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Mai 2012
HANDICAP MENTAL ET TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION
ET DE COMMUNICATION (TIC) : DES AVANCEES MARQUANTES EN EDUCATION - COMMUNICATION
Audrey BONJOUR
audrey@titof.net
Docteure en
sciences de l’information et de la communication
Attachée
temporaire d’enseignement et de recherche (ATER), Université de Lorraine
Le
mot du webmestre,
Henri Charcosset, Directeur de recherches au CNRS
retraité.
Que
l’informatique couplée Internet soit à même de fournir un puissant moyen
d’identification et d’insertion sociale
active, sans limitation de handicap physique
ou social, ou encore d’âge, est
déjà bien repéré, à défaut d’être assez pratiqué. L’élaboration en continu de
ce site vise à proposer des orientations concrètes, pour des personnes aussi
variées que paralysés complets, chômeurs de longue durée, personnes maintenues
à leur lieu de résidence pour une raison ou une autre, etc.
La
question restait largement posée de l’applicabilité de ces techniques à des
situations de handicap mental, allant de léger à très prononcé. La thèse de
Doctorat d’Audrey Bonjour (2011) est une très prometteuse contribution, à la
mise à profit, on peut dire systématique, des T.I.C., pour tous les aspects de
qualité de vie et d’insertion sociale dans la société, des enfants,
adolescents, adultes, en situation de handicap mental. Autant le dire, c’est un
changement de regard sur toute cette catégorie de la population, qui peut se
profiler à l’horizon.
L’expression
sur ce site d’Audrey Bonjour, se situe de plus dans une voie encore bien peu
pratiquée, qui est celle de l’interrelation
que devrait avoir tout (enseignant) chercheur,
avec les citoyens. Ces
derniers sont bien en droit d’être
curieux des recherches universitaires en cours en tout domaine, voire de
présenter leurs questions, remarques, suggestions.
Audrey
Bonjour mérite très certainement de
pouvoir entreprendre une carrière d’enseignant- chercheur. H.C.07.05.2012
Introduction
L’utilisation de l’informatique et de
l’Internet par les personnes handicapées mentales accueillies en établissements
spécialisés s’inscrit dans le cadre d’usages proposés par des professionnels du
médico-social. Elle est notamment un vecteur d’évaluation d’une pratique
professionnelle d’accompagnement éducatif ou rééducatif. Une approche
historique de l’évaluation (voir Bonjour et Meyer, 2011) permet de comprendre
comment l’informatique et l’Internet – relevant d’une communication médiatisée
–, équipent et valorisent une professionnalité tout en répondant aux besoins et
demandes des personnes handicapées. Cette communication est un moyen
d’évaluation – simultanément aux niveaux éducatif, thérapeutique et
organisationnel – des capacités et compétences des personnes handicapées
et participe à une évolution des représentations des professionnels sur les
usagers des établissements.
Pratiques
d’éducommunication
Sur le modèle du questionnement de
Pierre Mœglin (2005 : 10), – « que
faut-il pour qu’un outil de communication ou un média deviennent éducatif et à
partir de quand le devient-il ? » – il est possible d’interroger
en retour : que faut-il pour qu’un outil et/ou un média de communication
favorise la communication des personnes handicapées mentales et/ou qu’un outil
de communication et/ou un média deviennent éducatif ? L’auteur (ibid. : 14) avance que
« rarement, outils et médias éducatifs sont pensés comme ils devaient
l’être : entre éducation et communication ». En effet,
« l’hypothèse sous-jacente est que la double qualité, éducative et
communicationnelle, des outils et médias éducatifs fournit la clé de leur identité
collective » (ibid. : 31).
C’est pourquoi nous proposons la terminologie d’« éducommunication ».
À partir du moment où la communication
sous toutes ses formes est considérée comme l’un des leviers d’amélioration de
la qualité de vie des personnes handicapées mentales, il est nécessaire de
comprendre comment l’utilisation de l’informatique et d’Internet offre des
moyens de saisir l’expression des personnes handicapées mentales. En ce sens,
des observations ont été menées au sein de neuf établissements, un
Établissement et service d’aide par le travail (ESAT), deux Foyers d’accueil
médicalisé (FAM), un Foyer d’accueil spécialisé (FAS), un Institut médico-éducatif (IME), un Institut médico-pédagogique pour
personnes polyhandicapées (IMP), un Institut médico-professionnel (IMPro), une Maison d’accueil spécialisé (MAS), un Service
d’accueil de jour et hébergement (SAJH)[1]
situés sur les régions de Grenoble (une structure), Lyon (deux), Metz (quatre)
et Strasbourg (deux)[2].
