Janvier 2025

JE NE PLEURE JAMAIS

 

par Ségolène BARBÉ

 

Article paru dans « Psychologies » de Décembre 2024

 

 

Souvent considérées comme un signe de fragilité, les larmes sont aussi une force, à condition de les assumer et à se reconnecter à ses émotions. Explications.

 

 

Si certaines personnes vivent très bien avec les yeux secs, d’autres sentent bien qu’il leur manque un relâchement essentiel à leur équilibre émotionnel. « J’ai un certain mépris pour ceux qui pleurent beaucoup, témoigne Adeline, 45 ans. J’ai l’impression qu’ils se comportent un peu comme des enfants, qu’ils manquent de dignité, et pourtant, il m’arrive également de les envier. Moi qui ne pleure quasiment jamais, j’aimerais bien réussir de temps en temps à me laisser aller aux larmes, à être moins dans le contrôle. »

 

J’AI APPRIS À MASQUER MES ÉMOTIONS

La réticence à laisser couler ses larmes vient souvent de l’enfance. « Certains ont peut-être subi une éducation un peu répressible avec des phrases d’invalidation émotionnelle, comme Il y a plus malheureux que toiˮ ou Tu n’as aucune raison de pleurerˮ… En grandissant, ils en ont gardé une certaine inhibition par rapport aux larmes », analyse ainsi la psychiatre et psychothérapeute Stéphanie Hahusseau, autrice de Laisser vivre ses émotions (Odile Jacob, 2022). Les hommes, notamment, ont souvent appris à retenir leurs larmes de peur de passer pour faibles et vulnérables. « Pleurer reste assez stigmatisé chez les garçons, qui grandissent encore avec cette idée que lorsqu’on est un homme, on ne pleure pasˮ », assure la psychothérapeute Sarah Baudot Bonnot.

 

JE ME PROTÈGE

Un blocage émotionnel peut aussi survenir à la suite d’un traumatisme ou d’une période de stress intense. « J’avais un patient qui, de 16 à 24 ans, a eu le sentiment de ne plus rien ressentir, comme s’il était coupé de ses émotions, se souvient Sarah Baudot Bonnot. Il vivait alors une période difficile, marquée par le divorce de ses parents, et il évitait inconsciemment de ressentir quoi que ce soit pour ne pas trop souffrir. » Nous avons parfois peur que notre tristesse ne s’arrête jamais si nous commençons à pleurer, comme si nous ouvrions alors des vannes qui seraient ensuite bien difficiles à refermer. Mais c’est au contraire en assumant nos larmes que nous pourrons aller mieux. « C’est lorsque j’inhibe mes émotions qu’elles se chronicisent, explique Stéphanie Hahusseau. Si je les ressens profondément – ce qu’on appelle l’intéroception –, en étant attentif aux sensations corporelles parfois désagréables qui leur sont associées, elles dureront quarante minutes maximum. »

 

LE REGARD DES AUTRES ME STRESSE

« J’ai perdu mon père à 15 ans et, malgré ma tristesse, j’ai eu beaucoup de mal à pleurer, se souvient Hortense, 38 ans. J’avais l’impression que tout le monde me scrutait, s’apitoyait sur moi, et ça me bloquait complètement. » Un peu comme pour la maternité, où il faudrait être heureuse tout de suite avec son bébé, il y a souvent beaucoup d’injonctions émotionnelles autour d’un décès. « Lorsqu’on perd quelqu’un, il faudrait tout de suite être triste, mais c’est parfois beaucoup plus composite : on peut être aussi en colère, avoir un fou rire, ressentir de la tristesse après coup et non sur le moment », assure Stéphanie Hahusseau. Le stress de devoir être conforme à ce que les autres attendent de nous peut alors prendre le pas sur la tristesse et l’empêcher de s’exprimer.

 

NOS 4 CONSEILS

1 FAITES LE POINT SUR VOS CROYANCES

Que va-t-il se passer de si dramatique si je laisse couler mes larmes ? Ai-je peur de me montrer vulnérable ? Du regard des autres ? De ne pas pouvoir m’arrêter ? « Imaginer ce qui pourrait arriver de pire permet de faire le point sur ses peurs inconscientes, et souvent de réaliser que rien de bien grave va se produire si je pleure », conseille la psychothérapeute Sarah Boudot Bonnot.

2 NOMMEZ VOS ÉMOTIONS

Avant de ressentir et d’accepter ses émotions, il faut déjà les nommer. La psychiatre et psychoth »rapeute Stéphanie Hahusseau préconise de s’auto-observer au quotidien et de noter dans un petit cahier les différentes émotions de la journée, en distinguant les faits – ce qui s’est réellement passé – de tout ce qu’on raconte autour, ce qui ne fait qu’aggraver nos émotions.

3 CESSER DE CULPABILISER

Il n’y a pas de honte à pleurer. « Pleurer est utile et même nécessaire, car cela active le système parasympathique qui permet le relâchement émotionnel », rappelle Stéphanie Hahusseau. Mal vu aujourd’hui, les larmes étaient valorisées à d’autres époques. Après avoir franchi le Rubicon, lors de la marche sur Rome, en 49 avant J.-C., Jules César aurait ainsi pleuré devant ses soldats, ce qui était alors considéré comme un signe d’énergie virile et d’humilité face aux dieux.

4 DÉBLOQUER VOS LARMES

Écouter une musique triste ou regarder un bon mélo peut aider à retrouver le chemin des larmes. « Précision un peu triviale mais qui a son importance : pour ressentir un apaisement, il est important de se moucher régulièrement, car cela permet d’éviter l’hyperventilation, qui est source d’angoisse », conseille Stéphanie Hahusseau

 

 

La solution de Marie, 47 ans « Je me suis entraînée au cinéma »

« Un jour où, plutôt fière de moi, je racontais à une amie que je ne pleurais jamais, elle m’a répondu : Je te plainsˮ. Cette réponse m’a fait réfléchir. J’ai réalisé que je retenais souvent mes larmes par peur de me montrer vulnérable, même à mes propres yeux. Alors, j’ai décidé de m’entraîner. Au cinéma, je me suis laissée aller à verser quelques larmes, et je reconnais que c’était assez libérateur. Il m’est aussi arrivé de pleurer devant une amie. En me montrant davantage telle que je suis, sans chercher à prouver que j’assure tout le temps, je me sens davantage soutenue. »

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

À LIRE

Oser pleurer de Guillaume Le Blanc.
Un essai pour sortir

 du conditionnement
culturel qui nous
empêche souvent
de nous laisser aller
à nos émotions
(Albin Michel, 2024)