II Cambronne- Desvignes  Chantal(2009), Le rêve dans tous ses états : aperçu, témoignage, perspectives

Suivi d’échanges avec Henri Charcosset, webmestre

Janvier 2009

Tout le monde rêve, même les personnes qui disent qu’elles ne rêvent pas. Les lignes qui suivent ne prétendent pas être un traité sur le Rêve, simplement quelques réflexions sur cette activité humaine, nourrie par l’expérience personnelle et quelques lectures.

Comme tous les mammifères supérieurs, nous rêvons pendant notre sommeil, mais nous rêvons aussi les yeux grands ouverts, quand nous sommes bien réveillés, et ce jusqu’à la fin de notre vie.

Les rêves de la nuit.

Les rêves de la nuit ne sont pas une construction — la construction vient plus tard, lors de l’interprétation du rêve — mais une succession d’images, non reliées entre elles.

Dans les civilisations anciennes, on attachait une grande importance aux rêves des personnages importants, et ces rêves ne pouvaient être interprétés que par des spécialistes, des prêtres, des devins.

Plus récemment, les psychanalystes ont cherché à décrypter le sens des rêves de leurs patients. Les poètes surréalistes aussi ont accordé une grande importance

aux rêves comme manifestations de l’inconscient, allant jusqu’à inventer des                rêves ou des jeux permettant une expression spontanée

(l’écriture automatique par exemple).

Aujourd’hui le rêve n’est plus seulement le domaine des spécialistes et chacun               peut, à sa guise, interpréter ses propres rêves, y voir, selon les cas, un avertissement (rêves prémonitoires) un reflet des préoccupations du moment,               un moyen d’évacuer des souvenirs douloureux ou traumatisants.

Le  rêve apparaît dans ce temps du sommeil qu’on appelle le sommeil paradoxal. C’est un temps court, qui précède le réveil.

Certaines personnes disent qu’elles ne se souviennent pas de leurs rêves et peuvent en ressentir une frustration. Qu’elles ne s’inquiètent pas : il leur reste tant d’autres rêves possibles !

Les rêves du jour.

Nous en faisons tous, de notre naissance à notre mort, cela fait partie de                               la nature humaine.

Il y a plusieurs sortes de rêves :

n  les rêves qui sont universels, qu’on retrouve dans toutes les civilisations          et à toutes les époques : rêve d’immortalité, rêve d’un bel avenir pour les enfants,  rêve de réussite, de gloire, d’amour… 

n  les rêves liés à une époque, à un groupe : aujourd’hui, rêve d’une planète propre, d’un monde qui ne soit plus régi par la Bourse, l’argent… 

n   les rêves personnels. Certains de ces rêves n’ont que l’apparence de rêves personnels. C’est particulièrement net aujourd’hui, où des rêves clef en mains nous sont imposés de l’extérieur par la publicité,   les médias (la minceur, la plage sous les palmiers dans une île paradisiaque)

 

Souvent ces rêves ne sont que des visions vagues, évanescentes. Mais, à côté de ces rêves-là, il y a les désirs profonds et  il arrive que ces rêves-là se concrétisent, deviennent réalité.

Comment ce passage est-il possible ?

-       en donnant des contours précis au rêve, en s’informant sur les moyens de               le réaliser (temps, financement, aides possibles…)

-       en se donnant une formation, en se faisant aider par des personnes compétentes, ou ayant suivi le même chemin

-       en cessant de se cramponner à une image idyllique (le médecin soigne            plus souvent des angines que des maladies rares, le grand amour                             ne se vit pas perpétuellement dans l’extase d’une harmonie parfaite…)

-       en faisant preuve de patience, de persévérance (on peut en ce moment penser à Françoise Dolto par exemple) en se donnant du mal (aucun rêve ne tombe tout fait du ciel, même les plus humbles) en acceptant de marcher à son rythme, étape par étape

-       en ne se laissant pas décourager, impressionner par des avis contraires               (c’est trop dur pour toi, tu n’auras pas la force, …)

Dans ce chemin vers la réalisation d’un de ces désirs profonds,                           il n’y a pas que des épines.

 Lorsque la motivation est là, on se découvre des dons qu’on ne pensait pas                avoir (ainsi le timide va avoir des audaces folles, l’apprenti comédien, qui se croyait incapable de retenir trois phrases,  récite des tirades entières…)

On peut aussi réutiliser, réinvestir dans le domaine choisi, des compétences acquises ailleurs, à un autre moment  (le sens de l’organisation,

 la capacité à faire face à une situation inattendue par exemple, une certaine culture)

Et surtout on peut éprouver du plaisir dès le début, même au sein des difficultés, puis au fur à mesure des progrès.

 

Conclusion : le rêve et la vie, la vie et le rêve.

Il n’y a pas de vie qui ne soit née d’un rêve. Je pense à tous ces rêves qu’on dit utopiques, mais qui, même réalisés seulement partiellement,  ont permis à l’humanité de progresser : rêves de guérir des maladies, de voler, de communiquer à des milliers de kilomètres de distance, de créer des protections sociales, de faire travailler ensemble des ennemis…

Et puis il y a aussi les rêves pour le plaisir, qui ne demandent pas vraiment à être réalisés. Ces rêves-là nous sont offerts quotidiennement par des livres, des films, un défilé de mode, un spectacle de rue, une chanson, un beau paysage,  les richesses des musées, parfois uns simple conversation.On peut dire que, sans cesse, le rêve nourrit la vie, et que la vie nourrit le rêve.

L’un ne va pas sans l’autre, et c’est bien ainsi.

Chantal Cambronne, novembre 2008

 

Questions de  Henri Charcosset (webmestre). Réponses de Chantal Cambronne.