Ces observations ont duré en moyenne de trois à cinq jours par établissement.
Des entretiens avec les professionnels[3]
ou les personnes handicapées (une trentaine), des observations pendant les
temps d’activités quotidiennes (plus de 110 personnes rencontrées), des
conversations ordinaires qui ont été pour certains enregistrés en audio, filmés
ou pris en photographies, sont les matériaux d’analyse. L’utilisation de
l’informatique et de l’Internet par les personnes handicapées mentales offre
des possibilités d’évaluation pour les professionnels assurant la prise en
charge et l’accompagnement à un niveau micro ou individuel, soit éducatif et
thérapeutique ainsi qu’à une échelle meso-macro, soit
organisationnelle ou institutionnelle (avec pour répercussion la possibilité de
faire évoluer les politiques, les lois ou les représentations). Trois modalités d’évaluation effectives et
appliquées ont été observées :
1. Outils d’évaluation des compétences cognitives ;
à titre d’exemple, au sein de l’établissement pour personnes polyhandicapées,
les ergothérapeutes à partir de jeux multimédias peuvent tester la
compréhension (verbale et visuelle notamment), la mémorisation, l’attention, la
résolution des problèmes, la lecture et la mémoire.
2. Outils d’évaluation des capacités motrices et
sensorielles ; il est difficile pour les professionnels
d’évaluer un niveau intellectuel ainsi que l’ouïe ou la vision des personnes
handicapées privées de mode de communication. S’agissant des capacités
motrices, l’outil informatique devient plus attractif que les classiques jeux
que les personnes handicapées utilisent depuis leur plus jeune âge.
3. Outils d’évaluation de la prise en charge
institutionnelle ; ils participent ainsi du panel des moyens
pour recueillir la parole de l’usager dans une optique d’évaluation des besoins
et de la prise en charge.
Communiquer
pour évaluer en éducation spécialisée[4]
Quatre modes alternatifs de
communication ont pu être identifiés. Ils peuvent être mis en perspective dans
une logique évaluative.
1.
Une
expression contrastée ou la communication spontanée
Des modalités d’expressions contrastées
ont particulièrement été repérées dans les établissements où les personnes
accueillies ne possèdent pas de moyens de communiquer par la parole ou le
corps, il s’agit donc notamment des personnes polyhandicapées. Elles ont peu
d’opportunités de s’exprimer et les activités qui leur sont proposées doivent
correspondre à leur capacités motrices ; exit pour certains la majorité des sports (excepté en général la
natation) ou toutes activités manuelles. Des professionnels ont dressé le
portrait de certaines personnes polyhandicapées : immobiles, seules dans
un coin de la salle d’activité sur leur fauteuil roulant, ne se mélangeant pas
au groupe et manifestant peu de réceptivité dans les interactions ; ce qui
pouvait leur faire dire que ces personnes ne bénéficiaient que de faibles
compétences cognitives. Il faut savoir que des professionnels des neuf établissements
mentionnent que les outils d’évaluation de ces compétences sont partiellement
appropriés pour les personnes handicapées mentales et, en général,
inutilisables pour les personnes polyhandicapées. À l’opposé, lors des
utilisations de l’informatique, ces mêmes personnes pouvaient tenir une
conduite toute différente, riant, s’agitant, répondant aux demandes des
professionnels. Brigitte, ergothérapeute, explique que lors de la séance
d’essai avec Marie, polyhandicapée, tellement surprise par son comportement en
contradiction avec celui du quotidien, l’a filmée jouant à l’ordinateur afin de
la montrer à ses collègues, « je n’y croyais pas ». Cet
enregistrement est le support mémoriel d’une situation dont il peut être
difficile de témoigner au sens de faire preuve car elle serait du ressort de
l’inimaginable. Au sein des autres établissements, cette communication est
davantage expansive que contrastée, c’est à dire décuplée. L’informatique,
l’Internet étant une médiation de plus au regard du langage, permettant de
communiquer avec les autres et soi-même ; en traduisant par exemple les
utilisations de mails, de visionnage de photographies ou de clips en groupe et
de discussions par messageries synchrones.
