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Octobre 2013

NOUS VOULONS TOUS MOURIR DANS LA DIGNITÉ

Marie de HENNEZEL

Éditions Robert Laffont, 2013

 

Introduction. Réflexion

Petit par son volume, cet ouvrage est riche en éléments propres à alimenter notre réflexion. Nous en recommandons la lecture.

 Quelle importance attribuons-nous à la séparation d’avec notre corps charnel ? Allons-nous pour autant cesser d’exister ? Certainement pas ? Contribuer à préparer notre au-delà, de par notre relation avec les morts ?

Quelle place peut prendre la mise à profit de l’Internet, qui nous  autorise des relations de qualité entre inconnus au sens habituel du terme ? Des relations en quelque sorte « dé orporalisées »,….anticipant ce qui nous attend plus tard ?  

Chacun devrait pouvoir construire ses pensées et autres positionnements en partant de l’article :

 «  Vieillesse et mort. Croire ou ne pas croire. Condensé bibliographique », à voir à CLIC, avec 39 références à des condensés d’ouvrages et à 35 articles proprement dits.

 Henri Charcosset, né en 1936, handicapé moteur.

 

Sentir qu’on existe

Plutôt que de réfléchir à la manière d’anticiper ou accélérer la mort de ceux qui n’en peuvent plus de vivre dans un monde qui les regarde comme des débris, les pouvoirs publics et nos parlementaires ne devraient-ils pas mettre toute leur détermination à humaniser l’hôpital afin qu’on y meure dignement ? Pense-t-on vraiment qu’une loi qui se contentera de redéfinir les pratiques médicales en fin de vie fera progresser sur le chemin de la dignité ?

 La vraie dignité, c’est celle qu’éprouve la personne fragile que l’on vient soigner avec tact et douceur, et qui sent à travers gestes et regards qu’elle a toujours sa place dans le monde des humains. Il n’est pas rare d’ailleurs – et j’en ai été témoin – qu’un ultime contact – deux mains qui s’étreignent, une caresse sur la joue – ou une dernière parole permettent au mourant de « lâcher prise » et mourir. Ces gestes ultimes qui permettent de mourir dignement, les soignants les connaissent. Quand la culture de l’institution le permet, ils les prodiguent, car ce sont des hommes et des femmes qui ont tout de même le souci de l’autre et la vocation humaine chevillés au corps…

 

Une loi dénigrée parce que mal comprise

Je vérifie tous les jours que les gens ne savent pas ce que permet la loi Leonetti du 22 avril 2005. On a dit qu’elle était inapplicable, qu’elle ne pouvait résoudre tous les problèmes, sans se donner la peine d’interpeller les médecins sur leur liberté de l’interpréter aussi largement que possible, dès lors que leur devoir était de ne pas abandonner un patient en fin de vie. « Je ne t’abandonnerai pas, je te soulagerai même au risque d’écourter ta vie, je te débrancherai (arrêt des traitements) si tu me le demandes », voilà ce que dit la loi.

Au lieu de se donner la peine d’expliquer aux médecins ce qu’ils pouvaient faire, dans le cadre légal en vigueur, les responsables de la santé ont laissé la situation se détériorer.

 

La mise en cause des soins palliatifs

Depuis 1999, tous les Français ont théoriquement le droit d’avoir accès aux soins palliatifs s’ils en ont besoin. Cela veut dire qu’ils peuvent demander à entrer dans une USP ou bien à recevoir la visite d’une équipe mobile, où qu’ils se trouvent, chez eux,dans leur maison de retraite ou à l’hôpital. Ces soins consistent à soulager la douleur, apaiser la souffrance psychique, soutenir l’entourage. Bien que les traitements de la douleur aient fait d’énormes progrès, la compétence à les mettre en œuvre est loin d’être généralisée. Les unités de soins palliatifs sont rares et l’implantation des équipes mobiles ou à domicile est très irrégulière en France. Enfin, comme l’a souligné le rapport Sicard du 18 décembre 2012, ces soins interviennent presque toujours trop tard…

