Janvier 2022

 

LES MINUTES ETERNELLES

Chantal CAMBRONNE -DESVIGNES

 chantal.cambronne@orange.fr

 

INTRODUCTION, Henri CHARCOSSET

Avec Chantal Cambronne, née comme moi en 1936, professeure de lettres retraitée, nous sommes en relation Net amicale depuis 2008.

 Début 2021, elle en était à 23 articles autobiographiques parus sur ce site.

 La totalité alors, de son oœuvre littéraire, se trouve rapportée dans la référence :

Cambronne-Desvignes Chantal  et Charcosset Henri (2021) :

 De la vie à l’écrit, de l’écrit à la vie. Du réel au virtuel, du virtuel au réel

°°°°°

L’ œuvre de Chantal Cambronne se situe dans le contexte d’une évolution, que nous souhaitons rapide,  vers la Société inclusive, pour laquelle  il n’existe pas de vie ( on pourrait même dire d’expérience forte de la vie), qui soit «  minuscule’. C’est toute vie sans exception, qui mériterait d’être accompagnée et suivie, de l’édition d’éléments autobiographiques

°°°°°

De Chantal, à  la Résidence autonomie d’Oloron Sainte Marie où je séjourne depuis avril 2019.

: En 2021, j’ai vécu une passe un peu difficile avec deux séjours successifs à l’hôpital, le premier pour une pyélonéphrite, le second pour une opération de l’intestin (on m’a élevé une partie du colon).

 Au bout de deux mois, j’étais bien remise lorsque j’ai fait une chute très douloureuse. Je n’avais rien de cassé, mais la peur est restée très vive pendant plusieurs semaines. J’ai dû réapprendre à monter et descendre du trottoir, monter et descendre les rues d’Oloron. Aujourd’hui, je marche à nouveau bien, avec mes deux cannes pour marche nordique.05.01.2022

°°°°°

Une fois encore, Chantal en est sortie grandie, des épreuves diverse s et variées qu’elle aura eu à subir durant son existence !

°°°°°

Se trouve être appuyée ici l’idée d’une introduction sans attentes, de l’Internet auprès des résidents dans ces Etablissements, aux appellations variables. Les capacités mentales de résidents serait-elle diminuée, que cela ne les empêcherait pas, pour la plupart, de pouvoir apprécier des photos familiales reçues en fichiers joints de mails ! Source d’anti solitude déjà très appréciable lorsque la famille proche est éloignée.    

°°°°°

Henri Charcosset 05 Janvier 2022 :  https://anti-solitude.pagesperso-orange.fr/anti-solitude_tous-chercheurs.htm

°°°°°

TEXTE DE Chantal CAMBRONNE-DESVIGNES

Prendre la plume encore une fois s’est imposé à moi, alors que je pensais en avoir définitivement fini avec l’écriture.

C’est le thème retenu pour le Printemps des Poétes 2022, CLIC ,   qui m’a donné l’envie de m’y remettre.

, Décembre 2021...

Et, à part le fameux < Mignonne, allons voir si la rose...> de Ronsard, aucune idée de texte à lire, à mettre en scène ne me venait.

Alors j’ai eu envie de voir et de dire les choses autrement.

J’ai 85 ans et je n’échappe pas aux soucis des fins de vie, la fatigue, la perte d’amis très chers. Mais, au lieu de me pencher sur tous ces

maux, bien réels je l’accorde volontiers, j’ai envie, moi, de parler plutôt de cette possibilité que j’ai, que nous avons tous, d’étirer le

temps, de lui donner une autre dimension, de jouir encore et encore des plus beaux instants.

 

Les premières images qui me viennent appartiennent au monde de la danse. J’avais alors 18 ou19 ans. Mon frère, qui se débrouillait

toujours pour avoir des places très bon marché pour les spectacles, m’a fait connaître les JMF. Et je me souviens, comme si c’était hier,

 lorsque le rideau s’est levé, d’une statue de marbre, Celle d’un faune, étendu et immobile. La statue, très lentement, s’est mise à bouger,

est devenue cette créature étrange, mi- homme, mi-animal,. Le danseur, c’était Serge Lifar, dont la carrière était presque terminée, car il

avait plus de quarante ans. Cette incroyable prestation n’a duré que quelques minutes, mais c’était un merveilleux cadeau avant sa sortie

de la scène.

 

Ce sont des instants de ce genre que j’appelle, dans mon petit répertoire personnel, les minutes éternelles.

En ce qui me concerne, ce n’est pas un hasard si beaucoup de ces moments sont liés au monde du spectacle. Quoi de plus éphémère que

la minute où le danseur semble défier les lois de la pesanteur, où l’acteur, d’une seule phrase, déclenche un rire énorme, ou fait jaillir

des larmes d'émotion. Pourtant, des années après, je peux remettre en route la bobine du film de ces moments-là. Et ce sont, sans doute,

ces minutes-là , si brèves, mais si heureuses qui m’ont donné envie de faire partie, moi aussi, du spectacle, et même, parfois , d’en créer

, avec mes élèves en particulier, puis, plus tard, de monter sur scène moi- même.

