VI Cambronne Chantal (2012), Se former et
s’exprimer toujours et encore. Témoignage d’une enseignante de lettres née en 1936
Juillet 2012
LE MOT DU
WEBMESTRE, Henri Charcosset
J’apprécie bien Chantal Cambronne, ma conscrite. Elle fait partie de mes
fidèles amies rencontrées puis fréquentées sur la toile. On ne s’est pas
rencontré en vrai. Ceci pour dire que dès lors qu’il s’agit d’amitié purement
amicale, des relations qualifiées de virtuelles, peuvent s’avérer plus réelles
et profondes qu’avec bien de nos connaissances de la vie courante.
Le texte principal ci-dessous de Chantal est conforme à la concision
habituelle de son style.
A retenir en premier lieu, du beau parcours de vie de Chantal Cambronns
sa grande capacité à « rebondir », à chaque fois que la
vie lui fait des misères,
d’une ou plusieurs sortes à la fois.
TEXTE DE
Chantal CAMBRONNE
Quand une personne pose cette
question, cela veut dire généralement : quelles études avez-vous faites
? quels sont vos diplômes ? Je vais donc brièvement évoquer ma
formation initiale, puis je parlerai plus longuement de la formation tout au
long de ma carrière et je ferai part de mes réflexions personnelles sur ces
deux types de formation.
Formation professionnelle initiale. J’ai effectué ma
scolarité primaire dans une petite école libre de mon quartier, puis mes études
secondaires à la Légion d’Honneur. Ensuite j’ai passé une licence de Lettres
classiques à la Sorbonne, un DES (qui correspond à la maîtrise d’aujourd’hui)
et, pour finir, j’ai obtenu le CAPES en 1960 après une année de stages
rémunérés à Dijon.
Formation
professionnelle permanente, non validée par un diplôme. J’ai enseigné pendant deux ans dans un lycée de Haute Marne, puis j’ai pris un congé pour
convenances personnelles pendant cinq ans. Après cette pause, je n’ai pas
repris l’enseignement dans le même état d’esprit. Une rencontre organisée par
les Cahiers Pédagogiques sur le thème de la Classe active m’a donné l’envie de vivre vraiment ma
profession, et non plus de l’accepter, faute d’une autre alternative.
Je suis donc arrivée devant mes élèves avec un
enthousiasme tout neuf.
Ensuite, entre 1970 et 1992, année où
j’ai pris ma retraite, je n’ai pas cessé de me former et je ne suis pas sûre
d’être capable d’énumérer tous les stages, rencontres, journées, projets
auxquels j’ai participé par la suite. Il y eut des stages directement liés à
l’enseignement dans ma discipline (enseignement du français, poésie, grammaire
nouvelle) et d’autres plus généraux (création et créativité, expression
corporelle, initiation aux maths modernes) .
La plupart de ces formations, je les
suivais pendant les vacances scolaires d’été (stage vidéo, projet
d’établissement, évaluation).dans le cadre du CRAP (association connue
essentiellement par les Cahiers Pédagogiques). J’ai aussi bénéficié de quelques
stages dans le cadre du collège,
Je suis devenue moi-même formatrice à
la suite d’une bonne inspection. J’ai été tutrice d’une candidate au CAPES, et
surtout j’ai co-animé pendant
plusieurs années, avec une collègue et amie, des stages organisés par la MAFPEN
(organisme officiel de la formation des enseignants) sur toutes sortes de
thèmes (lecture des consignes, préparation d’un salon du livre, travail en
équipe…) Parallèlement j’ai co-animé plusieurs
ateliers durant les rencontres d’été organisées par le CRAP (le changement,
vivre au collège, la place de l’écrit dans la vie d’un établissement…)
Réflexions à propos de ces deux types de
formation
— Il me semble, en gros, que j’ai
subi plutôt que participé à, ma formation initiale. Mais cela ne veut pas dire,
contrairement à ce que j’ai longtemps cru, qu’il ne m’est rien resté de ces
années- là. Ainsi, de mes longues années d’internat, j’ai gardé la capacité de
faire mon travail rapidement, et, grâce à d’excellents professeurs, le
sentiment que tout pouvait devenir intéressant (les auteurs les plus médiocres
en français par exemple) dès lors qu’on s’y intéressait. A la fac,
essentiellement l’année du DES, j’ai acquis quelques méthodes de recherche. Et
l’année de stages pour l’oral du CAPES, j’ai compris qu’il y avait autant de
façons d’enseigner que d’enseignants.