…J’ai participé en 1987 à l’ouverture de la première USP française, j’y suis restée dix ans et j’ai été témoin d’un accompagnement très humain des malades et de leurs familles. Les soins que nous prodiguions représentaient le modèle même de la globalité du soin et de la médecine humaniste. Depuis une dizaine d’années, j’entends souvent des critiques émanant de personnes qui ont confié un malade en phase terminale à une structure dite « de soins palliatifs ». En faisant mon tour de France des régions,je me suis rendue compte qu’on qualifiait de plus en plus de « soins palliatifs » des soins qui n’en étaient pas vraiment. Des « lits de soins palliatifs » ont été créés dans des services qui ne respectaient pas le cahier des charges. Ils empochaient l’argent, mais cet argent n’allait pas à la formation des soignants ni à leur soutien. Aucun effort n’était fait pour accueillir les familles, et la fin de vie n’était sans doute pas soulagée ni accompagnée avec compétence.

L’expression « soins palliatifs » recouvre sans doute aujourd’hui des pratiques hétérogènes. Ainsi, lorsqu’on me rapporte que les souffrances ne sont pas vraiment soulagées, ou qu’on laisse une personne agoniser des jours sur son lit, avec une famille angoissée et démunie à son chevet, je suis surprise. Comme je le suis, quand le lis la haine palliative qui se dégage des écrits du sociologue Philippe Bataille. À le lire, les « palliativistes » ne feraient que regarder les bras ballants la mort arriver.
« En culture palliative, tout le monde attend : les patients, les familles, les soignants1. »
Y aurait-il eu une déformation de ces soins ? C’est la question que je me pose sérieusement…

1.    Philippe Bataille, Libération, 14 décembre 2012.

 

Ai-je vécu une utopie ?

Dans mon ouvrage Le souci de l’autre1, je disais ma chance d’avoir côtoyé, dans la première USP française, une équipe vraiment humaine, des hommes et des femmes conscients des véritables enjeux de la médecine. J’évoquais cette communion entre soignants et soignés qui s’épaulaient réciproquement, chacun assumant sa vulnérabilité et ses limites, les soignants ayant accepté de ne pas être tout-puissants, les soignés ayant compris que les médecins ne peuvent pas tout. La solitude est alors brisée. L’unité dans laquelle j’ai travaillé comme psychologue était un service pilote. Un service humain où les malades ne mouraient pas comme des chiens, dans la solitude, le mensonge et l’indifférence. Il y avait cette capacité à se mettre à la place de l’autre, à l’écouter l’entendre, la personne était au centre de nos préoccupations.

Nous avons été confrontés, nous aussi, à des situations difficiles. Des personnes que nous ne pouvions pas soulager complètement, des personnes qui, malgré nos soins, demandaient à mourir. Je me souviens de deux cas où l’équipe médicale a décidé de transgresser la loi, après une discussion éthique avec les soignants, parce qu’elle estimait qu’il n’y avait pas d’autre solution humaine pour soulager l’angoisse des patients.
Elle a mis à disposition de la personne qui réclamait la mort les moyens de se la donner elle-même. Prendre au sérieux la demande de mourir d’une personne, cela peut aller jusqu’à la confronter à sa liberté et à sa responsabilité. Dans les deux cas, la personne n’a pas utilisé ce moyen, mais s’est apaisée du seul fait d’avoir les moyens de le faire…

…La seconde histoire est celle d’une ancienne enseignante, réclamant tous les jours la mort, provoquant les médecins dans leur incapacité à la soulager, mais se montrant détendue et gaie avec les soignants qui lui donnaient son bain. Un jour, le médecin qu’elle accusait de lui confisquer sa liberté lui a indiqué le moyen de précipiter sa fin.
Il suffisait qu’elle arrête de prendre un comprimé anti-arythmique. Son cœur ne tarderait pas à fabriquer des caillots et cela  pourrait entraîner sa mort. Comme on pouvait s’y attendre, elle a continué à prendre son comprimé et a cessé de réclamer la mort.
Dans son cas, sa demande d’être euthanasiée entrait dans le cadre d’un rapport de force avec une médecine supposée avoir pouvoir de vie et de mort sur elle. Dès lors que ce pouvoir lui a été transféré, la revendication de mourir n’avait plus lieu d’être…

1. Marie de Hennezel, Le souci de l’autre, Robert Laffont, 2004.

 

