LA
REPRESSION DES JEUNES EST UNE IDEE POPULAIRE, MAIS C’EST UN ECHEC
Véronique
BlANCHARD et David NIGET
Article
paru dans Le Monde du 25.04.2024
Non seulement l’image d’une
jeunesse violente et hors de contrôle est un fantasme politique ancien, mais
les nombreuses mesures répressives adoptées depuis deux siècles fragilisent
davantage les jeunes vulnérables et leurs familles, rappellent les deux
historiens
|
Face à la description de la « violence
déchaînée », morbide, sans règle » de certains jeunes, le 18
avril, par le premier ministre, les historiens que nous sommes proposent
d’inscrire un nouveau chapitre au programme d’éducation civique qui lui tient
tant à cœur
.Il
s’intitulerait : « La justice des enfants ou
la longue histoire d’une addiction à la sanction ».
Il permettrait de
raconter à nos écolières et nos écoliers comment, depuis le XIXe
siècle, ses prédécesseurs ont fait face au « fléau de la délinquance
juvénile » décrite comme « toujours plus violente, plus
nombreuse, plus précoce » (Le Petit Journal, 1907). Les élèves
découvriraient sans doute avec surprise que ses propositions s’inscrivent dans
une fascinante continuité, qu’elles ont été maintes fois appliquées et qu’à
l’épreuve des faits leur efficacité est discutable.
Le chapitre
débuterait en 1810. On ouvrirait ensemble le code pénal de Napoléon (empereur
peu réputé pour son laxisme), et les élèves liraient dans ses articles la
volonté de ne plus juger un enfant comme un adulte, la nécessité de pouvoir
l’excuser du fait de sa minorité. Ils observeraient aussi que, sans doute
effrayé par sa propre hardiesse, le législateur impérial s’assure néanmoins que
tout enfant capable de marcher et de voler une pomme puisse être envoyé en
prison ordinaire.
L’histoire se
poursuivrait avec une analyse de la loi de 1850 « sur le patronage des
jeunes détenus », censée répondre à l’échec de la prison. Les députés
républicains considèrent alors que le gamin de Paris, le petit vagabond,
l’enfant des parents ouvriers – souvent décrits comme abrutis de travail et
viciés par l’alcool – doit bénéficier d’une correction avant de « tomber
dans la délinquance », pour reprendre les mots de M. Attal. Selon eux,
pour le redresser, il est nécessaire de le placer en internat disciplinaire,
loin de la ville et d’une famille défaillante, afin de le remettre sur le bon
chemin.
Accompagnement social
Malgré les rapports parlementaires
dénonçant le coût de ces institutions, leur violence et le niveau élevé de
récidive des jeunes placés, ces « colonies agricoles
pénitentiaires » fleurissent. La France est inquiète ! Des bandes
de jeunes gens cruels font régulièrement la une de la presse à grand tirage, et
les statistiques, déjà, sont formelles : « De 16 à 20 ans le nombre
de jeunes délinquants quadruple » (Le Temps, 1899) : « Inquiétante
augmentation de près de 50 % d’enfants délinquants en vingt ans » (Le
Journal, 1902).
Le cours
aborderait ensuite les temps bouleversés du début du XXe siècle. En
1912, une nouvelle loi a le courage de considérer que l’accompagnement social
des mineurs délinquants est une priorité. Elle n’aura ni les moyens ni le temps
d’être appliquée, la Grande Guerre ravivant les angoisses d’une dérive de la
jeunesse. Néanmoins, l’hécatombe de 14-18 modifie en profondeur le regard des
Français sur l’enfermement et la peine. Les élèves liraient alors, médusés, que
la presse en vient à se scandaliser du sort réservé aux jeunes délinquants dans
les « bagnes d’enfants », certains allant même jusqu’à
reprendre les mots d’un poète, Jacques Prévert, dénonçant la « chasse à
l’enfant ». Soudain, il serait presque possible de croire que le temps
de la jeunesse doit être une promesse.
