Décembre 2025

 

PLONGÉE DANS LA PHARMACOLOGIE DES ANIMAUX. « ILS N’ONT PAS BESOIN DE SAVOIR QU’ILS SONT MALADES »

 

Jaap de ROODE

 

( Le Monde - Mercredi 8 octobre 2025 )

 

J

aap de Roode est parasitologue et professeur de biologie à l’université Emory, à Atlanta (Géorgie). Dans Nos plus grands médecins (Éd. Les liens qui libèrent, 320 p., 22 €), il dresse un panorama étonnant des pratiques médicales des animaux, des insectes aux carnivores, des oiseaux aux primaires.

 

(Pour raison de relative concision de nos contributions à ce site, nous reproduisons seulement la seconde partie de l’article paru dans Le Monde)

 

Votre panorama de la médecine animale distingue quatre types de comportement, quels sont-ils ?

       Le plus évident, c’est l’ingestion de substances thérapeutiques. Quand les chimpanzés ont des vers parasites dans leurs intestins, ils avalent des feuilles qui vont les purger ou sucent la moelle de certaines tiges qui tuent les vers.

Il y a ensuite la prophylaxie : certains babouins vivant dans des régions infestées de vers mangent les baies toxiques qui évitent l’infection.

 Troisième catégorie, l’application locale, ou la friction. Tous les propriétaires de chats savent que leur animal adore se frotter dans l’herbe à chat ou dans la vigne argentée. Très récemment, une équipe japonaise a montré qu’ils s’enduisent ainsi d’un produit qui repousse les moustiques et les maladies qui transmettent. Ces chercheurs travaillent à en faire un répulsif pour les humains.

       Enfin, il y a la désinfection et, là, les oiseaux en offrent de nombreux exemples. Ils mettent des plantes odorantes dans leur nid pour éloigner poux, acariens et autres parasites hématophages. Le plus fascinant pour moi, ce sont les roselin de Mexico qui remplacent les plantes par des mégots de cigarettes.

 

Vous n’aimez pas le terme automédication…

       Non, parce que les animaux ne se contentent pas de se soigner. Les oiseaux protègent leur nichée, les abeilles leur colonie, certains singes soignent leurs congénères. La littérature scientifique emploie parfois un autre mot, « zoophamacognosie ». je ne l’aime pas non plus car il suppose la connaissance. Or, je pense en fait que beaucoup d’animaux ne savent pas vraiment qu’ils prennent des médicaments. Ils essaient, cela fonctionne, mais ils n’ont pas besoin de savoir qu’ils sont malades, ni que le produit va les soigner. Juste que cela leur fait du bien. Je pense que le mieux et le plus simple, c’est de parler de médication, tout simplement.

 

Ne savent-ils vraiment pas ce qu’ils font ?

       Il est toujours difficile de savoir ce qu’ils savent. Mais, dans le livre, je prends l’exemple des chenilles infectées par des mouches parasitoïdes, qui pondent sur leur peau. Les asticots pénètrent leur corps et les dévorent de l’intérieur. Ces chenilles peuvent manger différentes plantes, dont certaines contiennent des alcaloïdes, qui tuent les asticots. On a découvert que les chenilles ont quatre récepteurs gustatifs, dont l’un, sensible aux alcaloïdes, réagit beaucoup mieux quand elles sont infectées. Cette chenille n’a donc pas besoin de savoir qu’elle est infectée par la mouche, elle n’a pas besoin de savoir ce que sont les alcaloïdes. Tout ce qu’elle constate, c’est que ces alcaloïdes ont maintenant meilleur goût. Cela ne veut pas dire que les animaux ne sont pas conscients de rien. Quand des singes ou des éléphants se purgent en mangeant des plantes, ils savent que ça leur fait du bien et savent associer la plante et le bien-être. Mais ils n’ont pas besoin de comprendre qu’ils sont malades.

 

Vous commencez votre ouvrage par un avertissement : ce livre ne peut pas tenir lieu d’avis médical. Une protection juridique ?

       Non, je veux m’assurer que, lorsque les gens lisent le livre, ils ne vont pas cesser d’écouter leur médecin et manger toutes sortes de plantes toxiques. Lors d’une conférence, on m’a demandé si je mangeais de l’herbe. J’ai répondu que non. Quand je ne me sens pas bien, je vais chez le médecin. Je pense que nous pouvons améliorer la médecine moderne en nous inspirant des animaux, mais je crois fermement en la médecine moderne. Je crois aux médicaments que notre industrie pharmaceutique fabrique, je crois aux vaccins. Par les temps qui courent, il n’est pas inutile de le préciser.

PROPOS RECUEILLIS PAR N.H.