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Avril 2014
Le Monde – Samedi 15 Février 2014
Nous avons déjà publié en 2011 : Kurtzweil Ray et Grossman
Terry , Serons-nous immortels ?Oméga3,
nanotechnologies, clonage, etc.. Le programme personnel de Terry ( ouvrage , 2004)
Sheffield (Royaume-Uni)
C
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Un homme blond sort maintenant de l’ambulance et brandit devant l’assistance silencieuse une caisse en polystyrène d’où s’échappent des « vapeurs » glacées.« Grâce à cette glace carbonique, la température du corps tombe rapidement à – 50°C », explique Tim Gibson, le maître des lieux.
Le rêve de la cryonie est né aux États-Unis dans les années 1960 avec la publication du livre La Perspective de l’immortalité, de l’universitaire Robert Ettinger. La cryobiologie fait ses premiers pas en congelant sans dégâts un cœur de grenouille.Des « cryonistes » autoproclamés proposent aussitôt de refroidir des corps humains, sans la moindre idée de la façon de les ramener un jour à la vie. Et s’attirent alors la haine des véritables cryobiologistes.
Depuis 1967 et la première « cryoconservation », celle du professeur de psychologie James Bedford – toujours « suspendu » dans une cuve en Arizona –, plusieurs centaines de personnes ont cédé à la tentation de l’immortalité. Dont 270 « patients » qui reposent sans aucune garantie légale ni scientifique de réanimation, dans l’un des trois centres mondiaux de stockage cryonique : les entrepôts de la société commerciale Kriorus, à Moscou, et ceux des fondations Alcor et Cryonics Institute aux États-Unis. Des forfaits (de 8 000 à 150 000 euros) offrent la possibilité de se faire congeler pour une durée indéterminée, la tête ou le corps complet. Les animaux de compagnie sont accueillis sans supplément.
Comme 2000 personnes à travers le monde, les 35 membres britanniques de Cryonics UK ont souscrit une offre pour les rejoindre. Tous devront attendre l’heure de leur mort légale, car la cryonisation « vivante », dont certains pensent qu’elle assurerait de meilleures chances de réveil, est encore considérée comme un meurtre. En revanche, une fois le certificat de décès délivré, l’association peut légalement disposer des corps à sa guise, à condition que la famille obtempère.
Sourire
serein accroché aux lèvres, Victoria Stevens, 38 ans, explique avoir convaincu
son mari et ses deux enfants que la mort n’avait rien d’irréversible : «
Quand on aime la vie, il n’y a pas de honte à vouloir la prolonger !
Un avis partagé par l’ancien ingénieur Mike Carter, devenu l’un des piliers de
l’association depuis son départ à la retraite : « Je sais que les
chances d’être ressuscité sont minimes. Mais il n’y a rien à perdre, à part un
peu d’argent pour mes enfants. On ne risque pas de gagner le gros lot si on
n’achète pas de ticket de loterie ! »
Cryonics UK n’est pas un prestataire de services cryoniques, mais une coopérative d’entraide. Son rôle : assurer bénévolement le transfert, jusqu’aux États-Unis des corps congelés des individus ayant de leur vivant souscrit un contrat avec Alcor ou Cryonics Institute – fondations qui n’opèrent pas à l’étranger. « À chaque fois que la mort de l’un de nos membres est imminente, nous nous précipitons chez lui avec l’ambulance pour agir le plus rapidement possible », explique Mike Carter. Une poignée de volontaires se livre alors à une « mise en veille » qui permettra d’empêcher la détérioration du corps lors du voyage outre-Atlantique.
Injection
d’anticoagulants, remplacement du sang par une substance antigel, placement
dans un caisson de glace carbonique à –78°C : sans diplôme médical, les
bénévoles suivent une feuille de route précise. « Le plus important est de
finir l’intervention dans les six heures qui suivent la mort clinique »,
affirme Tim Gibson. Car dans l’esprit des cryonistes,
la mort n’est pas un événement, mais un processus continu qu’il faut suspendre
au plus tôt pour permettre de l’inverser dès que la science le permettra. Rompu
à la procédure de cryoconservation, avec cinq interventions à son actif et un
stage de formation chez Alcor, Tim Gibson termine sa
démonstration et s’éloigne du mannequin installé au sous-sol. « Qui veut
essayer en premier ?, lance-t-il à ses « élèves ».
Certains s’entraînent depuis des années. Mais pour la majorité, faire une intraveineuse et manipuler des perfusions est une première. Les gestes sont mal assurés, le malaise se lit sur les visages. Le mot « amateurisme » a été lâché par la BBC dans un reportage récent. « Oui, bien sûr que nous sommes des amateurs ! Les gens ne meurent pas assez pour qu’on acquière de l’expérience ! », ironise Tim Gibson.
