XX
Cambronne-Desvignes
Chantal (2017), Anti
solitude lors d’un changement de lieu de résidence à 80 ans. Témoignage
Mai
2017
Introduction
A
la suite de ses précédents articles témoignages sur ce site ,
Chantal Cambronne, professeur de lettres retraitée, née en 1936, traite de
son expérience toute récente d’un changement
de lieu de résidence. Avec une aptitude remarquable à
se faire de nouvelles relations, et de nouvelles
activités, mutuellement enrichissantes avec les gens qu’elle y
côtoie. Penser à l’inévitable survenue un jour ou l’autre de sa véritable perte
d’autonomie, lui parait plus naturel, dans ce nouveau cadre de vie. Henri
Charcosset
Texte de Chantal
Cambronne
Je n’ai pas du tout
l’intention de chanter les louanges du déménagement. A mon âge — je venais
d’avoir 80 ans— j’aurais préféré ne pas avoir à bouger.
Et, si nous avons décidé,
mon compagnon et moi, de voguer vers d’autres horizons, après plus de 50 ans
passés à Bordeaux,
c’est
que nous y étions acculés. Nous devions absolument quitter un appartement
devenu insalubre suite à un dégât des eaux, jamais réparé et sans aucun espoir
qu’il le soit un jour. Les loyers à
Bordeaux et en banlieue étant devenu prohibitifs ou situés dans des zones
nouvelles totalement inhumaines, désertes, avec, pour tout horizon, des cubes
de béton à l’infini, il nous est apparu, après quelques mois de recherches
infructueuses, que nous devions, tout simplement, quitter la ville.
Une fois cette première
décision prise, il fallait trouver un point de chute qui nous convienne à tous
les deux. Le choix des Pyrénées s’est vite imposé, puis nous avons cherché
« la » ville qui nous conviendrait, ni trop grande, ni trop petite. Oloron
Sainte Marie, 11000 habitants, en plus de la perspective d’un loyer nettement
plus abordable qu’à Bordeaux, nous a vite paru l’endroit le plus approprié.
Pour diverses raisons : médicales d’abord (présence d’un hôpital, de tous
les spécialistes dont nous avions besoin : audioprothésiste, ophtalmo,
cardiologue, diabétologue, kiné…) culturelles ensuite (un cinéma avec des films
en V0, un festival de jazz, des concerts,…).
Notre quête a pris tout de même quelques mois,
mais notre persévérance a fini par payer.
En 48 heures, suite à la parution d’une petite
annonce dans « Le bon coin » nous avons fait le voyage, visité l’appartement
rêvé, plus grand et moins cher que celui que nous quittions avec une vue
« imprenable » sur les montagnes, dans un quartier agréable, avec des commerces
de proximité, une magnifique cathédrale, des maisons anciennes… signé le bail,
pris, au centimètre près, toutes les mesures nécessaires pour caser nos
meubles… avant de vite vite rentrer sur
Bordeaux pour préparer le déménagement.
Je ne vais pas trop
m’attarder sur ce chapitre, qui fut, de loin, le plus pénible pour nous deux
mais davantage encore pour mon compagnon, qui a fait le plus gros du travail.
Que l’on parte à 200 mètres ou à 300 kilomètres en effet,
le problème est le même : cartons à faire, meubles à
abandonner parce qu’en trop mauvais état pour supporter un transport, tri des
affaires à donner ou à jeter, grand ménage à faire, etc. Et les jours qui
filent à une allure folle…
Et puis, le jour du
départ est arrivé. En ce qui me concerne, je n’ai regretté à aucun moment de
quitter Bordeaux : depuis un moment déjà, je n’avais plus aucune
activité extérieure, mes amies, ma famille étaient, pour la plupart, loin
déjà. Cela dit, certaines de mes amies se faisaient du souci pour moi,
craignant que j’aie des regrets de quitter la grande ville,
ma fille aînée
s’inquiétait de me savoir encore plus loin d’elle en cas d’urgence.
Je ne voulais pas me
laisser influencer, persuadée que, d’une façon ou d’une autre, je m’adapterais.
Certes, les premières semaines
ont encore été mouvementées : il fallait tout ranger à nouveau, se
débarrasser des cartons, régler les petits problèmes (Orange, Edf, le
téléphone…) faire des achats (télévision tombée
en panne pour de bon à remplacer, meubles de rangement à trouver…) prendre
contact avec médecin, kiné, cardiologue, ophtalmo…
Et puis, c’est vrai, il y
avait aussi des petites déceptions : certains quartiers de la ville
semblaient abandonnés, tristes, avec des magasins fermés, des maisons
inoccupées depuis longtemps. Les boutiques étaient un peu vieillottes et nous
nous disions que, sans doute, nous devrions, de temps en temps, aller à Pau
faire des achats, pour les vêtements en particulier.
