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Mai 2009

LA VIEILLESSE. DE QUOI AVONS-NOUS PEUR?

 2. Stimuler l’adaptabilité

 

         Véronique LE RU et  Eveline BARRAL

 

La partie 1. Le vocabulaire, se trouve à CLIC :  

 

 

Nous recommandons la lecture  de «  La vieillesse. De quoi avons-nous peur », de Véronique Le Ru, philosophe, paru aux  Editions Larousse 2008. L’auteur y fait joliment référence à sa relation avec sa grand-mère ; ce n’est pas le moins intéressant de son livre !

 

Cet article est un extrait de l’ouvrage de Véronique Le Ru, commenté par Eveline Barral, (60 ans, protestante, et 40 ans professionnelle du médico-social en Angleterre puis en France), dont les réflexions sont  en rouge foncé

 

         Simone de Beauvoir a bien analysé le fait qu’on est vieux pour autrui et non pour soi : c’est le regard d’autrui qui nous fait vieux… Or le rejet des vieux conduit à une impasse très onéreuse et très dommageable pour la société et pour chacun de nous car, en rejetant les vieux, on rejette l’idée que la conscience de soi se construit jusqu’à la mort, que l’histoire du moi est un processus d’individuation qui dure toute la vie. Surtout, on oublie qu’un système social qui fonctionne bien est un système qui intègre tous les citoyens et non qui en exclut beaucoup par le chômage, la pauvreté, la maladie ou l’âge. En rejetant les vieux, on se condamne à mal vieillir car on se condamne à se rejeter soi-même à plus ou moins longue échéance.

 

         En effet on peut dire de la démence, en un sens qu’elle est en partie produite par le rejet et la haine des vieux, intériorisés par le sujet dément en haine ou horreur de soi, quand il se sent vieux… Or, ne pas ou ne plus être reconnu comme semblable, n’est-ce pas ce qui peut arriver de pire à un être humain ? N’est-ce pas la cause d’une crise d’identité majeure qui peut conduire à la dépression, à la dépréciation de soi et, au pire, à la dépersonnalisation ?

 

         Qu’il s’agisse de dépendance ou de démence, l’exclusion des vieux a un coût astronomique en termes économiques et humains. Il est temps d’en prendre acte et de travailler à ce que (…) les vieux puissent faire sens socialement et pour eux-mêmes…

 Une époque où l’histoire s’accélère fortement, il serait certainement utile de mettre en place des échanges entre générations, ne serait-ce que pour acquérir un autre sens ou un autre rythme de l’histoire. Ce qu’on appelle le devoir de mémoire pourrait s’élargir à un devoir de l’histoire où, à partir d’expérience singulières, on peut apprendre à reconstituer le sens de grands évènements qui marquent la vie d’une nation et d’une société civile.

 

         Cela pourrait concerner les lycéens et même les étudiants : ce serait pour eux un véritable exercice de méthodologie en histoire, en sociologie ou en économie, de construire, à l’appui de témoignages individuels, des grilles de lecture concernant tel problème de la société civile ou tel évènement historique. Par exemple, on pourrait très bien, imaginer une enquête ou des entretiens sur l’introduction de la pilule contraceptive en France…

Il ne devrait pas être si difficile de mettre en place des entretiens dans la mesure où les personnes âgées, pour la plupart, apprécient de parler de leur jeunesse ou de leur passé et gardent une mémoire souvent très précise des évènements qui les ont marqués… Pour que cela opère réellement une transformation symbolique des rapports entre générations et du statut des personnes âgées dans la société il faut une vive impulsion politique…

 

En effet, à la maison de retraite où j’ai exercé, avec l’animatrice nous avions organisé tous les mercredis avec le centre social, le passage d’un petit groupe d’enfants avec un ou deux résidents. En particulier avec un MONSIEUR, centenaire qui était heureux de leur parler de la 1ère guerre mondiale, à laquelle il avait participé et avait été « gazé ».

Un autre Monsieur leur avait parlé de courses de vélos de son temps.

 

Avec les lycéens ce serait encore plus approprié, mais plus difficile à mettre en place, du fait de leur emploi du temps chargé (ce qui relèverait bien d’une volonté politique évidente). Cependant, dans certains cas cela nécessiterait un accompagnement d’un professionnel de la personne âgée, en particulier des personnes souffrant de problèmes démentiels. Ces personnes peuvent réellement faire preuve de cohérence et de lucidité même, lorsqu’elles parlent de leur ancien métier ; mais il faut être là au « bon » moment !

