Mars 2025
SI LA REINSERTION DES DETENUS PASSE PAR LE TRAVAIL, LA FORMATION OU LE
LOGEMENT, ELLE NE DOIT PAS S’Y REDUIRE
Article paru dans Le Monde du Vendredi 28 Février 2025
La suspension d’activités
socioculturelles carcérales par le ministre de la justice, Gérald Darmanin, va
à l’encontre de nombreux [cc1] travaux qui montrent leur efficacité pour l’après-prison, souligne la
juriste
Marronnier. de la protestation syndicale des surveillants
pénitentiaires, les activités socioculturelles en détention suscitent
régulièrement les sursauts d’indignation de certains de nos responsables
politiques. Le 19 février, le ministre de la justice, Gérald Darmanin, a ainsi
adressé aux chefs d’établissement une instruction visant à réduire
drastiquement le recours aux activités de loisir en détention : il
réagissait à des tracts syndicaux dénonçant les activités de détente et de soin
proposées par des bénévoles au centre pénitentiaire de Toulouse-Seysses.
Ce texte du garde des sceaux s’ajoute à une instruction qui, en 2022,
avait déjà imposé le contrôle strict des activités socioculturelles en
détention et la nécessité d’une approbation hiérarchique des chefs
d’établissement. La nouvelle directive ajoute une exigence : elle interdit
toute activité « ludique ou provocante ». les
motifs de cette décision sont clairs : il s’agit de ne pas heurter
l’opinion publique, en particulier les victimes, en organisant des activités
qui, selon M. Darmanin, ne relèvent pas du parcours de réinsertion.
Selon la loi, les personnes détenues sont tenues à une obligation légale
d’activité en détention, pouvant relever de divers domaines :
l’enseignement, la formation professionnelle, le travail, le sport ou encore
les activités socioculturelles. Ces dernières, qui révèlent du cadre
réglementaire, visent à « développer les moyens d’expression, les
connaissances et les aptitudes des personnes détenues » : elles
s’inscrivent dans la mission de réinsertion dévolue à l’administration
pénitentiaire. Ces activités adoptent des formes et des contenus extrêmement
variés (cours de théâtre, de danse, de couture, revue de presse, yoga, sorties
culturelles…) et permettent la mise en place de partenariats avec des acteurs
extérieurs. Mais elles accueillent des participants triés sur le volet, au
point qu’en pratique les bénéficiaires de ces activités recommandées par les
règles pénitentiaires européennes sont peu nombreux, d’autant que les budgets
ont connu des coupes importantes.
Dans un souci de satisfaction des réactions instinctives, le garde des
sceaux a effacé d’un trait de plume le travail de nombreux acteurs investis
dans ces activités socioculturelles, alors que leurs bienfaits sont largement
reconnus sous une perspective intégrale de la réinsertion : elles
permettent le rétablissement ou le renforcement du lien social. La présence de
bénévoles contribue ainsi à l’image positive de la citoyenneté et de
l’engagement que les personnes détenues sont susceptibles de percevoir à travers
ces actions.
Ces activités sont d’autant plus importantes qu’il existe, en détention,
une surreprésentation des populations socialement défavorisées. Pour ces
personnes en situation d’isolement social ou familial ou de grande précarité,
les activités liées au soin corporel et à la détente, comme celles qui étaient
proposées au centre pénitentiaire de Toulouse-Seysses, ont pour objectif
l’amélioration de l’image de l’estime de soi : elles peuvent participer au
processus de reconstruction personnelle des détenus.
Un triste hommage
Au-delà de la question de la définition de ce qui relève des activités
« ludiques ou provocantes » - il appartiendra à la hiérarchie
pénitentiaire de l’apprécier – adopter le prisme étroit d’une réinsertion
essentiellement économique et sociale va à l’encontre des pratiques et des
recommandations du monde professionnel et de la recherche. Les études menées
dans le monde autour des activités socioculturelles en détention (arts, yoga,
danse, chant) soulignent en effet la relation positive entre la participation à
ces activités et le renforcement des facteurs favorisant la réinsertion :
amélioration de l’image personnelle, motivation pour la reprise des études,
réduction des niveaux de stress et d’agressivité entre personnes détenues et à
l’encontre du personnel.
Le souci de lutter contre la récidive devrait donc nous encourager à
écarter la vision réductrice, uniquement punitive, de la peine : il faut
garder à l’esprit que ces personnes ont vocation à recouvrer leur liberté et à
rejoindre la société libre. Si la réinsertion passe aujourd’hui en priorité par
le travail, la formation ou le logement, elle ne doit pas pour autant s’y
réduire.
La promptitude et le caractère draconien des mesures annoncées par
Gérald Darmanin ont de quoi surprendre dans un contexte de surpopulation
carcérale. En ne maintenant dans l’immédiat que des activités de travail, de
formation et de sport, cette décision acte encore un peu plus l’oisiveté du
plus grand nombre des détenus : beaucoup ne se verront proposer aucune
activité et ils seront, en pratique, condamnés à rester vingt-trois heures sur
vingt-quatre enfermés dans une cellule surpeuplée.
En soulignant le caractère potentiellement choquant de certaines de ces
activités pour l’opinion publique, le ministre de la justice a finalement rendu
un triste hommage à la loi d’airain formulée par Robert Badinter [ministre
de la justice de juin 1981 à février 1986] : il est difficile
d’espérer que soit accordé aux détenus un traitement plus favorable que le
niveau de vie du plus pauvre des travailleurs.
Joana Falxa est maîtresse
de conférences en droit privé et sciences ciminelles
au Centre de recherchesur la justice pénale et
pénitentiaire