XVI Cambronne-Desvignes  Chantal (2015), Histoires d’amour. XIII. Se dire, se raconter, toute une aventure 

Juillet 2015

chantal.cambronne@orange.fr 

Se dire, se raconter, toute une aventure

Très tôt, j’ai eu envie de connaître la vie des gens.  Ainsi, enfant, j’étais déjà fascinée par le « née Rostopchine » qui suivait toujours, dans mes lectures préférées, le beau nom de l’auteur « Madame la Comtesse de Ségur. »  Je me demandais si cette noble dame avait eu comme parent ce fameux général Dourakine de « l’Auberge de l’Ange gardien » cet ogre à la fois terrible et généreux, si elle avait été une princesse russe dans sa jeunesse, avant de rencontrer ce comte français dont elle portait le nom et si elle gardait, au fond du cœur,  la nostalgie des immenses plaines de son pays d’origine. Ces simples noms sur la première page faisaient vagabonder mon imagination autant que les aventures de Sophie, ou les malheurs du pauvre Torchonnet.

Ma première vraie rencontre avec le récit autobiographique, je l’ai faite plus tard,

 

vers l’âge de 18 ans. Une jeune néo-Zélandaise, venue faire ses études en Angleterre contracte la poliomyélite lors d’une escale en Egypte et raconte dans un livre dont je n’ai jamais oublié le titre : « Ressuscitée d’entre les morts » les étapes de sa lutte contre la maladie, et elle le fait d’une façon très vivante, avec simplicité, naturel et humour. C’était comme si c’était à moi qu’elle s’adressait et ce récit a été, tout au long de ma vie, un encouragement dans les moments difficiles. Je me disais alors que, comme elle, je m’en sortirais, l’histoire, mon histoire, se terminerait bien.

C’est peut-être dans cette perspective, pour me raccrocher à la vie,  que j’ai écrit mon premier texte. Du moins la première version de ce texte que j’ai tout de suite appelé: « la maison abandonnée » J’avais tout juste 30 ans à l’époque et on ne peut pas dire que je nageais dans le bonheur : dans mon couple, je me sentais prisonnière, je n’étais pas libre de mes mouvements, incapable même de penser et j’étais très malheureuse, sans oser l’avouer à qui que ce soit, pas même à moi, ce qui est peut-être encore pire.

Mes deux premiers enfants avaient alors 2 et 4 ans, et, le seul moment de la journée où j’osais un peu respirer, c’était, comme je ne devais jamais m’éloigner longtemps, lorsque je les emmenais promener près de la maison.

 

J’ai eu envie de raconter ce trajet quasi quotidien, toujours le même, avec ses rites, la rencontre d’un vieil homme qui me faisait peur, la longue halte devant une toute petite maison inoccupée depuis longtemps et à propos de laquelle j’inventais une histoire. Comme le dessin avait été aussi un de mes rêves, j’ai voulu aussi illustrer ce texte, mais mes médiocres essais sont partis bien vite à la poubelle et j’ai abandonné la partie.

Quelques années plus tard, vers la quarantaine, à la suite d’une conversation avec des personnes quasi inconnues, j’ai compris que l’écriture allait être vitale pour moi, même si j’écrivais encore peu, faute de véritable disponibilité. Je saisissais les occasions qui se présentaient. Ainsi, comme un concours de nouvelles avait lieu dans mon quartier, j’ai retravaillé « la maison abandonnée » et j’ai obtenu le premier prix. Encouragée par ce succès, j’ai commencé à écrire des petites histoires pour enfants. Et j’ai décidé d’écrire tout bonnement  des petits faits de mon quotidien familial. L’idée m’est venue que chaque histoire pouvait être racontée par un de mes quatre enfants, qui en serait donc le héros.

 Les sujets me venaient très facilement : la visite du médecin à la maison, la venue de la grand-mère, une promenade en montagne, le passage des saisons…

 

d’une écriture très plaisante, pas vraiment difficile. Dès qu’un texte était écrit, je le lisais aux enfants qui étaient donc mon premier public, et ils étaient ravis : c’était un moment de connivence entre nous.

Quand j’ai eu une dizaine de textes, je les ai envoyés à un éditeur à qui ils ont plu, mais qui ne les a pas publiés pour autant.

