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Mai 2009

SOUVENIR DE MA JEUNESSE A LYON.

LA CATASTROPHE DE FOURVIERE EN 1930, AVEC 40 MORTS

 

René ALISE

 

Introduction , par Henri Charcosset

 

C’est une bizarrerie de l’existence, on en conviendra, que : 1/ René Alise ait habité véritablement au pied de la colline de Fourvière à Lyon, en 1930 ; 2/ Qu’avec ses parents, ils soient sortis sans dommage de cette catastrophe ; 3/ Enfin, que notre ami René ait été déjà d’âge, 7 ans, propre  à très bien mémoriser, à sa façon bien entendu,  l’Evénement.

 Sachons profiter de chaque opportunité que la vie nous offre à répétition, et que trop souvent nous laissons filer sans même y avoir prêté attention, préférant nous plaindre de notre sort!

Laissons donc place à René pour s’exprimer ; ses précédentes publications sur ce site sont rappelées en fin de texte.                 

 

Texte de René Alise  

 

C’est en 1930 que ce terrible sinistre remua non seulement la région lyonnaise mais aussi la France entière. Ce drame secoua le vieux quartier  Saint Jean qui constitue encore aujourd’hui un ensemble Renaissance remarquablement bien conservé. Une nuit en l’espace de quelques heures un glissement de terrain emporta quantité d’habitations et surtout une quarantaine de morts : civils, pompiers et policiers, tous ensevelis dans le même linceul de terre humide.

Précisons que pour les lyonnais, la Basilique de Notre Dame de Fourvière attire la même ferveur populaire que le Sacré Cœur de Montmartre ou Notre Dame de la Garde à Marseille.

Aujourd’hui je suis un vieil homme de 86 ans encore bien dans sa peau, Dieu merci ! A l’époque des faits j’avais 7 ans et demi. L’âge de raison dit-on, et certainement celui de la conscience. Je me souviens de ce grave événement marqué à tout jamais dans ma mémoire. On sait qu’à cet âge les enfants sont curieux par nature, leurs yeux et leurs oreilles traînent partout y compris autour de la conversation des grandes personnes, ce qui m’a valu quelques remontrances !

 

Mes parents habitaient le haut de la rue de la Bombarde presque à l’angle de la rue du Bœuf, dans ce quartier paisible à l’ombre des tours de la cathédrale Saint Jean, dont les cloches rythmaient le temps en sonnant les heures et les demies. Petits commerces et artisanat fleurissaient dans ces rues étroites au passé historique avec des noms savoureux. Mon père cordonnier bottier de son métier battait le cuir dans sa boutique du rez-de-chaussée. L’appartement au premier étage dominait la rue de ses larges fenêtres.

Il faut dire que j’aimais trotter dans les rues et les traboules, sortes de couloirs qui permettaient de passer d’une rue à l’autre en traversant plusieurs immeubles. A cette époque d’avant guerre la fréquentation du Vieux Lyon que je connaissais comme ma poche ne posait pas de problèmes pour les enfants. Tous les habitants  se connaissaient plus ou moins. J’y retrouvais des gamins de mon âge, avides de se frotter aux réalités de la vie. Certes j’ai appris l’argot et quelques gros mots que je ne disais jamais à la maison, mais aussi à monter à bicyclette sans en posséder une ou bien faire les commissions des mémées bloquées dans un cinquième étage sans ascenseur. La rue était mon école, et ma joie !

 

C’est au milieu de la nuit du 12 au 13 décembre 1930 qu’un bruit assourdissant réveilla brutalement les habitants de ce vieux quartier réputé pour sa tranquillité. Un moment plus tard plein de curiosité, je sautais du lit en chemise de nuit, courus vers la salle à manger. Mes parents, déjà vêtus, ce qui me surprit, se penchaient hors de la fenêtre pour essayer de voir ce qui venait de se passer. Je demandai :

-Pourquoi tout ce bruit ?

Maman répondit toute émue :

-Une pierre de la maison d’en face vient de se détacher…, va vite t’habiller avec ta grosse laine et le manteau.

Je revins chaudement vêtu.

- Papa est-ce que je peux descendre dans la rue pour voir ?

- Reste ici entre nous deux et ne bouge plus !

C’est donc coincé entre papa et maman, accoudé à la fenêtre, en me hissant sur la pointe des pieds que je vivais les premiers instants de ce drame épouvantable.

Tirés brutalement de leur sommeil, des voisins sortaient de leur appartement s’interrogeant sur l’origine de ce bruit sourd et anormal. D’autres les rejoignaient, bientôt la rue grouilla d’une folle rumeur. Apparurent en courant quelques policiers ou plutôt des agents de ville comme on les appelait, ne s’arrêtant pas à répondre aux questions, ils tournèrent rue Tramassac lieu de toutes les inquiétudes.

Peu de temps après on entendit dans le lointain l’avertisseur sur deux notes caractéristique des pompiers.  Ils arrivaient : nous étions sauvés ! Leur camion rouge bourré de matériel et d’échelles s’arrêta face à notre boutique. Je vis ces hommes aux casques de cuivre étincelant sauter de leur siège en plein air et partir au pas de course armés de pelles, pics et lampes, en direction de la même rue Tramassac….Eux aussi paraissaient bien informés.