H.C : Sous le terme général de « Rêves », tu parais rassembler un certain nombre de termes : rêve, rêverie, rêvasserie, fantasmes,

 

 

et tu dois pouvoir en rajouter. Dans le fond, on passerait sa vie à rêver ? Y compris et surtout peut-être quand on pense ne pas le faire ? Quels termes opposerais-tu à rêve ?

Ch.C : C’est difficile de répondre à cette question. Ce qui me plaît dans ce mot de « rêves  » c’est justement qu’il est très riche, qu’on ne peut s’en tenir à une seule de ses significations, ne l’explorer que par un de ses aspects. Le rêve n’est pas un domaine réservé aux astrologues, aux psychanalystes ou aux poètes… Nous rêvons tous, d’une façon ou d’une autre. Et même, je n’hésite pas à dire que ceux qui pensent être « réalistes » «  pragmatistes »  sont aussi des rêveurs. Ainsi, au moment où se dessinent de très importantes migrations, penser et décider que l’on va pouvoir « choisir » parmi les migrants à accueillir est, à mon avis, non seulement une atteinte à la libre circulation des hommes, mais un rêve complètement opposé à ce que sera la réalité de demain. Inversement, comme je l’ai déjà dit, toute avancée réelle de l’humanité vers plus de justice, de paix, d’harmonie, a toujours été précédée et accompagnée de grands rêves.

Je renonce à donner des mots qui s’opposeraient à « rêve » : ils sont trop nombreux, chacun d’eux ne correspondant qu’à un des sens de ce mot.

 

H.C. : Peux-tu nous parler de tes rêves nocturnes, pendant le sommeil ? Tes premiers souvenirs remontent à quelle période de ta vie ? Comment la teneur de tes rêves a-t-elle évolué depuis lors et jusqu’à présent ? Moi-même je ne me suis jamais bien souvenu de mes rêves de la nuit. Mais ce souvenir est devenu récemment plus net. Il s’agit le plus souvent, dans un rapport très approximatif à la réalité du moment, de faits ponctuels de ma vie professionnelle au CNRS (arrêtée en 1989) influencée par mon handicap physique.

 

 

Tes difficultés de relation avec tes élèves  ( cf Le Chahut) se manifestent-elles encore dans tes rêves ?

Ch.C J’ai toujours beaucoup rêvé. Dans mon enfance je rêvais souvent que je m’envolais. Ou plus exactement je nageais dans l’espace à peut-être un mètre du sol, et j’avais une formidable impression de liberté. Il paraît que ce genre de rêve peut s’interpréter comme un désir de l’enfant de grandir, d’être autonome. Ce qui m’amuse, c’est que, aujourd’hui encore, je rêve que je m’envole, mais cette fois, je suis reliée à un avion par une corde, je vole au-dessus des maisons, et j’éprouve une légère angoisse devant la précarité de ma situation, puisque je peux lâcher prise d’une seconde à l’autre. Mes rêves, d’une façon générale, ont évolué au cours de ma vie. Ainsi, les premières années après mon divorce je rêvais que j’étais revenue vers mon mari, et c’était épouvantable parce que je ne voyais pas comment je pourrais à nouveau le quitter. Bien sûr, il m’arrive encore, et même très souvent de rêver de l’école. Parfois les élèves ne veulent pas entrer dans la classe ou s’en vont tous le uns après les autres. Le plus souvent, en lien sans doute avec le fait que je suis en retraite, je rêve plutôt que je n’ai pas donné de devoirs alors que la fin du trimestre approche, ou encore que je ne sais plus dans quelle salle je dois faire cours.

 En tout cas, ce n’est jamais vraiment ma réalité (l’absence d’autorité) mais toujours des situations  que je n’ai jamais vécues. Ce qui reste c’est sans doute, au fond de moi, quelque chose de l’angoisse éprouvée chaque matin pendant des années.

Il me semble que le rêve a forcément un rapport avec le vécu, ce dont tu fais l’expérience toi aussi.

 

 

H.C. Si l’on prend maintenant le mot rêve à son sens général, à quoi rêves-tu ? Que souhaites-tu de mieux pour toi, pour la période qui va te conduire jusqu’à la fin de ta vie ? Moi- même, j’avoue être un peu obnubilé par l’idée de pouvoir, savoir bien mourir, être un petit peu leçon de vie jusqu’au bout, mourir vivant en somme (je n’en suis pas, par contre, à une décennie près de durée de vie.) Il m’arrive de m’imaginer mourir, un ordinateur portable à commande vocale en mains, pour modestement continuer à communiquer de ci de là… et pourquoi pas, entre autres, avec toi, vu que les femmes ont une espérance de vie supérieure.

Ch.C Aujourd’hui j’ai des rêves à la fois énormes et modestes. Moi aussi je veux mourir vivante, c’est à dire jusqu’au bout m’enthousiasmer, rire et pleurer, vibrer, aimer, échanger, continuer à faire du théâtre. J’aimerais aussi, bien sûr, garder toute ma tête, ne pas avoir trop de problèmes de santé. Mais malgré tout, même ces handicaps qui surviennent en fin de vie, je n’en ai pas trop peur, peut-être parce que j’ai vu plusieurs de mes proches, ma mère, deux de mes tantes, fort bien s’adapter à leurs petites misères physiques (incontinence, déplacements réduits, dépendance) et vivre encore des moments heureux.

 Ainsi ma mère est tombée amoureuse à 90 ans et elle parlait de son amoureux comme une jeune fille de 18 ans (quelle robe je dois mettre pour lui plaire ?… il vient s’asseoir à côté de moi à tel atelier, tu sais, il a beaucoup d’allure… je crois que je lui plais moi aussi). Une de mes amies aussi qui a 95 ans, quasi aveugle, garde toujours la passion de la vie. Alors, pourquoi pas moi ?