Et puis la retraite est arrivée, retraite que j’ai eu la chance de pouvoir prendre tôt (je n’avais que 56 ans) .Je venais de terminer une psychanalyse, j’avais du temps. Mais surtout, je venais de faire deux rencontres décisives : une avec un jeune éditeur qui cherchait des textes et a publié les miens dans une revue littéraire (Le Bord de l’Eau), une autre avec l’Association pour l’Autobiographie. Je savais, car c’était le principe même de l’association, que j’aurai des lecteurs, et, cette fois, au-delà du cercle familial. J’ai donc continué à écrire des textes courts, évoquant des moments clés de ma vie,  des temps forts, ou des souvenirs d’enfance, des douleurs gardées secrètes longtemps. C’était en effet une évidence pour moi que je ne savais pas inventer, créer des personnages, des situations différentes de celles que je vivais. Je mettais parfois plusieurs mois pour écrire un texte de quatre pages. Mais je ne peux renier aucun de ces textes,

ils sont peut-être les meilleurs, les plus forts que j’aie jamais écrits.

 

J’ai su tout de suite que raconter des événements d’une façon linéaire :

je suis née le…après une enfance comme ci… j’ai vécu dix ans à de telle manière… n’avait  pas vraiment d’intérêt. En tout cas pas pour moi, ce n’était pas ce que je voulais. Je pensais plutôt par thèmes : l’amour, la solitude, l’internat. Ce que j’avais à écrire s’imposait à moi, exactement comme cela se passe pour les auteurs de fiction. Ce que je voulais avant tout, c’était retrouver ce que  j’ éprouvais , avec  les mots justes, rester toujours dans la simplicité, la nudité. Et cela c’est très difficile.  Il y a des textes que j’ai  recommencé je ne sais combien de fois. Alors que j’étais sûre d’être lue, c’était tout aussi évident pour moi que, exactement comme si j’écrivais des œuvres de fiction, je devais être encore plus exigeante, je ne devais pas décevoir les lecteurs. Je crois que j’ai aussi très vite réalisé qu’il n’y a pas de différence entre l’écriture autobiographique et toute autre écriture. C’est bien une création, une recréation de ce qui a été vécu à un moment donné. Et cette création peut prendre des formes très différentes. Ainsi j’ai adopté celle des essais (Le Chahut) des poèmes (la solitude, mes jardins) des romans (Habib) de la correspondance fictive (Les lettres d’Estelle), des nouvelles (tout le recueil Histoires d’amour par exemple).

Alors que tout le monde me décourageait — c’est un genre difficile,

 peu apprécié en France —

J’ai commencé par les nouvelles.

Au bout de quelque temps, l’éditeur qui les publiait m’a conseillé d’écrire des textes longs. Le démarrage du premier, que j’ai tout de suite appelé « L’absence » a été difficile : je voulais dire ce qu’avait représenté la mort de mon père dans mon enfance et mon adolescence. Mais, dans ma première tentative, je mélangeais mes impressions d’enfant et le regard adulte que je projetais sur mes souvenirs. La critique de mon premier lecteur, mon compagnon d’alors, a été impitoyable et j’ai compris alors mon erreur. Il me fallait trouver un point de vue qui rende le récit cohérent, et m’y tenir. J’ai alors eu l’idée de partir des trois jours qui avaient précédé mon entrée en pension à la Légion d’honneur. Cette petite part de fiction m’a permis d’introduire les faits, les sentiments marquants de mon enfance en restant fixée à l’âge que j’avais alors (11 ans) et cela a été beaucoup plus facile. Je me suis aperçue aussi que prendre quelques libertés avec la réalité n’enlevait aucunement le caractère autobiographique du texte.

C’était plutôt une béquille qui permettait d’aller à l’essentiel.

 Plus tard, lorsque j’ai entrepris d’évoquer mes années d’internat, j’ai choisi la classe de troisième qui a été une classe charnière, à travailler comme ma mère et mes profs voulaient que je travaille,

j’ai résisté pendant des mois, par la seule force d’inertie, à une demande  absurde de ma mère . 

Et j’ai placé dans cette année des faits qui ont eu lieu plus tard, mais qui auraient pu aussi bien se passer cette année- là. J’avais compris aussi que je devais trouver une entrée qui justifie mon récit. J’ai donc imaginé que je tenais « Un journal dans la tête » pour ne pas laisser de trace (nous étions très surveillées et n’avions aucun espace d’intimité) et ce procédé me permettait de rendre plus vivants les moments que je voulais décrire.

Durant toutes ces années, je me suis rendu compte aussi, et cela a été une découverte extraordinaire que l’écriture n’isole pas, bien au contraire. J’ai beaucoup échangé avec des lecteurs, avec d’autres écrivains, j’ai été amenée à faire des conférences, à participer à des Rencontres (colloques de l’Autobiographie, du CIEN, une association regroupant des enseignants et des psychanalystes, Salons du Livre…)

Parallèlement pendant plus de 10 ans, j’ai collaboré, comme critique littéraire, à une revue de littérature de jeunesse (Nous voulons lire).

C’était un travail passionnant, un lieu de rencontre aussi avec d’autres critiques.

