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Mai 2012

HANDICAP MENTAL ET TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE COMMUNICATION (TIC) : DES AVANCEES MARQUANTES EN  EDUCATION - COMMUNICATION

 

Audrey BONJOUR

audrey@titof.net

Docteure en sciences de l’information et de la communication

Attachée temporaire d’enseignement et de recherche (ATER), Université de Lorraine

 

Le mot du webmestre, Henri Charcosset, Directeur de recherches au CNRS retraité.

 

Que l’informatique couplée Internet soit à même de fournir un puissant moyen d’identification  et d’insertion sociale active, sans limitation de handicap physique  ou social, ou encore  d’âge, est déjà bien repéré, à défaut d’être assez pratiqué. L’élaboration en continu de ce site vise à proposer des orientations concrètes, pour des personnes aussi variées que paralysés complets, chômeurs de longue durée, personnes maintenues à leur lieu de résidence pour une raison ou une autre, etc. 

 

La question restait largement posée de l’applicabilité de ces techniques à des situations de handicap mental, allant de léger à très prononcé. La thèse de Doctorat d’Audrey Bonjour (2011) est une très prometteuse contribution, à la mise à profit, on peut dire systématique, des T.I.C., pour tous les aspects de qualité de vie et d’insertion sociale dans la société, des enfants, adolescents, adultes, en situation de handicap mental. Autant le dire, c’est un changement de regard sur toute cette catégorie de la population, qui peut se profiler à l’horizon.

 

L’expression sur ce site d’Audrey Bonjour, se situe de plus dans une voie encore bien peu pratiquée, qui  est celle de l’interrelation que devrait avoir tout (enseignant) chercheur,  avec  les citoyens. Ces derniers  sont bien en droit d’être curieux des recherches universitaires en cours en tout domaine, voire de présenter leurs questions, remarques, suggestions.

 

Audrey Bonjour mérite très certainement  de pouvoir entreprendre une carrière d’enseignant- chercheur. H.C.07.05.2012

 

             

Introduction

 

L’utilisation de l’informatique et de l’Internet par les personnes handicapées mentales accueillies en établissements spécialisés s’inscrit dans le cadre d’usages proposés par des professionnels du médico-social. Elle est notamment un vecteur d’évaluation d’une pratique professionnelle d’accompagnement éducatif ou rééducatif. Une approche historique de l’évaluation (voir Bonjour et Meyer, 2011) permet de comprendre comment l’informatique et l’Internet – relevant d’une communication médiatisée –, équipent et valorisent une professionnalité tout en répondant aux besoins et demandes des personnes handicapées. Cette communication est un moyen d’évaluation – simultanément aux niveaux éducatif, thérapeutique et organisationnel – des capacités et compétences des personnes handicapées et participe à une évolution des représentations des professionnels sur les usagers des établissements. 

 

 

Pratiques d’éducommunication

 

Sur le modèle du questionnement de Pierre Mœglin (2005 : 10), – « que faut-il pour qu’un outil de communication ou un média deviennent éducatif et à partir de quand le devient-il ? » – il est possible d’interroger en retour : que faut-il pour qu’un outil et/ou un média de communication favorise la communication des personnes handicapées mentales et/ou qu’un outil de communication et/ou un média deviennent éducatif ? L’auteur (ibid. : 14) avance que « rarement, outils et médias éducatifs sont pensés comme ils devaient l’être : entre éducation et communication ». En effet, « l’hypothèse sous-jacente est que la double qualité, éducative et communicationnelle, des outils et médias éducatifs fournit la clé de leur identité collective » (ibid. : 31). C’est pourquoi nous proposons la terminologie d’« éducommunication ».