La photographie ci-contre montre Arnaud,
privé de parole, d’habitude plutôt réservé mais attentif, utilisant
l’ordinateur pour la première fois avec l’ergothérapeute ; il fait preuve
d’un grand enthousiasme devant l’ordinateur. Il parvient à taper sur le contacteur
(bouton bleu sur la table remplaçant la souris), sur les sollicitations de
l’ergothérapeute, afin de faire apparaître à l’écran les animations
multimédias.
Photographie
1 : Arnaud te l’.
2. Une communication réflexive, pour parler de
soi
La prise en
charge en établissements spécialisés organise les temps de vie mais il existe
des « temps libres » que les personnes doivent pouvoir combler seules. Par exemple, Brice au sein du foyer de l’IMP
(photographie 2), très fatigué par la position assise d’une journée en fauteur
roulant, est fan de Johnny Hallyday ; il demande gestuellement de
l’écouter (en cognant ses poignets l’un contre l’autre). Le lien d’une playliste sous Youtube a été
enregistré dans les favoris par l’une des autres personnes handicapées de
l’établissement, Aymeric. Les professionnels ou les résidents répondent aux
demandes de chacun, suivant leurs capacités d’utilisation de l’ordinateur.
Chaque soir, la majorité des résidents se retrouvent devant l’ordinateur. La
photographie montre Brice bougeant ses bras au rythme de la chanson, un micro
posé sur sa poitrine et devant la bouche bien qu’il ne puisse parler. Ce temps
est d’un gain probant en termes de qualité de vie ; il est pour lui un
moment privilégié pour se détendre et se débarrasser des tensions de la
journée. Avec l’ordinateur, il communique autant avec les autres, en partageant
un moment ensemble, que sur lui-même, en se permettant d’imposer ses choix, ses
désirs et au final de répondre à ses besoins.
Photographie
2 : Brice se détend devant l’ordinateur du
foyer.
L’ordinateur, l’Internet pour certaines
personnes handicapées sont des objets répondant à leurs besoins. Ils remplacent
la classique télévision sur les temps de loisir après une journée de travail ou
d’activités. Deux utilisations majeures sont repérables : pour les plus
jeunes, il s’agit de temps de jeux sur l’ordinateur qui s’est davantage répandu
dans les établissements spécialisés que les consoles de jeux. En second, le
visionnage de photographies ou de clips en fonction des passions de chacun est
récurrent.
Les propos de Pierre Mœglin
(2005 : 19) sur les technologisations et
médiatisations éclairent ces pratiques : « Elles assurent […] la
communication de soi à soi. Pour qui les conçoit et les reçoit, outils et
médias sont des miroirs ». Le professionnel, attentif à ces pratiques,
peut améliorer son accompagnement en le personnalisant.
3. Une communication collaborative ou faire groupe
Les compétences qui peuvent être
évaluées sont celles de pouvoir travailler en groupe à partir de la
communication et des interactions qui s’y créent. Un enseignant spécialisé
remarquait comment dans l’éducation scolaire classique, le travail de groupe
était peu développé, si ce n’est au sein des projets de classe ou tuteurés. Un
travail individuel évalué individuellement répond à une logique de concurrence.
Il faut être le meilleur pour arriver à entrer dans les meilleures écoles
(Jérôme, entretien du 27/09/10). En revanche, une dynamique de partage de
la connaissance, soit de cognition distribuée[5]
est celle à l’œuvre dans les établissements visités, qui est renforcée par les
outils et médias technologiques. En
effet, les acteurs et individus, et plus largement l’environnement, sont des
supports à la cognition.
Par exemple, la photographie 3 montre
une classe ; les élèves qui sont de jeunes adultes, sont placés autour de
l’ordinateur. À tour de rôle, ils auront pour tâche de rentrer les factures
sous le logiciel Excel, chacun
pouvant aider l’autre si nécessaire. D’ailleurs, les résultats d’une enquête de
Jacques Crinon (résultats présentés lors d’un
séminaire de recherche à l’université de Metz en 2012) sur l’apprentissage de
la lecture et de la production de texte à l’ère d’Internet confirment l’impact
positif du rôle de conseiller, pour les élèves.
Photographie 3 : Travail collaboratif dans
.
4. Une prothèse pour communiquer
Photographie 4 : Igor répond à la question de
l’enseignant.
