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NOVEMBRE 2008
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PRES DE QUATRE
VINGT ANS DE MA VIE.
Monique
HUMBERT
Introduction. Impression, par Henri
Charcosset, webmestre
Quand j’ai
proposé à Monique Humbert de nous parler en cinq pages, de son histoire de vie,
elle n’était pas trop favorable, se considérant sans doute comme
une honnête octogénaire, n’ayant rien
d’intéressant à dire. Mais l’optique de ce site est qu’il ne saurait y avoir de
vie indigne de laisser trace, pour l’histoire.
A chacun de
faire sa lecture du récit de Monique Humbert. J’évoque quatre aspects de ma
lecture personnelle :
-
Monique H. est témoin vivant de la traversée de la
seconde guerre mondiale (1939-1945) et
de la période qui a suivi. Il faut bien se rendre compte que chacun ayant cette expérience en garde des souvenirs très individualisés.
Elevé à une centaine de Km de Lyon, dans une fermette du Brionnais(71), non seulement je n’ai pas connu la faim, mais nous
fournissions en victuailles quelques Lyonnais, ayant les moyens de venir
jusqu’à nous ! Ceci pour dire que j’invite
à participer à l’activité : « Partagez vos souvenirs de
l’histoire », présentée sur
le site : www.civismemoria.fr
-
Monique H. a exercé la profession de kinésithérapeute en
centre de rééducation ; elle est là aussi témoin vivant, femme de terrain,
de l’évolution de la « kiné » ; cette partie de sa vie
mériterait bien plus de développement qu’ici !
-
Monique H. a vécu, comme bien d’autres de son âge, dans son
enfance une grande proximité familiale entre les générations. Quelques
décennies après, elle expérimente, comme
bien d’autres aussi, combien « les temps ont changé » à cet égard ! Il n’est pas étonnant que l’on parle si
souvent de l’isolement, de la solitude de la personne âgée. Monique H.
n’utilise pas ces termes à connotation possiblement critique ou/et
démoralisante. Leur est préférable un terme à vocation plus dynamique, comme autonomie. Son autonomie, Monique H. la bichonne on peut dire, autant
que faire se peut, comme on pourra lire !
- Tant qu’à faire de mourir un jour, « Autant
mourir vivant ! » ; Monique H. peut être sans le savoir, s’y prépare jour après jour ; souhaitons
lui que cela dure bien longtemps encore !
Récit
de vie de Monique Humbert
Je suis née
le 23.06.1929 à l’hôpital de la Croix Rousse à Lyon, accompagnée d’un frère. A cette
époque, les naissances gémellaires étaient plus rares que maintenant et souvent
inattendues.
L’arrivée
intempestive de ces deux bébés
chez une maman de 18 ans et un papa de 22 ans, de milieu modeste, a causé
quelques tracas.
Ma grand-mère maternelle a dû
arrêter son travail pour s’occuper de nous, avec l’aide de mes arrières grand
parents, tous dans le même appartement, petit, mais luxueux pour l’époque puisqu’il
comportait des WC.
Mon frère et moi avons été choyés, et avons pleuré
notre arrière grand-mère, décédée en 1937.
Nous avions la chance d’habiter rue Tête d’or, près du
Parc, et notre arrière grand-père venait tous les jours nous chercher à la
sortie de l’école maternelle située dans notre rue, puis de l’école primaire rue
Tronchet. Nous allions faire avec lui un
tour au Parc de la Tête d’Or avant le repas, non sans nous avoir acheté un
petit pain de seigle aux raisins.
Notre arrière grand-père avait été professeur de
serrurerie ferronnerie, à l’école professionnelle du Rhône, et ses œuvres en fer forgé étaient
magnifiques. C’était un artiste dans son genre. Il avait su déceler chez mon
frère un don de dessinateur et il l’encourageait.
Notre père, mécanicien ajusteur, travaillait dans les
ateliers de l’OTL (Omnibus Tramways de Lyon, les TCL actuels.) L’entreprise
avait installé une colonie de vacances à
Monsols dans le Haut Beaujolais, et c’est là que nous sommes allés tous les
étés de 1937 à 1944, car encore moins d’enfants que maintenant partaient en
vacances.
