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Janvier 2015
“ÉLOGE
DE LA VIEILLESSE. UN CERTAIN AGE”
SEXUALITE
ET EROTISME.
Alain MOREAU
Éditions Bibliophare, Daniel Radford, 2006
Introduction
Cet article “Sexualité et
érotisme” est la reproduction des pages 44 – 50,
complétée par des phrases particulièrement marquantes de ce très bon ouvrage.
Nous avons déjà publié un article à partir de ce même
ouvrage, sur sa partie « Du côté
des poètes », CLIC
PP
44 – 50
Le sexe après
un certain âge reste encore très largement tabou, on se demande bien
pourquoi !
Il est vrai que
les sondages, en ce domaine, laissent pantois. Si les deux tiers des
« seniors » jugent la sexualité importante, et les plus de
soixante-dix ans déclarent faire l'amour en moyenne une fois par semaine, seule
une petite minorité entendrait par là de véritables relations sexuelles,
c'est-à-dire mettant en jeu les dits organes puisqu'il faut mettre les points
sur les i44. Cela, dois-je le dire, est en contradiction certaine
avec mes enquêtes de voisinage et mon expérience personnelle, mais sans doute
mes échantillons sont-ils biaisés !
Pourtant, je
tiens que l'on fait mieux l'amour à
soixante ans qu'à vingt. Et ce ne sont pas les femmes, plus jeunes ou plus
âgées, qui, m'entretenant de leurs expériences, m'ont apporté un démenti. Il y
a là, je crois, l'effet de ce processus que décrivait Freud : de désinhibition et de retour du défoulé qui permet de
s'assumer plus librement et plus complètement. Cela est peut-être encore plus
vrai pour les femmes ; compte tenu de l'état des mœurs dans leur jeunesse,
elles étaient en effet moins libres alors qu'aujourd'hui dans leur soixantaine
et j'en connais qui ont redécouvert leur sexualité après la ménopause.
Bien entendu,
il faut que la physiologie suive mais la médecine y pourvoit aujourd'hui pour
les hommes comme pour les femmes, et seuls les dévots (qui ne se recrutent pas
toujours où on les attend) y trouvent à redire. Car si désir il y a, pourquoi
se priver de ce qui ne fait qu'en permettre la manifestation.
Même ce qui est généralement considéré comme un
déclin peut être tourné en avantage. Par exemple, pour un homme, le fait de
« bander » moins promptement ; eh bien ! cela m'a fait
découvrir le plaisir de la lente éclosion de ma tige, alors que, jeune, je
n'avais pas le temps de m'en rendre compte, étant toujours en l 'état avant même d'y avoir songé ! D'une
certaine manière, l'âge permet d'échapper à la dictature de la
« bandaison » (« toujours prêt » comme les scouts !) et
l'on découvre − ou l'on
vérifie − que la caresse érotique (que
l'on se fait à soi-même ou que l'aimée vous dispense) est de ces délices
subtils qui l'emporte sur la goinfrerie du branle.
En
ce domaine comme en autres, il est vrai qu'avec l'âge on retourne et
qu'en l’occurrence la sexualité devient moins uniformément génitale. L'homme
(la femme) d'un certain âge redevient ainsi en partie ce « pervers
polymorphe » qu'il était enfant,
selon Freud. Enfin, vous prenez le temps de baguenauder, de vous
attarder, de tourner longuement autour du pot et, pour un homme, toutes les
sensations ne se concentrent plus, dès l'abord, dans l'organe du sexe ; de
façon plus féminine, elles se diffusent au corps tout entier. À vingt ans,
c'est tout dans la queue, à soixante, c'est dans les yeux, dans les narines,
dans la bouche et sous les mains45 ! Et il m'a fallu attendre
mon âge pour goûter dans toute son iridescence
les délices que peut recéler un « conin »
lorsqu'il vous ouvre son mouillé, telle une écorce sa pulpe...
