Entrée sur site mi- septembre 2017
ANTI SOLITUDE A L’APPROCHE DE SES CENT
ANS. TEMOIGNAGE
René ALISE
Contact au travers de Henri Charcosset henri.charcosset@neuf.fr
INTRODUCTION
Un mot déjà, tout récent, de Dominique Alise, fille de
René : « Papa ne va pas mal du tout, il se moque de lui-même, a de
l'humour et c'est un plaisir de lui rendre
visite ».
A défaut de pouvoir
encore rencontrer René, je garde un contact régulier avec lui, par téléphone.
De sa façon d’être j’essaye de tirer profit personnel.
René comme guide à
bien vieillir, parmi de trop rares autres, certes. Mais cela va au-delà, le
vieillissement que l’on aura, se préparant tout au long de la vie. Le sentiment
de solitude, une constante de tout âge, semble lui être étranger ; cela
donne à réfléchir!
En fin de texte d’accès
direct à CLIC,
la liste des références des articles de René Alise, et un bref commentaire, HC.
Henri Charcosset, henri.charcosset@neuf.fr
, autobiographie à CLIC
TEXTE DE René ALISE
En 2007, j’ai écrit sur « Le grand
âge, le corps et le yoga ». En 2009 c’est la malvoyance par DMLA qui m’a
conduit à rédiger un autre article à l’âge de 86 ans.
Aujourd’hui, dans ma 95 ème année, je réitère mon témoignage sur le sujet qui est
mon expérience même : le
vieillissement.
Tout d’abord depuis 2015, j’ai pris la
décision de quitter mon appartement pour aller vivre dans une Maison d’Accueil.
En effet, à la veille de mes 91 ans j’ai
eu un malaise, dit vagal, sur la voie publique, suite à une dépense d’énergie
trop importante lors d’une journée particulièrement chargée, et dans laquelle
je m’étais beaucoup investi. Lors de l’hospitalisation qui a suivie, le bilan
indiquait que j’étais en excellente santé. Je peux néanmoins dire, que ce jour
a marqué pour moi une prise de conscience de mon âge et de ses limites,
accompagnée d’une certaine perte de confiance en mes capacités.
Psychologiquement le mal était fait. Il fallait que je me calme !
Peu à peu, les tâches quotidiennes se sont
mises à me peser : le ménage, les courses, la préparation des repas. J’ai
donc pris la décision à l’âge de 93 ans de rentrer dans une Maison d’Accueil
pour personnes valides.
Je peux dire maintenant qu’il convient de
bien se connaître, et de faire selon ses possibilités physiques du moment. Celles-ci diminuant, la vigilance est très
importante pour éviter chute ou autres désagréments.
Ma vie d’aujourd’hui dans le cadre de la
Maison d’Accueil est donc différente.
Le matin est comme un très long réveil,
qui me conduit à me reposer dans un fauteuil après une nuit généralement
correcte et calme. Auparavant, il y a le moment de la toilette, des exercices
physiques d’abord allongé sur le lit puis les mains appuyées sur un
support : mouvements des jambes, des bras, des doigts, étirements dans la
douceur et la progressivité jusqu’à toucher les pieds avec les mains,
mouvements du bassin, le tout accompagné de respirations profondes.
Le petit déjeuner est alors un bon moment,
je pourrais même dire qu’il est le repas que j’apprécie le plus. Je m’y nourris
assez solidement : une banane, un yaourt, du pain avec de la confiture et
parfois du beurre, le tout arrosé d’un thé.
Je constate que pour la matinée je ne peux
rien faire de plus.
C’est donc dans le fauteuil, que mon
esprit plonge dans un état de douce rêverie, et fait ressurgir des souvenirs,
la plupart anciens, sur mon enfance, ma famille ou mes amis, ma vie
professionnelle…
A midi, c’est l’heure du déjeuner dans la
salle à manger commune ; des discussions s’engagent avec les autres
résidents, tandis que je veille à manger modérément.
L’après-midi commence par une sieste, puis
la lecture d’articles de journaux par une amie bienveillante. Une fois par
semaine un lecteur me rend visite pour une heure de discussion à bâtons rompus
et une heure de lecture d’articles que j’ai sélectionnés.
Je conserve la pratique d’une promenade
quotidienne, d’une trentaine de minutes au moins, le plus souvent dans le parc
de la Maison.
J’écoute les informations à la radio, deux
à trois fois par jour, même si, désormais, les résultats sportifs m’intéressent moins. Ce programme peut être
revu à la baisse ou à la hausse selon les jours !
Ma nouvelle vie, dans ce lieu privilégié
et protégé, me permet de couler une existence sans souci et sans crainte.
Je m’éloigne donc peu à peu des
contingences concrètes et administratives de la vie ordinaire.
La vie extérieure, même s’il faut
relativiser, a désormais moins d’importance pour moi. Il y a une forme de
détachement par rapport à mes activités
d’autrefois. J’irais même jusqu’à l’idée d’une forme de
dématérialisation des choses et des gens : par exemple j’oublie le
visage, la physionomie des personnes que j’ai connues, je n’ai plus d’attrait pour
suivre « mes affaires », l’intérêt diminue. C’est en ce sens, que
l’on peut dire que la vie est bien faite. Le désengagement et l’abandon
progressifs, le retour sur soi en dehors de tout égo, me préparent à l’issue fatale de la vie.