Le temps des applaudissements est certes éphémère, mais ceux que j’ai connus, ont été nourris de tant de travail, d’émotion, personnelle

ou collective, de larmes et de fous-rires. Comment pourrais-je oublier ces instants- là, ne pas les avoir encore présents. D’ailleurs je ne

suis pas la seule à refuser d’oublier.

Ainsi des élèves, rencontrés des années après, et qui avaient sans doute quasiment tout oublié de ce que j’avais pu leur apprendre,

évoquaient avec un enthousiasme encore entier, ces moments de création que nous avions vécus ensemble.

 

Aujourd’hui, une soirée chez mon libraire, en compagnie d’auteurs passionnants, et qui se termine par de joyeuses rencontres autour

d’un verre, un sketch de Dubillard joué plusieurs fois devant quelques spectateurs, toujours avec le même bonheur et le même succès, la

répétition d’une chanson complètement délirante avec mes compagnons de Livres sans frontières me procurent un bonheur que je peux

encore faire revivre.

 

Dans la réalité de la collectivité -je suis depuis près de trois ans, dans une Résidence pour l’autonomie- avec ses rites, ses rencontres,

parfois éphémères bien sûr, car la maladie et la mort font ici partie du quotidien, je vis encore, et je ne m’en lasse pas, de ces temps

privilégiés : un repas de fête très animé, une amitié qui se crée, une belle église romane dans un village, visitée au cours d’une sortie,

une promenade dans un parc au milieu des si belles couleurs de l’automne.

 

Il me semble que, plus j’avance dans la vie, plus je vis avec intensité, plus je déguste les moments heureux. Cela ne veut pas dire que

j’ai oublié les durs temps de solitude, les déceptions, les souffrances passées. Mais rien ne m’oblige à les ressasser indéfiniment. Et j’ai

cette faculté de savoir déguster, de retenir en moi, de revivre cent fois, mille fois, des moments heureux, d’aujourd’hui ou d’hier.

Ce ne sont que rarement des choses extraordinaires mais qui, pour moi, ont une résonance profonde : un film vu avec mes frères et

sœur, que nous nous sommes raconté pendant des années, une danse de sauvage inventée par nous, lorsque ma mère n’était pas là, le

beau visage de cette femme qui m’a accueillie, en Norvège, me faisant oublier d’un seul coup les trois jours d’un voyage pénible, les

rituels autour de Noël, plus tard, nos petites aventures au camping avec les enfants, un sketch de Coluche redit chaque soir par mon fils

pendant des mois, des soirées passées à se raconter en famille les meilleures pubs, ou à choisir des modèles de tricot,....

 

Je ne peux m’empêcher d’évoquer des histoires d’amour qui ont duré peu de temps, certes, mais ont été si riches que, même très

longtemps après, je n’en ai rien oublié : Une rencontre dans un train, suivie de quelques semaines un peu folles d’un amour plein de

fantaisie et d’invention, une autre dans un petit bal de campagne : trois soirs d’une vraie rencontre, et celle d’Habib, au- dessus peut-être

de toutes les autres , qui n’a duré que quelques semaines, mais m’a permis de connaître un homme d’une totale générosité , alors qu’il

n’avait rien, rien à donner que lui-même, et que j’ai vu transfiguré par le bonheur.

 

Et puis, récemment, il y a eu l’époque COVID qui m’a amenée à réfléchir davantage à cette question du temps.

J’ai subi, comme tout le monde, les conséquences du confinement: mon espace de vie restreint, mes activités réduites, et surtout

l’éloignement de mes proches puisque aucun d’eux n’habite près de moi.

Durant tout ce temps, nous avons, alors, d’un commun accord, décidé de profiter de la plus petite ouverture pour nous rencontrer

quelques jours, ou quelques heures, un par un ou plusieurs à la fois. Bien que nous ne fassions rien d’extraordinaire au

cours de ces rencontres, chacune a été vécue avec une intensité, une force inoubliable comme si, plus que jamais, chaque instant était à

vivre avec passion et à garder ensuite en soi comme un trésor.

 

Le temps peut se dilater, s’étirer, l’éphémère peut durer longtemps, longtemps. Et, d’une certaine façon, il m’appartient, à moi, humble

mortelle, de le recréer et de me recréer en l’évoquant.

 

Pour conclure, je ne peux résister à l’envie de citer le refrain de la plus belle chanson que je connaisse :

Quand les hommes vivront d’amour,

Il n’y aura plus de misère

Les soldats seront troubadours

Mais nous, nous serons morts mon frère.

Trois chanteurs - Félix Leclerc, Gilles Vigneault et Robert Charlebois disent ensemble ces paroles. Ils représentent trois générations.

Je viens de réécouter l’enregistrement, que j’ai déjà entendu des dizaines, des centaines de fois peut-être, et j’ai pleuré d’émotion,

encore une fois. Tout est dit dans ces quelques mots, l’impossible, et, en même temps, les aspirations éternelles des hommes.

 

Chantal Cambronne, Décembre 2021