La relation érotique devient alors véritablement un échange. En soi et
avec l'autre se réalise un équilibre en mouvement qui est de l'ordre de la
communion. Les flux, de l'un à l'autre, circulent et s'échangent, sans que cela
n'empiète, mais au contraire y prépare hautement, sur l'explosion et
l'assouvissement ultime. Je tiens que fort peu savent jouir ; c'est jouir,
c'est lâcher prise, ce gelassen que je n'ai
pas peur d'emprunter aux mystiques46 ; c'est une conquête car
cet excès et cet abandon frôlent parfois les territoires de l'angoisse. L'orgasme
est aussi beaucoup plus diversifié. Chez l'homme, s'il conserve sa force de
jaillissement47, il peut être aigu, plein, serein,
épileptique ; la désinhibition permet de s'y
abandonner comme, plus jeune, on ne l'osait pas. Combien de jeunes femmes ne
m'ont-elles rapporté l'opinion que les partenaires de leur âge avaient de leur
propre orgasme : « c'est comme pisser ! » Or, ultimement,
l'orgasme atteint ce qu'est par rapport aux saveurs, le sans saveur :
couronnement de la jouissance dans un au-delà de la jouissance, où l'on
s'oublie tant que l'on oublie, dans le plus extrême accomplissement de l’œuvre,
jusqu'à son sexe d'organe lui-même. Chez la femme, la capacité orgasmique, dans
la mesure où elle n'a pas de support dans la physiologie sexuelle, n'a aucune
raison de décroître avec l'âge mais bien plutôt d'augmenter de fait des désinhibitions dont nous avons parlé. Chez l'homme, c'est
le temps de maîtriser, démarquant Mircea Éliade, ce
qu'on pourrait appeler l'enstase : sorte
d'orgasme involué de type féminin que pratiquaient
les adeptes du tantrisme et qui ne se peut atteindre que le temps venu, lorsque
la pression physiologique de l'éjaculation est moins forte.
Dans le même
ordre d'idées, il est clair qu'un
« certain âge » dispose d'un contrôle, d'une maîtrise et d'une
certaine distance qui comptent beaucoup dans l'art d'aimer et dont
l'emportement du trop jeune âge dilapide trop vite les chances. Que de
jeunes gens pressés et se ruant au final ! Que de jeunes femmes brutales,
maniant cela comme des manches ! Enfin l'érotisme peut devenir un
art ! Car l'art est la synthèse d'une inspiration et d'un métier ; or
le métier suppose une longue connivence avec le temps, il s'acquiert par la
pratique et par ce que l'on invente en réponse aux résistances ou aux
sollicitations que l'autre vous oppose ou par lesquelles il vous stimule :
comme le dit Picasso, dans un paradoxe qui n'est qu'apparent : « le
métier, c'est ce qui ne s'apprend pas ».
Lorsque l'art
est couronné par l'amour, il touche au Sublime ; alors, les amants ne sont
plus deux mais trois, mais ceci est une autre histoire... L'union n'est pas
seulement des corps mais aussi de ce qu'il faut bien, faute de mieux, appeler
des âmes. Cet amour, oui, n'est pas accessible du premier coup, coups tiré à la
va vite ou coups lâchés à répétition !
À mesure qu'ils vieillissent, les hommes se féminisent et
les femmes se masculinisent48. C'est là, indépendamment du reste, le
produit des évolutions hormonales qui font que les hommes se dévirilisent et
que les femmes se déféminisent. À condition que le procès n'aille pas trop
loin, il rétablit un équilibre entre leur part de féminin et leur part de
masculin et, renforçant la réceptivité chez l'homme comme l'activité chez la
femme, il leur offre l'opportunité, à l'un et à l'autre, de réaliser en eux une
synthèse de leurs pôles contraires. Leurs relations alors − et toute relation est à quatre termes49 − s'en trouveront enrichies.
Bien entendu,
cette progressive synthétisation de leurs pôles sera d'autant plus novatrice qu'au
départ l'homme sera viril et la femme féminine. Si, au contraire, l'homme est
très féminin, il risque de verser dans l'effémination et si la femme est très
masculine, elle risque de devenir ce que ma grand-mère appelait une virago. La
psychanalyse confirme la réorganisation de la libido avec l'âge ;
celle-ci, outre une certaine régression pré-génitale,
entraînerait, avec la levée des tabous et le recentrage narcissique, une
« idéalisation sublimante50 ».
Que l'âge ne
desserve pas l'art érotique mais au contraire puisse le servir, il y en a de
nombreux exemples parmi les artistes célèbres mais on les passe le plus souvent
sous silence ou l'on en fait des exceptions ; or, il semble bien qu'il y
ait une corrélation entre la sexualité et la créativité et que mieux se
conserve l'une, mieux se portera aussi l'autre : Hugo, Flaubert,
Maupassant, et plus proche de nous, Gide, Léautaud, Jouhandeau, Chaplin,
Picasso, en sont des exemples51.
