Juin 2025
L’ART
DE SE PLAINDRE
Christophe
ANDRE
Paru dans Psychologies en octobre 2024
Médecin psychiatre, il
est l’auteur
de nombreux ouvrages. Le dernier
publié : S’estimer et s’oublier
(Odile Jacob, 2004)
Un souci, une souffrance, un
chagrin ? Alors, ne pas le garder
pour soi, en parler, partager : jusqu’à présent, on pensait qu’il valait
mieux exprimer nos inquiétudes que les réprimer
Quelques
études récentes ont remis en question cette conviction, au moins en partie.
Ainsi, un nombre important de personnes très inquiètes à la suite d’actualités
dramatiques (attentats notamment) ont été suivies sur les périodes allant de
deux mois à deux ans. Et celles qui ont le plus largement parlé de leurs
angoisses, avec des interlocuteurs ou sur les réseaux sociaux, se sont avérées
aller moins bien que celles qui s’étaient moins épanchées.
Comment
l’expliquer ? En fait, même si parler de nos soucis nous donne le
sentiment – réconfortant – d’être moins seuls, cela nous pousse aussi à leur
accorder de l’importance, à nous focaliser sur eux, au détriment de tout le
reste, et à maintenir ainsi un niveau élevé d’émotions douloureuses. Pour
autant, la répression de nos émotions est sans doute pire. Et la question n’est
pas « en parler ou non ? » mais plutôt
« comment en parler et avec qui ? »
Comment
en parler ? Pas tout le temps, bien sûr, et pas que de ça ! Devenir
des personnes dolentes, se plaignant pour être plaintes en retour n’est pas une
bonne idée. « Ne rends pas tes souffrances plus fortes encore : ne te
charge pas de plaintes », écrivait Sénèque. La plainte est une demande,
d’écoute et de réconfort dans un premier temps, d’aide et de conseils dans un
second temps.
C’est
pourquoi la question « avec qui » est importante. C’est bon de parler
de ses problèmes à quelqu’un, c’est toxique (pour autrui et pour nous) de ne
parler que de ça à tout le monde ! Inutile de multiplier nos plaintes,
nous ne ferons que les enraciner plus profondément en nous ; réservons-les
à des interlocuteurs choisis : quelques proches ou amis, voire un
thérapeute en cas de souci majeur ou si nous nous savons fragiles.
Que
vont faire ces confidents ? D’abord nous écouter, accueillir et respecter
notre détresse ; puis nous aider à comprendre notre réaction, à prendre du
recul, à agir si possible ; enfin, nous encourager à porter notre
attention vers d’autres choses que la seule adversité qui nous tourmente :
à retourner doucement vers la vie.
Une
autre étude intéressante sur les endeuillés montrait ainsi que, à côté de nos
proches ou d’un thérapeute, un soutien important était apporté par les animaux
de compagnie. Eh oui, ils ne nous donnent pas de conseils, certes, mais ils ne
renchérissent pas sur nos soucis, ne coruminent
pas avec nous ! Sensibles à notre chagrin, ils nous
manifestent du soutien et nous tirent avec simplicité de leur côté,
du côté de la vie.
Car
l’art de la plainte est surtout un art de « cesser » la
plainte : une fois le chagrin partagé, une fois les conseils écoutés, se
remettre de son mieux à vivre et à sourire. ●
Références :
PLoS One, 2021 ;
Journal of Consulting and Clinical Psychology, 2008 ;
Personality & Social ¨Psychology Bulletin, 2010.