 

À partir du moment où la communication sous toutes ses formes est considérée comme l’un des leviers d’amélioration de la qualité de vie des personnes handicapées mentales, il est nécessaire de comprendre comment l’utilisation de l’informatique et d’Internet offre des moyens de saisir l’expression des personnes handicapées mentales. En ce sens, des observations ont été menées au sein de neuf établissements, un Établissement et service d’aide par le travail (ESAT), deux Foyers d’accueil médicalisé (FAM), un Foyer d’accueil spécialisé (FAS), un Institut médico-éducatif (IME), un Institut médico-pédagogique pour personnes polyhandicapées (IMP), un Institut médico-professionnel (IMPro), une Maison d’accueil spécialisé (MAS), un Service d’accueil de jour et hébergement (SAJH)[1] situés sur les régions de Grenoble (une structure), Lyon (deux), Metz (quatre) et Strasbourg (deux)[2]. Ces observations ont duré en moyenne de trois à cinq jours par établissement. Des entretiens avec les professionnels[3] ou les personnes handicapées (une trentaine), des observations pendant les temps d’activités quotidiennes (plus de 110 personnes rencontrées), des conversations ordinaires qui ont été pour certains enregistrés en audio, filmés ou pris en photographies, sont les matériaux d’analyse. L’utilisation de l’informatique et de l’Internet par les personnes handicapées mentales offre des possibilités d’évaluation pour les professionnels assurant la prise en charge et l’accompagnement à un niveau micro ou individuel, soit éducatif et thérapeutique ainsi qu’à une échelle meso-macro, soit organisationnelle ou institutionnelle (avec pour répercussion la possibilité de faire évoluer les politiques, les lois ou les représentations). Trois modalités d’évaluation effectives et appliquées ont été observées :

 

1. Outils d’évaluation des compétences cognitives ; à titre d’exemple, au sein de l’établissement pour personnes polyhandicapées, les ergothérapeutes à partir de jeux multimédias peuvent tester la compréhension (verbale et visuelle notamment), la mémorisation, l’attention, la résolution des problèmes, la lecture et la mémoire.

 

2. Outils d’évaluation des capacités motrices et sensorielles ; il est difficile pour les professionnels d’évaluer un niveau intellectuel ainsi que l’ouïe ou la vision des personnes handicapées privées de mode de communication. S’agissant des capacités motrices, l’outil informatique devient plus attractif que les classiques jeux que les personnes handicapées utilisent depuis leur plus jeune âge.

 

3. Outils d’évaluation de la prise en charge institutionnelle ; ils participent ainsi du panel des moyens pour recueillir la parole de l’usager dans une optique d’évaluation des besoins et de la prise en charge.

 

 

Communiquer pour évaluer en éducation spécialisée[4]

 

Quatre modes alternatifs de communication ont pu être identifiés. Ils peuvent être mis en perspective dans une logique évaluative. 

 

1.  Une expression contrastée ou la communication spontanée

Des modalités d’expressions contrastées ont particulièrement été repérées dans les établissements où les personnes accueillies ne possèdent pas de moyens de communiquer par la parole ou le corps, il s’agit donc notamment des personnes polyhandicapées. Elles ont peu d’opportunités de s’exprimer et les activités qui leur sont proposées doivent correspondre à leur capacités motrices ; exit pour certains la majorité des sports (excepté en général la natation) ou toutes activités manuelles. Des professionnels ont dressé le portrait de certaines personnes polyhandicapées : immobiles, seules dans un coin de la salle d’activité sur leur fauteuil roulant, ne se mélangeant pas au groupe et manifestant peu de réceptivité dans les interactions ; ce qui pouvait leur faire dire que ces personnes ne bénéficiaient que de faibles compétences cognitives. Il faut savoir que des professionnels des neuf établissements mentionnent que les outils d’évaluation de ces compétences sont partiellement appropriés pour les personnes handicapées mentales et, en général, inutilisables pour les personnes polyhandicapées. À l’opposé, lors des utilisations de l’informatique, ces mêmes personnes pouvaient tenir une conduite toute différente, riant, s’agitant, répondant aux demandes des professionnels. Brigitte, ergothérapeute, explique que lors de la séance d’essai avec Marie, polyhandicapée, tellement surprise par son comportement en contradiction avec celui du quotidien, l’a filmée jouant à l’ordinateur afin de la montrer à ses collègues, « je n’y croyais pas ». Cet enregistrement est le support mémoriel d’une situation dont il peut être difficile de témoigner au sens de faire preuve car elle serait du ressort de l’inimaginable. Au sein des autres établissements, cette communication est davantage expansive que contrastée, c’est à dire décuplée. L’informatique, l’Internet étant une médiation de plus au regard du langage, permettant de communiquer avec les autres et soi-même ; en traduisant par exemple les utilisations de mails, de visionnage de photographies ou de clips en groupe et de discussions par messageries synchrones.

