XII
Cambronne-Desvignes Chantal (2014), Histoires d’amour. IX. J’aime qu’on me raconte des
histoires
Avril 2014
Chantal
Cambronne-Desvignes, née en 1936, traite ici des histoires, celles que l’on
nous raconte et celles que nous racontons. Alors les histoires, comme
composante importante de l’Histoire ? Oui, si l’on s’en tient
au propos de Chantal Cambronne ! Henri Charcosset
J’aime
qu’on me raconte des histoires
Je dois pour une bonne
part l’amour des histoires à ma mère. Déjà, dans la vie quotidienne, elle
avait le don de transformer le plus petit incident en une aventure
passionnante, drôle, tragique, ou émouvante. Souvent, le soir, oubliant sa
propre fatigue,
Elle nous lisait des
Contes quand nous étions petits :
L’oiseau bleu, Belle Biche et Beau Mignon, La petite poule noire, La
petite fille aux allumettes, Aladin et la lampe merveilleuse… Plus tard, elle
nous racontait ses livres préférés : Nez de cuir, Les gens de Mogador… Ou
encore des livres qui racontaient la vie des animaux.
Celles- là, elle les
aimait particulièrement. Jamais l’idée ne me serait venue à moi de lire un de
ces ouvrages, tant j’étais persuadée que j’en mourrais d’ennui, mais sa voix de
conteuse me transmettait quelque chose de sa passion et je découvrais avec
bonheur le monde des baleines, des abeilles, des insectes…
Cela dit, elle n’était
pas la seule à me pourvoir en histoires. Ainsi, chez ma grand-mère paternelle,
je lisais et relisais « le journal de Marguerite » qui avait nourri sa propre
jeunesse. J’étais bien loin alors d’imaginer qu’il s’agissait d’un journal
fictif, écrit pour l’édification des jeunes filles. Pour moi, Marguerite était une vraie petite fille, avec ses défauts,
ses petites révoltes, son cœur d’or. Sur la première page du livre, elle était
en tenue de première communiante. Elle était si belle, dans ses dentelles et
ses frous frous qu’on aurait dit plutôt une mariée. Nous parlions
de ce livre toutes les deux, ma grand-mère et moi, pendant des heures, sans
jamais nous lasser. Chez elle aussi, les jours de pluie, je lisais et relisais
« Nos poilus dans les tranchées » dans la collection des petits livres roses.
Le texte était illustré
et les images me plaisaient autant que le texte, qui ne montrait que les bons
côtés de cette guerre horrible.
Dans la petite école
libre de mon enfance,
j’ai
été aussi nourrie de belles histoires, celles qui sont racontées dans la
Bible,
le
déluge avec la colombe qui ramène dans son bec un rameau
d’olivier, les filles de Loth transformées en statues de sel,
Absalon cloué aux branches d’un arbre par sa longue chevelure, et puis la vie
des saints, l’histoire du Père de Foucault, la petite sœur Thérèse qui veut
tellement entrer au couvent avant d’en avoir l’âge, Maria Goretti qui préfère mourir plutôt que de perdre sa
vertu.
J’absorbe avec la même avidité les récits de
mon livre d’histoire : Clovis et le vase de Soissons,
Jeanne d’Arc, Jeanne Hachette, Charlotte Corday…
Mais je crois que,
très vite, ce sont les romans que je préfère. J’irai même plus loin. Pour moi
aimer lire, c’était aimer lire des romans, des histoires avec des personnages,
des passions, des rebondissements, une belle fin. Ce n’est que, très
tardivement, et, pour une bonne part en observant la façon dont les élèves se
ruaient sur les encyclopédies, les dictionnaires, les revues spécialisées, les
livres documentaires, que j’ai compris que non seulement on pouvait préférer
lire autre chose que des romans, mais que ces lectures étaient tout aussi
valables. Moi-même, peu à peu, je me suis mise à d’autres lectures, des
quotidiens, des revues. Au début en me forçant, puis parce que je ressentais la
nécessité, à partir des années 68-70, de me tenir au courant de ce qui se
passait dans le vaste monde.
Mais
j’ai toujours préféré apprendre des choses par le biais d’une histoire.
Ainsi
j’ai beaucoup lu, vu au cinéma ou à la télévision la vie de personnalités
Marquantes.