Mais ce qui a été, et de loin, le
plus important dans ma vie, c’est sans nul doute la formation permanente. Ce qui me suggère plusieurs réflexions :
— Si ma formation initiale a été
relativement longue (bac + 5 pour moi), me donnant des bases non négligeables
pour mon développement ultérieur, elle n’a jamais occupé que 20 ans de ma vie,
tandis que la formation continue, elle, a joué (et joue encore) un rôle moteur
durant les 50 années suivantes.
— La formation initiale m’est imposée
de l’extérieur,
la formation continue, presque
toujours, je la choisis.
— Autre évidence : que je sois
formatrice ou moi-même en formation,
la formation continue concerne ma personne
toute entière, mes relations avec les personnes, ma façon de voir et de
comprendre une situation. Elle me donne l’occasion de savoir où j’en suis,
d’ouvrir le champ de mon expérience, d’élargir mes horizons, de mûrir aussi.
Même lorsqu’elle semble ne pas concerner directement mon métier d’enseignante,
elle l’enrichit. Elle me donne un nouvel élan. Elle me permet d’apprendre des
choses sur moi dont je peux me servir dans d’autres situations. Ainsi,
formatrice, je comprends que je n’ai pas l’âme d’un chef mais que je suis une
bonne seconde, fiable et enthousiaste. J’y acquiers aussi une plus grande
confiance en moi, qui me permet par exemple de considérer que mes travaux
valent la peine d’être gardés, pour être réutilisés dans d’autres contextes.
— J’ai envie de dire aussi que ce qui
a été peut-être le plus formateur pour moi, c’est la fréquentation des jeunes
et de leur famille. J’ai beaucoup appris dans le dialogue avec des adolescents
difficiles, avec d’autres, heureux de vivre, débordant d’idées et d’énergie, ou
faisant courageusement face à des situations dramatiques, au contact de parents
étrangers, ou aux prises avec le handicap de leur enfant, avec des problèmes
matériels importants ou simplement préoccupés de bien faire et ne sachant pas
trop comment s’y prendre.
Conclusion
— En fait, il n’y a pas de
conclusion, pas de fin. En écrivant cet article, j’ai réalisé que,
pour moi en tout cas, la formation ne s’arrêtera jamais. Depuis que je suis en
retraite (c’est à dire depuis 20 ans)
— je me suis tout d’abord lancée dans
la critique littéraire (en littérature jeunesse) et là, je me suis formée sur
le tas, mais avec de nombreux échanges avec d’autres critiques.
— Et puis les circonstances m’ont
amenée à apprendre à lire à un étranger qui n’avait jamais été scolarisé. J’ai
trouvé appui auprès d’une association, et suivi une courte formation. Là aussi
je dois dire que j’ai beaucoup appris de cet homme et d’ailleurs, nous avons
fini par collaborer avec la rédaction d’un témoignage sur sa vie en France.
— Ensuite il y a eu le théâtre.
Pendant 7 ans j’ai appris des textes, joué (mimes, courtes pièces, danse,
chant) collaboré à la mise en scène, sous la houlette d’une metteuse
en scène très exigeante.
…Et aujourd’hui je fréquente un
atelier de peinture. Là j’en suis tout à fait au début…Après, je ne sais pas
encore. Mais ce que je sais, c’est que toujours de nouveaux chemins s’ouvrent.
Mon seul souhait serait que la même
chance de pouvoir se former tout au long de la vie devienne enfin une vraie
réalité et non plus une promesse tôt abandonnée.