Denise
BIEHLER 1921-2010. POLIO EN 1942. ASSISTANTE SOCIALE AS, PUIS KINESITHERAPEUTE,
PUIS DE NOUVEAU AS
Maria NOURY-BACHELET,
Henri CHARCOSSET, et autres Ami(e)s de Denise
Pour
contacts : henri.charcosset@neuf.fr
Introduction
Cet hommage tout simple à Denise Biehler commence par le Faire part de son décès, qu’elle avait fait diffuser….en
prenant soin de le faire placer sous
enveloppe sans nom d’expéditeur à l’arrière.
Maria Noury-Bachelet a rencontré Denise en
1948. Elle fait partie des nombreux patients dont Denise s’est occupé, au cours
de ses fonctions. La lettre, précieusement conservée par Maria, que Denise Biehler lui a adressée le 15 septembre 1963 et reproduite ci-après, revêt un intérêt
particulier.
Avec moi-même, HC, nous changeons d’époque de la vie de Denise.
Notre contact remonte au début des
années 1990, dans le contexte d’un bénévolat social partagé. Je reproduis le témoignage publié par Denise en
1993, sur la présentation et l’analyse de son parcours de vie, dans l’optique
de l’insertion professionnelle des jeunes handicapés.
Notre contact amical s’est poursuivi par la suite. Je reproduis à titre
d’exemple, un message daté du 15 mai 2008. Il suffit à illustrer l’esprit
de battante face aux difficultés de la
vie, que Denise a su conserver jusqu’au terme de son existence.
Message de Maria Noury-Bachelet , Septembre 2011
J’ai rencontré Denise Biehler en 1948. Denise a posé son regard sur une fillette
sortie de son petit village de 300 habitants, et qui arrivait à « La
Roseraie », centre APF d’Aix les Bains. J’étais alors bien fragile et,
dans le même temps, je sentais bouillonner en moi une vie intense. Vers quelle
direction aller ? La polio s’accrochait à moi et j’essayais vaillamment
d’assumer. Rien n’était consolidé.
C’est alors que cette
rencontre avec Denise cimente cette personnalité. Je la regardais. Elle me
sécurisait. Elle implanta en moi le désir de construire la vie, non pas ma vie
mais la vie avec les autres. J’admirais la façon dont elle abordait le menu
quotidien, la façon qu’elle avait de s’habiller !, la façon dont elle
gérait sa relation aux autres (à ses yeux, on avait de l’importance). Il me
semblait qu’elle considérait plus son handicap comme une force : il
fallait faire avec…ne pas minimiser, gérer…
Elle devint ma
référence. J’envoie vers Denise un gros paquet d’affection, de remerciements.
Je suis devenue une « grand-maman » et elle reste mon modèle. Merci
Denise !
Lettre de Denise Biehler à Maria Noury-Bachelet , 15 septembre
1963
Giens, 15 septembre 63
Ma chère petite Maria,
Qui croirait que votre
message m’a tant réchauffé l’âme ? … L’avoir laissé si longtemps sans
réponse ! Est-ce pardonnable ? Oui, parce que ma vie est si
totalement remplie et mes loisirs si brefs, et je suis si lasse le soir,
lorsque je regagne enfin mon logis !
Mon Dieu, quelle
merveilleuse surprise à la lecture de votre lette ! Je n’avais rien deviné
en lisant la première. Avouez que je manque de perspicacité ! J’ai lu et
relu votre lettre avec émerveillement. Quelle réussite, ma petite Maria !
Vous avez bien mérité ce destin que l’on pouvait vous souhaiter lorsqu’à l’aube
de votre vie, vous partiez handicapée, mais vaillante et volontaire quoique
toute douceur et modestie. Vous avez un rôle merveilleux auprès de jeunes
garçons que vous comprenez mieux que quiconque, vous avez un mari qui vous aime
et vous comprend et vous avez peut-être aussi depuis
quelques jours un adorable petit bébé bien à vous. A lui vous allez pouvoir
donner sans mesure tous ces trésors de tendresse qui sont en vous.
Je vous souhaite, ma
petite Maria, tout le bonheur que vous méritez. Comme il est regrettable que
tant de kilomètres nous séparent ! J’aimerais tant voir ma
si chère petite Maria penchée sur un berceau.
Depuis que j’ai votre
lettre entre les mains et que ces vieux liens impérissables se sont renoués, je
vous revois en pensées de plus en plus distinctement : vos traits
délicats, vos expressions et j’ai peine à imaginer ma petite fille maman.
