Octobre 2025
LE PLAISIR SEXUEL,
LONGTEMPS TERRA INCOGNITA DES MANUELS SCOLAIRES
Claire LEGROS
(Le Monde -
Samedi 6 septembre 2025)
PENDANT DE LONGUES ANNÉES, l’éducation sexuelle consistait surtout à
dissuader de tout rapprochement physique avant le mariage, pour des raisons
religieuses ou sanitaires. Autant dire que le plaisir sexuel n’y avait pas
droit de cité. Adoptés de haute lutte dans l’effervescence libérale des années
1970, les premiers programmes scolaires relatifs à la sexualité se résument à
la transmission de savoirs biologiques sur la reproduction. Si la contraception
est mentionnée à partir de 1973, le plaisir reste un non-dit, une terra
incognita des manuels, regrette le philosophe François Châtelet cette même
année, dans une des multiples émissions télévisées consacrée alors au sujet.
« Dans les programmes de sciences de la vie et de la
Terre, le SVT, le plaisir sexuel apparaît en 2010, mais il n’est évoqué que
sous l’angle technique », constate l’historien Yves Verneuil, auteur
d’Une question « chaude » (Peter Lang, 2023). Ainsi, en 2011,
le programme de SVT destiné aux classes de 1re scientifique précise
que le plaisir « repose notamment sur des phénomènes biologiques, en
particulier l’activation dans le cerveau des ″systèmes de récompense″ ». La
même année, l’historien note que l’éditeur Belin choisit d’illustrer le sujet
par des études montrant que « les stimulations d’ordre sexuel activent
les régions cérébrales du système de récompense ». L’ouvrage élargit
toutefois son propos à la dimension psychosociale du plaisir sexuel humain, en
précisant qu’il « implique des processus cérébraux bien plus élaborés
(la mémoire, le langage, l’imagination, etc.) ».
Huit ans plus
tard, c’est dans le programme de SVT de 2de que le sujet est abordé
au lycée, en filière générale et technologique. Son contenu s’est étoffé et
engage les enseignants à « veiller à ne pas limiter la relation entre la
sexualité et plaisir à la seule composante biologique ». Tout en
précisant que « les facteurs affectifs et cognitifs ainsi que le
contexte culturel ont une influence majeure sur le comportement sexuel
humain ».
Le clitoris, souvent oublié
A la même époque se joue
une autre bataille. En 2016, le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et
les hommes s’attaque au tabou du plaisir féminin. L’institution déplore
l’absence de représentation correcte du clitoris dans les planches des manuels
de SVT consacrées à l’appareil génital féminin. L’organe est le plus souvent
oublié ou bien dessiné sous la forme d’un petit « bouton », alors
qu’il mesure environ 10 centimètres.
Le rapport à l’instance participe d’un large mouvement de
redécouverte de l’organe, impulsé par la troisième vague de luttes féministes
après des siècles d’invisibilisation culturelle. Le clitoris s’affiche dans les
journaux, les médias, et bientôt dans les salles de classe sous forme d’un
objet en plastique imprimé en 3D à taille réelle, à partir des travaux de la
chercheuse indépendante Odille Fillod.
En 2017, les éditions Magnard intègrent dans leur manuel de SVT destiné aux
élèves de 4e une représentation scientifique valide de l’organe.
D’autres éditeurs restent plus frileux, peut-être parce qu’ils
« redoutent de perdre des parts de marché du côté de l’enseignement
privé catholique », note Yves Verneuil. L’enjeu est politique, comme
le souligne la sénatrice socialiste du Val-de-Marne Laurence Rossignol, qui
interpelle en 2019 le ministre de l’éducation nationale d’alors, Jean-Michel
Blanquer, sur « l’analphabétisme sexuel » des manuels
scolaires. Au nom du principe d’« égalité
de traitement des deux sexes dans l’enseignement », elle réclame « que
les nouvelles générations apprennent enfin comment est fait un sexe féminin, et
en particulier sachant situer et comprendre l’organe qui est la source primaire
du plaisir sexuel chez la femme, comme l’est le pénis chez l’homme ».
Pour l’élue,
accorder une place au plaisir féminin dans les manuels participe de la lutte « contre
la culture du viol » : « En ne parlant que du plaisir masculin,
(…) on alimente la représentation d’un plaisir masculin prédominant, sacré, par
rapport à celui des femmes qui serait secondaire et subsidiaire. » ■
CLAIRE
LEGROS