Catherine II de Russie, Gandhi, Martin Luther King, Marie Curie, et bien
d’autres. Sans parler de récits de vie de toutes sortes de gens :
infirmière, médecin de campagne, mannequin ayant vécu l’horreur de l’excision,
chanteurs,
Et
je peux dire que j’ai plus appris sur les mœurs, l’évolution d’un pays, le
sort de certaines populations par les romans que par des articles de journaux,
fussent-ils excellents. J’ai découvert avec Jorge Amado le Brésil,
la misère des favelas, la vie dans les plantations, la Suède d’aujourd’hui, ses
reniements, ses difficultés, avec Henning Mankell, la vie dans une ville chinoise avec des romans
policiers chinois.
Aujourd’hui encore, je
suis tellement dans l’histoire que j’en arrive à considérer les personnages
comme de vraies personnes.
En sortant d’une salle de
cinéma par exemple, il m’arrive de dire : « Je trouve qu’à tel moment, il
(ou elle ) aurait dû faire telle
chose, si seulement il avait pu rencontrer plutôt telle personne….)
Je ne dois pas être la seule à avoir ce type de réaction, sans quoi comment
expliquer le succès actuel des « docufictions »
Ces histoires ne sont pas
seulement pour moi une mine de renseignements, elles sont aussi une source de
réflexion, une nourriture, elles ne sont pas à côté de ma vie,
elles
m’aident à mieux comprendre le monde, à mieux me comprendre moi, à vivre mieux,
plus intensément.
Je voudrais dire aussi
qu’il n’y a pas que les histoires racontées dans les livres qui me passionnent.
J’éprouve toujours le plus grand plaisir à écouter les gens raconter leur
parcours, comment ils ont choisi leur métier, rencontré l’homme ou la femme de
leur vie, comment leurs idées ont évolué, comment ils vivent leur présent.
Je ne crains que rarement
d’être indiscrète parce que la plupart des personnes aiment se raconter et le
font très bien, même lorsqu’elles croient qu’elles ne sauront pas le faire.
Pour finir je ne peux
résister au plaisir de raconter une aventure qui m’est arrivée dans un train.
J’avais déjà eu l’occasion d’entendre des confidences de mon voisin ou de ma
voisine. Le voyage s’y prête volontiers car on sait qu’on ne reverra jamais la
personne et que donc tout peut être dit. Mais cette fois- là il s’agit d’autre
chose.
J’avais pour voisins dans
le compartiment un couple avec un jeune garçon de 5-6 ans.
Le gamin était
insupportable, ne tenant pas en place,
et
les parents, excédés, ne savaient plus que faire et se sentaient gênés de
déranger tout le monde.
Je me sentais en
sympathie avec les parents débordés par leur progéniture, pour la raison très
simple qu’avec mes quatre enfants, pleins de vie et turbulents,
Je connaissais bien le
problème. Mais, quand j’ai commencé moi aussi à me fatiguer de voir le garçon
gesticuler, courir partout, ouvrir et fermer la porte du compartiment, je lui ai
demandé s’il voulait que je lui raconte l’histoire de « la princesse qui ne
pouvait pas dormir. »
Tout en la racontant,
j’en cherchais une autre dans ma tête, puis une autre, une autre encore et
ainsi, pendant plus d’une heure, jusqu’à ce que le train arrive à Paris, j’ai
raconté, raconté, prenant à peine le temps de reprendre mon souffle. Le gamin,
sagement assis, ne bougeait plus, ne disait
plus rien, me regardant et ne perdant rien des gestes qui accompagnaient les
mots. Et les parents aussi écoutaient.
C’était extraordinaire.
Alors je peux dire que j’ai béni le fait d’avoir dans ma vie pu entendre, lire,
raconter tant d’histoires et qu’elles puissent servir à distraire un pauvre
gosse qui n’avait pas d’autre choix que d’attendre la fin d’un voyage qui lui
paraissait interminable.
Je me demande si, en
fait, dans la vie, tout n’est pas qu’histoire, qu’elle s’écrive avec un petit h
ou un H majuscule.
Et, parmi toutes ces
histoires, qui s’écrivent ou se disent à travers le monde, il y a la mienne que
je raconterai peut-être un jour. Mais, comme disait le petit lion Titus, dans
un dessin animé que je regardais autrefois avec mes enfants tous les soirs «
ceci est une autre histoire »!