Les sentiments,
avec l'âge, sont censés perdre de leur acuité ; on glisserait lentement
vers l'eau tiède des attachements institués, de la sentimentalité, et bientôt
de la froideur. Il se trouve que j'ai deux exemples très proches qu'à un
« certain âge » on peut susciter des sentiments amoureux, y compris
chez de beaucoup plus jeunes, et bien entendu, se trouver en disposition d'y
répondre. Mes exemples appartiennent aux deux ordres, hétérosexuel et
homosexuel : dans les deux cas, c'est le « jeune » qui est allé
vers le « vieux », celui-ci ne s'y attendant en aucune façon et prenant
la chose, dans un premier temps, comme une aimable incongruité. Or, les choses
étant allées de l'avant, c'est à de riches relations que cela a abouti, pour le
plus grand bien des uns et des autres. Les écarts d'âge dans les couples sont,
de nos jours comme de tout temps, plus fréquents qu'on ne veut bien dire et ce
n'est que le prisme déformant d'une certaine modernité privilégiant la
« jeunesse » à tout prix, qui nous le fait oublier. De telles
relations permettent, sur le modèle pédérastique grec, d'unir ce que le jeune
âge peut procurer d'ineffable en sa primeur à ce que l'âge plus avancé peut
offrir en terme d'accomplissement ; l'un et l'autre, suscités par l'amour,
s'efforcent alors de dispenser, l'un à l'autre, ce qui fait leur trésor propre ;
la soif d'apprendre se nourrira du bonheur de transmettre, l'expérience et la
connaissance trouveront leur opportunité à se ressourcer aux élans qui les
susciteront et qu'elles sauront canaliser. Dans
beaucoup de circonstances, la différence d'âge ne se sent tout simplement pas,
preuve que ce marqueur si obsédant de nos jours n'est pas si marquant !
En tout cas, un « certain âge » peut, à cette occasion, flamber comme
à ses plus beaux jours, et je ne vois pas sur mes exemples qu'il ait induit un
quelconque dessèchement de l'âme ni non plus des sens ; il connaît au
contraire la munificence des étés indiens.
Si la
sensibilité s'affine et s'épure avec l'âge, si les sentiments, gagnant en
maturité, peuvent ne rien perdre de leur virulence, l'âge a la réputation de ne
pas faire bon ménage avec l'imagination. Celle-ci se tarirait très tôt et l'on
ne rencontrerait guère de romanciers ou d'hommes de théâtre âgés. Cela se peut,
bien qu'il y ait des exceptions illustres, telles l'auteur de « Robinson Crusoë » et, mieux encore, celui de « Don
Quichotte », qui en écrivit la deuxième partie à soixante-treize ans.
Sophocle en avait quatre-vingt-neuf lorsqu'il écrivit « Œdipe à Colonne » et je ne sache pas que le
« vieux » Corneille dérogeât à son génie.
Les autres arts
et disciplines montrent à l'envi que la
créativité ne s'épuise pas avec le nombre des années. Si les grands
mathématiciens sont très généralement jeunes, il n'en est nullement de même des
philosophes ; ainsi Platon écrivit-il « Les lois » à près de
quatre-vingt ans, Kant ses œuvres majeures entre cinquante-sept et
soixante-seize ans ; Hegel ne devra qu'à une épidémie de choléra d'être
emporté, au faîte de sa renommée, à plus de soixante ans52.
Concernant les
arts, c'est de même : parmi les musiciens, Bach et Beethoven, les deux
plus grands peut-être, ont créé jusqu'à la veille de leur mort, et ce malgré la
cécité pour l'un, la surdité pour l'autre ; leurs dernières œuvres sont
tenues par beaucoup comme leurs chefs-d’œuvres.
44. sondage Ipsos et sur Internet
45. Ce formidable enrichissement est
souvent vu négativement : vieillards lubriques, pervers et tutti quanti,
cela peut tourner ainsi mais n'est-pas que le milieu refoule ce qui pourrait
être une libération et un épanouissement. Cf. « La nuit, tous les vieux sont
gris », J. Pélissier.
46. Rhénans, en l’occurrence.
47. Simone de Beauvoir, tout à son
obsession de noircir le tableau, donne de l'orgasme du « vieillard »
une image apocalyptique (op. cit.) ; celui-ci
n'éprouverait plus les deux temps de l'orgasme : la phase prostatique et
la phase expulsive et son éjaculation ne serait plus qu'un
« suintement » ! Or, ce n'est qu'à un âge avancé, au contraire,
que j'ai pris conscience de ces deux phases !
48. Cela est d'ailleurs entériné dans
certaines sociétés archaïques ; les femmes ménopausées y sont dites « à
cœur d'homme » ; elles ont la possibilité de retourner dans leur
famille d'origine, où elles remplissent en tout point le rôle d'homme. Cf.
« Le complexe de Jocaste », France Culture, avril 2004. Nous
développons ce thème au chapitre : « Retour, l'âge et la
sexualité ».