 

Le bourdonnement de la rue s’amplifiait de plus en plus, quand un deuxième bruit encore plus fort que le précédent mais toujours assourdi envahit l’espace. Aussitôt des agrégats de toutes sortes, pierres taillées, terre, cailloux, roulèrent sur le sol de ma rue. . Cette fois ce fut la panique générale.

Complètement affolés les gens criaient, tenant à la main qui un cabas ou un sac contenant quelques biens précieux, couraient en tous sens ne sachant où aller pour être en sécurité. On pouvait penser à une fourmilière en pleine activité qu’un méchant coup de pied aurait désorganisée. Cette fois on comprit que toute la colline s’éboulait et qu’il fallait fuir en direction de la Saône, deuxième fleuve de Lyon proche de quatre cents mètres environ. Des inconnus bien attentionnés esquissaient de grands gestes du bras, criant  :

- Ne restez pas là, Fourvière va dégringoler !

Mon père toujours curieux et imprudent aux yeux de ma mère décida d’aller

 voir ce qui se passait…

- Papa emmène-moi, je veux aller avec toi !

Après une discussion serrée entre mes deux parents, mon père me prit la main et l’on descendit…

 

Dans la  rue on constata que si notre immeuble avait été ébranlé par les deux secousses, il n’était pas fissuré. Ce qui était rassurant.

Se frayer un chemin dans la foule toujours plus dense ne fut pas facile. En arrivant à hauteur de la rue Tramassac un spectacle inattendu nous saisit. Des éboulis s’entassaient contre les maisons d’en face jusqu’à hauteur du premier étage barrant ainsi le passage. Sur notre droite en levant les yeux on ne voyait plus les maisons existant quelques heures auparavant, sauf l’immeuble d’angle avec le Chemin Neuf encore debout mais en quel état ?. Ne restait qu’un trou béant de terre mouillée. La colline de Saint Jean avait cédé entre sa partie haute le Chemin Neuf et le bas, la rue Tramassac. Le tronçon enterré  semblait aller  de la rue de la Bombarde à la rue de la Brèche. Cette dernière débouchant face à la Cathédrale Saint Jean appelée aussi Primatiale.

Bon observateur, connaissant bien son quartier, c’est mon père qui m’expliqua ce qu’il supposait de ce désastre qui venait d’engloutir une quinzaine d’immeubles anciens presque tous datant de la Renaissance. Outre des particuliers, ils abritaient des hôtels, celui du Petit Versailles avec ses magnifiques colonnes, deux couvents dont celui des Dames de Sion, mon école maternelle que j’avais fréquentée durant trois ans, des ateliers d’artisans….

 

Et l’on voulut revenir, mais en peu de temps depuis le premier bruit le spectacle de la rue avait changé. La maréchaussée vite renforcée prit en main la circulation autour de la zone sinistrée. Un uniforme noir demanda où nous allions ?

- J’habite ici, répliqua mon paternel en levant le bras.

 -Alors passez !

Une fois dans l’appartement on raconta la désolation que nous avions vue tous les deux. Ne cédant pas à la panique générale, mes parents moins inquiets décidèrent de rester chez eux. D’autant que le bel immeuble d’en face tout en pierres de taille avait tenu le choc, c’était rassurant. Nous avons repris nos places à la fenêtre…Vaincu par la fatigue et l’émotion je dodelinais de la tête. J’entendis comme dans un rêve :

 -René ! vas vite te coucher, tu en as besoin , ne te déshabille pas.

Mes parents passèrent le reste de la nuit à l’affût des évènements.

L’archiprêtre Gailland, curé de la paroisse prit l’heureuse décision d’ouvrir les monumentales portes de la Cathédrale. De nombreuses familles s’y engouffrèrent pour s’asseoir ou s’allonger sous un toit.

 Quelques mois plus tard, Edouard Herriot le Maire de Lyon reconnut cette initiative en décorant le Prélat de la Légion d’Honneur.

 

Au petit matin l’agitation et le brouhaha reprirent de plus belle. Les uns voulant voir ce que leur appartement était devenu, les autres où aller n’ayant plus d’abri.

Des nouveaux camions de pompiers arrivaient lourdement chargés avec des engins de travaux publics en remorque. Matériel dérisoire vu l’ampleur du bouleversement.

Au petit matin mon père eut le courage d’ouvrir son magasin sans enlever les lourds volets de bois de la vitrine mais en laissant la porte libre. Les voisins ne tardèrent pas à entrer. Chacun apportant sa bribe d’information ou une frange des rumeurs qui ne tardèrent pas à circuler. Me faufilant entre les grandes personnes, j’écoutais avec attention. On disait entre autres choses que les premiers parvenus sur les lieux, agents de ville et pompiers, que j’avais vus arriver, étaient tous emmurés sous les décombres…Ce qui s’est avéré malheureusement exact.

