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«POUVOIR BIEN VIEILLIR AVEC UN HANDICAP
»,trimestriel GIPHV. N°12; 04, 2007
Editeur :Henri Charcosset, E-Mail : charcohe@club-internet.fr
Site web : http://bien.vieillir.club.fr/index.htm
MA VIE EN LIGNE :
Vanessa GAULT
auteur de l’ ouvrage Le corps incertain édité
en 2006 chez Arléa et disponible en librairie
Cette première partie devrait être suivie dans
quelques mois par une autre, où je
m’efforcerai de répondre à des questions posées autour de mon livre lui-même,
ainsi que de l’apport de l’Internet pour un mieux vivre avec
I. Une première observation passive des forums
Lorsque, à l’âge de 28
ans, j’ai reçu le diagnostic de sclérose en plaques, je me suis immédiatement
tournée vers internet pour chercher des informations. Mon neurologue m’avait
recommandé d’éviter les vieux dictionnaires médicaux, parus avant l’arrivée des
traitements, qui décrivaient l’évolution de la maladie en termes désespérés. À
vrai dire il n’y avait pas de risque ; mon premier réflexe a été de me
tourner vers internet, exactement comme je le fais pour préparer mes cours
d’anglais. J’ai trouvé toutes les informations qu’il me fallait, et j’ai
également découvert l’existence de plusieurs associations contre
Au bout de quelques
jours, lassée par les descriptions des divers symptômes qui m’attendaient au
tournant, j’ai commencé à explorer les forums de ces associations. Je ne me
suis pas inscrite ; à cette époque, je n’acceptais la présence de la
maladie en moi qu’en surface ; je suivais consciencieusement mon
traitement, mais dans ma vie professionnelle et même dans ma vie amicale et
sociale je n’en parlais pas. C’était un déni partiel, que nous sommes nombreux
à pratiquer au début de la maladie - tant que celle-ci reste tapie dans
l’ombre. Je n’étais donc pas prête à écrire une phrase commençant par
« je » sur un forum consacré à la sclérose en plaques. En revanche,
je lisais avec soulagement les messages des personnes inscrites. Même
lorsqu’elles exprimaient une souffrance, qu’elles parlaient des difficultés de
leur vie, de leur peur ou de leur douleur, j’étais rassurée par leur présence.
Il est si difficile d’être dépositaire d’une maladie invisible...
En lisant les
conversations virtuelles de ces inconnus, je découvrais tout ce que
Quelques poussées plus
tard, devenue visiblement handicapée, j’assume le fait d’avoir une sclérose en
plaques, et je retourne sur les forums avec l’envie de participer aux
discussions.
II.
Mes premiers pas dans les forums
Le premier forum sur
lequel je me suis inscrite m’a d’abord paru très fermé ; les mêmes noms
revenaient régulièrement, il y avait une dizaine d’habitués qui semblaient se
connaître depuis longtemps, et montraient une grande complicité. En lisant plus
finement les messages, je me suis aperçue qu’il y avait en fait plusieurs factions,
qui s’ignoraient la plupart du temps, avec occasionnellement des irruptions
d’agressivité de part et d’autre.
Je craignais qu’on me reproche de venir faire
la promotion de mon livre, même si j’assumais ce que je faisais ; mais en
fait, comme je l’ai compris par la suite, les colères qui s’exprimaient sur le
forum n’étaient pas dues au mauvais caractère des intervenants, mais au fait
que le forum était pollué par la présence de deux perturbateurs dont les autres
essayaient vainement de se débarrasser. Mon premier message a été accueilli
très favorablement ; dès le début j’ai reçu des réponses sur le forum et
des messages privés à propos de mon livre. Et très vite je me suis sentie
accueillie, je me suis mêlée à d’autres conversations, et je suis restée. C’est
à ce jour le forum où je me sens le mieux ; ses habitués sont des
personnes très intelligentes et fines, qui comme moi aiment alterner les conversations sérieuses et les
joutes humoristiques.