49. Elle suppose en effet l'activation
alternative du pôle émetteur et du pôle récepteur de chacun. Cf. « La
structure de la relation ». Alain Moreau, Éditions L'Harmattan.
50. P. Assousi,
revue « Communication », n° 37. Toutefois, C. Sarraute n'est pas
d'accord car il faudrait « à ces messieurs », du « hard »
pour les faire bander (entendu à une émission de TV).
51. Ceux-ci, ainsi que quelques autres
qui suivent, sont repris, pour partie, de Simone de Beauvoir : op. cit.
52. On développera ces exemples dans le
chapitre : « Un certain âge au cours de l'Histoire et ses
représentations ».
P 51
En fait, non seulement un âge avancé ne semble pas diminuer
la créativité mais encore il peut la libérer ; un créateur âgé se
permet en effet ce qu'un jeune créateur n'oserait pas et les exemples en sont
nombreux...
PP 71 – 72
...comme l'on dit et dans la vie
professionnelle avec le départ à la retraite. Ces changements laissent
l'individu face à sa vie personnelle mais aussi à la gratuité de ses
participations civiques et civiles. Ce pourra être pour le meilleur, ce pourra
être pour le pire, car n'ayant plus les prothèses de la socialité, il ne pourra
compter que sur ses propres ressources et c'est là où ce qu'il aura engrangé
tout au long de sa vie lui sera d'un grand secours. Cette
« vieillesse » s'inaugure par une jeunesse, et même une
enfance : on sera « jeune » grand-parent
comme on sera « jeune retraité », et ainsi sera-t-on aussi, dans les
nouveaux cercles qui s'ouvrent à nous et dans les nouvelles amitiés ; se
retrouver en couple sera peut-être vécu comme une seconde lune de miel,
peut-être de nouvelles aventures amoureuses s'initieront-elles, un nouvel amour
peut-être ? Il y a là quelque chose comme lors de la sortie de
l'enfance : on quitte la vieillesse de la maturité pour entrer dans la
jeunesse de la vieillesse ; l'achèvement de la première avait des airs de
fin de siècle, dans le métier où l'usure et l'obsolescence supposées de nos
facultés nous montraient la sortie, comme dans la famille, où nos enfants ont
fui le relâchement des liens pour « voler de leurs propres ailes ».
Sortir de la maturité, c’est un achèvement, une vieillesse ; entrer dans
la vieillesse, c’est un commencement, une jeunesse.
Cet âge est le
plus ouvert car dégagé des contraintes de la fécondité et de la reproduction
qui pesaient sur la sexualité adulte ; plus libre des familles à laquelle
l’enfance et la maturité sont astreintes de façon plus déterminée ; retiré
de la vie professionnelle qui, dans le temps de la formation ou de l’activité
elle-même, accapare la jeunesse et la maturité. Disponible donc pour des
activités choisies, notamment dans les domaines politiques et culturels, prêt
pour la libre création. Dégagé aussi des relations plus ou moins intéressées,
ouverts dès lors aux amitiés d’élection. Vieux, nous sommes morts plusieurs
fois, nous avons achevé plusieurs vies — ou on les a achevées pour nous. C’est
alors que l’on comprend que la « vieillesse » puisse être un
« naufrage 18 » ou qu’elle puisse être un nouveau départ.
Le champ en est vaste : de nouvelles amitiés, de nouvelles amours, de
nouvelles tâches, de nouvelles créations, de nouveaux loisirs, jusqu’à la plus
haute réalisation de soi ; la liberté que la société lui octroie (liberté
forcée d’ailleurs !), c’est son privilège qu’il dépende d’elle de vouloir
ce qu’elle en fera. Sénèque : « Je ne dis pas une résignation au
temps à soi, mais un temps à soi résolument choisi. »19. Avec l’angoisse
inévitable de la page blanche.
18. Chateaubriand :
« Mémoires d'outre-tombe ».
19. Sénèque, « De otio ». Rivages poche/ Petite bibliothèque, 2004.
P 183
(Rayonnement de
la vieillesse)
Sa barbe était d’argent comme un ruisseau d’avril.
Sa gerbe n’était pas avare ni haineuse.
Il était généreux, quoiqu’il fût économe.
Les femmes regardaient Booz plus qu’un jeune homme,
Car le jeune homme est beau mais le vieillard est grand.
Le vieillard, qui revient vers la source première,
Entre aux jours éternels et sort des jours changeants ;
Et l’on voit de la flamme aux yeux des jeunes gens,
Mais dans l’œil du vieillard on voit de la lumière.