LA JEUNESSE VAUT BIEN UNE MESSE LENTE
Gaëtan SUPERTINO
(Article paru dans Le Monde du 01-02
Septembre 2024)
Nouvelles spiritualités des jeunes
– Liturgie lancée pour attirer les moins de 35 ans, la « Messe qui prend
son temps » laisse plus de place à la méditation et aux interactions. A
côté, d’autres offres mêlent le spirituel, le social et l’écologie
Une oreille peu habituée à la liturgie
catholique ne percevra peut-être pas dès le départ la différence. Comme dans
une messe classique, on y chante Kirie eleison
(« Seigneur, prends pitié », en grec ancien), on y fait des signes de
croix, et lorsque le prêtre lance « Le Seigneur soit avec vous », les
fidèles répondent en chœur « Et avec votre esprit ». « C’est
bien une messe catholique, qui suit le missel romain [trame liturgique validée
par le Vatican] », tient à préciser Benoît Thévenon,
33 ans, étudiant aux Facultés Loyola – l’institut d’études supérieures des
jésuites, à Paris – et coordinateur général de la « Messe qui prend son
temps » abrégée en « MT »).
Il ne s’agit pas d’une messe tout à fait
comme les autres. La « MT » a été conçue par la Compagnie de Jésus
pour s’adresser à la jeunesse, alors que seuls 30 % des Français de moins
de 25 ans se définissent comme « chrétiens » (Odoxa,
2022) – contre 50 % de la population générale – et qu’à peine 7% des
catholiques de moins de 30
ans vont à la messe le dimanche (d’après une étude de 2018
codirigée par l’Institut catholique de Paris).
La grande innovation de la
« MT »
qui se tient tous les dimanches à 19h dans l’église
Saint-Ignace (Paris 6e), est justement
qu’elle « prend son temps ». Alors qu’une messe classique dure
près d’une heure, celle-ci s’étale sur quatre-vingt-dix minutes. Au milieu de
l’office, la liturgie s’arrête net, et fait place au silence. Un déroutant
silence de vingt minutes, durant lequel les fidèles sont invités à méditer, les
textes entendus. Une musique rappelle ensuite les fidèles à leur siège, et
chacun est invité à échanger avec ses voisins, par groupes de trois ou quatre,
sur ce qui l’a touché durant la cérémonie.
Une petite révolution
Dans un monde catholique où la plupart des
activités tournent autour du prêtre et où l’on s’interroge sur les dérives du
« cléricalisme » (la concentration des pouvoirs entre les mains des
clercs), ici, tous les fidèles sont appelés à s’investir, que ce soit pendant
la messe ou en amont, du choix des musiques à la rédaction des prières.
« C’est une liturgie adaptée à certaines attentes de notre époque, avec
une dimension individuelle – la prière personnelle – et une horizontalité
assumées :tout le monde interagit et le clergé
n’est pas seul à diriger », résume l’historien Charles Mercier, auteur de
L’Église, les jeunes et la mondialisation (Bayard, 2020).
Depuis qu’il a pris le poste de
coordinateur général il y a trois ans, Benoît Thevenon
est à la fois le chef d’orchestre et le visage de la « MT ». Celui
qui se destine à devenir prêtre à l’issue de son cursus en philosophie et en
théologie tente de maintenir cet esprit de communauté. Tous les dimanches soir,
il invite les fidèles à partager un pot, et une fois par mois, un dîner. Il
propose aussi un « cadeau » aux nouveaux. « Je leur distribue
des Kinder à la sortie, s’amuse-t-il. Cela peut paraître idiot, mais je me dis
qu’ils se sentent accueillis. » Ce Lyonnais d’origine, issu d’une famille
pratiquante mais « où l’on ne parlait pas non plus de Jésus tout le
temps », doit sa vocation à une « expérience de la solitude ».