 

         La société aussi aurait à y gagner car il n’y aurait pas, comme c’est le cas aujourd’hui, une inter génération principalement suscitée par la famille, et donc limitée aux rapports familiaux et conditionnée par ceux-ci…

 

         Cela demande de construire de nouvelles normes et de nouvelles valeurs, cela exige de ne plus verser dans un apparent jeunisme (apparent seulement parce que la plastique des jeunes et beaux corps, si elle est omniprésente dans la publicité, a peu d’impact sur le marché di travail et laisse beaucoup de jeunes sur les marges) et de faire une place au « vieillisme », conçu comme le pendant positif du jeunisme, qui signifierait une volonté réelle de valoriser la vieillesse, de susciter la fréquentation des personnes âgées et le respect des anciens…

Il faudrait déjà que les professionnels arrêtent de se penser, si spéciaux simplement parce qu’ils travaillent avec des personnes âgées (c’est la poule et l’œuf). Les professionnels ont aussi besoin qu’on leur rappelle combien il est valorisant d’être avec des personnes âgées, presque toutes reconnaissantes du moindre geste à leur égard et tout le temps, fortes d’une expérience de vie, ne serait-ce que du fait du nombre des années.

Et de par leur ralentissement, une fois un minimum de temps passé avec ces personnes, elles sont globalement peu exigeantes en attention (car dans leur propre monde ralenti). On a trop souvent tendance à se baser sur les rares exceptions que l’on généralise volontiers.

 

         Cela dit, si l’image ne fait pas la réalité, en revanche le manque complet d’image défait la réalité… Les gens de plus de 80 ans n’ont plus aucune visibilité et tendent à disparaître corps et biens de la scène publique…

 

         Pourtant, pour faire de la vieillesse autre chose qu’un impensable et un impensé de la société, ne faut-il pas la maintenir ou la réinsérer dans le tissu social ? En effet, c’est par le tissu social qu’on nourrit en soi l’activité tisserande de la vie qui ne cesse de tirer les fils entre le normal et le pathologique, surtout quand la vie ne tient qu’à un fil. Ce qui semble en effet caractériser la vieillesse entendue comme le grand âge, c’est peut-être principalement le changement du rapport qui s’institue, en nous malgré nous, entre le normal et le pathologique…Au-delà, je pense que beaucoup se préparent à leur propre départ, dans le secret de leur cœur (parce que l’entourage ne peut ou ne veut  pas l’entendre).

Mon père (confus, souvent, selon nos critères !) me l’avait clairement signifié en mots, devant mon étonnement à propos de ses longs silences (alors que je l’avais connu bavard et s’intéressant toujours à tout)

C’est le temps de l’acceptation, autant pour la personne âgée devant ses changements, physiques, intellectuels, affectifs, que pour son entourage proche et professionnel.

 

         On serait tenté de considérer la vieillesse comme régie par le principe d’économie des forces qui conduit un individu à changer de normes, à ne plus affronter dans son comportement, tel ou tel risque parce qu’il sait ne pas pouvoir en triompher (marcher sans canne par exemple). Du coup, il instaure d’autres normes : marcher, c’est désormais marcher avec une canne. Dans cette perspective, vieillir signifie rétrécir son champ d’activités. Ce qui suppose estimer et choisir ce qui est essentiel pour soi. En effet, réduire les risques ne signifie pas les éliminer (seule la mort les élimine). Réduire les risques signifie instaurer d’autres normes de vie de manière à ce qu’on y trouve son compte autant que faire se peut… Désormais le principe d’économie opère en toute conscience : il régit le choix d’activités de la personne qui y consacre toute son énergie, mais qu’elle choisit de mener à son rythme et à son échelle.

Beaucoup de questions se situent autour de ce choix, peu respecté par les professionnels, comme par les proches ; les uns parce qu’on ne les a pas formé suffisamment à ces questions (qui sommes-nous pour évaluer si la « vraie vie » n’est pas le rythme et l’échelle de la personne âgée ?), les autres parce que c’est très souvent insupportable d’accepter ce qui est perçu par la famille (et la société) comme une dégradation, plutôt qu’un changement. Et ce ralentissement signifie déjà, faire le deuil d’un parent aimé et d’accepter son départ prochain (lâcher-prise !)

 

         La vieillesse serait caractérisée par un état pouvant être qualifié d’état pathologique normal (succession de plus en plus rapide d’ordre et désordre de la santé).

La vieillesse serait paradoxalement proche de l’état amoureux. (J’adore et c’est tellement JUSTE par rapport à ce que j’en ai perçu et vis au quotidien.)

Ce qui paraissait important devient tout à coup secondaire pace que toute notre énergie est concentrée sur l’être qui nous fascine. La vieillesse serait un état analogue, où ce qui paraissait important s’avère dérisoire parce qu’on est concentré sur ce qui reste en soi de force et de vie pour faire encore sens. La vieillesse est proche de l’état amoureux dans un autre sens encore : les personnes qui vieillissent bien sont souvent celles qui ont maintenu en elles un désir et une force d’aimer et qui, par conséquent, ont encore aussi le désir et la force de jouir de la vie…

Il est certain que les relations d’amour (sous leur forme morale ou physique) sont essentielles pour bien vieillir. C’est au contraire le manque d’amour (aussi bien celui qu’on donne que celui qu’on reçoit) qui est catastrophique, à tous les âges du reste.