 

Les services de police bouclèrent entièrement le quartier. Nul ne pouvait y pénétrer sans montrer patte blanche. Autour de  dix heures, on vit apparaître de graves Messieurs aux vêtements bien taillés, cravatés et chapeautés de noir, accompagnés de quelques hauts galonnés. Bref des ’’huiles’’, comme a dit le concierge d’à côté. Sans doute des hauts responsables qui venaient constater de visu les dégâts et agir en conséquence.

Sur le coup de midi, Edouard Herriot alors à l’apogée de sa carrière politique, entra brusquement dans la cordonnerie, quand même escorté de deux agents. Le pardessus ouvert sur sa bedaine légendaire, il déclara tout de go :

-  Maintenant vous ne craignez plus rien, mais il vaut mieux ne pas coucher ici !

-  Monsieur le Maire, comment allons nous vivre ? Osa ma mère.

- Il y aura des secours de versés….

Sur une pirouette notre Maire sortit et entra dans le magasin d’à côté.

Deux, trois jours plus tard on vit une noria de camions qui emmenaient les gravats que piochaient laborieusement des petits hommes jaunes : des soldats indochinois disait-on en cette période de colonisation. Les sinistrés qui avaient tout perdu venaient autour de la statue de Saint Jean Baptiste essayer de récupérer quelques misérables débris de vélos, morceaux de meubles, linges…

 

Rapidement les immeubles  proches de la catastrophe se dépeuplèrent. Certains furent relogés dans les H.B.M.(Habitations Bon Marché)de la ville. Les petits commerces tentèrent de résister malgré une clientèle fortement diminuée et un casuel

(clientèle de passage occasionnelle) inexistant.

Durant l’année 1931 le déblaiement se poursuivit rapidement. Par mesure de sécurité on abattit des murs branlants. Tous les corps des disparus furent identifiés, les civils rendus aux familles, les militaires inhumés avec les honneurs.

Par crainte du pire la montée du  Chemin Neuf était rapidement étayée avec de gros troncs d’arbres calés en biais afin de soutenir le mur côté colline. De nouveau les piétons pouvaient gagner Saint Just en empruntant une passerelle en bois.

Quelques années plus tard les braves gens encore sur place apprenaient avec stupéfaction que l’action introduite en justice se terminait par un non-lieu ! Donc les responsables qui avaient ordonné de contenir l’écoulement des eaux de la colline n’étaient pas coupables. Nous savons que la même chanson revient périodiquement à la mode…

Dans un but de prévention, la municipalité créa rapidement une nouvelle activité dénommée ’’ Service des Balmes ’’. Celui-ci est chargé en outre d’inventorier tous les points d’eau souterrains : puits abandonnés ou obturés, petits ruisseaux, plaques d’eau stagnantes,….de façon à les neutraliser en les entretenant.

A chaque élection l’espoir reprenait pour les habitants proches des lieux dévastés. On parlait de réhabilitation, les candidats de tous bords n’hésitaient pas à présenter des projets. Certains farfelus, comme celui qui prétendait relier la Cathédrale Saint Jean à la porte arrière de la Basilique de Fourvière par des escaliers !…

Au fil des ans les commerçants ont été dans l’obligation de fermer boutique, plus de clients, plus de vente possible. C’est la mort dans l’âme que l’épicerie Jorioz, la laiterie Lation, la mercerie Saclier et la cordonnerie Alise  ont laissé les volets accrochés devant les vitrines. Pour tous, une page de leur vie professionnelle se tournait !

 

Aujourd’hui, c’est avec nostalgie et une pointe de tristesse que je parcours le quartier de ma jeunesse. Le terrain a été stabilisé sans reconstruire. La nature sauvage a repris ses droits, arbres,  buissons poussent librement. Rue Tramassac une fontaine coule en permanence au pied d’un marbre où sont gravés les noms des 40 morts : 17 civils, 19 pompiers et 4 gardiens de la paix.

On peut s’étonner du nombre élevé de pompiers victimes du Devoir ? N’oublions pas qu’ils furent surpris et ensevelis par le second éboulement, alors que des centaines de civils avaient eu le temps de fuir dés la première secousse.

Il est possible de voir au musée de la Duchère les casques déchiquetés de ces héros du feu vaincus par un autre élément.

A l’occasion du cinquantième anniversaire de cette tragédie, ’’ La Renaissance du Vieux Lyon ’’ publia un livre ’’ La catastrophe de Fourvière ’’. Les auteurs Jacques Perrodin et Yves Louvet ont su rassembler quantités de photographies et de documents qui rendent cet ouvrage très intéressant. Coordonnées de « La Renaissance du Vieux Lyon » :

50 rue Saint Jean, 69005 Lyon, Tél : 04 78 37 16 04. 

 

  René  Alise .       Contact : rené.alise@wanadoo.fr

 

Note :

 

Une version plus étoffée de ce texte peut être demandée à René Alise.

 

Précédentes publications sur ce site :

Alise René(2004), Yoga et vieillissement avec  handicap  

Alise René(2006), En Atelier d’écriture l’imagination se débride

Alise René ( 2007), Grand âge, corps et yoga 

Alise René (2009), La Malvoyance par dégénérescence maculaire liée à l’âge, D.M.L.A.. Témoignage