Avril 2025

 

L’URGENCE DE « LIBÉRER LA PAROLE »

 

François DESNOYERS

 

(Le Monde - Jeudi 21 novembre 2024)

 

 

 

 

L’anxiété, la dépression, la sensibilité au stress, l’hypersensibilité, sans compter les troubles cognitifs (concentration, attention et mémoire), sources d’épuisement et de fatigue.» Fabienne égraine la longue liste de ses « fragilités ». Exposée à de nombreux troubles psychiques, la quinquagénaire explique qu’elle doit, en conséquence, s’investir quotidiennement dans « deux boulots » : d’une part ma mission de responsable d’une base de connaissances ; d’autre part, la gestion de mes émotions et de ma fatigue afin d’assurer au mieux ma présence au travail. C’est une tâche importante sur le savoir-être ». Une tâche épuisante en outre, mais qui lui permet de « trouver son équilibre » et de vivre son parcours professionnel.

 

A

u fil des pages de l’ouvrage de la sociologue Claire Le Roy-Hatala, La Vérité sur les troubles psychiques au travail (Payot, 304 pages, 21 euros), Fabienne côtoie Lise et ses « tempêtes émotionnelles », Laurence qui ne veut « pas être réduite à [sa] pathologie ». ou encore Yohanes, qui vit « un monde s’effrondr[er] » lorsqu’un « diagnostic de maladie mentale » fut posé sur lui, considérant alors qu’il ne pourrait « plus faire confiance à [son] cerveau ».

 

D

ifférents témoignages offerts par l’autrice au lecteur, pour mieux saisir les pathologies mentales et le rapport au travail des personnes en souffrant. C’est le premier objectif de Mme Le Roy-Hatala à travers son essai : expliquer, avec un souci pédagogique constant, ce qui recouvre la maladie, déconstruisant les idées reçues, cherchant à « dissiper les peurs » sur un sujet tabou au travail – et souvent caché par ceux qu’il touche.

 

S

entiment d’exclusion

E

lle montre ainsi l’invisible : le sentiment d’exclusion des salariés, leurs stratégies du quotidien pour dissimuler la maladie (tel ce cadre supérieur qui rentre chez lui à la pause méridienne pour se reposer, prétextant des déjeuners à l’extérieur pour ne pas manger avec ses collègues), leurs efforts, aussi, pour retrouver le chemin du travail après une crise.

 

 

Ce faisant, l’autrice souhaite « libérer la parole » sur cet « impensé organisationnel ». Parce que l’absence de communication complexifie l’intégration des personnes touchées. Et parce que le sujet implique une réelle prise de conscience, alors que nombre d’entreprises sont concernées, souvent sans le savoir.

 « Treize millions de personnes sont touchées par des troubles psychiques invalidants (…) et 20 % considèrent que ces troubles ont un impact sur leur vie professionnelle », rappelle Mme Le Roy-Hatala, qui précise que ces mêmes troubles sont « responsables de 35 % à 45 % de l’absentéisme au travail », selon Santé publique France.

 

 

Démontrant que la plupart de ces pathologies sont conciliables avec la vie au travail, son essai propose aussi des pistes d’action aux manageurs et dirigeants. Elles doivent favoriser l’adaptation de l’organisation de travail aux personnes touchées, mais aussi la bonne compréhension des équipes.

 Quelles mesures déployer ? Comment faire face au deuil d’un collaborateur victime de troubles psychiques ? Quelles structures peuvent accompagner les manageurs ? Quels types de formation proposer aux salariés sur le sujet ?

 

 

Des adaptations utiles pour la bonne marche de l’entreprise, qui pourront également jouer un rôle positif pour l’équilibre des personnes concernées. Ce que rappelle Philippa, consultante touchée par des troubles d’humeur : « Le travail (…) me permet de retrouver une place dans la vie, de structurer mes journées, de gagner ma vie, de me sentir utile. »

 

FRANÇOIS DESNOYERS

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LA VÉRITÉ SUR LES TROUBLES

PSYCHIQUES AU TRAVAIL

de Claire Leroy-Hatala, Payot,
304 pages, 21 euros.