Nous pourrions
poursuivre avec le second conflit mondial. La France occupée puis libérée,
souvent grâce à la fougue de jeunes héros : un hiver 1945 rude amenant son
lot de destructions, de violences, de marché noir, et une explosion de la
délinquance juvénile. La France peut alors compter sur l’autorité du général de
Gaulle, et c’est bien sa signature qu’ils découvriront au bas du préambule de
l’ordonnance du 2 février 1945 « relative à l’enfance
délinquante ».
Nous croiront-ils quand
nous expliquerons que ce texte fait primer l’éducation sur la sanction ?
Que la prison doit être l’exception ? Parviendrons-nous à faire admettre
que l’article 17 expose alors que les mineurs « ne pourront faire
l’objet que de mesures de protection, d’éducation ou de réforme, en vertu d’un
régime d’irresponsabilité pénale » ? Rapidement, nous devons
ajouter, pour être précis, que cette ordonnance prévoyait des dérogations,
laissant la possibilité aux juridictions de lever l’excuse de minorité. Sans oublier
que la peine de mort fut applicable aux mineurs jusqu’en 1981.
Enfin, il serait
temps de conclure. Nous pourrions alors évoquer ce texte fondateur qu’est la
Convention internationale des droits de l’enfant (1989), sanctuarisant une
justice spécifique pour les mineurs et l’inscrivant dans un ensemble de droits
protecteurs et émancipateurs.
Il faudrait des
trésors d’imagination pédagogique pour expliquer comment cette apothéose des
droits se transforme en véritable feu d’artifice de mesures répressives en
France : lois, circulaires, ordonnances affirmant la « fermeté »des
pouvoirs publics, création de loyers renforcés (1998) puis fermés (2002), construction
d’établissements pénitentiaires pour mineurs (2002), levée de l’excuse de
minorité pour les 16-18 ans en état de récidive (2007), peines plancher (2007),
tribunaux correctionnels pour mineurs (2010), mise à l’épreuve éducative
(2024)…
Supposée crise de l’autorité
La leçon se terminerait, et peut-être
qu’un doigt se lèverait pour nous demander : mais alors, si les politiques
affirment que la violence des jeunes ne cesse d’augmenter, c’est peut-être que
toutes ces punitions ne fonctionnent pas ? Pourquoi continuer ?
La répression est
une idée populaire, mais c’est un échec. Pas tant que les jeunes seraient
d’incorrigibles criminels biberonnés à la violence, mais parce que la sanction
brute se fait toujours prophétie créatrice : elle fragilise les jeunes et
leurs familles déjà vulnérables, elle sape le travail social et éducatif censé
les aider à sortir de la délinquance. Et si, pour une fois, nous avons l’audace
de mettre en application les réformes progressistes votées depuis plus de deux
cents ans.
La supposée crise
de l’autorité que nous traversons ne prend pas racine dans un affaiblissement
des institutions. Bien loin d’un « réarmement civique » martial,
c’est en conférant aux jeunes liberté, égalité et, in fine, pouvoir d’agir, que
nous les rendrons maîtres de leur propre destin, artisans de la paix sociale
dans un monde qu’ils estiment plus juste et solidaire. En somme, sevrons-nous
de l’autoritarisme en pensant l’émancipation de la jeunesse.
°°°°°
Véronique Blanchard est historienne,
enseignante-chercheuse à l’université d’Angers (Temos) ;
David Niget est historien,
enseignant-chercheur à l’université d’Angers (Temos).
Ils sont tous les deux spécialistes de l’histoire de l’enfance, de la jeunesse
et de la justice
LA
SANCTION BRUTE SAPE LE TRAVAIL SOCIAL ET ÉDUCATIF CENSÉ
AIDER LES JEUNES A SORTIR DE LA DÉLINQUANCE