Décembre 2025

 

PERFECTIONNISME ET LACHER-PRISE

 

 Marine COLOMBEL

 

(Psychologies - Octobre 2025)

 

Pychiatre, praticien hospitalier dans l’établissement public de santé mentale Barthélémy-Durand,
à Etampes (91), où elle a ouvert une consultation dédiée à la prévention et la prise en charge
du burn-out, elle est l’autrice entre autres de
Je crois en moi (Marabout, 2025)

 Perfectionnisme et lâcher-prise

O

n me pose souvent la question : existe-t-il un « profil type » des patients qui font un burn-out ? Depuis que j’ai ouvert ma consultation il y a une dizaine d’années, j’en ai suivi de tous les horizons : femmes, hommes, en sortie de faculté, préretraités, médecins, artistes, gestionnaires ou militaires. Un large spectre de compétences, qui pourtant partageaient tous un point commun : une propension au perfectionnisme. Attention, pas celui qui aime les choses bien faites, non, celui qui n’arrête pas tant que ce n’est pas parfait. Celui qui relit ses mails trois fois avant d’appuyer sur « envoyer », qui repense dans son lit à une formulation maladroite entendue la veille en réunion. Celui qui donne tout, toujours, en désespérant d’avoir un jour une reconnaissance pour tous ses sacrifices.

 

L

e perfectionnisme n’est pas seulement une qualité. Il prend souvent la forme d’une compulsion déguisée en vertu. Et c’est précisément ce moteur, en apparence noble, qui finit par conduire au crash. Ce n’est pas le travail en soi qui épuise, mais l’incapacité des perfectionnistes à s’en détacher.

A

lors, y-a-t-il des gens qui ne font jamais de burn-out ? Oui, ceux qui ne s’effondrent pas quand un dossier est rendu en retard, qui ferment leur messagerie professionnelle à 18 heures sans une once de culpabilité, qui considèrent leur emploi comme un outil et non comme un miroir d’eux-mêmes. En d’autres termes, les « je-m’en-foutistes ». Ils ont une si mauvaise réputation dans le monde professionnel, et pourtant, ils cultivent une aptitude naturelle dont les « jusqu’au-boutistes » gagneraient à s’inspirer :

le lâcher-prise.

 

V

oici un conseil simple que je donne à mes patients pour apprendre le lâcher-prise tout en gardant le contrôle : la règle des 80 %. Non, elle n’est pas très scientifique, mais d’expérience, elle est efficace.

 Choisissez une tâche professionnelle simple que vous réalisez régulièrement (répondre à vos mails, préparer un compte-rendu ou un rendez-vous), et accomplissez-la à 80 % de vos standards habituels. Oui, vous m’avez bien lue : ne répondez pas à un cinquième de vos mails, laissez vacant 20 % de votre temps de préparation d’une réunion. Observez ce que vous ressentez : de l’inconfort ? Du soulagement ? Et surtout, que se passe-t-il vraiment ? Le monde ne s’effondre pas et, au contraire, vous avez laissé de l’espace pour l’impromptu, le non-préconçu. C’est ça, le lâcher-prise.

 

A

mis perfectionnistes, n’oubliez pas la fameuse phrase d’Antoine de Saint-Exupéry : « Il semble que la perfection soit atteinte non quand il n’y a plus rien à ajouter, mais quand il n’y a plus rien à retrancher1. »

1

. Terre des Hommes  d’Antoine de Saint-Exupéry (Gallimard, "Folio", 1972).