A la déclaration de guerre, le
2.09.39, les dirigeants de la colonie ont proposé de garder les enfants. Nos parents ont accepté et c’est
ainsi que nous avons passé 14 mois loin de Lyon.
L’été, la colonie recevait 180 gamins, les filles d’un
côté, les garçons de l’autre, chacun son dortoir, chacun son pré, chacun son
mono, chacun son préau. Un seul réfectoire, mais, bien sûr, les tables étaient
séparées. Une seule cour dans laquelle on avait, de temps en temps,
l’autorisation d’aller jouer ensemble. Le dimanche, jour de fête, c’était bal,
un phonographe nous entraînait dans les danses du moment. C’était la joie.
Autre moment de rassemblement : la préparation de la fête en l’honneur de
la visite rituelle des parents le 15.08.
Donc il a fallu
aménager pour l’hiver cette colonie
conçue pour l’été. Nous n’étions plus qu’une soixantaine de gamins. Le dortoir
des garçons a été transformé en trois salles de classe de deux divisions.
L’école a commencé le 19.10.39. La neige était déjà tombée en abondance et sous
les pas de l’institutrice, chaussée de
sabots, il a fallu jeter des cendres pour l’empêcher de tomber ! Des
poêles avaient été installés, mais la chaleur qu’ils dispensaient était bien
maigre. Dans le dortoir les vitres étaient ornées de magnifiques volutes, l’eau
étant gelée. Que dire de la toilette et des toilettes ! N’en parlons
pas ! Ce n’était qu’une fois au lit qu’on enlevait nos vêtements !
C’était comme ça, personne ne se plaignait.
Le 1° mai 1940, j’ai eu une crise d’appendicite, et,
transportée le lendemain à l’hôpital de Grange Blanche (Edouard Herriot), j’ai
dû être opérée d’urgence, mise dans un couloir et bien longtemps après dans une
chambre. Les Allemands bombardaient la base militaire de Bron. L’hôpital était
surchargé par des réfugiés blessés. Malgré des soins défaillants, j’ai survécu
à l’infection (pas d’antibiotiques à l’époque) et regagné Monsols jusqu’en septembre.
Le 1.10.40 j’ai retrouvé mon école rue Tronchet qui,
en 1942, a été transformée en salle de classe pour officiers allemands, puis en
hôpital pour leurs blessés. J’ai alors dû aller en classe place Guichard, et
mon frère rue Robert. Nous avions cours à mi-temps, une semaine le matin, une
semaine l’après-midi.
Les hivers de guerre ont été
particulièrement froids, neigeux. Rien à manger, rien pour se chauffer, rien
pour s’habiller, pour se chausser. Les chaussures à semelles de bois glissantes, les
mains et les pieds remplis d’engelures, il fallait aller commencer l’attente
devant l’épicerie dès 5 heures du matin. L’épicier revenait du marché vers 11
heures, avec ou sans marchandises, et quelquefois, quand arrivait notre tour
d’être servis, il n’y avait plus rien, les prioritaires avaient tout
raflé ! Mon grand-père ne comprenant pas les restrictions, n’a plus voulu
vivre, il s’est couché pour ne plus se relever. Il est parti le 8.05.44 sans
avoir vu la libération.
A cette époque, les alertes étaient nombreuses,
surtout la nuit, mais le bombardement
très meurtrier du 25. 05. 44 a eu lieu dans la matinée. L’école de la Place
Guichard envoyait ses élèves aux abris de la Bourse du travail. Bien
qu’atténué, le bruit des bombes a arrêté net nos conversations et, à la sortie
de l’abri, nous n’avons pas retrouvé le soleil, le ciel bleu, était devenu
gris, des gens venant de la place Jean Macé étaient couverts de poussière.
Les vacances sont arrivées et je pensais retrouver le
calme de la colonie : à Monsols, plus d’alertes avec des levers
intempestifs la nuit. Erreur ! Les Forces Françaises de l’Intérieur, FFI,
occupaient la région et venaient chercher à la colonie ce dont ils avaient
besoin. Une grande croix rouge avait été dessinée sur le toit du bâtiment. Des
exercices d’alerte ont été organisés de jour comme de nuit. Il fallait partir
se cacher dans les bois environnants. A 15 ans, j’étais responsable d’un groupe
d’enfants de 6 à 14 ans, avec une nouveauté, la mixité.
