Juillet 2025
LE SILENCE,PROMESSE DE BIEN-ETRE
Isabelle GRAVILLON
Article paru dans
Psychologies de Juillet 2025
En solitaire ou en famille, au quotidien ou lors de
vacances dans la nature, partir à la reconquête du silence, devenu une denrée
rare, peut constituer un joli défi. À la clé, une reconnexion à soi… et aux
autres.
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Certains
scientifiques estiment que la planète ne recèlerait plus qu’une cinquantaine
d’espaces, essentiellement des forêts peu accessibles, à l’abri du vacarme des
hommes, de leurs klaxons, alarmes, sonneries, moteurs ronflants. À force
d’habitude, nous pouvons croire que toutes ces agressions sonores ne sont pas
si dérangeantes. Vraiment ? « J’ai pris conscience de l’impact
extrêmement négatif du bruit sur moi et, à contrario, des effets bénéfiques du
silence durant le confinement. Découvrir une ville rendue au calme m’a fait un
bien fou ! Malgré l’angoisse liée à la pandémie, je me sentais comme
réconfortée par cette ambiance feutrée et beaucoup moins stressée qu’en temps
normal », confie Blandine, 62 ans, lyonnaise.
Un cerveau apaisé, libéré
Cette expérience
s’explique en grande partie par des raisons physiologiques, « Lorsque nous
évoluons dans un environnement silencieux, notre cerveau n’a plus besoin d’être
constamment aux aguets pour s’assurer qu’aucun danger ne se cache derrière les
nombreuses sollicitations sonores. Le cœur se met à battre moins vite, la
respiration se pose, l’organisme adopte un fonctionnement ralenti très
reposant », explique Kankyo Tannier,
nonne bouddhiste(1).
Le silence a pour effet de déconnecter le
cortex préfrontal, la zone cérébrale la plus élaborée qui analyse, réfléchit,
prend des décisions. « Le cerveau adopte alors le mode par défaut. Il part
en quelque sorte en vadrouille, à sa convenance, selon ses propres associations
d’idées. Les connexions entre neurones ne sont plus le résultat d’une intention
mais se font de manière aléatoire. Ainsi, le silence vient réveiller des zones
peu sollicitées habituellement. Un contexte propre à l’imagination et la créativité »,
décrit Jeanne Siaud-Facchin, psychologue, spécialiste
de la méditation de pleine conscience(2).
Rien de tel
également que le silence pour renouer avec la concentration. « Quand
j’étais étudiant, j’avais pris l’habitude de pratiquer chaque année une
retraite silencieuse dans un monastère pour réviser mes examens. C’était
réellement très efficace ! Au bout de vingt-quatre heures sans parler à
personne, y compris pendant les repas, je retrouvais intactes mes capacités
d’attention et de mémorisation », se souvient Paul, 69 ans, médecin.
La pédagogue Maria Montessori l’avait compris
en son temps, elle qui proposait à ses élèves des « leçons de
silence ».
« En nous abstenant
de parler, nous
nous étions recentrés
sur l’essentiel. »
Une vie intérieure plus riche
S’extraire du brouhaha
ne fait pas seulement de nous des êtres moins stressés et plus concentrés. Cela
nous ouvre aussi une voie directe vers notre monde intérieur. « Le bruit
et l’agitation ont tendance à nous distraire de notre intériorité. Mais dès que
nous nous retrouvons immergés dans un bain de silence, nous devenons
soudainement plus attentifs à ce qui se passe en nous. Nous nous connectons à
des endroits paisibles tout au fond de nous que nous ne prenons pas souvent le
temps de visiter », constate Jeanne Siaud-Facchin.
Comme le soulignait l’écrivain Jean-Michel Delacomptée
dans son Petit Éloge des amoureux du silence (éd. Gallimard), « Le
bruit s’adresse au corps, le silence à l’âme ». C’est dans cette quiétude
qu’un souvenir peut émerger, une émotion, un questionnement sur nous-mêmes ou
peut-être la résolution d’un souci. « Quand je me promène dans la nature
et que les seuls bruits qui m’arrivent sont le chant des oiseaux, j’ai vraiment
l’impression d’entrer en dialogue avec moi-même. Je me laisse porter par cet état
introspectif. Après chacune de ces expériences silencieuses, j’ai le sentiment
d’avoir avancé un peu dans la connaissance de moi-même », sourit Blandine.