« Toujours
disponible »
Après différentes expériences marquantes
avec la communauté catholique du Chemin neuf, l’idée de devenir prêtre commence
à germer en lui. Il décide néanmoins de mener ses études d’architecte jusqu’au
bout : « Je voulais être certain que je ne me lançais pas dans une
vie religieuse pour choisir une bande de potes. Je ne voulais pas non plus être
celui qui est devenu curé car il ne savait pas quoi faire d’autre. »
Benoît Thevenon
rencontre les jésuites il y a huit ans, à la chapelle de La Sapienza,
l’université de Rome où il finit ses études d’architecture. Il décide
finalement d’intégrer l’ordre ²et d’en assumer les conséquences, dont le
célibat. « Cela m’a un peu refroidi, j’ai eu besoin d’un peu de temps pour
cheminer avec cette idée. Mais j’ai pris conscience que, quoi qu’il advienne,
nous sommes fondamentalement seuls sur terre. Célibataire ou non, on
expérimente un manque, constructif de notre être, que personne ne peut
combler », raconte celui qui confie avoir eu « deux femmes qui ont
compté dans sa vie ». Mais il assure que cette solitude ne lui pèse
pas : « C’est une manière différente de nouer des relations. Il y a
un désir d’être toujours disponible, et la "MT" participe de ce
désir. Je la conçois comme un espace de joie et de consolation. »
« Grand amoureux » de l’Église,
Benoît Thevenon dit « ne pas être aveugle sur
ses limites ». Par exemple, « Il va falloir que l’Église fasse
rapidement un pas de plus sur la place des femmes. Plusieurs fois dans l’année,
il fait appel à une prédicatrice pour commenter les textes liturgiques et
introduire la prière. En plus de la possibilité de se confesser auprès d’un
prêtre, la « MT » propose des permanences d’écoute avec une
religieuse. « Pour certains et certaines, il est plus simple de se confier
à une femme qu’à un homme. Or ; il y a peu de lieux où l’on peut
rencontrer une femme qui représente l’institution sans prendre
rendez-vous », note-t-il.
La « Messe qui prend son
temps » souffle cette année ses 25 bougies.
Née
à Paris, inspirée des exercices spirituels d’Ignace de Loyola (1491-1556),
fondateur des jésuites qui invitait à « chercher et trouver Dieu en toutes
choses » et à adapter sa foi à son époque, elle se décline aujourd’hui à
Toulouse, Lille ou Bordeaux, mais aussi au Royaume-Uni, en Italie, en Suisse et
au Canada.
En chute libre après le Covid-19, les
effectifs repartent (un peu) à la hausse depuis deux ans. A Paris, environ un
millier de fidèles la fréquentent à l’année, soit cent à deux cents par
dimanche en moyenne. « La "MT" n’est peut-être pas l’initiative
qui réunit le plus de monde, mais elle suscite des engagements forts et
durables », souligne l’historien Charles Mercier.
Les fidèles ont même un quartier général
pour prolonger leurs échanges : la Maison Magis, créée il y a cinq ans par les
jésuites et des jeunes de la « MT ». Ce « tiers-lieu » –
comme le définissent les fondateurs – situé non loin de Saint-Ignace, propose
différentes activités : en plus de la préparation de la messe, on peut y
suivre un accompagnement spirituel auprès des jésuites, animer des ateliers
culturels, faire du bénévolat auprès des réfugiés accueillis par l’ONG Jesuit Refugee Service (JRS),
intégrer des réseaux d’initiatives écologiques, accéder à un espace de « cowork », ou simplement boire un coup et déguster une
bière locale au comptoir du bar tenu par des jeunes fidèles.
La question de
« l’après »
Plusieurs jeunes interrogés par Le Monde
disent que la « MT » les a « réconciliés » avec la messe.
« Quel que soit mon état, je m’y sens bien », observe ainsi Sabine
Piveteau. Si elle a reçu une éducation catholique durant son enfance, cette
médecin généraliste de 31 ans a rapidement quitté les bancs de l’Église en
grandissant, trouvant même « rebutant » d’entrer dans une église
avant de connaître la « MT ».
Ophélie Omnes abonde. Originaire d’un village
de l’Essonne, ayant grandi dans une famille pratiquante mais
« ouverte », elle a été déçue par la plupart des paroisses qu’elle a
fréquentées à Paris. « Quand on est catholique et progressiste, ce n’est
pas facile de trouver un groupe dans lequel on peut s’exprimer. En ce sens, la
"MT" a été une révélation pour moi « ,
raconte cette consultante en droit et communication de 33 ans.
Reste la question de
« l’après ». la « MT » et la
Maison Magis sont ouvertes aux moins de 35 ans. Peu
de fidèles contreviennent à cette règle, pour l’instant. « On ne jette
personne dehors, mais si on devait en arriver à une majorité plus âgée, il
faudrait intervenir. L’idée est de garder contact avec les jeunes »,
reconnaît Benoît Thevenon, qui finira aussi par
laisser sa place. Certains nous ont confié qu’ils se sentent prêts à fréquenter
une messe classique. Mais tous l’assurent : ils ne pourront plus se
contenter d’une attitude passive. ■