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Janvier 2011


IL FAUT DEDRAMATISER L’ARRET DE LA CONDUITE !

Point de vue

Catherine ESPINASSE

 

http://www2.securiteroutiere.gouv.fr/data/revue/revue152/point-de-vue-catherine-espinasse.html

 

( Note  Nous avons déjà publié sur ce sujet : Neveu Nolwenn (2009), Les conducteurs âgés sont souvent montrés du doigt. Ce qui n’empêche pas de se poser les bonnes questions. Quels signes doivent alerter ?)

 

Catherine Espinasse : Les personnes âgées qui doivent arrêter de conduire vivent cet événement comme un véritable deuil. C’est ce que met en lumière Catherine Espinasse, psychosociologue, dans son étude "le deuil de l’objet voiture chez les personnes âgées [1]". Son objectif est de provoquer une prise de conscience de notre société et de trouver des solutions pour les aider à passer ce cap. entretien.


Photo : Catherine Espinasse, psychosociologuePourquoi vous êtes-vous lancée dans cette étude ?

À chaque accident spectaculaire de "senior"– une voiture qui remonte l’autoroute à contresens ou qui fauche un groupe de personnes – la question revient sur le devant de la scène: faut-il fixer un âge limite pour la conduite ? En France, rien n’est prévu pour contrôler la fin de la "vie automobile". Le permis de conduire est, en principe, délivré une fois pour toutes (sauf décision judiciaire et perte de tous les points). C’est au bon vouloir de chacun d’en fixer le terme et d’en gérer les modalités… ce qui sème souvent le désarroi dans les familles. Il était donc intéressant de

détecter les freins à l’abandon de la conduite et de la voiture, d’analyser les enjeux psychologiques, sociaux et symboliques qui les sous-tendent. C’est ce que j’ai fait au travers d’une quarantaine d’entretiens approfondis menés en Île-de-France, à Tours et à Lyon pendant une année...

Qui avez-vous interrogé précisément pour mener votre enquête ?

J’ai interrogé deux catégories de personnes. Des "aidants naturels", automobilistes de 50 à 65 ans, qui n’envisagent pas encore de renoncer à la voiture et qui "véhiculent" bien souvent leurs vieux parents. Et des possesseurs du permis de conduire de 72 à 92 ans, plus directement confrontés au problème de la démotorisation. Pour ces deux populations, le constat est le même: l’arrêt de la conduite est vécu comme un drame. J’ai vu des personnes pleurer en l’évoquant, d’autres se mettre deux doigts sur la tempe! Pour ceux qui vivent à la campagne ou en milieu périurbain, ne plus pouvoir conduire, c’est perdre toute autonomie. En perdant ce formidable outil de liberté individuelle qu’est la voiture, ils entrent soudain dans la dépendance et dans l’extrême vieillesse. Cela revient à tirer un trait définitif sur leur vie sociale.

Ce sentiment est-il ressenti par tous les conducteurs ?
Les habitants des grandes villes l’acceptent un peu mieux, car pour eux, la voiture est aussi synonyme d’encombrement, de problèmes de stationnement et de PV. Et surtout, sa disparition ne sonne pas la fin de leur mobilité, puisqu’ils pourront se déplacer en transports en commun. Cela dit, même pour eux, cesser de conduire, c’est un deuil. Le deuil de la liberté d’aller et venir à leur guise. Le deuil de la vie passée, souvent associée à des souvenirs heureux.

C’est pourquoi, en général, ils repoussent le moment de renoncer à conduire…

Oui, quitte à adopter des stratégies pour contourner les difficultés liées à l’âge: ils ne roulent plus la nuit, évitent les longs trajets, les parcours trop complexes, les périodes chargées. Reste qu’ils n’ont aucun doute sur leurs capacités. Ils se vivent comme bons conducteurs, se disent plus prudents qu’au temps de leur jeunesse, ayant une meilleure conscience des dangers et une grande expérience… et ne voient pas pourquoi ils devraient cesser de conduire! Là est toute la difficulté pour les familles: comment le leur dire? Bien des enfants tremblent de savoir un vieux parent sur la route, mais ils n’osent pas le dire et préfèrent user de petits stratagèmes, expliquant qu’ils ont envoyé la voiture chez le garagiste pour une réparation, qu’ils ont perdu les clés… Demander à son père de ne plus conduire, c’est le condamner à une mort sociale. C’est le tuer. Ce n’est pas facile!

Les enfants comptent souvent sur le médecin pour faire passer le message…

Oui, parce que c’est une personne neutre sur le plan affectif, et fiable sur un plan technique. Donc, a priori, la mieux placée pour dire au patient qu’il n’a plus la vue, l’ouïe et les réflexes indispensables pour conduire en toute sécurité, aussi bien pour lui que pour les autres. J’aurais bien aimé entendre les médecins, malheureusement restés silencieux sur le sujet. Les échanges qui ont lieu au sein de la consultation médicale, leur rôle dans cette démotorisation des personnes âgées restent à explorer… En fait, face au problème du vieillissement, notre société se met la tête dans le sable. Les pouvoirs publics n’ont pas réglé la question de l’examen médical du permis de conduire, et ils ont très peu pensé à la mobilité des personnes âgées en termes d’offre de services.

Selon vous, il faudrait leur proposer des alternatives ?
Naturellement! Si l’on veut dédramatiser l’arrêt de la conduite, il faut des solutions de rechange. On a quelques exemples de municipalités qui offrent des services de transport à la demande, avec des minibus, pour des sommes modiques. Cela permet à des personnes âgées et isolées de se rendre au marché, au centre commercial ou chez le médecin. Mais c’est encore très embryonnaire. Il faut aller plus loin. Pourquoi ne pas imaginer des systèmes d’aides à la mobilité comme il existe des aides ménagères ? Deux heures par semaine, le temps de régler ses affaires à la ville… Tout le monde y trouverait son compte : ceux qui transportent et qui trouveraient là une petite source de revenus, les personnes âgées, qui ne se sentiraient plus recluses dans leur logement, et les familles qui seraient soulagées d’autant. Il nous faut inventer des solutions de ce genre.

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Psychosociologue, consultante indépendante, Catherine Espinasse se consacre, depuis une douzaine d’années, à deux sujets qu’elle explore sous toutes sortes d’angles, au fil de ses recherches : les temporalités et les âges de la vie, et les mobilités. "Mon objectif, précise-t-elle, ce n’est pas de faire des études pour la beauté du geste. Je veux qu’elles débouchent sur des réalisations concrètes." C’est ainsi que, chercheuse associée à l’unité Prospective et Développement innovant de la RATP, elle revendique d’avoir contribué à la mise en place du Noctilien, ce service de bus qui fonctionne toute la nuit dans la capitale et en banlieue. Elle est également l’auteur d’une étude sur les femmes pro-voiture [2] et d’une autre, toute récente, consacrée aux adolescents : "Avec ou sans deux-roues ?".

[1] Étude menée dans le cadre du Predit (Programme de recherche et d’innovation dans les transports terrestres, groupe "Mobilité, territoires et développement durable "), en partenariat avec Mondial Assistance France.
[2] "Avec ou sans voiture ?", publié à la Documentation française.

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