L’informatique,
l’Internet ou plus largement les outils et médias ouvrent des perspectives
nouvelles aux personnes handicapées en termes d’aide à la communication. Par
exemple, deux enfants, Igor et Lucien participaient à la classe en écoutant
l’enseignant spécialisé. Ce dernier cueille de-ci delà les marques de
compréhension et
de validation des acquis (communication non-verbale ou para-verbale
essentiellement). Avec l’ordinateur, est testée une nouvelle modalité de
communication permettant ainsi aux deux jeunes adolescents concernés de
répondre aux questions de l’enseignant. La photographie 4 illustre une
situation de médiatisation de l’évaluation pédagogique. Auparavant,
particulièrement Igor, il n’avait aucun moyen de communiquer si ce n’est par
certaines mimiques et sons difficilement déchiffrables. Avec un contacteur
placé sous sa tête (il reste encore à l’ergothérapeute à gauche sur la
photographie de pouvoir le fixer au fauteuil roulant) et un PowerPoint où défilent les jours de la
semaine, l’adolescent répond à la question de l’enseignant spécialisé (ici hors
champs de la photographie, les autres enfants sont autour d’une table) :
« Quel jour sommes-nous ? ». Il faut comprendre qu’avant cette
expérience, les professionnels avaient de grosses difficultés pour évaluer un
niveau intellectuel et par extension scolaire. Igor manifeste ainsi des
capacités de lecture, de compréhension et de repères dans le temps en répondant
à cette simple question.
Différentes
modalités évaluatives
Se rencontrent alors deux types de pratiques avec
l’informatique et l’Internet, celles professionnelles et celles
socioculturelles des personnes handicapées mentales. Des phases d’évaluation de
ces pratiques se croisent et mettent en lumière le schème des évaluations avec
ces technologies (auto-évaluation, cognition distribuée, valorisation,
professionnalisation) :
1. Méthodologie d’utilisation de l’informatique et de
l’Internet : auto-évaluation
Les professionnels interrogés encadrant
les activités informatique et/ou Internet font preuve d’une culture de
l’évaluation en partageant spontanément, pour la majorité, leurs préoccupations
en termes d’évaluation de leurs actions avec les technologies. Ils cherchent à
se former, ou de meilleurs outils pour améliorer la prise en charge. Répondre à
l’enquête par questionnaires et aux questions lors de l’entretien semi-directif
était aussi pour eux le moyen de mettre à distance leur pratique.
2. Mutualisation des pratiques et professionnalisation
Des partages de connaissances
fonctionnant sur le modèle de la distribution de la cognition sont
identifiables. Les exemples précédemment cités d’entre-aide pour les
utilisations en attestent. En outre, des professionnels ont décidé de
développer des formations adaptées aux Technologies de l’information et de la
communication (TIC) et handicaps mentaux ; certains ne se consacrant plus
qu’exclusivement à leur nouvelle activité de formateur.
3. L’évaluation des pratiques des personnes handicapées
mentales
Elle intègre également la facette de
l’auto-évaluation (sentiment de compétence) et celle de la validation passant
par la qualification (ou requalification) grâce à des diplômes, des formations
ou encore des reconnaissances tacites et/ou informelles.
4. Valorisation des compétences : équipement de
l’évaluation.
Pierre Mœglin
(2005 : 29) mentionne que « la pratique communicationnelle, dès
qu’elle est technologisée ou médiatisée, concrétise,
matérialise. Elle aide à prendre de la distance ». L’informatique et/ou
l’Internet offrent de multiples possibilités de produire des outils de
communication avec soi-même ou pour l’extérieur, qui sont valorisants et réalisés par les personnes
handicapées elles-mêmes. La valorisation comme équipement d’une
professionnalité et/ou d’une identité positive prend corps concrètement et
matériellement grâce à des formes de visibilités par la communication. Produire
ou comme le dit Pierre Tap (2008 : 31),
« se personnaliser c’est donner sens et valeur symbolique à des objets, à
des lieux ou à des dates […], à des activités ». L’usager, « comme
tout être humain, développe des stratégies diverses, s’articulant entre elles
pour constituer le processus de
personnalisation et de socialisation en relation avec ses stratégies de développement et d’adaptation,
parmi lesquelles on peut placer les stratégies
identitaires » (Tap, 2008 : 29).
