé avec des souvenirs précis ou recomposés, parfois avec
de faux souvenirs qui nous permettent de gouverner notre avenir puisque nous
connaissons nos habitudes passées. Nous ne pouvons faire ce travail que si
notre lobe préfrontal de l’anticipation reste connecté au circuit limbique de
la mémoire et que si notre entourage dispose autour de nous quelques figures
marquantes et des événements sociaux pour jalonner notre mémoire intime.
P197 La
mémoire de travail, celle qui transforme les événements récents en souvenirs,
diminue à partir de l’âge de soixante ans. Il devient difficile de répéter
une série de dix chiffres ou de noms choisis au hasard. La mémoire des récits,
elle, s’améliore avec l’âge. On a même tendance à croire que ces histoires sont
édifiantes et preuves de sagesse alors qu’il s’agit simplement de
l’aboutissement d’une stratégie d’existence mille fois révisée, mille fois
répétée qui procure à l’âgé une certitude ressassée.
A l’opposé, les anciens qui veulent encore réaliser un rêve
ou terminer un projet vivent dans l’anticipation. Ils désirent peindre,
rencontrer, comprendre et s’engager dans des actions humaines…
Les récits des âgés alternent entre le donneur de leçons et
le créatif à la recherche d’événements. Dans les deux cas, les narrations
opposées préservent leur identité. Même dans la restriction temporelle des
démences où le malade ne peut plus anticiper ni aller chercher des souvenirs,
quelques bribes résurgentes maintiennent la structure d’un moi squelettique…
Il arrive qu’on fasse un récit dont on a oublié la source…
Une perception banale déclenche une évocation personnelle…
P198 Mais, chez
les âgés, il y a toujours… un moment de sa biographie plus facilement évoqué :
les événements survenus entre dix et trente ans constituent la colonne
vertébrale de notre identité. Quarante ou cinquante ans plus tard, nous relions
préférentiellement les objets et les événements que nous percevons avec cette
période sensible de notre jeunesse où l’affectif et le social s’apprêtaient à
donner sens à toute l’aventure de notre existence.
P199 Les exercices physiques, les plaisirs intellectuels et
les relations affectives ont un effet protecteur de nos neurones…
Ce qui protège le
mieux nos fonctions cognitives, c’est l’hygiène de vie : les exercices
physiques, les efforts intellectuels, le réseau affectif familial et
amical ; les petits stress qui nous éveillent et les vacances qui nous
engourdissent créent des alternances qui empêchent la routine et donnent la
sensation de vivre. Le sport de bas niveau, le mariage, l’amitié et les
désaccords intellectuels sont nos meilleurs médicaments… Alors que le
tabagisme, la sédentarité, le surpoids, le sous poids et surtout l’isolement
affectif et intellectuel constituent les risques majeurs d’une vieillesse
difficile.
P200 L’attachement qui organise notre manière
d’aimer et de nous socialiser est au cœur de la vieillesse, comme il a été le
pivot des petites années. L’empreinte affective a inscrit dans notre mémoire le
goût que l’on donne au monde. Quand notre enveloppe affective nous a sécurisés
lors des interactions précoces, le goût du monde est léger, agréable et
parfumé. Mais quand quelque chose a souffert en nous ou autour de nous, c’est
un goût d’amertume que prend souvent la vie. Cette tendance n’est pas une
fatalité puisque les empreintes sont des apprentissages cognitifs qui évoluent
comme toutes les mémoires en s’effaçant ou en se renforçant…
P201 Le
grand âge constitue une dernière période sensible. Le vieillissement
neuronal contraint l’âgé à passer une transaction contradictoire : son
identité narrative, mille fois révisée, lui donne des certitudes historiques au
moment où le monde autour de lui change.
P202 Le monde affectif qui entoure les âgés
s’appauvrit, mais, comme le récit de soi est gravé dans leur mémoire, les
anciennes figures d’attachement internalisées, médiatisées par des objets et
des symboles, évoquent sans cesse au fond d’eux-mêmes l’aimé absent. Ils
peuvent maintenir un lien affectif fort avec une figure absente simplement
rappelée par une photo, une lettre ou un petit objet.
Le pouvoir symbolique est si puissant que la babiole en est
transfigurée. Quand on est seul dans la vie, abandonné par tous dans un monde
inconnu, on peut se rapprocher de Dieu, se rendre dans un lieu de prière en
espérant le rencontrer, percevoir les objets ou les symboles qu'évoquent sa
présence et participer à des rites d’interaction avec lui… L’âge répond à une représentation
sécurisante internalisée, imprégnée dans sa mémoire.
P205 Les
vieux n’ont plus la possibilité biologique de recevoir de nouvelles empreintes
puisque leur synaptisation est ralentie. Mais ils
peuvent mieux organiser l’existence qui leur convient, retrouver les amis
d’enfance imprégnés dans leur mémoire, reprendre avec eux la conversation
interrompue il y a soixante ans et se laisser distraire par des amis
occasionnels auxquels ils s’attachent peu.