Je suis heureuse,
Maria, de savoir ce que j’ai pu représenter pour vous, il y a près de 15 ans.
Je suis heureuse, Maria, si j’ai pu vous orienter, vous aider. Hélas ! Des
obstacles imprévus ont mis un terme à ce rôle que j’eus aimé remplir longtemps
auprès de ce petit groupe que vous étiez alors et qui a dû cruellement souffrir
de ces remous incompréhensibles pour des cœurs purs. Pour moi-même, se défaire d’(---) fut un déchirement. La plaie en est restée vive car
je vous aimais toutes et cette maison était ma vie.
Ici à Giens, j’ai
retrouvé des enfants, des adolescents, des petits polios aux cœurs purs, sevrés
de tendresse familiale, parfois angoissés par la perspective d’un avenir
périlleux. Hélas ! Le problème rééducation nous absorbe si complètement
qu’il reste peu de temps pour tout ce travail psychologique qui m’attire tant
cependant. Mais cela ne m’empêche pas de faire chaque soir des tournées (---)
qui sont pour moi le plus doux moment de la journée.
Ma petite Maria,
j’attends le faire-part de naissance. Je dis à votre mari toute ma sympathie et
vous embrasse tendrement.
D. Biehler
P.S. : N'hésitez
pas à m’écrire longuement. Toutes vos lettres seront les bienvenues. Et ne m’en
veuillez pas si les réponses sont si lentes à venir.
Contribution de Denise Biehler à un
article collectif paru en novembre 1993
Témoignages
d'anciens polios à propos de leur vie professionnelle avec essais de projection sur
l'avenir de l' insertion
Henri Charcosset. Denise Biehler.
Catherine
Cousergue.Bernard Gaudon.Raymond Morel.Gérard Richier.Paul
Siché
A la Biennale
Internationale Handi-Insertion, Novembre 1993, à Lyon
Web
Référence : temoignages_post-polios_profession.htm
Née en 1922.
J'ai donc 71 ans. J'ai contracté la poliomyélite à l’age
de 21 ans, alors que je faisais mes
études d'assistante sociale à Lyon : forme tétraplégique totale,
avec atteinte bulbaire sévère.
Après trois ans
de Rééducation intensive, qui a mobilisé toute mon énergie j'ai retrouvé une relative autonomie, tant pour la marche avec appareillage et cannes,
que pour les gestes essentiels de la vie .
J'ai donc décidé
de reprendre mes études d'Assistante Sociale. Ce fut une autre bataille :
la Direction de l'École n'y étant pas du tout favorable...et faisant tout pour
me décourager. Pendant ces deux années de lutte
pour suivre le rythme de ma promotion, mon tissu adipeux a fondu mais mes muscles surentraînés par l'effort permanent ont continué à
récupérer.
Malgré des séquelles encore sévères. j'ai pu néanmoins,
m'insérer professionnellement… il a fallu à
nouveau beaucoup batailler pour décrocher un poste... n'importe quel poste. Au début, il faut faire ses
preuves.
J'ai travaillé
une petite décennie dans une Administration, sans beaucoup d'enthousiasme, mon travail social y était limité et sans avenir. Mais je
m'assumais physiquement, matériellement. Compte-tenu de mon
handicap c'était bien ! Cela aurait pu me suffire...
Mais j'ai
préféré m'embarquer dans une autre voie...souhaitant depuis longtemps m'occuper d'enfants polios, j'ai préparé mon diplôme d'État de
Kinésithérapeute. Nouveau défi, difficultés pour me faire
accepter, car pour la plupart des Professeurs de l'École, je dévalorisais la Profession ; mais aide
précieuse, moralement, de personnes influentes connaissant
parfaitement mon passé, mes motivations, et ne doutant pas de mes possibilités.
Diplôme en poche, j'ai pu, en partie, réaliser mon Rêve : rééduquer des enfants handicapés, les remettre sur
pieds dans la mesure du possible, leur donner confiance en eux-mêmes par mon
seul exemple, bien concret, et les "mettre sur les rails" de la vie.
J'ai fait ce que j'ai pu avec amour et sans réserves.
La cinquantaine
sonnée, j'ai commencé à flancher physiquement : fatigue de plus en plus intense, et difficultés de
plus en plus grandes pour récupérer. Mais. au début,
sans dégradation significative de mon potentiel fonctionnel, ni effritement de
ma précieuse autonomie.
