Octobre 2025
SEULE
LA FRATERNITE POURRA DESSINER UN AVENIR SOLIDE ENTRE LA FRANCE ET L’ALGERIE
Chems-eddine
HAFIZ et Jean-Paul VESCO
(Le Monde - Dimanche 24 - Lundi 25 août 2025)
« Nos
peuples ne doivent pas être les victimes collatérales des crispations
diplomatiques » entre les deux pays,
affirment Chems-eddine Hafiz, recteur de la Grande Mosquée de Paris, et
Jean-Paul Vesco,
archevêque d’Alger élevé au rang de cardinal
F |
ace
à la grave crise qui obscurcit les relations entre la France et l’Algérie,
nous, recteur de la Grande Mosquée de Paris et archevêque d’Alger, ressentons
le besoin de dire haut et fort, en notre nom propre et, fort, en notre nom
propre et dans l’humilité de nos responsabilités, ce qui nous unit : nous
sommes des frères.
|
Cette
fraternité n’est pas une formule, mais une expérience. Elle naît de nos
histoires personnelles et collectives, de nos appartenances religieuses et
culturelles, de nos fidélités à deux peuples et à deux patries. Elle nous a
conduits, chacun par un chemin singulier, à porter la voix d’une communauté de
foi et à la faire dialoguer avec l’ensemble de la société.
F |
rères dans la foi et la différence
Nous sommes frères en
tant que responsables religieux. Nos communautés, très différentes en nombre,
partagent une même condition : vivre en situation de minorité dans des
sociétés marquées par d’autres traditions. Loin d’être une fragilité, cette situation
nous apprend la vigilance et la fécondité de la rencontre.
|
Nous
affirmons que la différence est une chance. Etre
citoyen à part entière n’implique pas de se dépouiller de sa foi, mais de la
vivre dans un esprit de responsabilité et de respect.
F |
rères dans la double appartenance
N |
ous
sommes aussi frères parce que nous nous reconnaissons dans cette condition
particulière : être franco-algériens. Non pas au sens administratif, mais
dans la chair de nos vies. Nous ne sommes ni moins français ni moins algériens,
mais pleinement les deux.
|
A
l’image de Saint-Augustin, Africain enraciné dans l’Algérie antique et
universel par sa pensée, nous voulons montrer que l’identité n’est pas un bloc
fermé, mais une réalité vivante, toujours en relation. C’est pourquoi nous
refusons d’être considérés comme des étrangers dans l’un ou l’autre pays. Nous
exerçons nos responsabilités dans des terres qui ne sont pas celles de nos
origines, mais que nous aimons d’un amour véritable.
F |
rères en humanité
Au-delà
de nos traditions, nous sommes frères en humanité. Cette fraternité ne dépend
pas de nos titres, mais de notre condition d’êtres
créés par un Dieu unique. L’émir Abd El-Kader en
demeure un témoin lumineux. Chef militaire et mystique, il fut aussi protecteur
des prisonniers, rappelant que la foi est authentique lorsqu’elle se traduit en
hospitalité et en dignité pour l’autre.
|
Etre
frères en humanité signifie refuser toute frontière qui enferme la fraternité
dans l’éthique, la religion ou la nation. Cela signifie choisir de la vivre
comme une vocation universelle, fragile et exigeante.
|
DES
PAROLES DE RÉCONCILIATION ONT
MANQUÉ. ELLES
AURAIENT PERMIS
D’OUVRIR UN
AVENIR APAISÉ. ELLES SONT ENCORE POSSIBLES |
F |
rères dans le droit
Il
se trouve enfin que nous sommes confrères : nous avons tous deux porté la
robe d’avocat. Dans le silence des prétoires, nous avons appris que la justice
exige que chacun soit entendu, que les discriminations soient gommées pour que
seule la dignité humaine demeure. Cette robe fut pour nous une école de vérité.
Elle nous rappelle aujourd’hui qu’il faut défendre la justice entre nos deux
peuples avec la même intransigeance que devant le juge.
U |
n passé qui appelle des paroles de vérité
Nous
ne pouvons que constater que la dégradation actuelle des relations entre la
France et l’Algérie plonge ses racines dans un passé douloureux, lesté de
blessures qui n’ont pas été dites avec la vérité nécessaire. Des paroles de
réconciliation ont manqué. Elles auraient permis d’ouvrir un avenir apaisé.
Elles sont encore possibles.
|
La
tentation est grande d’instrumentaliser la mémoire pour en faire un champ de
bataille. Mais comme le rappelait le président sud-africain Nelson Mandela [1918-2013] :
« La réconciliation ne signifie pas oublier, mais ne pas en être
prisonnier. » Nous croyons que la vérité historique, lorsqu’elle est
assumée sans humiliation, est un chemin vers l’avenir et non un retour en
arrière.
U |
n appel à la paix et à la fraternité
Ensemble,
nous appelons à ne pas ajouter de la tension à la tension. Nos peuples ne
doivent pas être les victimes collatérales des crispations diplomatiques. Ni
les citoyens algériens en France, ni les Français en Algérie, ni les musulmans,
ni les chrétiens ne doivent porter les stigmates d’une rivalité d’État à État.
|
Nous
affirmons que notre avenir compte plus que notre passé. Etre
porteurs de paix n’est pas une option pieuse : c’est une responsabilité
politique, spirituelle et humaine. Comme l’affirmait l’écrivain André Malraux [1901-1976],
« le XXIe siècle sera spirituel ou ne sera pas ». nous voulons ajouter : il sera fraternel ou ne sera
pas.
|
Seule
la fraternité, enracinée dans nos traditions religieuses et inscrite dans la
devise laïque de la République française, pourra dessiner un avenir solide. Une
fraternité qui se refuse aux stigmatisations, qui s’offre à tous
indistinctement. Une fraternité qui fait de la diversité non une menace, mais
une chance.
|
C’est
ce pari que nous choisissons de porter, non comme un idéal abstrait, mais comme
une tâche quotidienne, une discipline de la parole, un engagement au service
des peuples. Nous savons qu’il y faudra patience et courage. Mais nous croyons
que c’est le seul chemin digne de nos deux pays.
C |
hems-eddine
Hafiz,
F |
ranco-Algérien, avocat
honoraire,
|
est recteur de la Grande
Mosquée
de Paris depuis janvier 2020 ;
J |
ean-Paul Vesco, Franco-Algérien,
créé cardinal par le pape
Français en décembre 2024,
est archevêque d’Alger, après avoir
été archevêque d’Oran en Algérie