 

Description : Image3

La photographie ci-contre montre Arnaud, privé de parole, d’habitude plutôt réservé mais attentif, utilisant l’ordinateur pour la première fois avec l’ergothérapeute ; il fait preuve d’un grand enthousiasme devant l’ordinateur. Il parvient à taper sur le contacteur (bouton bleu sur la table remplaçant la souris), sur les sollicitations de l’ergothérapeute, afin de faire apparaître à l’écran les animations multimédias.

 

 

 

 

Photographie 1 : Arnaud te l’.

 

 
 

 


2. Une communication réflexive, pour parler de soi

Description : Image2La prise en charge en établissements spécialisés organise les temps de vie mais il existe des « temps libres » que les personnes doivent pouvoir combler seules. Par exemple, Brice au sein du foyer de l’IMP (photographie 2), très fatigué par la position assise d’une journée en fauteur roulant, est fan de Johnny Hallyday ; il demande gestuellement de l’écouter (en cognant ses poignets l’un contre l’autre). Le lien d’une playliste sous Youtube a été enregistré dans les favoris par l’une des autres personnes handicapées de l’établissement, Aymeric. Les professionnels ou les résidents répondent aux demandes de chacun, suivant leurs capacités d’utilisation de l’ordinateur. Chaque soir, la majorité des résidents se retrouvent devant l’ordinateur. La photographie montre Brice bougeant ses bras au rythme de la chanson, un micro posé sur sa poitrine et devant la bouche bien qu’il ne puisse parler. Ce temps est d’un gain probant en termes de qualité de vie ; il est pour lui un moment privilégié pour se détendre et se débarrasser des tensions de la journée. Avec l’ordinateur, il communique autant avec les autres, en partageant un moment ensemble, que sur lui-même, en se permettant d’imposer ses choix, ses désirs et au final de répondre à ses besoins.

 

 

 

Photographie 2 : Brice se détend devant l’ordinateur du foyer.

 

 
 

 

 


L’ordinateur, l’Internet pour certaines personnes handicapées sont des objets répondant à leurs besoins. Ils remplacent la classique télévision sur les temps de loisir après une journée de travail ou d’activités. Deux utilisations majeures sont repérables : pour les plus jeunes, il s’agit de temps de jeux sur l’ordinateur qui s’est davantage répandu dans les établissements spécialisés que les consoles de jeux. En second, le visionnage de photographies ou de clips en fonction des passions de chacun est récurrent.

 

Les propos de Pierre Mœglin (2005 : 19) sur les technologisations et médiatisations éclairent ces pratiques : « Elles assurent […] la communication de soi à soi. Pour qui les conçoit et les reçoit, outils et médias sont des miroirs ». Le professionnel, attentif à ces pratiques, peut améliorer son accompagnement en le personnalisant.

 

3. Une communication collaborative ou faire groupe

Les compétences qui peuvent être évaluées sont celles de pouvoir travailler en groupe à partir de la communication et des interactions qui s’y créent. Un enseignant spécialisé remarquait comment dans l’éducation scolaire classique, le travail de groupe était peu développé, si ce n’est au sein des projets de classe ou tuteurés. Un travail individuel évalué individuellement répond à une logique de concurrence. Il faut être le meilleur pour arriver à entrer dans les meilleures écoles (Jérôme, entretien du 27/09/10). En revanche, une dynamique de partage de la connaissance, soit de cognition distribuée[5] est celle à l’œuvre dans les établissements visités, qui est renforcée par les outils et médias technologiques.  En effet, les acteurs et individus, et plus largement l’environnement, sont des supports à la cognition.

Description : ImageClasseIMPRo

Par exemple, la photographie 3 montre une classe ; les élèves qui sont de jeunes adultes, sont placés autour de l’ordinateur. À tour de rôle, ils auront pour tâche de rentrer les factures sous le logiciel Excel, chacun pouvant aider l’autre si nécessaire. D’ailleurs, les résultats d’une enquête de Jacques Crinon (résultats présentés lors d’un séminaire de recherche à l’université de Metz en 2012) sur l’apprentissage de la lecture et de la production de texte à l’ère d’Internet confirment l’impact positif du rôle de conseiller, pour les élèves.

 

Photographie 3 : Travail collaboratif dans .