A la même
époque, les enfants polios disparaissant peu â peu des services grâce à la
vaccination, en étant remplacés progressivement par des enfants que je ne
pouvais plus assumer physiquement (IMC sévères ou pire
comas vigiles et profonds), j'ai décidé de reprendre mon premier métier d'Assistante Sociale, puisque je pouvais l'assumer en milieu
hospitalier et m'occuper de jeunes polios à un autre stade de leur existence : l'orientation. Ce furent de nouvelles années
bien remplies, efficaces, moins fatigantes physiquement, certes. mais le redevenant progressivement au fil des ans...
Vers l'âge de 57/58 ans, j'ai pu constater,
parallèlement à une intense fatigabilité une diminution de mes possibilités
fonctionnelles, focalisée dans certains muscles, qui, jusque-là n'avaient pas
flanché. Et, simultanément, des épisodes arthrosiques douloureux et invalidants
sont venus majorer mon handicap. Bravement, j’ai continué ma Route, comme si de
rien n'était, ne m'en ouvrant à quiconque... et commençant à espérer la
Retraite. Quelle ironie !
A 6 mois de
ma mise à la retraite ( prévue légalement à l'âge de
60 ans), le Destin à décidé pour moi : une méchante fracture m'a clouée au lit
pour de longs mois
et j'ai connu une "fin de carrière
éblouissante" 6 mois à me battre contre ma carcasse dans le but de
récupérer mon autonomie. Illusions...
En 1993. faisant
le bilan de ma vie (à 71 ans, c'est honnête), je ne regrette rien.
Sans doute ai-je exercé des métiers qui exigeaient plus que je ne pouvais
donner, tout au moins dans la durée ? Mais, à ma décharge. je
pensais, comme tous les polios que mes paralysies
étaient stabilisées, et que seule une carence d'activité physique pouvait
m'être préjudiciable ! J'ai
donc foncé, et le Monde dit du Travail m'a absorbée sans problèmes. J'ai aimé mon travail, mes responsabilités, la richesse de
mes échanges avec les enfants qui étaient un peu les miens ...J'en faisais trop, certes... En fait, je rencontrais plus
d'encouragements et de sympathie que
de mises en garde, si ce n'est de la part de ceux qui, peu motivés pour leur compte personnel, m'accusaient plus ou moins
ouvertement de "faire du zèle". Ils ne m'ont jamais influencée.
Dorénavant, compte-tenu des connaissances actuellement basées sur tant
d'expériences vécues, je pense que la carrière professionnelle
des handicapés doit être surveillée médicalement, et
organisée °au cas par cas" selon l'importance du handicap et en fonction des efforts exigés par la profession. Il est bien évident qu'il n'est pas
question de mettre obligatoirement tout handicapé à
la retraite à 55 ans, voire à 50 ans : mais de pouvoir la solliciter légalement au
moment opportun, serait un progrès considérable. D'autre part, pour beaucoup d'entre nous, le travail à temps partiel permettrait d'aller le plus loin
possible, au mieux jusqu'à 60 ans. sans
épuiser la précieuse machine. Et lorsque je dis "épuiser" je pèse le
terme !
Quoi qu'il en soit, je pense à ce jour et plus que jamais, que tout être
humain a droit au travail, et le handicapé (qui a déjà tellement
tendance à se sentir dévalorisé, marginalisé) plus que tout autre. Belles paroles que voilà,. alors que la conjoncture actuelle jette à pleines brassées notre
belle jeunesse dans le désœuvrement, la "débrouille", et l'angoisse
du lendemain sans Avenir !
Extrait d’une carte de
Denise Biehler à Henri Charcosset , du 17 mai 2008
En 2007 à 85 ans elle s’était fracturé
une jambe. Quelques mois après, elle écrit : « Je suis toujours en
centre de rééducation où je bataille ferme. Mais aggravation importante sur le
plan neurologique. J’ai perdu la plus grande partie de mon autonomie…et ne
récupère que faiblement. Je suis quasi tributaire d’autrui pour presque tout.
Je fais néanmoins une rééducation intensive, qui me laisse KO. A 86 ans, c’est
à la limite de l’impossible. Mais je m’investis énormément. Comme
d’habitude….Mon retour en maison de retraite est prévu d’ici 2 à 4 semaines…J’ai
toujours le tonus, mais pas le moral. Je pense à vous, je vous embrasse.
Denise»
Une leçon de « Bien vieillir » ? Chapeau !
Note : Si telle ou telle personne lisant cet article voulait y
rajouter son mot personnel, il est encore temps !