Pour certains, le silence revêt une dimension spirituelle. C’est le cas de
nombreux croyants issus de différentes traditions religieuses : pour eux,
faire taire le bruit hors de soi et même en soi permet de créer un espace
protégé où ils peuvent mieux entendre la voix de Dieu. Le moine bénédictin et
écrivain François Cassingena-Trévedy parle, lui, du silence
comme d’une « pareille éclaircie, pareille trêve, pareille vacance au milieu de l’immense bouleversement qui nous
arrive »(3).
Des liens plus authentiques et
sereins
Le silence est
également susceptible de « soigner » nos relations avec nos proches. « Observer des tout petits temps
de silence, à peine perceptibles, lors d’une conversation profite grandement à
la qualité du lien. On cesse d’être dans l’anticipation de ses propres réponses
et arguments alors que l’autre n’a même pas fini de parler. On laisse la parole
de son interlocuteur se déployer. Il se sent vraiment entendu et l’échange
devient plus authentique », constate Jeanne Siaud-Facchin.
Ces minipauses dans la parole nous protègent
également des réponses trop impulsives et agressives, elles nous laissent un
temps salutaire de réflexion. Si parfois nous trouvons que les échanges avec un
conjoint, un enfant ou un parent manquent de profondeur et tournent trop souvent
autour de paroles un peu creuses, Kankyo Tannier nous propose d’essayer ce petit jeu à pratiquer à
deux. « Il s’agit de se regarder trente secondes les yeux dans les yeux,
sans détourner le regard, sans émettre un son. Si les premières secondes paraissent
interminables et même gênantes, très vite un basculement s’opère. Vous sentez
littéralement votre cœur s’ouvrir, se mettre dans une attitude emphatique, vous
éprouvez un réel sentiment de communion. Et lorsque vous recommencez à parler,
l’échange est beaucoup plus intense », décrit la nonne bouddhiste. Pour
raffermir le lien qui les unit, certains couples pratiquent notamment des
retraites silencieuses. « A chaque fois que nous faisons cette démarche,
nous nous offrons une nouvelle lune de miel ! A l’issue de ces séjours,
tout se passe comme si nous nous redécouvrions mutuellement. Nous portons l’un
sur l’autre un regard plus ardent, plus vivant. Comme si, en nous abstenant de
parler, nous nous étions recentrés sur l’essentiel », témoigne Geoffroy,
53 ans.
Une quête à petits pas
Comment introduire
du silence dans notre existence ? Cela ne doit pas se faire trop
brutalement, surtout pour ceux qui sont habitués à vivre dans l’agitation.
« Pour certaines personnes, le silence renvoie au vide et à la peur d’être
assaillies par des idées noires. C’est pour cette raison qu’il nécessite d’être
apprivoisé », avance Kankyo Tannier.
« Il ne sert à rien de s’imposer de faire silence. Ce serait la porte
ouverte aux pensées parasites envahissantes ! Il faut simplement consentir
au silence, en douceur », ajoute Jeanne Siaud-Facchin.
Un tout premier « entraînement » peut se faire dans la nature.
« Dans une forêt, au bord d’un ruisseau, à la campagne ou la montagne,
nous sommes confrontés à des soins naturels qui sont perçus par notre cerveau
comme très proches du silence. Mais un silence non absolu, rassurant »,
encourage la nonne bouddhiste. Lors d’une prochaine randonnée, pourquoi ne pas
décider de marcher sans parler, sans écouter de musique ? Et voyons ce
qu’il advient… Autre cadre intéressant pour s’entraîner au silence : le
repas. Les parents ou grands-parents peuvent proposer aux enfants de tous se
taire pendant les cinq premières minutes du déjeuner ou dîner partagé.
« Pas pour imposer un silence punitif mais pour expérimenter un silence
ludique. Ce sera l’occasion pour chacun de porter sa pleine attention à ce
qu’il est en train de déguster, les saveurs, les textures. Peut-être aussi
d’observer les autres, de se sourire », propose Jeanne Siaud-Facchin.
Il vous faudra sans doute un peu de temps pour apprendre à entrer sans
appréhension dans le silence. Mais très vite, c’est en sortir qui deviendra
difficile tant vous vous y sentirez bien… ●
(1)
Auteure de Danser au milieu du chaos, Secrets zen d’une nonne bouddhiste, éd.
Flammarion.
(2)
Auteure de La Guérison émotionnelle, éd. Odile Jacob.
(3)
Dans « Silence d’une demi-heure », revues Études, 2016.