 

 
 

 

 


4. Une prothèse pour communiquer

Photographie 4 : Igor répond à la question de l’enseignant.

 

 
L’informatique, l’Internet ou plus largement les outils et médias ouvrent des perspectives nouvelles aux personnes handicapées en termes d’aide à la communication. Par exemple, deux enfants, Igor et Lucien participaient à la classe en écoutant l’enseignant spécialisé. Ce dernier cueille de-ci delà les marques de Description : Image1compréhension et de validation des acquis (communication non-verbale ou para-verbale essentiellement). Avec l’ordinateur, est testée une nouvelle modalité de communication permettant ainsi aux deux jeunes adolescents concernés de répondre aux questions de l’enseignant. La photographie 4 illustre une situation de médiatisation de l’évaluation pédagogique. Auparavant, particulièrement Igor, il n’avait aucun moyen de communiquer si ce n’est par certaines mimiques et sons difficilement déchiffrables. Avec un contacteur placé sous sa tête (il reste encore à l’ergothérapeute à gauche sur la photographie de pouvoir le fixer au fauteuil roulant) et un PowerPoint où défilent les jours de la semaine, l’adolescent répond à la question de l’enseignant spécialisé (ici hors champs de la photographie, les autres enfants sont autour d’une table) : « Quel jour sommes-nous ? ». Il faut comprendre qu’avant cette expérience, les professionnels avaient de grosses difficultés pour évaluer un niveau intellectuel et par extension scolaire. Igor manifeste ainsi des capacités de lecture, de compréhension et de repères dans le temps en répondant à cette simple question.

 

 

Différentes modalités évaluatives

 

Se rencontrent  alors deux types de pratiques avec l’informatique et l’Internet, celles professionnelles et celles socioculturelles des personnes handicapées mentales. Des phases d’évaluation de ces pratiques se croisent et mettent en lumière le schème des évaluations avec ces technologies (auto-évaluation, cognition distribuée, valorisation, professionnalisation) :

 

1. Méthodologie d’utilisation de l’informatique et de l’Internet : auto-évaluation

Les professionnels interrogés encadrant les activités informatique et/ou Internet font preuve d’une culture de l’évaluation en partageant spontanément, pour la majorité, leurs préoccupations en termes d’évaluation de leurs actions avec les technologies. Ils cherchent à se former, ou de meilleurs outils pour améliorer la prise en charge. Répondre à l’enquête par questionnaires et aux questions lors de l’entretien semi-directif était aussi pour eux le moyen de mettre à distance leur pratique.

 

2. Mutualisation des pratiques et professionnalisation

Des partages de connaissances fonctionnant sur le modèle de la distribution de la cognition sont identifiables. Les exemples précédemment cités d’entre-aide pour les utilisations en attestent. En outre, des professionnels ont décidé de développer des formations adaptées aux Technologies de l’information et de la communication (TIC) et handicaps mentaux ; certains ne se consacrant plus qu’exclusivement à leur nouvelle activité de formateur.

 

3. L’évaluation des pratiques des personnes handicapées mentales

Elle intègre également la facette de l’auto-évaluation (sentiment de compétence) et celle de la validation passant par la qualification (ou requalification) grâce à des diplômes, des formations ou encore des reconnaissances tacites et/ou informelles.

 

4. Valorisation des compétences : équipement de l’évaluation.

Pierre Mœglin (2005 : 29) mentionne que « la pratique communicationnelle, dès qu’elle est technologisée ou médiatisée, concrétise, matérialise. Elle aide à prendre de la distance ». L’informatique et/ou l’Internet offrent de multiples possibilités de produire des outils de communication avec soi-même ou pour l’extérieur,  qui sont valorisants et réalisés par les personnes handicapées elles-mêmes. La valorisation comme équipement d’une professionnalité et/ou d’une identité positive prend corps concrètement et matériellement grâce à des formes de visibilités par la communication. Produire ou comme le dit Pierre Tap (2008 : 31), « se personnaliser c’est donner sens et valeur symbolique à des objets, à des lieux ou à des dates […], à des activités ». L’usager, « comme tout être humain, développe des stratégies diverses, s’articulant entre elles pour constituer le processus de personnalisation et de socialisation en relation avec ses stratégies de développement et d’adaptation, parmi lesquelles on peut placer les stratégies identitaires » (Tap, 2008 : 29). 