En août nous étions isolés : routes coupées, plus
de courrier. Les quelques nouvelles nous étaient données par les FFI, et ce
n’était pas rassurant. On se battait à Lyon, les ponts sautaient, il y avait
des massacres notamment rue Tronchet, à Saint Genis Laval. Rue Tronchet, mon
école. Mes parents étaient-ils victimes ?
Nous passions nos journées dans la cour à regarder en
direction de Lyon, des avions tournoyaient, piquaient pour lâcher des bombes,
des fumées. Et puis un jour, le 04 09.44,
nous avons vu une animation inhabituelle au col de Cri. Sans permission, nous sommes partis en direction du col, 3
kilomètres franchis en un temps record, pour voir passer des chars américains. C’était incroyable, du délire de
la joie, mais encore de l’inquiétude. Enfin les nouvelles sont arrivées et j’ai
appris que deux camarades de classe avaient été tuées rue Tronchet dans cette
horrible fusillade.
De retour à Lyon nous avons eu la mauvaise surprise
d’apprendre que notre père avait quitté
notre mère.
Le 1.10.44,
j’ai retrouvé l’école Place Guichard et préparé le brevet, obtenu en mai
45. A Lyon, nous avons été libérés le
04.09.44, juste un an avant la fin de cette 2ème guerre mondiale,
avec la capitulation des Japonais. Entre temps, la guerre avait fait encore
rage dans beaucoup de régions de France et il y avait eu la capitulation des
Allemands le 08.05.45.
Les environs de Lyon étaient encore des vergers, nous
mangions beaucoup de fruits. Le marché noir s’était organisé et ma grand-mère a
vendu ce qu’elle possédait pour acheter des tickets de pain et autres
marchandises à prix fort.
Le 1°mai 45 tout le monde était dans la rue, malgré de
gros flocons de neige, et huit jours après, la victoire a été fêtée sous la
canicule, par de gigantesques monômes et des bals à tous les coins de rue.
Je suis partie avec mon amie Pierrette dans sa
famille, pour faire les vendanges à Berzé la Ville. Année exceptionnelle :
les vendanges ont commencé le 31 08 et, pendant trois semaines, j’ai vécu dans
une ambiance chaleureuse, et complètement époustouflée par les repas
incroyables pour moi car c’était encore,
et pour un bon moment, les restrictions à Lyon.
En octobre 45 j’ai suivi des cours de massages
esthétiques, manucure et j’ai travaillé dans un salon de coiffure. Je ne
gagnais pas grand chose. La sécurité sociale se mettait en place et embauchait.
Je suis devenue employée à la caisse régionale d’invalidité avenue du maréchal
Foch. Avec un salaire assuré, j’ai pu m’acheter une bicyclette payée en 4
mensualités. Le club sportif de la SS s’est formé et j’ai adhéré à l’équipe de
basket. Entraînements, matchs le dimanche matin, bal l’après-midi au Palais d’hiver avec les grands orchestres
du moment : Ray Ventura, Jacques Hélian, une vie rêvée !
Pendant ce temps, mon frère suivait les cours des
beaux-arts.
Je me suis mariée en 55. Un gros garçon de 4 kgs 800 est né
en 56, et j’ai divorcé en 61 après beaucoup
de problèmes. Je suis tombée malade. A mon retour de maison de repos, j’ai
décidé de tout changer. J’ai demandé une bourse au service social de la caisse
régionale pour entreprendre des études
de kinésithérapeute. J’ai passé le concours d’entrée à l’école. J’ai réussi
et je me suis retrouvée à 33 ans en fac avec des gamins de 20 ans, presque tous
bacheliers et issus d’un autre milieu que le mien. J’ai eu quelques jours de
panique, me disant souvent : « Si j’aurais su, j’aurais pas venu. »
Je dois beaucoup à ma famille et à mon ex belle
famille qui m’ont aidée et soutenue. Mon fils était pris en charge la semaine
par ses grands parents paternels. Juin 64, diplôme d’état.