Je me suis aussi
inscrite sur deux autres forums, qui sont beaucoup moins drôles, mais sur
lesquels j’ai rencontré virtuellement des personnes très sympathiques. Là aussi
les réactions à mon livre ont été très positives. J’apprécie particulièrement
le fait que ces lecteurs ne se contentent pas comme d’autres de m’écrire en
privé, mais tiennent à partager leur enthousiasme en public pour aider à la
diffusion d’un livre qui leur a plu. D’une manière générale, les intervenants
sont très ouverts aux personnes qui viennent parler de leur création ; ils
ne deviennent hostiles qu’avec les vendeurs trop insistants qui semblent tenir
ce public pour acquis.
III Les forums SEP au quotidien : une entraide
précieuse qui n’exclut pas la mesquinerie
Je continue donc à
venir presque tous les jours sur ces forums, non plus pour vendre mon livre,
mais parce que j’y trouve le plaisir de la conversation. Comme beaucoup de
personnes touchées par le handicap, je sors moins qu’avant ; et mon
appétit de conversation trouve dans cet espace virtuel un terrain où s’exercer.
Je parle peu de mes difficultés ou de mes angoisses ; c’est une chose que
j’ai plus de facilité à faire dans un livre que dans ce lieu semi-privé et
pourtant peuplé d’étrangers qu’est le forum. En revanche, j’aime contribuer à
aider ceux qui n’ont que ce lieu pour s’exprimer. Nous savons tous que nos
proches ont parfois du mal à nous entendre, et nous-mêmes préférons ne pas tout
leur dire pour les épargner ; c’est donc à une communauté de malades que
certains adressent leurs questions et leurs doutes.
Il ne faudrait pourtant
pas idéaliser ces communautés virtuelles, qui, comme tous les groupes humains,
comportent leur lot de petitesse. Ainsi, nous sommes plusieurs à avoir tenté
d’aider une cette femme dont le mari atteint de SEP venait de se
suicider ; mais une de ces intervenantes le faisait de façon à submerger
tous les autres messages, en insérant de très longs textes à chaque fois que
quelqu’un venait de s’exprimer. Il y avait quelque chose d’écoeurant dans cette
concurrence compassionnelle ; et la femme à qui nous nous adressions ne
répondait qu’au dernier message reçu, lequel venait invariablement de cette
bonne âme autoproclamée. J’ai peu à peu cessé d’écrire dans cette discussion.
Cependant, si certains
intervenants ont des motivations troubles, au total les forums jouent un rôle
de soutien moral pour bon nombre de personnes. Il se trouve toujours quelqu’un
pour répondre sainement, souvent avec beaucoup de sensibilité et de justesse.
Parfois les avis divergent sur la conduite à tenir dans certaines situations
qui nous sont exposées ; mais au fil de la conversation des solutions
émergent. Je ne réponds pas à tous les appels à l’aide ; je préfère
m’abstenir lorsque je ne me sens pas en état de le faire correctement. Il y a
comme un partage implicite des réponses entre les fidèles du forum, selon ce
que nous sommes nous-mêmes en train de vivre et notre état d’esprit du moment.
IV.
Les forums comme lieux de détente
Ce que j’aime aussi,
parce que même sur les forums je ne me réduis pas à ma maladie, c’est
plaisanter ou en parler de tout et de rien avec les amis que j’y ai rencontrés.
Sur le premier forum, où règne un esprit plus acéré que sur les autres, nous
nous livrons de temps à temps à des joutes verbales impromptues. Parfois cela
part d’un message explicitement destiné à lancer un délire, comme la création
d’un post intitulé « j’ai fait une tache sur mon pull ». Mais cela
peut aussi partir d’un rien, par exemple une faute de frappe dans un message
qui inspire à quelqu’un une association d’idées, à laquelle répond quelqu’un
d’autre, et le jeu commence. Ces délires entre habitués peuvent sembler exclure
les nouveaux venus ; mais en fait, comme ils correspondent bien à ma forme
d’humour, je m’y suis intégrée en quelque jours. J’y suis plus moi-même que sur
les forums à l’esprit « bisounours », pour reprendre l’expression
d’une de mes nouvelles connaissances.
V.