 

 

Conclusion

 

Deux voies parallèles d’évolution actuelle, la première dite de rénovation de l’action sociale avec modèle l’amélioration continue et méthode, les outils d’évaluation ; la seconde, l’introduction dans de nombreux établissements des TIC, amène du changement, demande de repenser les modalités de prises en charge puisque les technologies bousculent les repères anciens ainsi que les représentations des professionnels sur la personne handicapée. Elles sont en effet des vecteurs d’évaluation des compétences cognitives, des professionnels confient même que leur regard sur certaines personnes handicapées avait totalement été transformé. Il y a donc la nécessité de conclure dans une double optique : la place de l’informatique et de l’Internet pour les personnes handicapées mentales dans les établissements spécialisés et leur rôle communicationnel avec une visée évaluative.

 

Selon Sylvie Faugeras citant Noriaki Kano (2007 : 116), « les attentes obligatoires ou implicites correspondent à des prestations de services que le client s’attend à trouver » : l’informatique, l’Internet ou plus globalement les technologies, seront la norme que l’usager est en droit d’attendre. Il ne faut plus les considérer comme un luxe ou superflues mais bien comme un besoin de première nécessité. En ce sens, les témoignages de deux personnes Sans domicile fixe (SDF) illustrent de la place primordiale des TIC dans notre société : celui d’abord de Jean-Paul Allou, ancien banquier qui devient SDF pendant plusieurs années puis directeur de bowling, le patron étant touché par son histoire. Au moment où il a tout perdu, qu’il n’a plus de toit et seuls quelques objets personnels, son fils lui demande de garder absolument son téléphone portable et lui paiera son abonnement (émission 7 à 8 du 03/10/10). Mais encore, dans l’émission Envoyé spécial la suite du 09/10/10, Loïc raconte qu’il n’a pas pu faire face à l’endettement ; il vit aujourd’hui chez différents amis qui acceptent de l’héberger pour quelques semaines. Une mince valise et surtout un ordinateur portable sont les vestiges de sa vie antérieure. Dans le reportage, Loïc présente sa chambre, « mon lit et mon ordi qui me suit partout depuis 10 ans maintenant, on fait deux semaines là, deux semaines ailleurs, on essaie de vivre un petit peu au jour le jour, d’avoir un toit ». Le journaliste commente, « dans son ordinateur Loïc conserve quelques photos ». Loïc regarde les photographies de l’homme qu’il était au sommet de sa carrière, « ce Loïc-là m’allait très bien ». Est-ce à dire qu’aujourd’hui, on est encore quelqu’un avec ces objets ; une personne insérée dans le flux de la société, un reflet de ce que l’on a été ou peut être ? On est au cœur des stratégies identitaires abordées précédemment et ces objets peuvent jouer un rôle identique de réparation (d’une identité négative ou d’un handicap au sens de compensation) et d’insertion (dans la société actuelle) pour les personnes handicapées mentales.

 

En outre, l’effet de ce travail de recherche a été d’impulser une prise de distance vis-à-vis de sa pratique en la communiquant et en la montrant (Meyer, 2006). Plusieurs professionnels ont manifesté leur intérêt à la suite des visites sur le terrain : « Les visites de personnes extérieures sont toujours bénéfiques pour nous aussi ; elles nous obligent à préciser les objectifs et moyens que nous employons, à réenvisager les choses parfois sous un regard extérieur » (Catherine, échange mail du 08/10/10) ou encore Jean (échange mail du 07/10/10) : « Votre passage […] a mis en évidence des pratiques jusqu’alors quasiment invisibles. L’intérêt du phénomène n’est pas de s’en satisfaire béatement, mais de le traiter comme des pratiques à approfondir, à orienter pour leur donner du sens au profit de ceux auxquels elles sont destinées. Répondre à ces questions simples : pourquoi on le fait, pour quoi on le fait, comment le faire avec profit ? Que peut-on imaginer d’autre ? ». Communiquer pour évaluer ou évaluer par la communication, ces assertions traduisent de la dialectique entre évaluation-communication  où le trait d’union illustre une relation de réciprocité.