 

         La vieillesse, comme l’état amoureux, serait l’état et la période de vie où l’on est souvent dans la lune, où une douce rêverie emporte la conscience et l’éloigne de l’adhésion immédiate au réel… La vieillesse serait cet état pathologique normal où l’on vagabonde les yeux ouverts, où l’on prend justement du recul vis-à-vis des normes sociales… Combien de fois ne fus-je pas surprise de trouver une grand-mère dans le silence et la pénombre du crépuscule et sans aucun désir d’allumer la lampe :

         « -  Mais tu n’y vois rien !

-         Mais si, je suis bien »…

Sens d’une vision intérieure sans nécessité de lumière, ni de chatoiement du monde, sens d’une méditation d’être sans nécessité d’objet… Autre manière d’être au monde, davantage en retraite, davantage en soi ou ceux qu’on a aimés et qui ne sont plus. Le retrait ici n’est pas imposé du dehors, il s’impose devant un monde trop vivant devant son reste de force…

 

         Il faut rappeler qu’un sujet dépendant ou dément reste avant tout un sujet humain dont on doit respecter la dignité. S’il y a un effort de réflexion à faire dans la considération de la vieillesse, c’est autour de la stimulation de l’adaptabilité. Cette stimulation est inhérente à la vie même… mais elle diminue avec l’âge et doit donc être entretenue pour ne pas s’estomper complètement. Car mourir, au fond, n’est-ce pas en un sens renoncer à s’adapter parce qu’on n’en a plus la force ou parce qu’on n’en a plus le désir ?  Robert Hugonot nous livre à ce propos la précieuse remarque du Professeur Paul Sivadon, qui fut un grand maître de la psychiatrie dans les années 1950, convié à apporter son témoignage d’homme âgé à une session de gérontologues. Selon lui,  « s’il était devenu banal de parler des effets délétères de l’avancée en âge par la mobilité physique, l’entraînement intellectuel, l’équilibre nutritionnel, personne ne parlait de la « stimulation de l’adaptabilité ».

Cela ne signifie pas imposer aux personnes âgées un changement de rythme ou de lieu de vie… Non, il ne s’agit pas d’imposer, mais d’informer : de dire par exemple que l’essentiel pour bien vieillir est de maintenir dans sa vie du désir, du risque, de l’imprévisible… Du désir, y compris sexuel… Le corps flétri est absent du monde de l’image et, comme les images, à l’instar des mots, ne sont pas les choses mais finissent par les faire, les corps vieux sont interdits d’image et même d’être. Du coup, la sexualité des vieux est tuée, c’est une chose incongrue, saugrenue, qui doit rester inconnue.

Maintenir dans sa vie du désir, du risque, de l’imprévisible, c’est précisément cultiver et stimuler le terreau de l’adaptabilité : C’est décider de ne pas regarder vers la mort dans l’angoisse projetée de cessation de tout projet, d’annihilation de la conscience de soi et d’arrêt de l’histoire du moi, mais de regarder vers la vie comme invention de formes et de projets et comme apparition singulière de l’imprévisible. Cela ne veut pas dire qu’on oblitère la mort, mais cela veut dire qu’on l’accepte comme naturelle en acceptant d’abord de vivre… Cette acceptation de la mort peut être aidée par la lecture d’ouvrages de littérature (Proust, Le temps retrouvé), de philosophie (Epicure, Sénèque, Cicéron, Montaigne ou Schopenhauer)…

Comme le remarque Jean Maisondieu, si la mort retrouvait sa place de phénomène naturel totalement indépendant de notre volonté, la vieillesse pourrait alors être « recadrée » dans la vie. Nous pourrions alors voir les vieillards comme des vivants à part entière et non comme des cadavres ambulants ou des objets de soins et empêcher socialement qu’ils se considèrent eux-mêmes ainsi. Seuls, en effet, ce recadrage, d’autant plus urgent qu’il est légitime, redonnerait aux gens très âgés le statut de sujets humains et permettrait de changer le regard de la société sur les vieux.

 

         Une sérénité extraordinaire se dégage des personnes âgées qui ont accepté qu’elles doivent mourir un jour, et qui, par cette acceptation, se libèrent de la confrontation avec la mort. C’est cette quiétude qui leur permet de désirer toujours affronter, non pas la mort, mais la vie et son lot d’imprévisible, de risques, de récompenses. Elles continuent, de toutes leurs forces et jusqu’au bout, à faire sens.