Aout 2025

 

À TAIZE, CHRETIENS ET MUSULMANS « SE RENCONTRENT EN PAIX »

 

S.B. Envoyée spéciale

 

(Le Monde - Mardi 29 juillet 2025)’

 

 

La communauté œcuménique chrétienne de Saône-et-Loire a convié 200 jeunes à la mi-juillet pour une semaine de dialogue interreligieux

 

REPORTAGE

(TAIZÉ (SAÔNE-ET-LOIRE) – envoyée spéciale

 

L

e soleil, qui a dardé ses rayons toute la journée sur les épaules et les fronts des quelques 2 000 jeunes venus en retraite dans la communauté de Taizé (Saône-et-Loire), dans le village bourguignon du même nom, est enfin plus clément à l’heure du dîner. Des rires et des conversations en plusieurs langues se font entendre alors que les filles s’allongent pour accéder au service. Jeudi 17 juillet, deux plats sont au menu, couscous aux légumes et pâtes au pesto. Cette semaine, tout le monde mangera végétarien.

 

       Il s’agit pour la communauté œcuménique chrétienne, qui regroupe 80 frères, d’accueillir comme il se doit les dizaines de musulmans venus assister à la semaine du dialogue interreligieux entre musulmans et chrétiens. Et de respecter leurs prescriptions alimentaires.

Sur les 2 000 jeunes présents cette semaine à Taizé, ils sont en effet 200, musulmans et chrétiens, à être venus spécialement pour discuter de foi, de fraternité, de ressemblances, mais aussi de différences entre les deux religions. « Ici, on s’enrichit », commente Ahmed Belghazi, imam de Saône-et-Loire, qui a ses habitudes à Taizé, sa « maison », « Nous sommes là pour le partage, celui de l’expérience de vie, de la foi et de la tradition de chacun »

. « L’Evangile, ce n’est pas tant convertir qu’accueillir », relève le frère Matthew, prieur (supérieur) de la communauté.

 

Versets coraniques traduits

C’est en 2015, alors que l’Europe fait face à un afflux sans précédent de migrants, notamment venus de Syrie, que l’idée de faire dialoguer chrétiens et musulmans émerge dans les esprits des membres de la communauté.

Fondé en 1944 par le frère Roger Schutz, ce groupe de chrétiens laïcs réunis par la prière dans une vie de célibat quasi monastique, s’est toujours intéressé au monde qui l’entoure. Les tensions vives au Proche-Orient et en Europe poussent alors les frères à monter, en 2017, cet espace de dialogue dans un écrin naturel de toute beauté.

 

       Comme les jeunes chrétiens qui viennent se ressourcer et prier dans ce village, les musulmans sont invités à y dormir et à partager pendant sept jours les tâches quotidiennes : nettoyage, cuisine, vaisselle… Tous les matins, un enseignement sur le même thème, par exemple l’espérance, est donné conjointement par un imam et l’un des frères, avec des lectures issues des textes sacrés des deux religions.

Les musulmans sont conviés en milieu de journée à assister à la prière quotidienne faite de chants et de lecture d’extraits de l’Evangile et de moments de méditations en silence.

 

       « On voulait que des jeunes musulmans et chrétiens puissent se rencontrer en paix, sans prosélytisme, et qu’ils viennent participer à la vie ici, à l’ouverture qu’on propose », explique frère Jean-Jacques, responsable de l’événement.

Les frères, issus de confessions chrétiennes différentes, ont justement l’habitude du dialogue. Ici, catholiques et protestants se côtoient dans une communauté et prient tous les jours ensemble.

Le soir, les jeunes
catholiques
viennent écouter
les musulmans
psalmodier
les versets
coraniques

 

       Assis à l’ombre d’un arbre, Mouhad (comme tous les jeunes participants, il a choisi de rester anonyme), 19 ans, cheveux noirs et barbichette naissante, habitant de Massy-Palaiseau (Essonne), est un habitué des lieux. Il revient d’année en année ; 2025 est sa quatrième. Avant de venir ici et de le découvrir, il ne s’était jamais dit « tiens, je vais aller voir comment les chrétiens prient ». La première fois, pourtant, poursuit-il, « j’ai été impressionné ! Les chants ! Et quelle motivation ! Quelle ferveur ! » S’il a assisté à la prière chrétienne de midi, des chrétiens sont aussi venus à la sienne.

 

       Dans une salle, les musulmans, jeunes hommes et femmes réunis, prient tous les jours de cette semaine si particulière sous le regard contemplatif et intéressé de jeunes chrétiens. Le soir, ils sont régulièrement plus de 120 à venir écouter les musulmans psalmodier les versets coraniques, traduits pour eux afin qu’ils puissent suivre le texte. Ce jour-là, à 14 heures, pendant la prière du dohr, plus d’une dizaine de jeunes observent le déroulé de ce moment de liturgie, certains la tête vers le sol en signe de respect et de méditation, d’autres un chapelet à la main.

 

« Un cocon de bienveillance »

Réunis dans le jardin, des jeunes des deux spiritualités discutent. « Cette fraternité entre chrétiens et musulmans est naturelle, elle date de 1400 ans, on ne fait que perpétuer cet héritage », commente Ilyes, 25 ans, étudiant à Lille. C’est par son père, imam versé dans le dialogue interreligieux, qu’il a découvert les lieux.

 

       La semaine est aussi l’occasion de se retrouver dans un « espace sûr », commentent les jeunes. Mmusulmans. Inès, étudiante lilloise de 22 ans, cocarde en l’honneur à la Palestine brodée sur sa robe, explique : « Entre le rapport sur les frères musulmans [commandé par le gouvernement et publié en mai] qui nous a heurtés, les polémiques autour du voile dans le sport, on se sent sans cesse attaqués, ici nous sommes dans un cocon de bienveillance et après on retourne en France... » Le lapsus géographique les fait rire.

 

       Catholique, Marion, 26 ans, a toujours vu Taizé comme une « fenêtre ouverte sur le monde ». Avec ces rencontres, c’est même devenu « une baie vitrée ». La jeune fille garde un souvenir vif des élections législatives de 2024 et du trajet qui l’avait amenée à Taizé pour la semaine de l’amitié : « Nous avons fait en sorte de voter avant de partir, nous étions tendus, nous avions peur que l’extrême-droite arrive au pouvoir, nous nous sommes dit qu’ici nous allions faire témoignage de fraternité dans un monde à feu et à sang. »

 

       Le père Jean-François Bour, dominicain, responsable des rapports avec l’islam, salue une initiative où les gens sont « ensemble de façon simple et naturelle ». Lui rappelle qu’ici, personne n’est naïf : « On essaie de ne pas trop vite se juger, même si on sait qu’il y a des positions tranchées et que certaines incompréhensions demeurent. » Les jeunes l’assurent, ils reviendront.

S. B.