Conclusion
Deux voies parallèles d’évolution
actuelle, la première dite de rénovation de l’action sociale avec modèle
l’amélioration continue et méthode, les outils d’évaluation ; la seconde,
l’introduction dans de nombreux établissements des TIC, amène du changement,
demande de repenser les modalités de prises en charge puisque les
technologies bousculent les repères anciens ainsi que les représentations des
professionnels sur la personne handicapée. Elles sont en effet des vecteurs
d’évaluation des compétences cognitives, des professionnels confient même que
leur regard sur certaines personnes handicapées avait totalement été
transformé. Il y a donc la nécessité de conclure dans une
double optique : la place de l’informatique et de l’Internet pour les
personnes handicapées mentales dans les établissements spécialisés et leur rôle
communicationnel avec une visée évaluative.
Selon Sylvie Faugeras
citant Noriaki Kano (2007 : 116),
« les attentes obligatoires ou implicites correspondent à des prestations
de services que le client s’attend à trouver » : l’informatique,
l’Internet ou plus globalement les technologies, seront la norme que l’usager
est en droit d’attendre. Il ne faut plus les considérer comme un luxe ou
superflues mais bien comme un besoin de première nécessité. En ce sens, les
témoignages de deux personnes Sans domicile fixe (SDF) illustrent de la place
primordiale des TIC dans notre société : celui d’abord de Jean-Paul Allou, ancien banquier qui devient SDF pendant plusieurs
années puis directeur de bowling, le patron étant touché par son histoire. Au
moment où il a tout perdu, qu’il n’a plus de toit et seuls quelques objets
personnels, son fils lui demande de garder absolument son téléphone portable et
lui paiera son abonnement (émission 7 à 8
du 03/10/10). Mais encore, dans l’émission Envoyé
spécial la suite du 09/10/10, Loïc raconte qu’il n’a pas pu faire face à
l’endettement ; il vit aujourd’hui chez différents amis qui acceptent de
l’héberger pour quelques semaines. Une mince valise et surtout un ordinateur
portable sont les vestiges de sa vie antérieure. Dans le reportage, Loïc
présente sa chambre, « mon lit et mon ordi qui me suit partout depuis 10
ans maintenant, on fait deux semaines là, deux semaines ailleurs, on essaie de
vivre un petit peu au jour le jour, d’avoir un toit ». Le journaliste
commente, « dans son ordinateur Loïc conserve quelques photos ». Loïc
regarde les photographies de l’homme qu’il était au sommet de sa carrière,
« ce Loïc-là m’allait très bien ». Est-ce à dire qu’aujourd’hui, on
est encore quelqu’un avec ces objets ; une personne insérée dans le flux de
la société, un reflet de ce que l’on a été ou peut être ? On est au cœur
des stratégies identitaires abordées précédemment et ces objets peuvent jouer
un rôle identique de réparation (d’une identité négative ou d’un handicap au
sens de compensation) et d’insertion (dans la société actuelle) pour les
personnes handicapées mentales.
En outre, l’effet de ce travail de
recherche a été d’impulser une prise de distance vis-à-vis de sa pratique en la
communiquant et en la montrant (Meyer, 2006). Plusieurs professionnels ont
manifesté leur intérêt à la suite des visites sur le terrain : « Les
visites de personnes extérieures sont toujours bénéfiques pour nous aussi ;
elles nous obligent à préciser les objectifs et moyens que nous employons, à réenvisager les choses parfois sous un regard extérieur »
(Catherine, échange mail du 08/10/10) ou encore Jean (échange mail du
07/10/10) : « Votre passage […] a mis en évidence des pratiques
jusqu’alors quasiment invisibles. L’intérêt du phénomène n’est pas de s’en
satisfaire béatement, mais de le traiter comme des pratiques à approfondir, à
orienter pour leur donner du sens au profit de ceux auxquels elles sont
destinées. Répondre à ces questions simples : pourquoi on le fait,
pour quoi on le fait, comment le faire avec profit ? Que peut-on imaginer
d’autre ? ». Communiquer pour évaluer ou évaluer par la
communication, ces assertions traduisent de la dialectique entre
évaluation-communication où le trait
d’union illustre une relation de réciprocité.
