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LES ARTICLES : CLIC SYNTHESE GENERALE: CLIC
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Mai 2010
COMMENT
APPRENDRE A VIEILLIR
Groupe « Sol » de
l’Université du 3ème âge - Genève
Cet article est une
reproduction de la fin de la troisième partie (pages 159 à 174) de
l’ouvrage
VIVRE SANS ELLE, Le veuvage
au masculin,
Collection « La vie à
inventer », Editions Georg, 1996
Introduction, et avis sur la place de l’Internet, par Henri Charcosset
Ce groupe « Sol »
comprenait une quinzaine de membres. L’étude a été conduite par, pour, avec,
des personnes âgées. 31 veufs, âgés de 69 à 85 ans ont été interviewés.
L’étude remonte à un peu
plus de dix ans. Ses conclusions sont-elles à repenser quelque peu de ce
fait ? Deux évolutions majeures nous semblent opérer. L’isolement associé
à la survenue du grand âge est croissant (enfants moins nombreux et davantage
dispersés, tendance générale dans la société à plus de repli sur soi). Tandis
que l’Internet
commence à apporter la compensation de sources
d’investissement amenant de nouvelles
relations.
Aussi faut-il appuyer la
mise à profit dans de bonnes conditions de cette technologie par les
aînés ! L’inter-génération essentielle au bien vieillir doit y trouver une
nouvelle dimension.
Bien vieillir comprend de garder des moyens d’identification, au
travers de ce que l’on fait, reflet de ce qui l’on est.
Initier et faire vivre son site Internet occupe agréablement et
utilement, jusque dans des conditions à première vue défavorables (isolement
géographique, maintien forcé au domicile ou autre lieu de résidence, handicap
moteur ou/et sensoriel).
Ce site-ci, volontairement
conduit sans aucun support budgétaire et sans structure organisationnelle, vise
à être un exemple de ce qui peut être fait, autant dire par tout un chacun. En
mettant déjà à profit le fruit de son expérience de la vie.
A certains, il suffit bien d’avoir leur propre
page web sur un site ami. Citons l’expérience ici de René Alise, octogénaire
depuis quelques années déjà, CLIC.
Pour le plus grand nombre à
ce jour, des personnes âgées, il conviendra de publier un article de temps à
autre. Citons comme exemples ici, Edmonde Englander, CLIC, Monique Humbert, CLIC.
Se constituer son carnet d’adresses mail, aussi restreint soit-il
dans un premier temps, puis l’utiliser pour diffusion d’éléments comprenant ses
propres écrits, voilà du nouveau en matière de lutte anti-solitude de la
personne âgée ?
Cela va sans dire que
prolonger, accompagner, ces Net relations, par les modes de contact plus
conventionnels (courrier postal, téléphone, rencontres en vrai), ne saurait
être déconseillé, comme ne saurait être
freiné quand il n’est pas empêché, le droit à relation d’amour, question que
nous avons abordée ici, à CLIC.
Ces Net considérations, si
elles nous projettent quelque peu vers l’avenir, n’enlèvent rien au contraire,
aux conclusions du joli travail collectif réalisé par l’Université du 3ème
âge de Genève. Laissons leur place pour la suite de cet article.
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Comment
apprendre à bien vieillir?
La réponse
à cette question se résume dans ce dialogue, tenu lors d’une discussion au sein
de notre groupe :
-
Georges (alors âgé de quatre-vingt-un ans, et un peu dur d’oreille), penses-tu
que l’on puisse apprendre à bien vieillir ?
- Comment ? Tu me demandes si l’on peut
apprendre à vivre ?
- Non,
peut-on apprendre à « vieillir » ?
- Bon, j’avais bien compris : tu me demandes
comment on peut apprendre à vivre...
car au fond, c’est la même chose !
Apprendre
à vivre serait donc synonyme d’apprendre à vieillir, et bien vieillir serait
l’aboutissement sans heurts et sans fracture, d’une vie en harmonie avec soi et
les autres. Enoncée comme cela, la sérénité si souhaitable en fin de parcours,
apparaît d’elle-même pour accompagner les phases ultimes de la vie.
Bien
souvent, la vieillesse conduit à affronter la solitude. Mais à vrai dire, il
faut remonter à la prime enfance pour pouvoir interpréter tout au long de la
vie la façon dont l’intéressé se comportera face à ce sentiment. La qualité de
l’adaptation à la solitude trouve ses racines dans les profondeurs du lien qui
unit le petit enfant à ses parents, car cette première expérience, si elle
peut être chaleureuse, peut également passer par toute la gamme des nuances
affectives, jusqu’à la privation la plus cruelle. C’est à travers cette
relation que se jouent le développement psychologique de l’enfant et sa
capacité d’être heureux durant toute la vie. Pour surmonter ses angoisses
primitives et construire sa personnalité, le petit enfant a besoin de l’amour
maternel et paternel, d’une réponse adéquate à ses demandes. C’est ainsi qu’il
acquerra la capacité d’être seul.
