L’ART DE SE PLAINDRE
Christophe ANDRE
Paru dans Psychologies en octobre
2024
Médecin psychiatre, il
est l’auteur
de nombreux ouvrages. Le dernier
publié : S’estimer et s’oublier
(Odile Jacob, 2004)
Un souci, une souffrance, un
chagrin ? Alors, ne pas le garder pour soi, en parler, partager :
jusqu’à présent, on pensait qu’il valait mieux exprimer nos inquiétudes que les
réprimer. Quelques études récentes ont remis en question cette conviction, au
moins en partie. Ainsi, un nombre important de personnes très inquiètes à la
suite d’actualités dramatiques (attentats notamment) ont été suivies sur les
périodes allant de deux mois à deux ans. Et celles qui ont le plus largement
parlé de leurs angoisses, avec des interlocuteurs ou sur les réseaux sociaux,
se sont avérées aller moins bien que celles qui s’étaient moins épanchées.
Comment
l’expliquer ? En fait, même si parler de nos soucis nous donne le
sentiment – réconfortant – d’être moins seuls, cela nous pousse aussi à leur
accorder de l’importance, à nous focaliser sur eux, au détriment de tout le
reste, et à maintenir ainsi un niveau élevé d’émotions douloureuses. Pour
autant, la répression de nos émotions est sans doute pire. Et la question n’est
pas « en parler ou non ? » mais plutôt
« comment en parler et avec qui ? »
Comment en parler ?
Pas tout le temps, bien sûr, et pas que de ça ! Devenir des personnes
dolentes, se plaignant pour être plaintes en retour n’est pas une bonne idée.
« Ne rends pas tes souffrances plus fortes encore : ne te charge pas
de plaintes », écrivait Sénèque. La plainte est une demande, d’écoute et
de réconfort dans un premier temps, d’aide et de conseils dans un second temps.
C’est pourquoi la
question « avec qui » est importante. C’est bon de parler de ses
problèmes à quelqu’un, c’est toxique (pour autrui et pour nous) de ne parler
que de ça à tout le monde ! Inutile de multiplier nos plaintes, nous ne
ferons que les enraciner plus profondément en nous ; réservons-les à des
interlocuteurs choisis : quelques proches ou amis, voire un thérapeute en
cas de souci majeur ou si nous nous savons fragiles. Que vont faire ces
confidents ? D’abord nous écouter, accueillir et respecter notre
détresse ; puis nous aider à comprendre notre réaction, à prendre du
recul, à agir si possible ; enfin, nous encourager à porter notre
attention vers d’autres choses que la seule adversité qui nous tourmente :
à retourner doucement vers la vie.
Une autre étude
intéressante sur les endeuillés montrait ainsi que, à côté de nos proches ou
d’un thérapeute, un soutien important était apporté par les animaux de
compagnie. Eh oui, ils ne nous donnent pas de conseils, certes, mais ils ne
renchérissent pas sur nos soucis, ne coruminent pas
avec nous ! Sensibles à notre chagrin, ils nous manifestent du soutien et
nous tirent avec simplicité de leur côté, du côté de la vie. Car l’art de la
plainte est surtout un art de « cesser » la plainte : une fois
le chagrin partagé, une fois les conseils écoutés, se remettre de son mieux à
vivre et à sourire. ●
Références : PLoS One, 2021 ;
Journal
of Consulting and Clinical Psychology, 2008 ;
Personality & Social ¨Psychology Bulletin, 2010.