1° juillet 64 entrée au centre de
rééducation fonctionnelle du Val Rosay à Saint Didier au mont d’Or. J’ai obtenu un logement de
fonction et ai pu m’occuper de mon fils, qui est allé à l’école de Saint Cyr au
Mont d’Or et ensuite au lycée Jean Perrin.
Je devais 5 ans de travail à la caisse régionale. Au
bout de ces 5 ans, je suis restée au Centre pour des raisons familiales et
aussi professionnelles. Remettre sur pied de grands blessés donnait beaucoup de
satisfactions. Je me suis beaucoup investie dans mon travail. J’ai suivi à
l’hôpital Saint Luc pendant 2 ans des cours de médecine chinoise, puis des
cours de massages réflexes, des cours de techniques de soins nouveaux, des
cours de yoga, relaxation, etc.
J’ai toujours accepté de prendre des stagiaires, ce
qui me permettait aussi de connaître l’évolution des cours à l’école. Mon métier,
je l’ai adoré et je garde encore des liens avec certains patients ou leur
famille.
J’avoue que les premiers jours de la retraite en 89 ont été difficiles.
Un grand sentiment d’inutilité m’a envahie. J’avais l’habitude d’avoir beaucoup
de gens à côté de moi, à qui il fallait donner. Que faire pour combler ce
vide ?
Mon fils marié en 85 avec la mère
d’un petit garçon de 7 ans, et moi de ce fait grand-mère
d’adoption. Dans le couple de mon fils, un petit garçon est né en 90, une
petite fille en 92. J‘ai répondu à chaque appel de la famille, fait de mon
mieux pour aider.
Petit à petit je me suis construit
une vie que je trouve égoïste. Les conférences de l’U.T.A(Université Tous Ages),les
visites, voyages, concerts à l’auditorium, cours d’aquarelle, gymnastique
volontaire, etc. sont venus remplir mes jours. Mais aussi je donne une fois par
mois une séance de respiration, étirements, relaxation, à l’association des
polyarthrites. J’aide au secrétariat d’une amicale en rédigeant les compte
rendus des réunions de bureau, et en participant à la gestion des
manifestations, bals, repas, sorties…Chaque fois qu’on me le demande, je donne
des conseils, ou effectue des massages. A ma voisine accidentée, c’est toutes
les semaines.
J’ai oublié de mentionner que, comme tout le monde,
j’ai dû vivre des moments pénibles en perdant des êtres chers. Ma
grand-mère, qui m’avait élevée, est partie le 23.11.63. Mes ex beaux parents
sont décédés tous les deux en 1989, mes parents tous les deux en 1995 et mon
frère en 2003. A la suite de longues maladies douloureuses, pour eux mais aussi
pour moi. C’est lors du décès de mon frère en août 2003 que je me suis sentie
orpheline vraiment. Mon passé est parti avec lui, ce fut et c’est encore un
grand vide. Je n’ai pas encore accepté.
Je n’ai plus personne avec qui évoquer des souvenirs, parler du passé. Les enfants, ça ne les intéresse
pas, ils s’en moquent ou cela les embête ! J’entends
dire : « C’était de ton temps, Mamie ! ». Chacun a
ses occupations : le travail bien sûr, Et les loisirs : orchestre et
composition musicale pour mon fils et mon petit fils, sport équestre pour ma
petite fille.
Le fils de ma belle- fille a fait sa situation en
Australie, il est marié et sera bientôt papa. En novembre 2008, je devrais
être arrière grand-mère ! Une nouvelle étape et non des moindres, de ma
vie !
Contacts avec Monique Humbert, qui n’est pas, du moins pas
encore, équipée Internet, au travers du webmestre et ami : Henri
Charcosset, bien.vieillir@club-internet.fr
Deux photos souvenirs !
A droite L’école maternelle mixte de la rue Tête
d’Or, 1935 ; Monique est au dernier rang, et la deuxième enfant à partir
de la gauche
A Gauche L’école des filles rue Tronchet à Lyon.
Cours préparatoire 1936. Monique est au troisième rang; elle est la sixième
enfant à partir de la droite, son amie Pierrette est la troisième ; 75 ans
d’amitié entre elles deux !