Le silence m’est nécessaire. Pour
récupérer d’un effort, qu’il soit celui d’une conversation, d’une lecture par
un tiers, d’une promenade… Le silence est une manière de me ressourcer.
La grâce m’a été donnée d’avoir une
excellente santé, sans maladies fonctionnelles ou organiques. L’absence de
douleurs ou d’affections m’évite d’avoir les pensées, et donc le mental, captés
par un présent
ou un avenir soucieux de ma santé. Cela aide grandement à rester ouvert aux
autres. Pas de médicaments à prendre, à
l’exception d’un demi-comprimé le soir qui aide à m’endormir.
Je vois, à cette bonne santé, deux raisons
essentielles. La première me vient de mes parents, qui m’ont donné un bon
capital génétique, un cadeau inestimable. A titre d’exemple, mon métabolisme
est d’une grande stabilité dans le temps : tension artérielle stable à
12.5/7, poids sans grande variation, pas de diabète, rhumatismes ou autres
maladies chroniques et invalidantes.
La deuxième raison, plus personnelle, a
été la pratique quotidienne du yoga pendant plus de 50 ans, accompagnée d’une
alimentation la plus végétarienne possible, donc douce. Grâce à une colonne
vertébrale encore en bon état, mon corps est resté droit, je suis à l’aise dans
les mouvements, les déplacements, le franchissement des obstacles, en un mot
j’ai une facilité à me mouvoir dans l’espace. Le travail sur le corps, le
souffle, et l’esprit m’a amené une détente de l’ensemble de mon être.
D’une part, je me meus avec naturel, ce qui évite les crispations dues à la
peur de tomber, et d’autre part, mes pensées ne s’agrippent pas aux choses
désagréables de la vie, ce qui évite le
néfaste ressassement. Cette discipline à laquelle je me suis adonné a tout délié, corps
et esprit, et cela reste ainsi pour le moment.
C’est un lieu commun de dire que l’on perd
la mémoire en vieillissant. En réalité la mémoire sélectionne en fonction des
différents paramètres personnels. Pour les uns, c’est avant tout de vouloir
retenir essentiellement les bons moments. Pour les autres ce sera de revoir le
film de sa vie toutes images confondues ou de
ne voir que les mauvaises choses. Quoi qu’il en soit, apparaît au
travers de ce processus le reflet de sa nature profonde, le pessimisme ou le
contentement de vivre malgré les inévitables aléas de la vie.
Tout ce que j’exprime dans ce texte n’est
que ma propre expérience du vieillissement, la résultante de la manière dont
j’ai vécu avec ce qui m’a été donné au départ.
Je n’échappe pas au lot commun des
dégradations dues à l’âge : diminution des capacités physiques, des forces, de
l’ouïe, de la vue (je suis particulièrement gêné par une DMLA depuis une bonne
dizaine d’années), ralentissement des
fonctions vitales, in fine, dégradation du corps tout entier.
Mais la vie intérieure s’intensifie et
s’approfondit grâce à une plus grande disponibilité de temps et d’esprit. Il y a moins de dispersion, de bruit,
d’occupations. Les grands voyages ou les déplacements sont finis. Le rythme de
la vie ralentit et la part sociale s’amenuise. Ce sont les autres qui viennent
à moi, ma famille, un noyau d’amis fidèles,
et c’est toujours un grand plaisir de les recevoir.
La pensée de la mort m’apparait
inévitablement dans les moments de basses eaux. Je me dis
« Allons-y !» ou « Je suis au bout du rouleau ! ».
Mais c’est naturel, c’est ma trajectoire, ma destinée. Il n’y a pas de révolte.
Je suis dans le présent de ma vie, sans supposition d’un autre destin que
j’aurais pu avoir, ce qui perturberait le temps de ma vieillesse.
L’au-delà ne me tient pas en souci. Jamais
personne n’est revenu nous dire comment les choses se passent ! Il n’y a
pas de vérité qui s’impose au travers des religions et des philosophies.
Comme beaucoup, je souhaite seulement une
mort douce !
René ALISE – Septembre 2017
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REFERENCES ET COURT
COMMENTAIRE
Références
Alise
René (2004), Yoga et vieillissement avec handicap
Alise René (2006), En Atelier
d’écriture l’imagination se débride
Alise René (2007), Grand âge, corps et yoga
Alise René (2009), La Malvoyance par
dégénérescence maculaire liée à l’âge, D.M.L.A..
Témoignage
Alise René 2009), Souvenirs de ma jeunesse à Lyon. La catastrophe
de Fourvière en 1930, avec 40 morts
Alise René (2009), A 85 ans passés,
malvoyant, vivant seul. Rester dans le bain malgré tout
°°°°
L’article qui suit est par Dominique, une des deux filles de René
Alise Dominique (2012), Le tai-chi chuan, pratique de longue vie
Court commentaire de Henri Charcosset,
webmestre de ce site
Une question qui me
taraude l’esprit concerne l’analyse que tu peux faire du partage de ta vie de seul résident
homme,
avec
trente-cinq résidentes très âgées, dans votre Maison d’Accueil. Je ne serais pas surpris que ta compagnie amicale
soit très
recherchée,
et pas non plus que tu mettes un point d’honneur à illustrer que l’homme aussi
peut atteindre ses cent ans dans les meilleures
dispositions physiques
et psychologiques !
Sans avoir l’air de rien,
tu mérites, avec de trop rares vieillards de faire école !