Aujourd’hui — il y a tout
juste un an que nous sommes ici — cette idée même d’aller à Pau faire des
achats pour renouveler ma garde- robe me fait sourire. Certes les
choses ne se sont pas faites d’un seul coup. Il a fallu apprivoiser le
voisinage, les commerçants, se mettre en quête des activités possibles,
contacter les associations.
Mais tout cela finalement
n’a pas pris tellement de temps.
A peine quelques mois
après notre arrivée, j’ai eu l’impression d’être là depuis très longtemps,
presque depuis toujours. Et de m’y trouver vraiment bien. Et je ne ressens pas
le besoin de m’évader. Je connais quasiment tous
les commerçants du quartier. Chaque matin la boulangère me demande si je vais
bien et nous échangeons toujours quelques mots. Je sais que le boucher a
toujours habité Oloron, et il m’a même montré la maison où il est né (tout près
de sa boutique). Dans le corps médical, tout le monde communique, échange.
Comment dire, il y a une sorte de familiarité qui s’installe. Et puis ici, nous
sommes proches de la campagne, et cela se sent. Je retrouve quelque chose de ce
que je vivais autrefois quand j’allais chez ma grand-mère en Touraine. Les gens
ne sont pas pressés, prennent le temps de bavarder. Les milieux sociaux sont
moins clos : je parle bouquin avec la coiffeuse, politique avec ma kiné,
je vois des expos dans des petites salles sympathiques et les artistes qui sont
là ne se prennent pas trop au sérieux.
Quant aux boutiques,
elles ne sont pas si mal et finalement, nous trouvons sur place à peu près tout
ce dont nous avons besoin, et même de jolies choses.
Dès mon arrivée j’étais
décidée à entamer ici une nouvelle vie. Bien sûr au début j’ai un peu tâtonné.
J’ai compris par exemple que ce serait trop
compliqué de faire du sport, surtout avec mes problèmes de dos.
Et la piscine (que
j’avais expérimentée à Bordeaux pendant deux ans) ne me disait plus rien. Un bref moment tentée par le chant, — il y avait deux
chorales tout près de chez nous — je n’ai finalement pas donné suite. Par
contre, j’ai renoué avec des activités « d’avant ». Je me suis d’abord
renseigné sur un atelier de dessin. Je ne voulais plus copier des œuvres comme
je l’avais fait à Bordeaux durant plusieurs années dans un atelier très sympa
par ailleurs, mais pouvoir donner libre cours à mon imagination. Et, miracle,
j‘ai trouvé quelque chose qui me convient tout à fait. Et je ne regrette pas
que les séances soient très espacées (quatre en tout dans l’année
scolaire) : l’animatrice est jeune, talentueuse et très accueillante.
Et puis, plus récemment,
j’ai trouvé ce que je cherchais depuis longtemps : une véritable équipe de
bons copains rassemblés autour d’activités que j’aime et pratique depuis 40 ans
— la lecture et l’écriture. Ce n’était pas évident au départ, car l’association
« Livres sans frontières » » me proposait surtout un travail solitaire :
lecture critique de livres pour la jeunesse, participation à un jury
pour un concours d’écriture.
Et puis, il y a eu
l’aventure du Printemps des Poètes : d’abord un
travail à deux, puis à trois ou quatre.
Puis un enregistrement de
textes à la radio avec 6 participants.
Et là, le miracle a eu lieu, après l’émission,
autour d’un verre : tout à coup, c’est devenu un groupe, un groupe vivant,
une vraie communauté, décidée à faire bouger les choses. Et depuis, nous
enchaînons une réflexion commune, la préparation d’autres actions, le salon du
Livre, le recrutement de nouveaux
adhérents… Nous sommes tous différents, en âge, en talents. C’est vivant
et chaleureux. Alors je suis comblée.
Comment dire ? Je me
sens « reconnue » en dépit de mon âge respectable. Reconnue dans cette
association, mais aussi dans le quartier. Je suis petite, sans ambition
dévorante, et là, je me sens juste à ma place.
Une des difficultés
rencontrées a été le fait que nous avons dû chercher notre voie chacun de notre
côté, que, dans le couple, nous n’avons pas
avancé chacun au même rythme. Mon compagnon a eu plus de mal que moi à trouver
sa place, alors qu’il était plus motivé que moi au départ. Mais aujourd’hui,
j’ai l’impression que nous avons trouvé chacun nos marques, dans des domaines
différents, chacun dans son rôle propre. Et c’est très bien ainsi.
Cette aventure m’a
conforté dans ce que je savais déjà depuis longtemps : il n’y a pas d’âge
pour évoluer, pour changer de vie, pour découvrir, pour faire des rencontres.
En ce qui me concerne, cette
étape me permet d’envisager avec plus de sérénité le moment où je connaitrai la
dépendance, où je devrai entrer en maison de retraite. Mais là aussi, il y aura
des ressources à trouver. Jusqu’à la fin, en
souhaitant que la souffrance physique, la douleur insupportable nous soit
épargnée, bien sûr, la seule chose qui me fasse vraiment peur.