Aout 2025
VAINCRE LA MORT, LE VIEUX
REVE DE L’HUMANITE, AUJOURD’HUI PORTE PAR LES TRANSHUMANISTES
Nicolas Le DÉVÉDEC
Artcle paru dans Le Monde des 20-21 Juillet
2025
La quête de l’immortalité habite les grands mythes
depuis des millénaires. Les « techno-optimistes » du XXIe
siècle croient que la technologie peut repousser les limites du corps
Ne plus vieillir, ne jamais mourir… De l’épopée de
Gilgamesh, récit épique mésopotamien vieux de plus de trois mille ans, aux
alchimistes du Moyen-Age européen en passant par Qin Shi Huang, premier
empereur de Chine (au IIIe siècle av. J.-C.), qui sommait son
administration de lui trouver un remède contre la mort, la quête d’immortalité,
reflet des angoisses de l’humanité face à sa finitude, traverse les grandes
civilisations. Et elle fascine toujours autant.
Aujourd’hui, elle est portée par le transhumanisme, ce
courant de pensée né au milieu du XXe siècle, selon lequel les
technologies peuvent repousser les limites du corps humain. Elle est
popularisée par des milliardaires de la Silicon Valley, chantre du
« techno-optimisme », et des biohackers, qui testent une panoplie de
thérapies antiâge dont certaines rappellent, étrangement, celles expérimentées
autrefois, en vain. Dans le quoditien d’extrême
droite L’Ami du peuple, un article vantait ainsi, en 1929, les vertus de
l’ozone. « On peut appeler ça l’air de Jouvence », écrivait le
journal. Cinq ans plus tôt, Le Petit Journal illustré, supplément hebdomadaire
du quotidiien conservateur Le Petit Journal, metttait en lumière « les échanges de sang » pratiqués
par le docteur Hélan Jaworski
auprès d’une riche clientèle.
A l’époque, déjà, les progrès de la science sont vus
comme porteurs des espoirs de la conquête d’éternité. Les aspirants à la vie
sans fin d’aujourd’hui en sont encore plus convaincus. Au point que pour ces
derniers la mort change de dimension, explique Franck Damour, historien à
l’université catholique de Lille : « La vie elle-même, ou la
maladie, est considérée comme un problème technique. Cette fragilité biologique,
le fait d’être mortel, n’est plus vue comme un élément structurant de notre
société, mais, au contraire, devient une maladie dont il faut se guérir
collectivement. »
Ce changement, qui participe d’un « imaginaire
sociotechnique, où, à chaque problème existerait une solution
technologique », s’incrit dans un projet
civilisationnel plus large:celui
porté, à son extrême, par Jeff Bezos et Peter Thiel, habités par l’obsession
pour la « fusion » entre l’homme et la machine et pour la conquête
spatiale.
« Ce
n’est pas un hasard si ce sont les mêmes qui financent des projets de
colonisation de Mars et de lutte contre le vieillissement. Ces projets trouvent
en partie racine dans la contre-culture américaine des années 1960-1970. On
prend conscience qu’on va épuiser la Terre. Il faut fdonc,
selon eux, développer des techniques pour soit s’adapter à cette nouvelle
Terre, soit la quitter », analyse Franck Damour. Le
« techno-capitalisme » serait ainsi la seule issue à la fin du monde.
« Il y a finalement quelque chose de très angoissé dans cette utopie de
la catastrophe, hantée par une peur de la disparition et de la
dégénérescence », note l’historien.
Le désir
d’éternité a longtemps été associé, aussi, aux discours religieux. Dans un article parue dans la revue L’Homme en 1998,
intitulé « Les fondements imaginaires de la vieillesse dans la pensée
occidentale », l’anthropologue Jacqueline Trincaz
rappelait son omniprésence dans les mythyes
fondateurs, de celui des patriarches de la Genèse, tel Mathusalem,
« porteurs de l’esprit divin, choisis pour être les messagers de
Dieu », écrit-elle, à celui des dieux de l’Olympe, où la vieillesse
est considérée comme un châtiment divin
. « Lorsque Zeus envoie Pandore sur terre afin
de punir les hommes de leur orgueil à vouloir égaler les dieux, celle-ci vient
semer "les maladies cruelles que la vieillesse apporte aux
hommes". »
« LES
DÉBATS SUR
UN AVENIR FANTASMÉ
D’IMMORTALITÉ
DÉTOURNENT
LE REGARD
DES PROBLÈMES
ACTUELS »
NICOLAS LE
DÉVÉDEC
sociologue
Modèle capitaliste
Aux Etats-Unis, le protestantisme opère un basculement
dans son rapport à la mortalité au XIXe siècle. « Des
prédicateurs annoncent la possibilité de retrouver la durée de vie de Mathulasem à condition de changer notre mode de vie »,
dit Franck Damour. John Harvey Kellog, médecin et
pasteur, inventeur des corn flakes qui feront sa fortune, en est un exemple. « Il
était intimement convaincu que la consommation de ces corn flakes matinaux
allait permettre d’allonger l’espérance de vie, signe qu’on était élu de
Dieu », explique l’historien.
La
croyance dans la science et le progrès technologique, piliers du modèle
capitaliste, domine le discours. Non sans soulever des inquiétudes, observe le
sociologue Nicolas Le Dévédec, auteur de l’ouvrage Le
Transhumanisme (PUF, 2024). « Les débats sur un avenir spéculatif
et fantasmé d’immortalité détournent le regard des problèmes actuels, celui
notamment de la crise écologique, alors que les conditions d’habitabilité de la
planète se dégradent », souligne-t-il.
La
question écologique n’est pourtant pas absente des réflexions des partisans du
transhumanisme. « Ne pouvant la nier du fait du déréglement
climatique, ils répondent par les solutions de géoingénierie
de la planète, ou de bioingénierie du corps
humain », détaille-t-il. En adaptant, par exemple, biologiquement
l’être humain pour que son corps soit plus résistant à la chaleur. Ou en le
rendant immortel, pour qu’il puisse entreprendre le long voyage vers une
nouvelle planète plus habitable… Une fuite en avant, souligne le
sociologue : « On a prétendu pendant des siècles tout maîtriser,
repousser toutes les limites. Or, l’une des grands leçons
de la crise écologique, c’est que ce n’est pas le cas. » ■
Z.
CH.