L |
e matériel acquis grâce aux cotisations des membres de Cryonics UK est entreposé dans son garage : un bain à glace, des brancards, des perfusions, une mallette remplie d’une dizaine de substances médicamenteuses…Pour le reste, on se débrouille avec les bonnes occasions repérées sur Internet (stéthoscope, tensiomètre, seringues) et du gros Scotch pour faire tenir les tuyaux qui s’emboîtent mal.
Après les exercices sur le mannequin, fish and chips dans le salon et confidences d’une communauté qui s’est longtemps sentie marginalisée : « Je n’en parle pas à l’extérieur, car cela me conduit toujours à répondre aux mêmes questions bêtes », raconte un grand gaillard venu de Middlesborough, sur la côte Est.
Rien à voir avec la situation de l’autre côté de l’Atlantique. « Il y a un changement dans la perception de la cryonie par le public et les médias : le ton pour en parler est plus sérieux », veut croire Max More, futuriste américain président d’Alcor, joint par téléphone. Grâce à de nouvelles techniques de cryoconservation, les organisations comme la sienne ont acquis une réputation de professionnalisme qui leur a longtemps fait défaut. Si la réanimation des patients reste un pari sur l’avenir, du moins la cryonie parvient-elle désormais à les congeler sans abîmer leurs tissus. Du célèbre joueur de base-ball américain Ted Williams aux trois professeurs d’Oxford qui ont fait leur « coming out » cryonique à l’été 2013, les exemples se multiplient. La communauté veut croire que les scandales qui ont jadis entaché son image (faillite de centres de stockage, corps dégelés par manque d’argent, soupçons d’euthanasie) appartiennent au passé.
Participant
de cette dédiabolisation, un champ lexical positif a progressivement été
constitué autour de la cryonie : quand un «
patient » meurt, il est « dé-animé » : quand on le plonge dans de
l’azote liquide à –196°C, il est « conservé » ; et lorsque, pour
des questions d’économie ou de commodité, on ne congèle que sa tête, il s’agit
d’un « dé-corps ».
Aux États-Unis, l’émergence de polices d’assurance-vie spécialisées a sorti la cryonie du registre du caprice de millionnaire. « Pour un peu plus de 1000 dollars (740 euros) par an, il est désormais possible de s’offrir une chance de voir l’an 3000 », déclare au Monde Rudi Hoffman, pionnier et leader incontesté de la discipline aux États-Unis, avec un millier de clients revendiqués.
À Sheffield, Mike Carter s’agace de ces gens qui « continuent de sourire bizarrement » à l’évocation de la cryonie. Un membre de l’association a d’ailleurs choisi de taire son projet aux membres de sa famille, par peur de leur réaction, et confié l’exécution de son testament à un notaire.
« Pour un peu plus de 1000 dollars par an, il est désormais possible de s’offrir une chance de voir l’an 3000 » Rudi Hoffman pionnier de la cryonisation aux Etats-Unis |
« On me demande souvent ce que je pourrais bien faire une fois ressuscité dans un monde inconnu, sans ma famille », soupire Tim Gibson, dont l’épouse ne partage pas sa passion cryonique. Sa réponse est toute prête : « Si toute ma famille mourait aujourd’hui, je continuerais à vivre. Quelle différence ? »
Malgré
la modestie de ses moyens, Cryonics UK fait figure
d’exemple en Europe.
Fin 2013, des cryonistes allemands ont fait le
déplacement au Royaume-Uni pour venir se former, dans l’espoir de créer un
service similaire outre-Rhin.
La France, elle, interdit catégoriquement la cryonie. Le Conseil d’Etat a confirmé en 2006 que seuls deux modes de sépulture étaient autorisés : l’inhumation et la crémation. Un arrêt qui faisait suite à l’affaire rocambolesque des époux Martinot, cryonisés en 1984 et 2000 de façon artisanale dans le réfrigérateur de leur manoir de Nueil-sur-Layon (Maine-et-Loire). Leur fils Rémy a voulu contester la décision des autorités françaises devant la Cour européenne des droits de l’homme… mais en a été empêché par une coupure de courant qui a décongelé ses parents avant la procédure à Strasbourg.
« La
meilleure solution, pour les Français souhaitant se faire cryonisér,
est de rejoindre la Floride juste avant leur mort », regrette Roland
Missonnier. L’homme, 68 ans, a fondé dans les années 1960 l’association Cryonics de France, à l’époque l’une des plus actives au
monde. Il a pour projet de relancer cette année son organisation en sommeil,
avec une demi-douzaine de Français inscrits comme lui au Cryonics
Institute. Mais Roland Missonnier ne se fait guère d’illusions sur l’évolution
rapide d’une législation qu’il considère « liberticide ». Et qui ferait
presque perdre leur flegme aux cryonistes
britanniques. « Comment cela peut-il être interdit chez vous ?
s’exclame
un disciple de Tim Gibson. Chacun fait ce qui veut de son corps ! »
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