Le phénomène des trolls, qui tentent de détruire les forums
Malheureusement, comme
je l’ai compris assez vite, ce même forum, peut-être victime de sa liberté de
ton, est aussi le terrain de jeu de deux ou trois perturbateurs qui cherchent à
y semer la zizanie. Ils sont un peu nos serpents dans le jardin d’Eden ;
les internautes les appellent des trolls. La plus acharnée, que nous nommerons
Guérilla, a même provoqué la fermeture du forum pendant dix jours ; c’est
la seule solution que les modérateurs épuisés ont trouvée pour assainir
l’atmosphère. Cette punition collective a d’ailleurs été inutile ; deux
jours après la réouverture du forum, Guérilla était de retour sous un autre
pseudonyme.
Son mode d’action
consiste à poster chaque jour une dizaine de messages dans lesquels elle exhibe
sa gentillesse (« Je t’ai bien aidée, hein Suzie ! » ). Une fois
sa vertu établie, elle agresse inopinément l’une ou l’autre personne du forum,
voire l’ensemble des intervenants, afin de pouvoir se poser en victime dès
qu’on répond à ses attaques. L’un de ses messages, commençant par « Honte
à vous ! », nous reprochait collectivement de ne pas avoir encore
répondu à un appel de détresse envoyé le matin même par une autre personne. De
temps en temps, emportée par ses démons intérieurs, elle oublie complètement
son rôle de gentille victime, et se livre à des imprécations tellement
grossières qu’elles sont immédiatement effacées par le modérateur. Elle est
alors exclue du forum pour une semaine, punition qui ne la dérange guère,
puisque dès le lendemain nous retrouvons son ton inimitable dans des messages
signés d’un autre pseudo.
Certains jours le
forum est trop envahi par Guérilla pour que j’aie envie d’y participer. En ce
moment elle y est sous deux noms différents. Récemment elle a tenté de créer
une dispute en lançant un de ses pseudos à la défense de l’autre (que personne
n’avait encore agressé) ; mais comme elle s’est embrouillée dans ses
diverses identités, nous avons assisté à un faux dialogue hilarant dans lequel
les deux interlocuteurs portaient le même nom. Mais le fait qu’elle se soit
elle-même démasquée avec une telle maladresse ne l’empêche pas d’envoyer sa
dizaine de messages quotidiens, sans aucune honte.
Ces débordements sont
un triste démenti à l’espoir régulièrement exprimé par certains intervenants
que nous soyons tous unis par la maladie, comme si le fait d’avoir une sclérose
en plaques rendait d’un coup de baguette magique les imbéciles intelligents,
les méchants gentils, et les pervers fréquentables. Sans parler des atomes
crochus de chacun : il est illusoire de vouloir aimer toutes les 80,000
personnes en France avec lesquelles nous partageons un diagnostic, et il serait
bien dommage de n’aimer que celles-là. Ce n’est pas comme si nous avions une
passion commune ; par définition la maladie peut toucher n’importe qui. Je
me réserve donc le droit d’aimer certaines personnes plus que d’autres, sur les
forums comme dans la vie, et d’avoir des contacts avec bien d’autres personnes,
quel que soit leur état de santé.
VI.
Les sites personnels des internautes SEP
Je
voudrais enfin dire un mot des sites personnels que j’ai découverts récemment.
Certains malades ont créé leurs propres espaces de discussion, moins animés
bien sûr que les forums établis, mais dont l’ambiance plus intimiste est
peut-être plus rassurante pour les nouveaux venus. D’autres mettent en ligne le
journal intime de leur vécu quotidien. Ces blogs proposent chaque jour de
nouveaux articles, et les visiteurs sont invités à ajouter des commentaires à
ces récits. Et tous ces sites individuels sont reliés entre eux par les
passages de chaque internaute sur les sites des autres, où il laisse en
signature l’adresse de son propre site. C’est une véritable toile dans la toile
d’internet ; chaque malade isolé peut participer à cette forme moderne de
socialisation, et même lui donner corps en rencontrant dans la vie réelle les
personnes qui lui plaisent. C’est ce que j’ai fait récemment, et j’ai le
plaisir d’avoir une nouvelle amie qui au départ n’était qu’un pseudo sur un
forum.
VII.
Conclusion
Internet
m’a donc accompagnée dans les différentes étapes de mon cheminement avec