Avril 2025

 

PMA : LES GAMETES ISSUS DE DONS ANONYMES DESORMAIS INUTILISABLES

 

Camille  STROMBONI

 

(Le Monde - MERCREDI 2 AVRIL 2025)

 

 

Cette mesure de la loi de bioéthique adoptée en 2021 est entrée en vigueur le 31 mars et concerne 30 000 paillettes de spermatozoïdes

 

 

 

ll s’agit d’une date charnière : le 31 mars marque la fin de l’anonymat des gamètes – ovules et spermatozoïdes – utilisés dans le cadre d’une procréation médicalement assistée (PMA). Inscrite dans la loi de bioéthique adoptée en 2021, cette disposition vise à donner le droit à tous les enfants issus d’un don d’accéder à leurs origines, s’ils le souhaitent, à 18 ans. Elle devient pleinement effective, après une période transitoire prévue par décret qui s’achève. A cette date, le stock de gamètes restés sous l’ancien régime, sur lesquels l’anonymat n’a pas été levé, ne peut plus servir.

 

       Combien sont-ils ? Les chiffres, rendus publics par le ministère de la santé et l’Agence de la biomédecine, lundi 31 mars, font état de 30 000 « paillettes » de spermatozoïdes – il n’y a pas d’ovules concernés, faute de stock existant. « Sur le stock de plus de 100 000 paillettes d’anciens donneurs anonymes recensées à la fin décembre 2022, il en reste moins de 30 000 qui, pour une majorité, sont inutilisables du fait de l’atteinte du seuil de dix naissances par donneur ou parce qu’elles ne répondent pas aux critères de qualité actuels permettant leur utilisation pour des inséminations intra-utérines », ont assuré, par communiqué, les autorités sanitaires, sans plus de détails.

 

       Selon l’Agence de la biomédecine, la destruction de ces stocks, évoquée ces derniers mois, relèvera de la décision de chaque centre de PMA. « Nous avons atteint un socle minimal », a salué Marine Jeantet, sa directrice générale, soulignant pour cela la « mutualisation entre les centres qui n’avait jamais eu lieu auparavant ».

 

La question des embryons

Le bilan dressé à cette occasion montre que la mesure de levée de l’anonymat n’a pas découragé le don, au contraire. Une hausse du nombre de candidats au don de spermatozoïdes a été constatée (1 045 candidats donneurs en 2024, contre 676 donneurs en 2023), avec un stock de 100 000 nouvelles paillettes accumulées depuis 2022, soit un niveau permettant de poursuivre au rythme actuel pendant deux ans, selon l’agence.

 

Restait la question des embryons issus d’un don de gamètes anonymes, qui a surgi à quelques mois de l’échéance, sans être anticipée. L’option de leur destruction au 31 mars a provoqué une levée de boucliers chez les médecins tout comme chez les représentants de patients. Contrairement aux gamètes anonymes, ces embryons sont déjà attribués à des couples ou à des femmes, et issus en partie de leur propre matériel génétique. Après des semaines de tergiversations, le ministre de la santé a tranché en annonçant, le 6 mars, que « ces embryons issus d’une FIV [fécondation in vitro] impliquant un tiers donneur ne sont pas concernés ». A condition que les centres d’assistance médicale à la procréation informent les couples ou les femmes du « statut de ces embryons » sur lesquels l’anonymat du donneur demeure.

 

       « Cela a causé beaucoup de stress et d’angoisse, plusieurs milliers de couples sont concernés », souffle le professeur Samir Hamamah, président de la Fédération française d’étude de la reproduction, qui estime à environ 12 000 le nombre d’embryons ainsi « sauvés ». Pour le médecin, « la question de la pénurie de donneurs et de donneuses reste entière », au vu des besoins, avec la nécessité de communiquer « toute l’année » sur le don.

 

 

L’activité de PMA
avec don
de sperme a été
multipliée par 8,5
par rapport
à la période
précédant la loi
de bioéthique

 

 

       Cette étape ultime de la fin de l’anonymat des gamètes témoigne aussi de l’explosion de la « demande », comme le montrent les chiffres de l’enquête de suivi d’activité auprès des centres de don et d’autoconservation de gamètes répartis sur le territoire, dévoilés par l’Agence de la biomédecine. L’activité de PMA avec don de spermatozoïdes a été multipliée par 8,5 par rapport à la période précédent la loi relative à la bioéthique, avec près de 47 000 demandes enregistrées de la part de « femmes non mariées » (terme retenu par l’Agence de la biomédecine pour les femmes seules) et de couples de femmes.

 

« Équipes débordées »

Les délais moyens de prise en charge ont augmenté, passant de 15,5 mois en 2023, à 17,7 mois en 2024, entre la prise de rendez-vous jusqu’à la première tentative. Les listes d’attente se sont allongées, avec plus de 10 600 femmes en attente au 31 décembre 2024, contre 7 600 un an plus tôt – pour près de la moitié, des femmes seules ; 38 % sont en couple avec une femme, 17 % en couple avec un homme.

       « Beaucoup de couples et de femmes partent à l’étranger à cause de ces délais, rapporte Virginie Rio, cofondatrice de l’association BAMP, qui réunit patients et ex-patients de l’assistance médicale à la procréation. Quand on a un système de soins en tension, comme aujourd’hui, les équipes, débordées, utilisent des stratégies pour gérer les files ; nous avons certains centres qui mettent des conditions supplémentaires, en ne laissant qu’une seule tentative à certaines femmes, en leur disant qu’il faut laisser la place aux autres, en conseillant à d’autres, à partir d’un certain âge, de partir à l’étranger... »

      

Pour Mme Rio, l’enjeu demeure entier : « Il faut remettre à plat le fonctionnement de la PMA pour prendre en charge vraiment tout le monde. » La promesse d’un plan de lutte contre l’infertilité, avancée par le président de la République, Emmanuel Macron, voilà plus d’un an, reste en grande partie en suspens.

 

Autre facteur de tension supplémentaire, pour l’offre de soins : l’autoconservation ovocytaire non médicale, ouverte elle aussi par la loi bioéthique, a été fortement plébiscitée, selon l’agence de biomédecine. Cette possibilité de conserver ses gamètes, sans conditions médicales ou de don à autrui, a reçu 42 300 demandes de première consultation depuis 2021, avec une hausse constante chaque année. En 2024, 5 127 femmes ont bénéficié d’une autoconservation non médicale.

CAMILLE STROMBONI