 Je n’avais aucune formation pour cela, mais je m’y suis mise très vite. Et je crois même pouvoir dire que ces deux formes d’écriture se complétaient,

se rejoignaient : je créais une certaine distance par rapport au vécu dans mes textes autobiographiques (je ne disais pas tout par exemple) et, inversement, mes textes critiques étaient toujours très personnels, on aurait pu les reconnaître même sans ma signature.

Pour finir, j’ai envie, pour mieux montrer le cheminement de l’écriture à la vie et de la vie à l’écriture, d’évoquer l’histoire de « La maison abandonnée » mon premier texte et celui qui m’a accompagnée pendant des années. Dans ma première version, j’avais imaginé un happy end : à la fin de l’histoire : je faisais toujours la même promenade, mais cette fois, j’avais un troisième enfant et je souriais. Plus tard, pour le concours dont j’ai parlé, je n’ai plus voulu tricher et j’ai réécrit certains passages du texte : le vieil homme, comme dans la réalité, n’avait plus rien de sympathique, et l’histoire, jusqu’au bout, restait dans la tonalité de la tristesse.

 Pour la publication dans la revue du Bord de l’Eau, j’ai encore apporté des modifications.

Et puis le temps a passé. A 67 ans, je me suis lancée dans le théâtre.

 Et j’ai eu la chance d’avoir un excellent professeur en la personne de Geneviève. A un moment donné, j’ai eu envie qu’elle mette en scène ce texte, et elle a accepté.

 Je l’ai alors réécrit encore une fois dans l’optique d’un spectacle, et la mise en scène de Geneviève a été très inventive. « La maison abandonnée » a été jouée pour la première fois dans une maison de retraite et a suscité chez les spectateurs une grande émotion. Un peu plus tard, alors que l’Association pour l’Autobiographie avait retenu pour ses Journées le thème « Le rêve », j’ai pensé que je pourrais reprendre la mise en scène de ce texte et je l’ai donc proposé. Il y a eu beaucoup de résistance (sans doute parce que je n‘étais pas une vraie professionnelle) mais finalement l’idée a été retenue et j’ai joué devant une cinquantaine de personnes. Fiasco total ! Le local habituel n’étant pas disponible, j’ai joué sous un chapiteau avec une acoustique déplorable, et le micro censé faire porter ma voix ne tenait pas en place. Et, comble de malchance, alors qu’un débat devait suivre, tout le monde est parti très vite car il faisait un froid épouvantable.

Cela dit, une partie des spectateurs a beaucoup aimé et surtout, je suis repartie avec une interprétation de mon texte que je n’aurais jamais imaginée :

cette maison abandonnée, me disait-on, me représentait symboliquement,

abandonnée, que j’étais dans ma désolation et ma solitude.

Je le savais déjà, mais cette fois, je l’ai compris vraiment : le texte une fois écrit, appartient au lecteur.

Il en fait l’interprétation qui lui convient, qui correspond à ce qu’il vit. Et c’est vrai que la maison, maison d’enfance, maison réelle ou maison rêvée, est un des thèmes essentiels de la vie. Finalement je suis repartie enrichie de cette façon de voir et cela m’a grandement aidée à accepter le relatif échec de la représentation.

Plus tard j’ai participé à l’écriture d’un roman collectif, avec 5 personnes que je ne connaissais pas auparavant.

 Nous avions un certain nombre de règles à respecter, des lieux imposés pour les différentes scènes, et chacune (nous n’étions que des femmes ) était responsable d’un personnage. Ce qui était intéressant, c’est que notre manager, celui qui avait eu l’idée de ce roman à plusieurs voix confiait la rédaction de chaque chapitre tantôt à une seule fille, tantôt  à un binôme à chaque fois différent.

 

Cela a été un travail passionnant car à chaque fois, il y a avait un travail d’adaptation à la personne avec qui on écrivait.

 

Et cette rencontre a été, à chaque fois, quelque chose de formidable, une marche l’une vers l’autre. Le texte final adopté n’était pas un compromis, mais vraiment un nouveau texte, né de la rencontre.

A la fin, le roman certes était plein d’imperfections, mais formidable de vie, pétillant et réjouissant à souhait.

Je me suis rendu compte alors que la vie et l’écriture n’étaient pas des choses séparées, qu’on pouvait aller, sans arrêt, dans une sorte d’enrichissement mutuel  de l’une à l’autre, de la vie à l’écriture et de l’écriture à la vie.

Aujourd’hui j’écris moins, mais comment dire, l’écriture, cette forme d’écriture là, très personnelle, m’a permis de prendre conscience que, comme dans un tricot les fils gris, les fils noirs des moments difficiles peuvent se marier avec les fils colorés des moments heureux et créer pour finir, un bel ouvrage dont on n’a pas à rougir. Et je suis bien contente d’avoir pu faire cette découverte- là.