Février 2025

 

 LES SCIENCES HUMAINES CONSTITUENT UN REMPART ESSENTIEL POUR LA CONSTRUCTION D’UNE SOCIETE DEMOCRATIQUE VIGOUREUSE

 

DARBON Dominique, DARRA Eric, SAURUGGER Sabine

 

Article paru dans Le Monde de Jeudi 30 Janvier 2025 

 

S’inquiétant de voir la recherche scientifique faire l’objet d’invectives et de manipulation, les directeurs d’instituts d’études politiques Dominique Darbon, Eric Darras et Sabine Saurugger reviennent sur la nécessité de placer ces disciplines au service du débat public.

 

Il est grand temps de replacer la connaissance scientifique au cœur de débat public. Dans un monde marqué par une complexité croissante, le débat public est confronté depuis plusieurs années à la dramatisation, à la spectacularisation, à une polarisation et à une fragmentation alarmante. Tant en France qu’à l’échelle mondiale, l’essor des réseaux sociaux, la brutalité du débat public et l’accélération du flux médiatique ont permis la montée des discours clivants et la simplification excessive d’enjeux complexes, au détriment d’un travail de réflexion et de conceptualisation.

 

Cette situation alimente l’hospitalité, l’enfermement dans les préjugés, une dégradation du dialogue et de la recherche de consensus. Elle est d’autant plus préoccupante qu’elle favorise la diffusion de contre-vérités scientifiques sous couvert d’opinions, sapant ainsi les fondements même d’une société éclairée et posant les bases d’un risque réel de recul démocratique.

 

Si la recherche universitaire est le lieu par excellence du doute radical et du débat critique, elle ne conduit pas à douter de tout, pas plus qu’elle ne conduit à un relativisme généralisé. La démarche scientifique érige le doute en méthode pour mieux valider des découvertes, produire des résultats qui font consensus en son sein, et différencient les possibles de l’impossible, la réalité de l’imaginaire, le réel du fake. Dans une démocratie, la liberté d’expression scientifique accompagne toujours la recherche sincère de la vérité.

 

Attaques permanentes

s

Dans ce contexte, par leur capacité à déconstruire les discours simplificateurs, à identifier les nuances et à analyser les mécanismes de la polarisation elle-même, les sciences humaines et sociales constituent un outil précieux, si ce n’est fondamental, pour éclairer le débat public. Elles discutent désormais avec les sciences du monde physique et naturel, elles permettent de comprendre les racines des clivages sociaux, d’analyser les phénomènes politiques et économiques dans leur complexité et de mettre en lumière les enjeux cachés derrière les discours idéologiques. Elles permettent de dévoiler les fausses évidences et participent à l’évolution des citoyens. Elles s’attachent à comprendre les dynamiques sociales, à identifier les inégalités et à questionner les structures du pouvoir. Elles jouent ainsi un rôle crucial en offrant des perspectives critiques, en éclairant les processus décisionnels ainsi qu’en dévoilant les biais et les incohérences portés par les réseaux sociaux, véhiculés par de « bons mots » ou des expressions non définies qui n’ont pour fonction que l’invective, la déqualification et l’exclusion.

 

Pour que les sciences humaines et sociales puissent nourrir le débat public, il faut que le pluralisme, la liberté académique et les principes même de la méthode scientifique soient garantis et protégés au sein même des établissements d’enseignement supérieur et de recherche. Il faut donc les protéger contre les attaques permanentes dont elles sont l’objet.

 

Nos établissements sont des lieux de formation, de recherche, de réflexion et d’innovation. Ils doivent rester ces lieux où la recherche fondamentale et la recherche appliquée peuvent se réaliser librement hors de toute pression grâce aux garanties et protections universitaires. Puisqu’il est parfois difficile de poser un point de vue en toute sérénité, notre rôle est de garantir cette liberté. Il est aussi fondamental que ces lieux soient respectés de tous et consacrés par tous comme des espaces de libre expression des préférences et des opinions.

 

SI LA RECHERCHE

EST LE LIEU

PAR EXCELLENCE

DU DOUTE RADICAL

ET DU DÉBAT

CRITIQUE, ELLE

NE CONDUIT PAS

À DOUTER DE TOUT

 

       Les sciences humaines et sociales, qui reposent sur ces principes fondamentaux de critique spécialisée, de liberté académique, d’indépendance et de rigueur méthodologiques et épistémologique, se voient aujourd’hui contrefaites au service d’idéologiques hermétiques qui s’affranchissent hélas du débat ouvert et permanent consubstantiels à la recherche. Elles deviennent la cible et l’objet de récupération et de manipulation. Ces invectives permettent, en entretenant la confusion, de contester la démarche scientifique elle-même, et ne cherchent qu’à détruire leurs efforts pour produire les futurs responsables d’un monde en plein changement en les armant au mieux pour servir l’intérêt général.

 

Protéger

 

Parce qu’elles observent le monde social de manière méthodique et rigoureuse, les  sciences humaines et sociales constituent un rempart essentiel pour la construction d’une société démocratique vigoureuse. Il est urgent de promouvoir une démarche de démocratisation et d’apprentissage au profit de tous les citoyens afin d’en faire un levier pour renforcer les fondations de note pacte républicain.

 

Ainsi, appelons-nous à consacrer, mais aussi à protéger et à garantir la place et la mission des établissements d’enseignement supérieur et de recherche dans la démocratie.

 

Cet enjeu est crucial pour les années à venir. Il s’agit de favoriser une appropriation citoyenne des savoirs critiques et de promouvoir une culture du débat argumenté, fondé sur des faits et des analyses rigoureuses. A plus forte raison, à l’ère de la généralisation de l’intelligence artificielle, ce rebond doit intervenir sans davantage de délais dans les nouveaux médias. La rigueur scientifique et la disputation doivent être favorisées et nourrir une indispensable pluralité des points de vue.

                                                                                        

 

Dominique Darbon, directeur
de Sciences Po Bordeaux ;

Eric Darras, directeur
de Sciences Po Toulouse ;

Sabine Saurugger, directrice
de Sciences Po Grenoble-
université Grenoble-Alpes