Bibliographie
Bonjour A., 2011,
Usages et pratiques socio-(ré)éducommunicationnels
pour les personnes handicapées mentales. Outils informatiques et média Internet, Université Paul Verlaine-Metz. Disponible sur : http://www.theses.fr/150331002
Bonjour A.,
Meyer V, 2011, « TIC et prise en charge des personnes handicapées mentales »,
Communication et organisation, pp.
213-227.
Conein B., 2004,
« Cognition distribuée, groupe social et technologie cognitive », Réseaux,
124(2), pp. 53-79.
Faugeras S., 2007, L’évaluation de la satisfaction dans le
secteur social et médico-social. Paroles d’usagers et démarche qualité,
Paris, Éd. Seli Arslan.
Lambert J-L.,
1995, Enseignement spécial et handicap
mental, Liège, Pierre Mardaga.
Meyer V., 2006, Communication organisationnelle et prise en
charge du handicap mental, Bordeaux, Les Études Hospitalières.
Mœglin P., 2005, Outils et médias éducatifs. Une approche
communicationnelle, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble.
Tap P., 2008,
« Dynamique institutionnelle et stratégies
identitaires de l’usager du social », pp. 23-40, in : Laforcade M., Meyer V., (dir.), 2008, Les
usagers évaluateurs ? Leur place dans l’évaluation des bonnes pratiques
professionnelles en travail social, Bordeaux, Éd. Les études Hospitalières.
Précédentes
contributions à ce site :
Bonjour Audrey (2009),
Accès de l’informatique et de l’Internet aux personnes
en situation de handicap mental
Bonjour Audrey (2010),
Premier aperçu sur les technologies informatiques adaptées au handicap mental : état des lieux
Bonjour Audrey (2010),
Technologies informatiques adaptées au handicap mental utilisées
en situation. Bibliographie. Exemples
Bonjour Audrey (2011), Technologies informatiques adaptées
au handicap mental utilisées
en situation. Partie 1. Les Technologies de l’Information et de la
Communication en éducation
spécialisée
[1] La classification du handicap mental adoptée par
l’Organisation mondiale de la santé (OMS) identifie quatre catégories :
léger, modéré, sévère, profond (Lambert, 1995 : 19). Les établissements
visités accueillent des personnes avec une déficience intellectuelle modérée à
sévère. La définition du polyhandicap selon l’annexe
24 ter du 29 octobre 1989 est : « Handicap grave à expression multiple
avec déficience mentale sévère ou profonde, entraînant une restriction extrême
de l’autonomie et des possibilités de perception, d’expression et de relation
». Paradoxalement, plusieurs personnes polyhandicapées accueillies dans l’IMP
ont fait preuve de très bons niveaux de compréhension, avec des usages avérés
de l’ordinateur et d’Internet (lancer et jouer à des jeux, recherche
d’information, utilisation de la webcam, etc.).
[2] Pour conserver l’anonymat, il n’est pas précisé
quel type d’établissement a été visité dans quelle ville et, les prénoms ont
été changés.
[3] Au sein des deux établissements sur la région
strasbourgeoise, dix professionnels ont été rencontrés. À Grenoble, il s’agit
de sept personnes ; sur la région lyonnaise, treize individus et sur la
région messine, six professionnels (ils font tous partie de l’équipe médico-éducative et sont éducateur, moniteur d’atelier,
ergothérapeute, psychologue, aide-médico-pédagogique, enseignant spécialisé,
orthophoniste, informaticien, chef de service et directeur d’établissement).
[4] Il faut remarquer que la terminologie d’éducation
spécialisée renvoie empiriquement aux établissements accueillant des enfants,
adolescents et jeunes adultes avec un projet éducatif et pédagogique.
Cependant, au sein des établissements adultes, les mêmes modes organisationnels
prévalent et ce dans une logique de continuité (les mêmes types d’activités
sont en général conservés : horticulture, arts plastiques, cuisine,
etc.) ; des équipes éducatives assurent encore l’accompagnement. Il existe
aussi des « activités » en vue de la conservation des acquis,
notamment scolaires.
[5] Selon Bernard Conein
(2004 : 57), la cognition distribuée implique deux versants :
« un versant écologique où des processus cognitifs se distribuent entre un
agent (ou plusieurs agents) et des artefacts (ustensiles, équipements, textes,
symboles, ordinateurs, etc.) » et « un versant social où des
processus cognitifs se distribuent entre plusieurs agents se coordonnant au
sein du même site ».