Le refus des médecins de donner la mort

Tous les sondages le montrent, les médecins sont beaucoup plus réservés que leurs concitoyens sur un « droit de mourir dans la dignité ». On peut le comprendre,
affirme Pierre Le Coz : « Injecter un poison dans les veines d’un humain n’est rien moins qu’anodin. Imaginez une personne qui vous regarde dans les yeux et vous demande de lui donner la mort : ne ressentiriez-vous pas malaise et inconfort ? Nous serions bouleversés d’assister à son décès. Une fois accompli notre geste, nous verrions son corps pâlir en se raidissant. Ses yeux deviendraient soudain immobiles, son regard inexpressif1. »

Si la société autorise l’euthanasie, qui en sera le bras armé ? « Pourquoi, puisque c’est un désir sociétal, ne pas demander aux membres de cette société d’y participer ? Pourquoi ne pas demander à chacun d’entre nous au nom de qui ce droit serait donné de participer à cet acte d’euthanasie ? Un citoyen tiré au sort, par exemple ? » demande un médecin2. Cette proposition saugrenue traduit bien le refus des médecins d’être désignés comme ceux qui devront immanquablement devenir des « exécuteurs de basses œuvres », comme le disait Vincent Meininger, parce qu’ils savent mieux que les autres comment s’y prendre pour que cet acte reste le plus humain possible…

Chaque fois que j’entends un militant de l’A.D.M.D. (Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité s’offusquer qu’un médecin « confisque » au mourant la liberté de choisir le moment de sa mort, j’ai envie de lui demander s’il pense sincèrement que le mourant a tous les droits, et notamment celui de faire violence au médecin en l’obligeant à le tuer ou en lui reprochant de ne pas le faire…

 

1. Pierre Le Coz, Libération, 14 décembre 2012.

2. Vianney Mourman, Le Monde, 14 décembre 2012.

 

Le découragement des seniors

Une lucidité pessimiste, c’est ainsi que je qualifie la teneur des propos que j’entends.
Bien qu’ils représentent un poids politique non négligeable (40 % du corps électoral),
les papy-boomers ne se mobilisent pas vraiment. Ils ne sont pas descendus dans la rue lorsqu’on a commencé à rogner leurs retraites. Ils devraient être les premiers à se battre pour que les lieux de fin de vie, les E.H.P.A.D. (Établissement d’Hébergement pour Personnes Âgées Dépendantes), les maisons de retraite soient des lieux humains, où l’on ait envie de vivre ses dernières années. Le fait de se sentir déjà un peu en marge de la société, de rencontrer l’image désastreuse que celle-ci renvoie de la vieillesse, d’avoir sans doute un peu honte de ne plus être jeune, comme l’évoquait Élie Wiesel, ne les encourage sans doute pas à se mobiliser. Pourtant il s’agit de leur avenir.
Oui, les seniors sont dans leur ensemble assez découragés. Ils ont d’ailleurs perdu confiance dans la capacité des pouvoirs publics à changer le paysage de la fin de vie.
Cela fait treize ans que des lois ont été votées pour améliorer la qualité de la fin de vie et ces lois ne sont pas appliquées. Pourquoi cette inertie ?

 

Respecter le syndrome du glissement1

Il faut savoir respecter cette manière de se laisser glisser dans la mort, sereinement.On ne sait pas toujours le faire en gériatrie, ni dans les maisons de retraite. Ne pas alimenter quelqu’un est contraire à la culture de soin. Une personne qui refuse de s’alimenter est perçue comme dépressive, et on va la traiter pour une dépression, l’obligeant à manger, parfois avec violence. Pourtant certains gériatres ont
une vraie réflexion sur le respect de l’anorexie finale. C’est le cas de François Blanchard : « Faire la différence entre un syndrome de glissement dépressif et la position de la personne qui demande sereinement à ce que l’on ne la force pas à s’alimenter n’est pas facile à faire. Il faut connaître la personne, savoir si elle a toujours envie de vivre, si elle en a encore le goût… Cliniquement, ça n’a pas la même tonalité. Chez les uns (les dépressifs) il y a une tristesse affreuse, un désespoir, une souffrance morale, chez les autres le sentiment tranquille d’avoir fait son temps. La lampe n’a plus d’huile, on est au bout du rouleau. Il n’y a plus de raisons de vivre. Le vieillard se laisse aller paisiblement. »…

 

1. Le syndrome du glissement est une dégradation généralisée de l’état d’une personne âgée, une dépression préparatoire à la mort.