Si
la première relation est bonne, l’intégration ultérieure le sera probablement
aussi. Le sujet sera capable d’être en communication et en confiance avec les
autres, de s’identifier à leurs malheurs et à leurs joies. Sa personnalité
sera assez forte pour résister aux vicissitudes de la vie. Ainsi, à tout âge,
il pourra supporter sans trouble majeur les changements et les pertes.
Au
contraire, il est des vies mal parties où difficultés relationnelles, conflits
et ruptures s’enchaîneront comme une fatalité avec, à la clef, une vieillesse
vouée a une solitude douloureuse.
Cependant,
le développement psychique et
relationnel ne se limite pas au temps de l’enfance. Nos interlocuteurs nous
en ont donné maints exemples. Nous avons vu de bien mauvais départs évoluer
vers une bonne vieillesse, grâce à d’heureuses rencontres affectives
ultérieures et à l’enseignement des leçons de la vie.
Les moments critiques
Prévenir
les tourments de la solitude, c’est veiller tout particulièrement à maintenir
des liens relationnels et affectifs lors des étapes critiques de l’existence.
Il
en va ainsi lorsque les enfants, arrivés à l’âge adulte, quittent la maison
pour réaliser leur besoin d’autonomie et fonder à leur tour un foyer. La solitude
peut alors se glisser entre les quatre parois de la maison soudain devenue
vide et silencieuse : c’est le « syndrome du nid vide », que les psychologues
connaissent bien. La solitude s’installera à coup sûr si l’on n’est pas resté
attentif à garder d’autres intérêts et d’autres relations personnelles en
dehors du couple. Quand on s’est mariés,
j’ai dit : « Ni copains, ni copines ! », avait proclamé une épouse. Et une
autre : Maintenant qu’on est mariés, tu
resteras à la maison ! Fidèlement observé, ce programme a conduit au repli
sur lui-même d’un couple « fusionnel » et, lors du veuvage, à un vide total.
Un autre
moment critique est celui de la retraite, où la perte du rôle social lié à
l’activité professionnelle risque d’entraîner un sentiment pénible de solitude
si l’on ne s’est pas attaché à rechercher d’autres sources de bonheur que le
travail, limitant les relations au seul milieu professionnel. Il est important
de le savoir et de prendre à temps les mesures qui s’imposent. Les « isolés »
et les « résignés » donnent à cet égard des contre-exemples démonstratifs.
Avec
les années survient une diminution des liens affectifs, provoquée par le décès des
personnes aimées, en particulier celui du conjoint. Nous avons vu tout au long
de ces pages comment beaucoup de nos interlocuteurs ont su faire face à cette
forme de solitude particulièrement douloureuse.
Le « travail du deuil » sera plus difficile si les êtres qui
nous ont quittés ont laissé dans notre souvenir des images teintées d’anciens
conflits. Si des difficultés relationnelles n’ont pas été résolues du vivant
du défunt, elles persistent telles quelles et sont source de tourment : c’est
comme si ces personnes, pourtant décédées, continuaient à habiter nos pensées
et nos rêves, et que nous portions toujours en nous ces épines conflictuelles
(on parle de « deuil frustrant »
dans ces situations où l’intéressé a perdu « son meilleur ennemi »).
A l’inverse,
le souvenir d’un amour partagé tout au long des années est précieux pour bien
conduire le travail du deuil : Il faut
être reconnaissant. Il en va de même pour le sentiment d’avoir tout fait
pour accompagner au mieux son conjoint dans la dernière étape de sa vie.
Vient
enfin la vieillesse, avec parfois le sentiment de ne compter pour personne, de
n’être aimé de quiconque. De nombreuses personnes âgées se sentent mal aimées
car elles ont l’impression d’être devenues inutiles au sein d’une société attirée
par la jeunesse, une société qui, apparemment, n’honore et ne respecte plus les
aînés comme on s’imagine que c’était le cas autrefois. Or, c’est justement à
cette période de la vie qu’on a davantage besoin d’être aimé et estimé, comme
si la vulnérabilité s’exacerbait avec l’âge, comme si augmentait le malaise de
ne pas se sentir accepté.
Ceux
qui vieillissent bien apportent la démonstration des heureux effets d’une vie relationnelle ouverte et chaleureuse qui
se poursuit naturellement avec l’âge. Certains, enfin, ne souffrent pas d’être
seuls, mais au contraire s’en réjouissent. Leur solitude transcendée est
enrichie d’un sentiment de plénitude. Ils ont sublimé leur solitude. Les possibilités de sublimation s’accroissent
avec l’avance en âge. L’esprit de création en est une des manifestations
majeures - même dans ses aspects les plus quotidiens, qui consistent à se
passionner pour les « choses qui vont au-delà du temps et de l’espace », comme
la nature, la musique et les autres arts.