 

 

Bibliographie

 

Bonjour A., 2011, Usages et pratiques socio-(ré)éducommunicationnels pour les personnes handicapées mentales. Outils informatiques et média Internet, Université Paul Verlaine-Metz. Disponible sur : http://www.theses.fr/150331002

Bonjour A., Meyer V, 2011, « TIC et prise en charge des personnes handicapées mentales », Communication et organisation, pp. 213-227.

Conein B., 2004, « Cognition distribuée, groupe social et technologie cognitive », Réseaux,  124(2), pp. 53-79.

Faugeras S., 2007, L’évaluation de la satisfaction dans le secteur social et médico-social. Paroles d’usagers et démarche qualité, Paris, Éd. Seli Arslan.

Lambert J-L., 1995, Enseignement spécial et handicap mental, Liège, Pierre Mardaga. 

Meyer V., 2006, Communication organisationnelle et prise en charge du handicap mental, Bordeaux, Les Études Hospitalières.

Mœglin P., 2005, Outils et médias éducatifs. Une approche communicationnelle, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble. 

Tap P., 2008, « Dynamique institutionnelle et stratégies identitaires de l’usager du social », pp. 23-40, in : Laforcade M., Meyer V., (dir.), 2008, Les usagers évaluateurs ? Leur place dans l’évaluation des bonnes pratiques professionnelles en travail social, Bordeaux, Éd. Les études Hospitalières.

 

 

Précédentes contributions à ce site :

 

Bonjour Audrey (2009), Accès de l’informatique et de l’Internet aux personnes en situation de handicap mental

 

Bonjour Audrey (2010), Premier aperçu sur les technologies informatiques adaptées au handicap mental : état des lieux

 

Bonjour Audrey (2010), Technologies informatiques adaptées au handicap mental utilisées en situation. Bibliographie. Exemples

 

Bonjour Audrey (2011), Technologies informatiques adaptées au handicap mental utilisées en situation. Partie 1. Les Technologies de l’Information et de la Communication en éducation spécialisée

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



[1] La classification du handicap mental adoptée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) identifie quatre catégories : léger, modéré, sévère, profond (Lambert, 1995 : 19). Les établissements visités accueillent des personnes avec une déficience intellectuelle modérée à sévère. La définition du polyhandicap selon l’annexe 24 ter du 29 octobre 1989 est : « Handicap grave à expression multiple avec déficience mentale sévère ou profonde, entraînant une restriction extrême de l’autonomie et des possibilités de perception, d’expression et de relation ». Paradoxalement, plusieurs personnes polyhandicapées accueillies dans l’IMP ont fait preuve de très bons niveaux de compréhension, avec des usages avérés de l’ordinateur et d’Internet (lancer et jouer à des jeux, recherche d’information, utilisation de la webcam, etc.).

[2] Pour conserver l’anonymat, il n’est pas précisé quel type d’établissement a été visité dans quelle ville et, les prénoms ont été changés.

[3] Au sein des deux établissements sur la région strasbourgeoise, dix professionnels ont été rencontrés. À Grenoble, il s’agit de sept personnes ; sur la région lyonnaise, treize individus et sur la région messine, six professionnels (ils font tous partie de l’équipe médico-éducative et sont éducateur, moniteur d’atelier, ergothérapeute, psychologue, aide-médico-pédagogique, enseignant spécialisé, orthophoniste, informaticien, chef de service et directeur d’établissement).

[4] Il faut remarquer que la terminologie d’éducation spécialisée renvoie empiriquement aux établissements accueillant des enfants, adolescents et jeunes adultes avec un projet éducatif et pédagogique. Cependant, au sein des établissements adultes, les mêmes modes organisationnels prévalent et ce dans une logique de continuité (les mêmes types d’activités sont en général conservés : horticulture, arts plastiques, cuisine, etc.) ; des équipes éducatives assurent encore l’accompagnement. Il existe aussi des « activités » en vue de la conservation des acquis, notamment scolaires.

[5] Selon Bernard Conein (2004 : 57), la cognition distribuée implique deux versants : « un versant écologique où des processus cognitifs se distribuent entre un agent (ou plusieurs agents) et des artefacts (ustensiles, équipements, textes, symboles, ordinateurs, etc.) » et « un versant social où des processus cognitifs se distribuent entre plusieurs agents se coordonnant au sein du même site ».