Aout 2025
Santé
L’EXPERIENCE DE MORT IMMINENTE SOUS LE MICROSCOPE DES
CHERCHEURS
Pr Stéphane CHARPIER
Arttcle
paru dans é Le Progrès » du 02 Juillet 2025
Depuis une vingtaine d’années, les scientifiques
s’intéressent sérieusement à l’expérience de mort imminente. Leurs découvertes
récentes valident la réalité du vécu des ‶expérienceurs‶. Le Pr
Stéphane Charpier, professeur de neurosciences
(Sorbonne Université) et directeur de recherche à l’Institut de Cerveau
(Paris), nous éclaire sur ce sujet.
►En
partenariat avec Destination Sané |
Quand la science s’est-elle intéressée à l’expérience de
mort imminente ?
« Dès
1975, le médecin américain Raymond Moody a publié un ouvrage, La vie après
la vie, où il relate pour la première fois des expériences de mort
imminente. Le problème, c’est que Moody était spiritualiste et considérait que
ces personnes étaient revenues du monde des morts. Ce n’est que depuis des
années 2000 que les expériences de mort imminente sont un véritable sujet de
recherche. Aujourd’hui, elles sont reconnues comme réelles et ce champ est
désormais intégré au domaine médical et scientifique. »
Vers quelles directions s’orientent les recherches ?
« Des
enregistrements électroencéphalographiques (EEG) réalisés au États-Unis chez
des patients en arrêt cardio-respiratoire ont montré des périodes d’activité
cérébrale ressemblant à celle de l’"éveil conscient", alors même
qu’ils étaient en train de mourir. L’hypothèse dominante est donc qu’au moment
de la mort, une sorte de sursaut d’activité cérébrale se produit, générant une
forme d’imagerie mentale qui constituerait les expériences de mort
imminente. »
Vous et votre équipe êtes allés plus loin chez des rats,
des expériences non réalisables ni éthiques chez l’homme ?
« Nous
avons pu confirmer l’existence de ce sursaut d’activité neuronale transitoire
dans le cerveau des rongeurs. Il pourrait expliquer les expériences de mort
imminente au cours d’un phénomène de dissociation : d’un côté, un état de
conscience altéré, comparable à celui du coma, et de l’autre, la génération
autonome d’une activité mentale. Autrement dit, bien que la conscience soit
globalement effondrée, certains réseaux neuronaux continuent à produire une
imagerie mentale intense. Avec Séverine Mahon (Inserm), nous avons mis au point
un modèle de rat qui nous permet d’enregistrer l’EEG pendant un arrêt
respiratoire, procéder à une réanimation et enregistrer simultanément ce qui se
passe à l’intérieur des neurones. L’activité rapide enregistrée en surface chez
les rats en train de mourir est directement liée à l’activation répétée des
synapses (zone de contact entre deux neurones). Les neurones, fortement
excités, ont une activité synaptique qui augmente. Ce point est
fondamental : ce n’est pas une activité diffuse mais partiellement
organisée. Et donc potentiellement porteuse de contenu mental ! »
Vous avez aussi découvert une onde électrique au moment
de la réanimation ?
« Effectivement.
Contrairement aux patients subissant un protocole de fin de vie, nous avons pu
réanimer nos rongeurs après l’arrêt respiratoire et découvert ainsi qu’une onde
spécifique apparaît alors systématiquement dans l’EEG au cours d’une
réanimation réussie. Nous l’avons appelée en anglais the "wave of resuscitation" (onde
de la réanimation) car elle est toujours observée avant le retour de l’activité
cérébrale. Ce marqueur est inédit. Il annonce, d’une manière fiable, que le
cerveau est sur le point de retrouver une activité fonctionnelle. C’est à ce
jour le seul marqueur connu qui nous signale dans 100 % des cas que la
récupération est en cours (après plusieurs minutes, voire plusieurs
heures). »
→
L’expérience de "mort imminente" rebaptisée
"vie imminente"
« Les premiers motifs d’activité
cérébrale que nous observons après la réanimation ne correspondent pas à ceux
d’un cerveau éveillé ordinaire. Ils ressemblent à ceux que l’on enregistre lors
d’hallucinations visuelles ou auditives chez certains patients schizophrènes ou
lors de la prise de drogues psychédéliques puissantes, comme la psilocybine ou
le LSD. Cela ouvre une piste nouvelle : l’état de conscience qui ré-émerge
serait d’abord un état hybride, caractérisé par des perceptions altérées ou
déconnectées de la réalité, ce qui pourrait contribuer à expliquer les contenus
psychiques de type hallucinatoire décrits dans les expériences de mort
imminente. Étant donné que ces drogues psychédéliques agissent sur le cerveau
via la sérotonine, ce neuromodulateur pourrait être impliqué dans les
expériences de mort imminente observées au moment où l’activité cérébrale
revient. »
Mais
toute personne réanimée ne rapporte pas nécessairement ces expériences ?
« On
parle de 15-20 %, mais ces chiffres pourraient être plus élevés, nombreux
sont ceux qui ne souhaitent pas en parler, par gêne ou retenue. Le patient vit
cette expérience pendant qu’il est en train de revenir à lui. Il y a là un
parallèle évident avec le sommeil et le rêve. Si je me réveille en plein
sommeil lent profond, il y a peu de chance que je me souvienne de quelque
chose, même si j’ai rêvé un peu plus tôt, pendant une phase de sommeil
paradoxal. C’est parce que je me réveille au bon moment que je peux rapporter
ce que j’ai rêvé. De la même manière, je pense qu’il existe une conjonction
temporelle entre ce que le patient vit, puis raconte comme expérience, et la
période précise où son cerveau était capable de produire cette expérience.
C’est cette concordance – entre le vécu subjectif et l’état physiologique du
cerveau – qu’il reste à explorer. »
Le
Pr Stéphanie Charpier vient de publier Le
cauchemar de Descartes : ce que les neurosciences nous apprennent de la
conscience, éd. Albin Michel.