La perte, entre l’être et l’avoir
Notre
époque tend à confondre l’« être » et l’« avoir», Si l’« avoir » s’appuie par
définition sur la possession, en revanche l’« être » se manifeste de façon plus
nuancée et peu apparente. En effet, « être » dépend pour chacun de nous de la
capacité de devenir pleinement soi-même.
Le
fait d’avoir des choses, des objets, procure aussi l’impression d’un certain
bonheur. Mais si ce besoin de possession devient excessif, il se transformera
en volonté de domination : il ne s’agira plus de vouloir posséder ceci ou cela
mais, par cette possession, d’exercer son pouvoir sur les autres. On se trouve
alors devant une communication basée sur un rapport de forces ; certains
couples sont fondés sur ce genre de rapport.
C’est
précisément au sein de cette dialectique de l’être et de l’avoir qu’il faut
comprendre et élaborer les pertes - en particulier celle du conjoint. Faute de
quoi nous glisserions inévitablement vers l’erreur de croire qu’avoir équivaut
à être et que ne plus avoir est synonyme de ne plus être. Cette confusion est à
l’origine de beaucoup de solitudes. Car le vieillissement se fait sous le signe
de la perte : perte des choses, des affects, des personnes aimées, de ses
possibilités physiques. Il n’est pas
facile de remplacer ce qu’on a perdu, sinon en puisant en soi-même à l’aide
d’une nouvelle foi, de nouvelles idées, de nouveaux investissements affectifs,
bref, d’un nouveau projet de vie pour continuer.
Sans
oublier qu’au début du vieillissement, on se trouve en même temps appelé à faire
un choix d’importance capitale : accepter le vieillissement ou le refuser. Ne
pas vouloir vieillir s’inscrit dans le refus inconscient de la mort, et cette
idée se situe aussi entre l’être et l’avoir. La sagesse, quant à elle, suggère
ceci : comment remplacer ce qu’on a perdu par autre chose, dans un nouvel
espoir de vie et sans renoncer toutefois au but qu’on s’était initialement fixé
? La réponse à cette question appartient à chacun de nous, et c’est en cela que
consiste en grande partie l’art de bien vieillir, c’est-à-dire accepter les pertes, les obstacles et les
difficultés en choisissant d’autres itinéraires de vie et de pensée.
Pour conclure
Nos
observations et réflexions sur la vieillesse et la solitude nous conduisent aux
conclusions suivantes :
L’attitude
face à la solitude est liée à la personnalité, elle se forge dès la première
enfance et se module tout au long de la vie.
La
capacité d’être seul est en relation avec l’harmonie que l’on établit avec
soi-même et entre soi-même et les autres. La qualité des liens affectifs,
l’ouverture aux autres et l’aptitude à aider, les ressources intérieures et
l’acceptation de la vieillesse déterminent largement l’attitude face à la
solitude.
Cette
attitude est relativement indépendante de l’état de santé et des handicaps
éventuels. Elle est en revanche fortement dépendante de la perte de
l’autonomie.
Quand, face
à la solitude, il n’y a qu’amertume et regrets, le risque est grand de voir
s’installer un état dépressif ; on parlera alors de maladie de la solitude.
La
solitude est liée à notre condition humaine, aussi serait-il vain de penser ne
jamais la rencontrer ou de pouvoir se mettre à l’abri de la peine qu’elle
engendre. « La solitude, ça s’apprend
! » Car la solitude n’est pas uniquement négative. Elle connaît deux modalités
: le bonheur et la souffrance. La solitude qui rime avec plénitude, nous
l’avons rencontrée dans nos enquêtes ; la plénitude est le propre de ces
personnes qui vieillissent bien, entourées d’affection et de sympathie, ce qui
ne veut pas dire que leur vie ait été sans difficultés, au contraire.
Cependant, elles ont su s’en sortir sans blessures invalidantes, en gardant un
esprit optimiste et tourné vers l’avenir. La solitude-plénitude est associée à la découverte et à
l’approfondissement des réalités spirituelles, à la création intellectuelle ou
artistique.
La
vieillesse peut être une étape privilégiée de la vie dans la mesure où elle
offre une occasion de mieux se connaître et de faire en soi le tri de l’or et
des déchets (c’est le « travail du vieillir »). Elle ne devrait pas être
prétexte à nostalgie à l’idée de ce qu’on aurait pu faire ou de ce qu’on
aurait voulu être et qui ne l’a pas été. Car, pour aimer les autres, il faut s’aimer tel qu’on est.
«
On vieillit comme on a vécu. » En effet, beaucoup de gens vieillissent avec le
même bonheur de vivre qui a toujours été le leur. Certains ont même appris en
cours de route à dépasser le handicap d’une difficile entrée dans la vie.
C’est
au fond notre privilège d’apprendre à vieillir, c’est-à-dire d’apprendre à
vivre.